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La science du chaos

Gros-plan sur les trajectoires d'un attracteur étrange.

Chaos et probabilité (II)

Les chercheurs considèrent que le chaos qui ressort de l'évolution des systèmes inertes ou vivants signifie que le mouvement n'est plus prévisible sur une longue période de temps. Ceci provient de l'analyse de ce qui se passe, non plus à propos d'une seule trajectoire mais des probabilités, de l'ensemble des trajectoires.

Cette difficulté apparaît lorsqu'on essaye de mesurer le portrait du rythme cardiaque, de l'activité cérébrale, ou l'évolution de la matière inerte auto-organisée.

L'école de Prigogine en particulier, a prouvé que si l'onde quantique décrit des distributions de probabilité continues, pour des systèmes chaotiques simples, ces dernières permettent de tracer le portrait du système à chaque seconde et de prédire l'évolution de la probabilité. On peut ainsi déterminer dans quelles limites le système évoluera, de quelle façon il tendra vers l'état d’équilibre sur l'échelle de temps considérée et estimer la probabilité de chaque bifuraction du système. Cela donna une vision totalement nouvelle des lois de la nature car, stricto sensus, pour obtenir ces lois il faut considérer que les probabilités sont des conditions initiales, autrement dit une expression de notre ignorance, une expression de notre manque de connaissance. Nous avons donc besoin des probabilités pour connaître l’évolution d'un système, d'un point de vue probabiliste.

Cela signifie également que les conditions initiales ne sont plus représentées par un point dans le temps mais se transforment en une petite région. On obtient ainsi une description non locale du phénomène. Cette description nous donne plus d'information et tout spécialement concernant l'échelle de temps (réversibilité), etc., ce qu'une description locale ne pourrait jamais nous donner.

L'exposant de Lyapunov

Si un système est réellement chaotique, les chercheurs ont découvert que la distance qui sépare deux trajectoires initialement voisines ira en augmentant de façon exponentielle, en fonction du temps.

En fait on retrouve dans ces systèmes un ou plusieurs attracteurs étranges qui permettent dans une certaine mesure de déterminer leur évolution.

C'est l'exposant de Lyapunov (t-1) qui prédit cette évolution en mesurant le taux de séparation (d) entre les trajectoires, t étant appelé le "temps de Lyapunov". Ce temps limite pose un "horizon temporel" au-delà duquel la précision des définitions se paye proportionnellement au facteur "e", à l'image du fameux "effet Papillon" que l'on retrouve en météorologie.

En fait l'exposant de Lyapunov est synonyme d'instabilité et de chaos. Si l'exposant de Lyapunov (L) est nul le système est classique et obéit aux lois de la dynamique (réversibilité, etc.). La définition de ce comportement chaotique est caractérisée par un attracteur étrange dont l'équation est proportionnelle à la fonction :

d = exp (Lt)

Document Manuel Velarde, Université Autonome de Madrid.

L'exposant de Lyapunov est présent dans ce bain d'huile mélangé à du silicium. Porté à haute température, il révèle des structures turbulentes et un comportement chaotique. Doc U.Aut.Madrid.

Les résonances de Poincaré

Les systèmes chaotiques dont les trajectoires divergent exponentiellement représentent des situations vraiment exceptionnelles. Pour quelles raisons alors ces instabilités sont-elles si importantes ? Cela provient d'un autre type d'instabilité que l'on nomme l'instabilité de Poincaré ou la catastrophe de Poincaré.

Au XIXe siècle, Poincaré souleva une très importante question : dans tout système il existe deux types d'énergie, l'énergie potentielle et l'énergie cinétique. Il peut également s'agir de l'énergie gravitationnelle ou de tout autre type d'énergie. La question de Poincaré était de savoir s'il était possible de décrire la nature sans tenir compte des interactions, de les faire toutes disparaître ? En d'autres termes le monde peut-il être décrit par des systèmes qui ne sont pas en interactions, un monde dans lequel n'existerait pas le moindre processus réversible, qui ne connaîtrait pas la cohérence dont nous venons de parler ?

Poincaré reconnut que dans la plupart des systèmes dynamiques on ne pouvait pas éliminer les interactions. Cet état de chose était en fait lié aux phénomènes de résonances, qui en deux mots relient les processus en couple.

Prenons par analogie le son émis par une corde de piano. Une note isolée se caractérise par la durée de sa résonance, son amplitude, son timbre, la hauteur de son octave, autant d'harmoniques simples. On peut dire la même chose à propos des résonances de Poincaré qui relient les différents processus au niveau probabiliste. Il faut considérer que les résonances de Poincaré introduisent une contribution non Newtonienne au milieu de ses interactions qui, de façon générale sont décrites en termes probabilistes. Le concept Newtonien de trajectoires devient dès lors plus une approximation.

A gauche, une série présentée dans un graphique à deux dimensions semble présenter des irrégularités mais on ne peut pas en être certain. En revanche, représentée en trois dimensions (à droite), une figure typique en papillon se dessine, preuve de l'émergence d'un régime chaotique.

Dans un système chaotique au contraire, le processus de base est non Newtonien, les trajectoires ne sont plus prédictibles. Imaginez un mouvement brownien sans direction bien définie. Le système se définit par une description diffuse qui un moment ou un autre brise sa symétrie, près de l'équilibre par exemple si les conditions sont réunies. Ceci concerne les systèmes chaotiques en général, car isolément il existera toujours des systèmes dont les trajectoires sont compactes, bien alignées et régulières. Mais en principe la description reste au niveau de la distribution des probabilités et non plus au niveau du point, de l'orbite.

Le paradoxe quantique

La physique quantique a donné jusqu'à présent d'excellents réponses aux physiciens en prédisant les résultats de leurs mesures. Pourtant, ce domaine est lui aussi fondé sur une approche probabiliste des interactions. On entend parfois dire "chaque mesure donne naissance à un monde totalement nouveau", c'est l'hypothèse des univers-multiples; "que durant une mesure, notre conscience jouent un rôle particulier jusqu'à réduire la fonction d'ondes" ou encore comme le dit Gell-Mann[3] que "l'histoire a été filtrée". Mais pourquoi devrait-on considérer que dans certains cas les évènements sont filtrés et pas dans d’autres ? Nous pouvons calculer avec précision le niveau d’énergie d'une particule ou le spin du proton. Mais dès que l'on parle de probabilité, du risque de voir une météorite entrer en collision avec la Terre, alors nous devons effectuer des statistiques, des moyennes bref, "filtrer" l'information, car nous sommes encore incapables de décrire l'ensemble de l'univers réel.

L'interprétation de la physique quantique consiste à dire qu'il s'agit d’une théorie dualiste, alliant le concept d'onde à celui de particule. D'un côté une description déterministe représentée par l'équation de Schrödinger, de l'autre un postulat indéterministe selon lequel la réalité est en quelque sorte filtrée par un mécanique inconnu. Jusqu'à aujourd'hui, ce mécanisme s'étend au-delà de la dynamique, nous filtrons en fait notre environnement.

Selon Prigogine, si nous pouvions appliquer les principes de la mécanique quantique aux macro-systèmes de Poincaré nous pourrions découvrir une théorie dynamique unifiée au niveau de la distribution des probabilités, sans devoir tenir compte d'une quelconque réduction de la fonction d'onde dans ce type de système. Ces systèmes ne seraient plus décrits en termes d'amplitudes mais uniquement comme des problèmes de probabilités. Nous n'aurions plus besoin de tenir compte de cette étrange transition qu'est la transformation d'un monde potentiel en sa réalité pour actualiser ces systèmes dans le monde réel.

Si l'on considère un système microscopique, comme un atome, nous pouvons le relier à un système de Poincaré et le mesurer. En d'autres termes, nous avons besoin de la réversibilité pour communiquer avec l'onde microscopique car on ne peut pas l'observer isolément. Le monde de l’atome ressemble fort de ce point de vue au paradoxe de Langevin de la relativité. Les deux problèmes peuvent être résolus en tenant compte des lois de la dynamique des systèmes instables.

Les marchés financiers

Pour identifier les comportements chaotiques les physiciens utilisent d'ordinaire des procédures traditionnelles telles que l'exposant de Lyapunov, la dimension de corrélation et l'analyse spectrale. Ces procédures sont quelque peu inadéquates pour étudier des données sociales comme l'évolution des marchés financiers et de la bourse en particulier.

Cette inadéquation vient du fait que dans le cadre des sciences sociales ces procédures utilisent en général un ensemble réduit de données relativement peu sensibles au chaos (Gilmore 1995). Elles ne peuvent pas par exemple identifier une structure chaotique dans un bruit de fond aléatoire (Brock, 1986).

Leur utilisation en toute rigueur exige une compréhension des procédures mathématiques complexes mais en général les sociologues ne manipulent pas ce genre de concepts qui sont de préférence manipulés par des mathématiciens, experts en sciences dites "dures". Mais on peut surmonter ces difficultés comme l'ont démontré Russ Marion et Ken Weaver de l'Université de Clemson.

Les systèmes chaotiques présentent en effet une caractéristique de base appelée le "close return". Prenons par analogie deux raisins enfoncés dans de la pâte à pain. Si vous étirez la pâte les deux raisins vont se séparer. Si vous repliez la pâte sur elle-même les raisins disposés arbitrairement dans la pâte vont se retrouver l'un près de l'autre. Si vous continuez cette manipulation au bout d'un certain nombre de cycles les raisins vont toujours se retrouver au même endroit, c'est le "close return". Puis soudainement, les raisins vont changer de comportement et ne reviendront plus se placer au même endroit, faisant preuve d'un comportement chaotique. En fait il existence dans ce sytème une diffusion des informations car son évolution présente une grande sensibilité aux conditions initiales.

A gauche, représentation du return des actions d'Apple Computer calculé à partir des variations de volumes moyennées sur les quantités des 3 jours suivants. La distribution est relativement homogène mais on commence à distinguer un comportement irrégulier dans chaque ligne horizontale. A droite, le portrait du système révèle un attracteur étrange de Lorenz. L'action présente un comportement chaotique...

La dimension de corrélation mesure la tendance statistique d'un système dynamique à revenir à sa position initiale ou tout le moins à adopter un régime stable. Complété par l'exposant de Lyapunov il est ainsi possible de mesurer le degré avec lequel un système se rapproche ou s'éloigne de l'équilibre.

Mais ces statégies d'évaluation présentent un caractère plus topologique que mathématique et c'est ici que l'oeuvre de Poincaré a marqué son siècle en dressant le portrait du système.

Appliqué à l'évolution des marchés il est possible d'évaluer le comportement d'une action en mesurant par exemple le bénéfice par action. Si on représente graphiquement la durée d'un return précis en fonction du temps on constate que toutes les valeurs sont prises durant une certaine période et il est difficile d'y relever le moindre comportement, tendance ou instabilité ni même de relever les données sensibles du bruit de fond qui tend à distribuer uniformement les données. En revanche, en calculant une valeur moyennée sur les tendances futures il est possible de mettre en évidence la tendance réelle du système et c'est ici que l'on a découvert en analysant durant 50 jours une action active comme Apple Computer par exemple qu'elle suivait un régime chaotique. En traçant graphiquement les équations différentielles correspondantes à partir de la méthode d'Euler on découvre que l'action est régie par un attracteur de Lorenz d'où les auteurs ont peut déduire que la tendance chaotique observée pour cette action pouvait subsister... toute l'année.

Ce genre d'analyse ne s'adapte pas à toutes les études. Elle ne convient pas par exemple pour évaluer le quotient intellectuel des étudiants mais bien à l'évaluation de leur stress (pulsations cardiaques). Elle ne peut déterminer la tendance des étudiants à un test personnalisé élaboré par le professeur en raison de son imprécision probable, mais elle peut évaluer le score des étudiants à un examen standardisé proposé à différents membres d'une même population, enfin elle est adapté à la mesure périodique du taux de croissance d'une population mais pas au relevé des indices économiques, etc, voilà autant de sujets auxquels se prête l'étude du chaos et des sections de Poincaré.

L'évolution du climat

En 1963, le météorologiste Edward Lorenz[4] du MIT mis en évidence la sensibilité de la circulation atmosphérique au choix des conditions initiales. Sans le savoir il venait de découvrir les "attracteurs étranges".

Ainsi que nous le savons aujourd’hui à propos les prévisions météorologiques, toute perturbation si minime soit-elle, de proche en proche quadruple de taille chaque semaine. Ce qui n'était au départ qu'une fluctuation est devenu un phénomène chaotique d'une ampleur considérable. Cette petite fluctuation peut donc en théorie modifier l'évolution du climat quelques mois plus tard aux antipodes, c'est "l'effet papillon", nom poétique donné à l'attarcteur étrange de Lorenz qui régit ce comportement.

A gauche, nos prévisions météorologiques seront toujours limitées dans le temps car elles sont soumises au régime chaotique d'un attracteur étrange de Lorenz, la fameuse figure en papillon montrant les bassins d'attraction typiques de ces systèmes. A droite, les effets de ce régime chaotique s'observent par exemple dans l'évolution globale de la température. Les mesures observées correspondent à 92 % à l'évolution d'un système chaotique. Documents Paul Bourke et NASA/GISS adapté par l'auteur.

Le déterminisme n'est donc plus absolu, a priori. Il est en effet impossible de tenir compte de tous les facteurs perturbateurs et même si cela était envisageable il serait impossible de codifier leurs effets (eu égard aux problèmes d'appréciation des quantités et ceux liés au stockage de l'information). En corollaire il est impossible de déterminer le degré de précision pour l'ensemble des conditions initiales et nous devons dès lors accepter une certaine marge d'erreur dans les prévisions. Ceci explique pourquoi les prévisions numériques émises par un centre international comme celui de Reading, l'ECMWF par exemple, peuvent parfois radicalement changer un paramètre comme la direction du vent en l'espace de 12 heures; ce n'est pas de l'incompétence mais l'oeuvre du dieu Khaos...

La mécanique céleste

Dans les années 1980, l’astronome français Jacques Laskar du Bureau des Longitudes de Paris démontra que le système solaire obéissait également à un régime chaotique. Il étudia l'évolution de l'axe de rotation de la Terre, l'obliquité de l'écliptique et son influence sur le climat. Il découvrit que le mouvement d'oscillation périodique de la Terre était instable sur de très longues périodes de temps au point de modifier la répartition de l’insolation à la surface de la Terre et de déclencher des périodes glaciaires.

Ce mouvement de précession est dû à la force de marée engendrée par le Soleil et par la Lune. Il découvrit également que si la Lune n'existait pas, suite à des effets de résonances à différentes fréquences d’excitation il se créerait une zone chaotique très étendue, tellement grande qu’elle rendra l’orbite de la Terre très instable, son obliquité pouvant varier de 0 à 90°. Nous y reviendrons en détail.

Laskar étudia également les orbites planétaires. Il découvrit que si on pouvait prédire la position d'une planète dans 5 millions d'années avec une précision de 150 mètres si on prolongeait les calculs sur 100 millions d'années l'erreur atteignait 150 millions de km, soit la distance qui nous sépare au Soleil et du coup les astronomes étaient dans l'impossibilité de prévoir les positions futures des planètes. En fait les orbites planétaires sont sensibles à la moindre perturbation qui peut modifier les calculs, en particulier aux millions de petits corps mesurant moins de 10 m de diamètre qui rendent les trajecoires très sensibles aux conditions initiales.

La théorie proposée par Laskar et ses collègues est cohérente et explique parfaitement la dynamique des systèmes complexes et du chaos, résolvant les problèmes que nous pose la stabilité du système solaire. L"instabilité, le chaos et autres résonances de Poincaré semblent donc jouer un rôle très important dans la nature. Partant des lois classiques de la physique quantique nous sommes parvenu à trouver une nouvelle formulation des lois de la nature. Dans tout cela l'homme et la vie de façon générale apparaît comme une exception dans ce mécanisme, exception qui permet d'avoir une vision plus homogène du monde, une voie possible vers une meilleure cohérence de l'univers.

A présent que la notion de chaos est bien clarifée à travers ces quelques exemples, nous verrons ces sujets en détail dans d'autres articles.

Prochain chapitre

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[3] M.Gell-Mann, “Le quark et le jaguar”, Albin Michel, 1995.

[4] E.Lorenz, Journal of Atmospheric Scie nce, 20, 1963, p130 - E.Lorenz, Tellus, A, 36, 1984, p98 - R.May, Proceedings of the Royal Society of London, B,228, 1986, p241 - C.Essex et al., Nature, 326, 1987, p64 - Consulter également F.Dyson, “Infinite in all directions”, Harper and Row, 1988, p183.


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