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Recyclage et transformation du CO2

Recyclage du gaz carbonique.

Projets pour un air pur (I)

Les organismes photosynthétiques - plantes et phytoplancton - sont capables de s'adapter à l'augmentation du dioxyde de carbone dans leur environnement. On a même récemment découvert que les plantes pouvaient suivre son évolution en augmentant leur production d'oxygène comme le confirme une étude publiée par l'équipe de Lucas A.Cernusak de l'Université James Cook dans la revue "Trends in Plant Science" en 2019 (cf. ce graphique). Mais cela ne veut pas dire que cette production primaire d'oxygène neutralise les émissions de gaz carbonique et leurs effets négatifs (déréglement climatique, sécheresse, canicules, etc), au contraire. Tous les jours nous consommons des combustibles fossiles pour alimenter les véhicules, les transports en communs, les usines et les villes. Du fait que les énergies alternatives sont encore très chères, nous continuons à émettre du gaz carbonique dans l'atmosphère qui atteint aujourd'hui des niveaux records, avec plus de 414 ppm en 2020 (cf. Daily CO2 et la Keeling Curve).

On estime que l'utilisation des combustibles fossiles devrait augmenter de 1.3% par an jusqu'en 2030, accentuant le problème du réchauffement du climat et ses impacts sur la biosphère (cf. B.Bello, UKCCSC Winter School, U.Cambridge, 2012).

Il ne fait aucun doute que le changement climatique est un problème grave et qui s'aggrave. Selon un rapport de l'IPCC (GIEC, Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) publié en 2018, même si tous les pays industrialisés devenaient neutres en carbone du jour au lendemain, le problème continuerait de s'aggraver par effet d'inertie.

Si nous voulons réduire les émissions de gaz carbonique d'origine anthropique et en même temps réduire l'effet de serre, il ne suffit donc pas d'arrêter d'émettre des mégatonnes de CO2 dans l'atmosphère; nous devons également commencer tout de suite à éliminer ce que nous y avons déversé.

Etant donné qu'il est impossible de supprimer les émissions de CO2 sans bloquer l'économie mondiale et sachant qu'il faut plusieurs générations et même davantage pour transformer les fondements technologiques d'une société, il est plus rapide d'inventer des technologies tirant profit du gaz carbonique et capables par exemple de le recycler ou le transformer en matière utile ou en produit non polluant.

Plusieurs méthodes existent, transformant par exemple le CO2 en plastique, en mousse, en combustible, en encre, en nourriture pour les animaux et même en diamant. Mais il ne faut pas confondre ces techniques avec la séquestration du gaz carbonique qui consiste à le stocker à très long terme dans des pièges naturels ni avec la purification du gaz carbonique qui vise uniquement à le rendre non toxique[1]. Mais jusqu'à présent, les procédés de transformation coûtaient trop chers pour être rentables et très peu sont exempts d'effets de bord. Certaines parmi ces technologies sont néanmoins efficaces et méritent d'être brièvement décrites à l'intention des chercheurs et des industriels. Cet article est complété à mesure que de nouveaux projets réalistes, performants et rentables sont présentés (en 5 ans, cet article a déjà quadruplé de taille).

L'initiative mondiale du "4 pour 1000"

Un constat : selon le rapport 2020 de la FAO, 75% des sols de la planète sont déjà dégradés à différents degrés (dégradé ou très dégradé) sous l'effet des activités humaines. Si nous n'agissons pas maintenant, plus de 90% des sols de la planète pourraient se dégrader d'ici 2050.

Selon le rapport 2013 du GIEC, 1 500 milliards de tonnes de carbone sont séquestrés dans la matière organique des sols de la planète soit plus de deux fois la quantité de carbone atmosphérique (CO2).

L'initiative du "4 pour 1000" fut lancée par des chercheurs français après la COP21. Selon les techniques utilisées en agronomie, notamment l'agroforesterie (on combine sur des terres agricoles des variétés agraires et des arbres), on constate qu'en couvrant ainsi les surfaces agraires on peut séquester du gaz carbonique dans le sol de façon durable. Avec ces nouvelles pratiques, on peut enrichir la matière organique des sols en gaz carbonique de 0.4% ou 4 pour 1000 chaque année. Si on applique cette proportion à l'échelle de la planète, cela contribuerait à stocker l'équivalent de la production anthropique annuelle de gaz carbonique.

A consulter : L'agroforesterie en 10 questions

A gauche, le concept du 4 pour 1000. A droite, l'agroforesterie. Documents 4p1000 et Pixabay.

Concrètement, les experts du GIEC ont calculé que ce taux de 0.4% par an représente 1.2 milliard de tonnes de carbone par an qui pourraient être stockées dans les 40 premiers centimètres de sol des cultures et prairies.

Autrement dit, si le réchauffement du climat et le problème de l'alimentation mondiale semblent être des défis insurmontables vus dans leur ensemble, on peut résoudre ces problèmes en gérant prioritairement les émissions de CO2 afin de changer les pratiques de l'industrie agroalimentaire. L'agriculture fait donc à la fois partie des causes et de la solution aux problèmes des émissions de CO2 et de l'alimentation. Il existe donc des solutions, encore faut-il que nos agriculteurs, les industriels et les politiciens acceptent de relever le défi.

Transformer le CO2 en carburant pour avion

En 2020, selon l'IATA les avions contribuaient à 2% des émissions de dioxyde de carbone dans l'atmosphère et à 12% de toutes les émissions de CO2 liées au transport. En effet, chaque litre de kérosène produit 2.55 kg ou 1.44 m3 de CO2 ! Un avion comme l'Airbus A380 (455 passagers) consomme 2.9 litres soit 4.3 kg de kérosène par passager pour parcourir 100 km. Chaque vol de 2000 km (la moyenne des vols) produit 67 tonnes de gaz carbonique soit 33.5 kg de CO2  par  km ce qui représente 223 fois plus qu'une voiture (~150 g/ km) ! Tous les touristes prenant l'avion participent à cette pollution, même les plus écologistes d'entre eux. Mais il se pourrait qu'un jour, ce dioxyde de carbone permette de propulser des avions.

Dans un article publié dans la revue "Nature Communications" en 2020, le chimiste et entrepreneur Tiancun Xiao de l'Université d'Oxford et ses collègues, sont parvenus à mettre au point un nouveau catalyseur à base de fer convertissant le dioxyde de carbone en fuel synthétique pouvant notamment être utilisé par les avions de lignes et les cargos.

Microphotographie SEM de la poudre d'un catalyseur Fe-Mn-K (à gauche le précurseur, à droite, le système utilisé) développé par T.Xiao et al. (2020).

Contrairement aux véhicules terrestres, les avions actuels sont tellement lourds et énergivores qu'ils ne peuvent pas transporter de batteries suffisamment grandes pour assurer un vol complet uniquement en comptant sur l'électricité produite par l'énergie éolienne ou solaire. En revanche, si le CO2 plutôt que le pétrole était utilisé pour fabriquer du carburant pour avion, cela pourrait réduire l'empreinte carbone de l'industrie du transport aérien.

Les tentatives passées pour convertir le dioxyde de carbone en carburant se sont appuyées sur des catalyseurs constitués de matériaux relativement coûteux, comme le cobalt, et ont nécessité plusieurs étapes de traitement chimique.

La nouvelle poudre de catalyseur est composée d'ingrédients bon marché comme le fer et transforme le CO2 en une seule étape. Lorsqu'il est placé dans une chambre de réaction contenant du dioxyde de carbone et de l'hydrogène gazeux, le catalyseur à base de Fe-Mn-K facilite la séparation du carbone des molécules de CO2 de l'oxygène et sa liaison à l'hydrogène, formant les molécules d'hydrocarbures (CH2) qui composent le fuel des avions à réaction. Les atomes d'oxygène restants du CO2 se lient ensuite avec d'autres atomes d'hydrogène pour former de l'eau. La réaction chimique est la suivante (avec CH2 le méthylène, le carbène le plus simple) :

Hydrogénation du CO2 :

CO2 + 3H2    − (CH2) − + 2H2O (ΔHo298 = -125 kJ/mol)

Réaction RWGS (reverse water gas shift) :

CO2 + H2    CO + H2O (ΔHo298 = +41 kJ/mol)

Réaction FTS (synthèse de Fischer-Tropsch) :

CO + 2H2    − (CH2) − + H2O (ΔHo298 = -166 kJ/mol)

Les chercheurs ont testé leur nouveau catalyseur dans une petite chambre de réaction fonctionnant à 300°C et pressurisée à 1 MPa. En 20 heures, grâce à l'hydrogénation le catalyseur a converti 38.2% du dioxyde de carbone en nouveaux produits chimiques. 47.8% de ces produits étaient composés d'hydrocarbures d'aviation. D'autres sous-produits comprenaient des produits pétrochimiques similaires, tels que l'éthylène et le propylène, qui peuvent être utilisés pour fabriquer des plastiques.

Notons que Tiancun Xiao est également le fondateur de l'entreprise Oxford Catalysts Ltd alias Velocys dont le but est de commercialiser des carburants écologiques durables fabriqués à partir de déchets afin d'atteindre des émissions de gaz à effet de serre nettes nulles et d'améliorer la qualité de l’air.

Transformer le CO2 en hydrocarbures

Une équipe de chercheurs du Canada et des États-Unis a développé un catalyseur qui convertit rapidement et efficacement le dioxyde de carbone en produits chimiques simples utiles à l'industrie, comme des hydrocarbures (des molécules à base de H et C qui sont des sources d'énergie). Les résultats de cette étude furent publiés dans la revue "Science" en 2020.

Selon F.Pelayo García de Arquer de l'Université de Toronto et principal auteur de cet article, "La technologie des électrolyseurs d'eau est bien connue : ils transforment l'eau et l'électricité en hydrogène et en oxygène, mais dans notre cas, nous ajoutons du CO2 au cocktail et, au lieu de produire de l'hydrogène, nous pouvons générer divers hydrocarbures, comme l'éthylène, qui est le composé organique le plus utilisé dans le monde. Nous pouvons obtenir des matières premières pour la fabrication de produits tels que des matériaux de construction, des textiles, des peintures, des composants d'appareils électroniques, des couches ... ou même des spiritueux."

La clé du nouveau dispositif est un revêtement polymère qui facilite le transport du dioxyde de carbone à travers la surface du métal ou de l'électrode du catalyseur. 

De manière générale, le CO2 a du mal à pénétrer les solutions aqueuses et à atteindre toute la surface de ce matériau; donc quand le flux d'électrons (courant électrique) est augmenté pour effectuer la réaction, il n'y a pas assez de CO2 à transformer.

A gauche, des ingénieurs de l'Université de Toronto travaillant sur leur nouveau catalyseur. A droite, le catalyseur avec le revêtement ionomère développé par les chercheurs et schéma de la production d'hydrocarbures renouvelables (éthylène, C2H4 et éthanol, C2H5OH) à partir de l'électricité (électrons), CO2, H+ à partir de l'eau et des électrolytes (tels que l'hydroxyde de potassium, KOH, qui augmentent la conductivité ionique). L'OH résultant de la réaction est transporté vers l'anode de l'électrolyseur, où il réagit pour générer de l'oxygène (O2). Documents Daria Perevezentsev/U.Toronto Engineering et F. Pelayo García de Arquer et al. (2020).

Mais les auteurs ont trouvé une méthode pour surmonter cette limitation. Selon García de Arquer, "Nous avons découvert qu'une certaine configuration d'ionomères (polymères qui conduisent les ions et l'eau vers le catalyseur) permet d'augmenter considérablement la facilité avec laquelle le CO2 est distribué le long de la surface catalytique, ce qui nous permet d'atteindre une productivité plus élevée.""

Ce revêtement ionomère contient des éléments hydrophobes (hydrofuges) et hydrophiles (attirant l'eau) et est regroupé pour former une couche ultra-mince d'environ 10 nm qui aide à maintenir la réaction d'où, à partir du CO2 et de l'hydrogène de l'eau (H + protons), l'hydrocarbure est produit.

Selon García de Arquer, "Il y a environ deux ans, les systèmes d'électrolyse au CO2 étaient limités à des sorties électriques ou à des courants de dizaines de milliampères par centimètre carré, ce qui signifie que seules quelques molécules de ce gaz pouvaient être transformées en quelque chose d'utile, mais notre découverte permet les faire fonctionner à des courants cent fois plus élevés, plus d'un ampère par centimètre carré. De cette façon, beaucoup plus de molécules de CO2 peuvent être transformées, atteignant des activités qui étaient impensables il y a quelques années."

Un autre avantage mis en avant par García de Arquer est que la source d'électricité nécessaire au processus "peut être parfaitement renouvelable, comme l'énergie solaire, éolienne ou hydraulique, c'est donc une façon de construire des hydrocarbures également renouvelables."

Les chercheurs travaillent à présent sur l'amélioration de l'efficacité du système et sa stabilité, qui est actuellement de quelques dizaines d'heures, encore loin des milliers d'heures de fonctionnement des électrolyseurs à eau.

Transformer le CO2 en carburant grâce à l'énergie solaire

Nous savons que les plantes convertissent le CO2 et l'eau en oxygène et en sucres à haute teneur énergétique qu'ils utilisent comme "carburant" pour se développer. Ils tirent leur énergie du Soleil; c'est la photosynthèse. Jianwu Sun de l'Université de Linköping (LiU) en Suède et et ses collègues ont tenté d'imiter cette réaction photochimique pour convertir le dioxyde de carbone de l'air en carburants chimiques, tels que le méthane (CH4), le méthanol (CH3OH) et l'éthanol (C2H5OH). Les résultats de leurs travaux ont fait l'objet d'un article publié dans la revue "Nano" en 2020.

Principe du dispositif développé à l'échelle atomique de la jonction Schottky graphène/3C-SiC convertissant photoélectrochimiquement le CO2 en carburant. Document J.Sun et al. (2020) adapté par l'auteur.

Selon Jianwu Sun, "En convertissant le dioxyde de carbone en carburant à l'aide de l'énergie solaire, cette technique pourrait contribuer au développement de sources d'énergies renouvelables et réduire l'impact sur le climat de la combustion des énergies fossiles".

Le graphène est l'un des matériaux les plus minces existant, composé d'une seule couche d'atomes de carbone. Il est élastique, flexible, léger, résistant, transparent à la lumière et bon conducteur d'électricité. Cette combinaison de propriétés garantit que le graphène a un potentiel d'utilisation dans des applications telles que l'électronique, la biomédecine et beaucoup de domaines touchant la mécanique.

Mais le graphène seul ne convient pas pour convertir l'énergie solaire comme le souhaitaient les chercheurs du LiU. Ils ont donc combiné le graphène avec un semi-conducteur composé de carbure de silicium cubique (3C-SiC).

Les scientifiques de l'Université de Linköping ont déjà développé une technique de pointe au niveau mondial pour fixer du graphène sur du carbure de silicium cubique. Lorsque le carbure de silicium est chauffé, le silicium est vaporisé tandis que les atomes de carbone restent et se restructurent sous la forme d'une couche de graphène. Les chercheurs ont précédemment montré qu'il était possible de placer de manière contrôlée jusqu'à quatre couches de graphène les unes sur les autres.

Cette fois, ils ont combiné le graphène et le carbure de silicium cubique pour développer une photoélectrode à base de graphène qui préserve la capacité du carbure de silicium cubique à capter l'énergie de la lumière solaire et à créer des porteurs de charge. Le graphène fonctionne comme une couche transparente conductrice tout en protégeant le carbure de silicium.

Les performances de cette technique sont contrôlées par plusieurs facteurs, dont l'un est la qualité de l'interface entre le graphène et le semi-conducteur. Les chercheurs ont examiné en détail les propriétés de cette interface et montrent dans l'article qu'ils peuvent adapter les couches de graphène sur le carbure de silicium et contrôler les propriétés de la photoélectrode à base de graphène. La conversion du dioxyde de carbone est ainsi rendue plus efficace, tandis que les stabilités des composants sont en même temps améliorées.

La photoélectrode développée par les chercheurs peut être combinée avec des cathodes de divers métaux, comme le cuivre, le zinc ou le bismuth. Différents composés chimiques, tels que le méthane, le monoxyde de carbone et l'acide formique peuvent ainsi être formés sélectivement à partir de dioxyde de carbone et d'eau en sélectionnant les cathodes métalliques appropriées.

Selon Sun, "Plus important encore, nous avons démontré que nous pouvons utiliser l'énergie solaire pour contrôler la conversion du dioxyde de carbone en méthane, monoxyde de carbone ou acide formique". Rappleons que le méthane est utilisé comme carburant dans les véhicules adaptés à l'utilisation de carburants gazeux. Le monoxyde de carbone et l'acide formique peuvent être transformés de manière à pouvoir fonctionner comme combustibles ou à être utilisés dans l'industrie".

La méthode est actuellement au stade de la recherche et le proof of concept (preuve de concept) fonctionne. L'objectif à long terme des chercheurs est de convertir efficacement l'énergie solaire en combustible et de créer un prototype.

Transformer le CO2 en polymères

Dans un article publié dans la revue "Nature" en 2019, l'équipe de Susumu Kitagawa de l'Université de Kyoto proposa une nouvelle solution pour convertir le dioxyde de carbonique en matière utile. Les chercheurs ont développé un polymère organique poreux (PCP ou Porous Coordination Polymer) ayant des affinités pour le CO2 qui permet de le convertir en matière première utile à l'industrie.

A gauche, analyse des structures cristallines PCP aux rayons X. Dans le schéma de gauche (Zn-DPA-2H2O), les molécules d'eau sont omises pour plus de clarté. A droite, synthèse des carbonates cycliques utiles aux industries pétrochimique et pharmaceutique à partir d'époxydes et de gaz carbonique. Documents S.Kitagawa al. (2019) et M.North et al. (2010).

Comme le montre le schéma ci-dessus à gauche, les PCP également appelés MOFs (Metal Organic Framework) fonctionnent comme des tamis moléculaires. Ils sont capables de trier les molécules de manière sélective selon leur forme et leur taille grâce à leur structure hélicoïdale. Le PCP est fabriqué à partir d'ions métalliques de zinc et d'un composant organique en forme d’hélice. C'est précisément cette hélice qui est la clé du brevet car la structure pivote en présence de CO2 afin de piéger la molécule.

Selon les chercheurs, ce modèle de PCP capture le CO2 dix fois plus efficacement que les autres PCP. Lorsque le CO2 est capturé, il peut être utilisé pour fabriquer des polymères organiques qui peuvent ensuite être transformés en polyuréthane, une matière première qu'on retrouve dans quantités d'objets, des appareils ménagers aux isolants en passant par les vêtements. Il peut aussi être recyclé en carbonates cycliques (cf. M.North et al., 2010), un matériau synthétique utilisé dans les industries pétrochimiques et pharmaceutique.

Absorber le CO2 de l'atmosphère

Puisque nous émettons du gaz carbonique, pourrions-nous l'extraire de l'atmosphère et le recycler ? Oui, c'est tout à fait possible ! Des études ont déjà montré qu'on pouvait capturer le carbone contenu dans l'air - ce qu'on appelle une capture directe de l'air (DAC) - mais jusqu'à présent le processus était trop coûteux, l'élimination du CO2 revenant à 600$ la tonne. Si on pouvait réduire ce prix en dessous de 100$ la tonne, cela deviendrait rentable. Bill Gates, Elon Musk et Richard Branson ont montré leur intérêt pour cette technologie.

Dans une étude publiée dans la revue "Joule" en 2018, l'entreprise canadienne Carbon Engineering a montré qu'elle peut capturer une tonne de CO2 par jour au prix de 94 à 232$ la tonne selon les coûts énergétiques et l'usage final du CO2.

Le système de ventilateurs capturant le gaz carbonique de l'atmosphère mis au point par Carbon Engineering. Prix : 94 à 232$ la tonne.

Selon David Keith, fondateur de Carbon Engineering, "c'est différent de la capture de CO2 à partir d'une centrale électrique. Nous capturons directement le CO2 à partir d'une centrale électrique. Nous capturons directement le CO2 à partir d'une centrale électrique. Nous capturons directement le CO2 de l'atmosphère. Le but de le capturer dans l'air est que vous pouvez produire des carburants à faible teneur en carbone à partir d'énergie renouvelable."

Le procédé développé par Carbon Engineering fonctionne en deux étapes. L’air passe d'abord à travers des contacteurs contenant un hydroxyde de potassium aqueux. Lorsque le CO2 est capturé, il forme du carbonate de potassium qui est envoyé dans un réacteur à lit fluidisé où il réagit avec l'hydroxyde de calcium. L'hydroxyde de potassium résultant est ensuite renvoyé aux contacteurs et les pastilles solides de carbonate de calcium sont transférées dans un calcinateur et chauffées à 900°C pour libérer le CO2. La chaux résiduelle est hydratée et renvoyée dans le réacteur à lit.

A terme, Keith espère capturer 1 million de tonnes de CO2 par an. C'est l'équivalent de la quantité de CO2 émise chaque année par 200000 véhicules.

Cette nouvelle méthode est une percée majeure démontrant que la technologie de captage direct de l'air peut être économiquement rentable et fournir un moyen alternatif de générer des carburants à faible teneur en carbone pouvant être intégrés aux infrastructures existantes. C'est important car le prix de l'énergie solaire et éolienne continuent de baisser, alimentant même des villes entières, mais Keith affirme que "cela ne nous permet pas de faire voler des avions et de conduire des camions". En combinant les sources d'énergie renouvelables existantes avec le système de captage direct de l'air, Carbon Engineering peut générer un carburant essentiellement neutre en carbone et abordable. Selon Keith, "vous pouvez fabriquer de l'essence ou du diesel [via une capture d'air directe] mais, bien sûr, ils ne sont pas issus du sol, donc la quantité de carbone qu'ils émettent lorsqu'ils brûlent correspond à la quantité que vous avez utilisée, c'est donc neutre en carbone."

Le processus de capture et de transformation est relativement simple bien que Carbon Engineering travaille sur ce projet depuis 2015 dans une usine pilote située à Squamish, en Colombie Britannique. Cette centrale utilise l'énergie hydraulique pour extraire le CO2 de l'air. Le carburant synthétique résultant de cette transformation pourrait concurrencer les combustibles fossiles traditionnels. 

En 2018, Carbon Engineering annonça qu'il investissait 11 millions de dollars pour commercialiser sa technologie. L'entreprise envisage de produire 2000 barils de carburant par jour et capturer 300000 tonnes de CO2 par an pour un investissement d'environ 300 millions de dollars. Avis aux intéressés.

Ayant fourni le "proof of concept" et démontré l'évolutivité et le caractère abordable d'un tel système, Keith est optimiste quant à l'avenir de cette technologie car il existe des marchés pour ce type de carburant à très faible teneur en carbone, notamment en Californie et au Canada où il existe déjà une norme de faible teneur en carbone.

Le 9 mars 2021, Carbon Engineering annonça qu'il allait ouvrir une nouvelle installation en Écosse qui éliminera jusqu'à un million de tonnes de carbone de l'air chaque année. Selon le communiqué de presse, c'est l'équivalent de ce qui serait absorbé par 40 millions d'arbres au cours d'une année. Tout le carbone absorbé sera déposé dans des sites de stockage sous la mer. Ce sera la plus grande installation de ce type au monde.

L'installation de capture directe de l'air (DAC) sera construite par la société britannique de transition énergétique Storegga Geotechnologies en collaboration avec Carbon Engineering.

Document Carbon Engineering.

En Europe, en 2014 la Commission européenne adopta également une proposition visant à réduire la teneur en carbone des carburants destinés aux transports (les fournisseurs devaient réduire le carbone de 6% pour 2020). Toutefois, si ces normes existent, elles ne récompensent que timidement les entrepreneurs développant des carburants à faible teneur en carbone. Mais il faut un début à tout et même David Keith est conscient que sa technologie est perfectible et il compte bien l'améliorer quitte à proposer une technologie encore plus "folle".

Deux autres sociétés travaillent sur des projets similaires mais sur base de processus différents : Global Thermostat fondée en 2006 et installée à New York et Climeworks fondée en 2009 et installée en Suisse.

Depuis 2010, Global Thermostat traite 1000 tonnes de CO2 par an pour un coût qui devrait bientôt atteindre 100$ la tonne dans son usine installée à Huntsville en Alabama. Selon son cofondateur Peter Eisenberger, si l'entreprise n'utilisait pas d'eau chaude, la capture du CO2 reviendrait à 75$ la tonne. Eisenberger envisage d'atteindre un prix de 50$ la tonne d'ici quelques années.

A l'heure actuelle (2018), Climeworks est la seule entreprise disposant d'une usine commerciale opérationnelle. Sa capacité de traitement est de 50 tonnes de CO2 par an qu'elle transforme en carburant synthétique pour le constructeur Audi à des fins de R&D et de démonstration.

Climeworks fournit également du CO2 à l'Islande sous la forme de Carbfix. Le projet financé par l'Union européenne permet de séquestrer le CO2 concentré dans des formations géologiques basaltiques très stables. Le produit réagit avec la roche pour former du calcite, réduisant la quantité de carbone présente dans l'air (on parle de carbone négatif). Climeworks fournit également du Carbfix pour les besoins en énergie hydroélectrique de la Norvège qui peut ainsi produire environ 56000 barils de carburants synthétiques par an.

Soulignons que Climeworks, Global Thermostat et Carbon Engineering sont tous finalistes pour le "Virgin Earth Challenge", un prix de 25 millions de dollars offert par le milliardaire britannique Richard Branson à la première entreprise capable de démontrer pendant 10 ans une méthode économiquement viable de capture directe de l'air et d'élimination permanente du CO2.

Dépolluer l'air grâce à des micro-algues

La société française de biotechnologie Fermentalg fondée en 2009 constata que sous l'effet de la lumière, les micro-algues capturent le gaz carbonique et le transforment en oxygène par photosynthèse comme le font les plantes. A la différence qu'elles en absorbent une bien plus grande quantité. En collaboration avec Suez, l'entreprise a donc décidé de produire des protéines, des huiles riches en acides gras (oméga 3) et des pigments naturels (phycocyanine, astaxanthine) grâce à ces micro-algues cultivées dans un bioréacteur.

Une colonne de Morris anti-pollution. Source Suez.

Fermentalg possède une collection de 2500 souches de micro-algues dont certaines sont plus efficaces (opérantes) que d'autres selon la fonction visée. Les plus utilisées appartiennent à la famille des Chlorelles. Ce sont des micro-algues unicellulaires d'eau douce contenant une forte concentration de chlorophylle et dont le rythme de croissance est très rapide, produisant une importante biomasse. De plus, ces chlorelles sont riches en oméga 6 (acides linoléique et linolénique), en vitamines (A, C, B5, B2, B12, acide folique) et en protéines et constituent à ce titre des compléments alimentaires et des produits cosmétiques très appréciés.

Fermentalg a choisi d'incorporer ces micro-algues dans du mobilier urbain comme la colonne de Morris présentée ci-joint généralement utilisée comme support publicitaire. Cette fois, elle constitue un puis de carbone servant à dépolluer les villes en commençant par Paris. Le projet fut présenté lors de la COP21 en 2015.

Selon Jérôme Arnaudis de Suez France, "nous avons signé des accords d’expérimentation avec la ville de Paris, pour une application urbaine et avec le Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (SIAAP) pour une autre application, sur un incinérateur situé à Colombes (92). Les équipes scientifiques du SIAAP ont d’ailleurs activement participé à la conduite de ce projet par la mise en œuvre d’expérimentations au sein de leur centre de recherche (Colombes). Cette seconde expérimentation intéresse particulièrement les activités industrielles émettrices de CO2, comme les incinérateurs, et plus largement tout procédé de combustion générant des fumées concentrées en CO2 (de l’ordre de 10%)."

Selon les communiqués de presse de Fermentalg, le puits de carbone se présente sous la forme d'un grand cylindre rempli d'eau douce contenant des micro-algues assurant la photosynthèse. Installé en ville dans les lieux particulièrement pollués, ce type de bioréacteur absorbe autant de gaz carbonique qu'une centaine d'arbres, soit une tonne de carbone par an soustraite de l'atmosphère. Les micro-algues sont ensuite récupérées pour produire de l'énergie. Selon Arnaudis, "la biomasse produite par l'activité des micro-algues peut être évacuée vers la station d’épuration qui utiliserait cette matière afin de produire une énergie verte : du biogaz ou du biométhane lorsqu’il est réinjecté dans le réseau de gaz naturel." Un puit à carbone fut installé à Paris en janvier 2017 pour tester la captation des fumées d'incinération. Une deuxième colonne sera installée ensuite en cœur de la capitale, Place Victor et Hélène Basch à Paris.

A gauche, le principe du puits de carbone basé sur un bioréacteur à micro-algues absorbant le gaz carbonique de l'air. Au centre, la première colonne de Morris anti-pollution à micro-algues installée à Paris en 2017. A droite, les micro-algues du genre Nannochloropsis (2-3 microns de diamètre) de la famille des Eustigmatacées. Pour la différencier d'autres espèces, le microscope électronique ne suffit pas. Il faut analyser son ADN (gène rbcL et séquence ARNr 18S). Documents Suez-Fermentalg et anonyme.

Fermentalg confirme qu'en multipliant les puits de carbone, une agglomération pourrait ainsi avoir un effet positif, persistant et à long terme sur la nature de l'air local et minimiser l'impact des pics de pollution. Les puits de carbone peuvent également être utilisés dans des sites industriels où des niveaux élevés de CO2 sont produits.

Si ces tests urbains sont concluants, Fermentalg passera à la phase industrielle.

Séquester le CO2 en fertilisant les océans avec du fer

Les scientifiques suggèrent que nous pourrions fertiliser les océans avec du fer pour lutter contre le changement climatique. Le résultat serait que le fer conduirait à des proliférations de phytoplanctons, ce qui aiderait à extraire le dioxyde de carbone de l'atmosphère (cf. P.W. Boyd et al., 2001; K.O. Buesseler et al., 2004; WHOI, 2013;  S.W. Chisholm et al., 2015).

C'est une forme de géo-ingénierie centrée sur les mers plutôt que sur le ciel qui repose sur la capacité de l'océan à absorber de grandes quantités de dioxyde de carbone et à le dissoudre naturellement. Contrairement à d'autres formes de géo-ingénierie, elle n'implique pas de produits chimiques nocifs.

Le phytoplancton utilise naturellement le dioxyde de carbone et la lumière du Soleil pour la photosynthèse, de la même manière que les plantes terrestres, pour produire de l'oxygène. Rappelons que le phytoplancton est responsable d'environ 50% de la production d'oxygène de l'atmosphère, le reste étant produit par les végétaux.

La fertilisation par le fer est une méthode de séquestration. L'idée est que dans de nombreuses parties des océans, en particulier dans les régions riches en nutriments et à faible teneur en chlorophylle ou HNLC (High-Nutrient, Low-Chlorophyll), telles que l'océan Austral, la carence en fer représente un phytoplancton minimal. Or le phytoplancton se développe dans les eaux riches en fer. En augmentant la concentration en fer, on estime que le phytoplancton proliférerait ou fleurirait (blooming), ce qui augmenterait la photosynthèse et permettrait d'extraire davantage de dioxyde de carbone de l'atmosphère. La "pompe biologique" océanique transporterait une fraction inconnue de ce carbone tiré par le phytoplancton vers les eaux profondes, où il pourrait résider pendant des siècles.

A gauche, le blooming du phytoplancton en été dans l'océan Atlantique sud forme des tourbillons en forme de 8 à environ 600 km à l'est des îles Falkland. L'image fut prise le 2 décembre 2011 par l'instrument MERIS du satellite Envisat de l'ESA. Sur l'original, la résolution est de 300 km. A droite, la concentration des océans en chlorophylle le 7 janvier 2011. Il y a un déficit quasi permanent sous les Tropiques et dans le Pacifique sud. Documents l'ESA et EO/SeaWiFS adapté par l'auteur.

Le radiochimiste marin Ken O. Buesseler de l'Institut Océanographique de Woods Hole (WHOI) et une équipe de chercheurs ont étudié les effets de la fertilisation par le fer sur les océans du monde. Ils ont découvert que l'introduction de fer pouvait "modifier le flux de carbone vers l'océan profond" et qu'elle contribuait de manière significative à la quantité de dioxyde de carbone entraînée dans l'océan (cf. K.O. Buesseler et al., 2008).

Cependant, depuis ses premières recherches en 2004 et malgré le support du WHOI, Buesseler constate que la communauté scientifique n'a pas fait grand-chose pour étudier le potentiel de la fertilisation par le fer. Selon Buesseler, "Ce qui s'est passé il y a 20 ans, c'est que nous avons commencé à faire le tour, et nous répandions une forme chimique de fer et recherchions ce phytoplancton - la réponse de la plante - et en effet, cela montra très clairement que si vous augmentez le fer, vous pourriez créer plus d'absorption de dioxyde de carbone. La différence entre aujourd'hui et il y a 20 ans, c'est que je pense que la crise climatique est tellement plus apparente pour le public."

En 2020, Buesseler rejoignit un groupe de chercheurs qui examinait plusieurs options pour lutter contre le changement climatique, notamment la fertilisation en fer et l'augmentation des niveaux de phytoplancton dans les océans du monde. L'étude devait se conclure par la publication d'un rapport par l'intermédiaire des Académies nationales des sciences, de l'ingénierie et de la médecine.

Buesseler ne pense pas que l'ajout de fer à grande échelle dans les océans du monde pour augmenter les niveaux de phytoplancton nuirait aux écosystèmes mondiaux. Cependant, il souligne que davantage de recherches sont nécessaires pour étudier les effets.

Selon une estimation "très prudente" de Buesseler, jusqu'à une gigatonne de dioxyde de carbone pourrait être séquestrée sur une base annuelle en utilisant la méthode du phytoplancton. "Cela changera les types de plantes et d'animaux qui poussent, mais cela se produit déjà avec les changements de température et d'acidité."

A voir : The ocean's carbon pump works better than we thought!, WHOI, 2020

 Iron Fertilization (P.Boyd) - Iron Fertilization (R.Murtugudde)

Massive Phytoplankton Bloom Discovered Under Arctic Sea Ice, NASA

A lire : Fertilizing the Seas with Iron, Richard Blaustein, 2011

La fertilisation par le fer pourrait être déployée assez facilement et à moindre coût en utilisant des bateaux de 36 mètres qui n'auraient qu'à disperser le fer dans des aires marines spécifiquement sélectionnées - choisies pour leur manque de fer. Le fer prendrait également effet rapidement, car des proliférations de phytoplancton peuvent être observées dans les 24 heures suivant l'ajout de fer à l'eau.

Il est important de noter que Buesseler ne considère pas la fertilisation par le fer comme une alternative à la fin de l'industrie des combustibles fossiles. En fait, en juillet 2020, des scientifiques du Centre américain pour le droit international de l'environnement ont déclaré que la capture du carbone était une "distraction dangereuse" qui pouvait être utilisée comme excuse pour ralentir la transition vers la consommation de combustibles fossiles (cf. Energy Mix). Mais ce qu'ils oublient de dire, c'est que cette méthode pourrait aider à éviter les pires effets du changement climatique aux côtés d'autres stratégies axées sur l'élimination du carbone et la production d'énergie renouvelable.

Deuxième partie

Une feuille artificielle qui transforme le CO2

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[1] Ne pas confondre la transformation et la purification du gaz carbonique. Il existe des usines de purification comme par exemple Linde en Allemagne, General Electric aux Etats-Unis et Cosmo Engineering au Japon basées sur une technologie cryogénique. Mais leur but n'est pas de transformer ou d'éliminer le gaz carbonique mais de le purifier afin de pouvoir l'utiliser notamment dans les boissons gazeuses.


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