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Recyclage et transformation du CO2

Le système de ventilateurs capturant le gaz carbonique de l'atmosphère mis au point par Carbon Engineering. Prix : 94 à 232$ la tonne.

Absorber le CO2 de l'atmosphère (II)

Puisque nous émettons du gaz carbonique, pourrions-nous l'extraire de l'atmosphère et le recycler ? Oui, c'est tout à fait possible ! Des études ont déjà montré qu'on pouvait capturer le carbone contenu dans l'air - ce qu'on appelle une capture directe de l'air (DAC) - mais jusqu'à présent le processus était trop coûteux, l'élimination du CO2 revenant à 600$ la tonne. Si on pouvait réduire ce prix en dessous de 100$ la tonne, cela deviendrait rentable. Bill Gates, Elon Musk et Richard Branson ont montré leur intérêt pour cette technologie.

Dans une étude publiée dans la revue "Joule" en 2018, l'entreprise canadienne Carbon Engineering a montré qu'elle peut capturer une tonne de CO2 par jour au prix de 94 à 232$ la tonne selon les coûts énergétiques et l'usage final du CO2.

Selon David Keith, fondateur de Carbon Engineering, "c'est différent de la capture de CO2 à partir d'une centrale électrique. Nous capturons directement le CO2 à partir d'une centrale électrique. Nous capturons directement le CO2 à partir d'une centrale électrique. Nous capturons directement le CO2 de l'atmosphère. Le but de le capturer dans l'air est que vous pouvez produire des carburants à faible teneur en carbone à partir d'énergie renouvelable."

Le procédé développé par Carbon Engineering fonctionne en deux étapes. L’air passe d'abord à travers des contacteurs contenant un hydroxyde de potassium aqueux. Lorsque le CO2 est capturé, il forme du carbonate de potassium qui est envoyé dans un réacteur à lit fluidisé où il réagit avec l'hydroxyde de calcium. L'hydroxyde de potassium résultant est ensuite renvoyé aux contacteurs et les pastilles solides de carbonate de calcium sont transférées dans un calcinateur et chauffées à 900°C pour libérer le CO2. La chaux résiduelle est hydratée et renvoyée dans le réacteur à lit.

A terme, Keith espère capturer 1 million de tonnes de CO2 par an. C'est l'équivalent de la quantité de CO2 émise chaque année par 200000 véhicules.

Cette nouvelle méthode est une percée majeure démontrant que la technologie de captage direct de l'air peut être économiquement rentable et fournir un moyen alternatif de générer des carburants à faible teneur en carbone pouvant être intégrés aux infrastructures existantes. C'est important car le prix de l'énergie solaire et éolienne continuent de baisser, alimentant même des villes entières, mais Keith affirme que "cela ne nous permet pas de faire voler des avions et de conduire des camions". En combinant les sources d'énergie renouvelables existantes avec le système de captage direct de l'air, Carbon Engineering peut générer un carburant essentiellement neutre en carbone et abordable. Selon Keith, "vous pouvez fabriquer de l'essence ou du diesel [via une capture d'air directe] mais, bien sûr, ils ne sont pas issus du sol, donc la quantité de carbone qu'ils émettent lorsqu'ils brûlent correspond à la quantité que vous avez utilisée, c'est donc neutre en carbone."

Le processus de capture et de transformation est relativement simple bien que Carbon Engineering travaille sur ce projet depuis 2015 dans une usine pilote située à Squamish, en Colombie Britannique. Cette centrale utilise l'énergie hydraulique pour extraire le CO2 de l'air. Le carburant synthétique résultant de cette transformation pourrait concurrencer les combustibles fossiles traditionnels. 

En 2018, Carbon Engineering annonça qu'il investissait 11 millions de dollars pour commercialiser sa technologie. L'entreprise envisage de produire 2000 barils de carburant par jour et capturer 300000 tonnes de CO2 par an pour un investissement d'environ 300 millions de dollars. Avis aux intéressés.

Ayant fourni le "proof of concept" et démontré l'évolutivité et le caractère abordable d'un tel système, Keith est optimiste quant à l'avenir de cette technologie car il existe des marchés pour ce type de carburant à très faible teneur en carbone, notamment en Californie et au Canada où il existe déjà une norme de faible teneur en carbone.

Le 9 mars 2021, Carbon Engineering annonça qu'il allait ouvrir une nouvelle installation en Écosse qui éliminera jusqu'à un million de tonnes de carbone de l'air chaque année. Selon le communiqué de presse, c'est l'équivalent de ce qui serait absorbé par 40 millions d'arbres au cours d'une année. Tout le carbone absorbé sera déposé dans des sites de stockage sous la mer. Ce sera la plus grande installation de ce type au monde.

L'installation de capture directe de l'air (DAC) sera construite par la société britannique de transition énergétique Storegga Geotechnologies en collaboration avec Carbon Engineering.

Document Carbon Engineering.

En Europe, en 2014 la Commission européenne adopta également une proposition visant à réduire la teneur en carbone des carburants destinés aux transports (les fournisseurs devaient réduire le carbone de 6% pour 2020). Toutefois, si ces normes existent, elles ne récompensent que timidement les entrepreneurs développant des carburants à faible teneur en carbone. Mais il faut un début à tout et même David Keith est conscient que sa technologie est perfectible et il compte bien l'améliorer quitte à proposer une technologie encore plus "folle".

Deux autres sociétés travaillent sur des projets similaires mais sur base de processus différents : Global Thermostat fondée en 2006 et installée à New York et Climeworks fondée en 2009 et installée en Suisse.

Depuis 2010, Global Thermostat traite 1000 tonnes de CO2 par an pour un coût qui devrait bientôt atteindre 100$ la tonne dans son usine installée à Huntsville en Alabama. Selon son cofondateur Peter Eisenberger, si l'entreprise n'utilisait pas d'eau chaude, la capture du CO2 reviendrait à 75$ la tonne. Eisenberger envisage d'atteindre un prix de 50$ la tonne d'ici quelques années.

A l'heure actuelle (2018), Climeworks est la seule entreprise disposant d'une usine commerciale opérationnelle. Sa capacité de traitement est de 50 tonnes de CO2 par an qu'elle transforme en carburant synthétique pour le constructeur Audi à des fins de R&D et de démonstration.

Climeworks fournit également du CO2 à l'Islande sous la forme de Carbfix. Le projet financé par l'Union européenne permet de séquestrer le CO2 concentré dans des formations géologiques basaltiques très stables. Le produit réagit avec la roche pour former du calcite, réduisant la quantité de carbone présente dans l'air (on parle de carbone négatif). Climeworks fournit également du Carbfix pour les besoins en énergie hydroélectrique de la Norvège qui peut ainsi produire environ 56000 barils de carburants synthétiques par an.

Soulignons que Climeworks, Global Thermostat et Carbon Engineering sont tous finalistes pour le "Virgin Earth Challenge", un prix de 25 millions de dollars offert par le milliardaire britannique Richard Branson à la première entreprise capable de démontrer pendant 10 ans une méthode économiquement viable de capture directe de l'air et d'élimination permanente du CO2.

L'initiative mondiale du "4 pour 1000"

Un constat : selon le rapport 2020 de la FAO, 75% des sols de la planète sont déjà dégradés à différents degrés (dégradé ou très dégradé) sous l'effet des activités humaines. Si nous n'agissons pas maintenant, plus de 90% des sols de la planète pourraient se dégrader d'ici 2050.

Selon le rapport 2013 du GIEC, 1500 milliards de tonnes de carbone sont séquestrés dans la matière organique des sols de la planète soit plus de deux fois la quantité de carbone atmosphérique (CO2).

L'initiative du "4 pour 1000" fut lancée par des chercheurs français après la COP21. Selon les techniques utilisées en agronomie, notamment l'agroforesterie (on combine sur des terres agricoles des variétés agraires et des arbres), on constate qu'en couvrant ainsi les surfaces agraires on peut séquester du gaz carbonique dans le sol de façon durable. Avec ces nouvelles pratiques, on peut enrichir la matière organique des sols en gaz carbonique de 0.4% ou 4 pour 1000 chaque année. Si on applique cette proportion à l'échelle de la planète, cela contribuerait à stocker l'équivalent de la production anthropique annuelle de gaz carbonique.

A consulter : L'agroforesterie en 10 questions

A gauche, le concept du 4 pour 1000. A droite, l'agroforesterie. Documents 4p1000 et Pixabay.

Concrètement, les experts du GIEC ont calculé que ce taux de 0.4% par an représente 1.2 milliard de tonnes de carbone par an qui pourraient être stockées dans les 40 premiers centimètres de sol des cultures et prairies.

Autrement dit, si le réchauffement du climat et le problème de l'alimentation mondiale semblent être des défis insurmontables vus dans leur ensemble, on peut résoudre ces problèmes en gérant prioritairement les émissions de CO2 afin de changer les pratiques de l'industrie agroalimentaire. L'agriculture fait donc à la fois partie des causes et de la solution aux problèmes des émissions de CO2 et de l'alimentation. Il existe donc des solutions, encore faut-il que nos agriculteurs, les industriels et les politiciens acceptent de relever le défi.

Une feuille artificielle qui transforme le gaz carbonique

Sans exagéré, les biochimistes travaillent sur le concept de "feuille artificielle" depuis le début des années 2000 après avoir pris conscience du rôle des émissions de gaz carbonique dans l'effet de serre. Mais ce n'est que depuis les années 2012-2013 environ que des résultats concrets furent obtenus. Ainsi, dans la suite des recherches entreprises au Caltech en 2015, une équipe internationale de chercheurs de l'Université de Waterloo, en Ontario, au Canada a créé une "feuille artificielle" qui imite les capacités d'épuration du carbone. Mais plutôt que de transformer le CO2 atmosphérique en une source de carburant, la feuille le convertit en méthanol, un carburant alternatif utile.

Grâce à de l'oxyde de cuivre, cette "feuille artificielle"' utilise l'eau, la lumière du Soleil et le dioxyde de carbone puisé dans l'air pour produire du méthanol et de l'oxygène. Document Virgil Andrei.

L'équipe dirigée par Yimin A. Wu de l'Institut de Nanotechnologie de Waterloo (WIN) a travaillé sur ce projet en collaboration avec l'Université d'État de Californie à Northridge et la Cité Universitaire de Hong Kong. Le procédé fut décrit dans un article publié dans la revue "Nature Energy" en 2019.

Nous savons que dans la nature, les plantes vertes convertissent le gaz carbonique atmosphérique et l'eau en glucose et en oxygène grâce au processus de la photosynthèse. C'est la chlorophylle qui absorbe la lumière du Soleil à plusieurs longueurs d'ondes (violet-bleu et orange-rouge) et alimente les réactions chimiques. Le glucose est ensuite utilisé par les plantes comme source d'énergie, tandis que la réaction produit de l'oxygène.

L'équipe de Wu a utilisé la même idée pour concevoir leur "feuille artificielle" présentée à gauche qui repose sur un processus très similaire mais qui produit des produits finaux différents : "nous l'appelons une feuille artificielle car elle imite les vraies feuilles et le processus de photosynthèse. Une feuille produit du glucose et de l'oxygène. Nous produisons du méthanol et de l'oxygène."

La clé du processus sur lequel Wu et ses collègues travaillent depuis 2015 est l'oxyde de cuivre (Cu2O), une poudre rouge bon marché qui est chimiquement conçue pour avoir autant de particules à huit côtés que possible. Cette poudre est créée par réaction chimique entre du glucose, de l'acétate de cuivre ou "verdet" (Cu(CH3COO)2), de la soude caustique ou hydroxyde de sodium (NaOH) et du dodécylsulfate de sodium ou laurylsulfate de sodium (LSS, NaC12H25SO4). Cette poudre est ensuite ajoutée à de l'eau portée à une température déterminée où elle sert de catalyseur lorsque le dioxyde de carbone est pompé. Un simulateur d'énergie solaire projette ensuite un faisceau de lumière blanche dans la solution. La réaction chimique qui en résulte produit de l'oxygène gazeux par photosynthèse tandis que le CO2, l'eau et la solution de poudre sont convertis en méthanol (CH3OH). Le méthanol ayant un point d'ébullition inférieur à celui de l'eau, la solution est chauffée et le méthanol est collecté lors de son évaporation.

Précisons qu'un procédé similaires fut développé à l'Université de Cambridge au Royaume-Uni, où les chercheurs ont développé un appareil qui utilise la photosynthèse produite par la lumière solaire et des absorbeurs de lumière au cobalt pour transformer l'eau et le CO2 en gaz de synthèse. Cette substance est fabriquée à partir d'un mélange d'hydrogène et de monoxyde de carbone et est utilisée dans la fabrication de carburants alternatifs, de produits pharmaceutiques, de plastiques et d'engrais.

Ce procédé est également similaire au concept "d'arbre artificiel" développé par Klaus Lackner, directeur du Lenfest Center for Sustainable Energy de l'Université de Columbia aux Etats-Unis. Lackner a proposé une méthode où des "arbres" avec des feuilles de plastique recouvertes de résine pourraient éliminer jusqu'à 100 fois plus de CO2 de l'air que les arbres naturels. Une fois que les feuilles ont absorbé le dioxyde de carbone, elles sont placées dans l'eau pour créer des biocarburants.

Enfin, l'équipe de Daniel Nocera de l'Université d'Havard a également conçu une feuille artificielle capable de reproduire la photosynthèse (cf. les vidéos ci-dessous).

A voir : Artificial leaf' successfully produces clean gas

Daniel Nocera: Fuels and Food from Sunlight, Air and Water

Conference - Daniel NOCERA - The Artificial Leaf

Le processus de "feuille artificielle" présente deux avantages. Le premier est d'éliminer le CO2 de l'atmosphère et de ralentir le changement climatique. Le second est de produire des carburants alternatifs qui permettront aux utilisateurs de continuer à dépendre des véhicules non électriques, ce qui donnera un peu plus de temps aux industriels pour faire la transition vers une vie neutre en carbone.

Notons qu'à l'avenir des mesures supplémentaires seront prises pour augmenter le rendement en méthanol et commercialiser le procédé breveté afin qu'il puisse être utilisé à des fins industrielles. Outre les véhicules et les "fermes de carbone" urbaines, ce procédé pourrait être utilisé dans les centrales électriques et d'autres sources majeures de pollution pour éliminer simultanément le CO2 de l'air tout en produisant des biocarburants. Wu conclut, "je suis extrêmement enthousiasmé par le potentiel de cette découverte. Le changement climatique est un problème urgent et nous pouvons aider à réduire les émissions de CO2 tout en créant un carburant alternatif."

Fabriquer de l'encre avec le gaz carbonique

En 2016, la brasserie singapourienne Tiger Beer fondée en 1931 a relevé le défi en collaboration avec Graviky Labs et l'agence Marcel Sydney de transformer le gaz carbonique en encre à dessiner et déposa la marque Air-Ink. Son produit non toxique est déjà utilisé par des artistes et des entreprises publicitaires.

A travers son slogan "Libère le tigre qui est en toi", l'entreprise a pour objectif d'inciter chacun à prendre position pour ses passions. Tiger Beer est également très impliquée dans la protection de la nature et en particulier du tigre dont la population a chuté de 96%  au cours du siècle dernier. Pour sauver cette espèce en voie d'extinction, elle a pris une participation importante dans l'ONG "WWF Tigers Alive", d'où l'icône du tigre qui figure sur sa bouteille de bière et sur sa marque déposée.

Escherichia coli génétiquement modifiée pour consommer du CO2

La bactérie aérobie Escherichia coli, très commune dans notre microbiote intestinal, assure sa subsistance en consommant des sucres qu'elle trouve dans le bol alimentaire et en libérant du gaz carbonique. Elle appartient au groupe des organismes hétérotrophes comme les animaux et les champignons, c'est-à-dire qu'elle prélève les éléments organiques dont elle à besoin (le carbone) dans l'environnement pour les transformer en source d'énergie. A l'inverse, les organismes autotrophes comme les végétaux et certaines bactéries produisent leur propre matière organique à partir d'éléments minéraux grâce à la photosynthèse ou la chimiosynthèse.

Microphotographie au microscope électronique à balayage (SEM) et colorée de bactéries Escherichia coli extraites du microbiote intestinal. Document Dennis Kunkel/SPL.

E. Coli est très facile à mettre en culture et son génome de 4 millions de paires de bases est assez facile à modifier. Depuis les années 2010, l'équipe du biologiste Ron Milo qui dispose de son propre laboratoire de recherche à l'Institut Weizmann de Rehovot, en Israël, tente de modifier génétiquement cette bactérie pour qu'elle change de régime alimentaire et utilise le CO2 comme principale source d'énergie. Ils ont transformé des E. coli pour qu'elles passent d'un métabolisme hétérotrophe à autotrophe.

En 2016, Ron Milo et ses collègues étaient déjà parvenus à créer une souche capable de consommer du CO2 mais elle devait encore se nourrir de sucre (de pyruvate qui résulte de la glycolyse qui transforme le sucre en énergie).

Dans un nouvel article publié dans la revue "Cell" (en PDF) en 2019 (voir aussi "Nature"), cette fois les chercheurs sont parvenus à créer une souche d'E.coli qui ne consomme que du CO2.

Pour réaliser cette prouesse d'ingéniérie génétique, les chercheurs ont modifié génétiquement et graduellement pendant un an des générations successives d'E. coli afin qu'elles réduisent leur consommation de glucose. En effet, si la majorité des bactéries se divisent et se multiplient en 20 minutes, chez E. coli ce cycle dure 18 heures. En même temps, la concentration en CO2 fut augmentée de 250 fois par rapport à la concentration normale de l'air (100000 ppm soit 10% de CO2 contre 410 ppm ou 0.041% actuellement), une valeur toxique pour beaucoup d'animaux. Il fallut environ 200 jours pour que les premières bactéries utilisent le CO2 comme seule source d'énergie. Après 300 jours, les bactéries cultivées in vitro dans un chemostat ont atteint la croissance autotrophique. De plus, elles se sont développées plus rapidement que les échantillons témoins qui ne consommaient pas de CO2.

Sur le plan biochimique, les enzymes RuBisCO (Ribulose biphosphate Carboxylase Oxygénase) et la phosphoribulokinase ont été co-exprimées avec la formiate déshydrogénase de E. coli pour permettre la fixation et la réduction du CO2 via le cycle Calvin-Benson-Bassham.

Les chercheurs sont encore dans la phase de la recherche appliquée et de la preuve de concept et non pas au stade du prototype industriel, mais leur expérience démontre que leur projet est viable. Mais il reste encore beaucoup de travail à faire, notant que les dernières E. coli ne sont pas encore "capables de subsister sans sucre sous des niveaux actuels de CO2 atmosphérique". Mais les chercheurs confirment que la bactérie est déjà utilisée pour synthétiser "des versions de produits chimiques utiles tels que l'insuline et l'hormone de croissance humaine". L'équipe espère que son travail élargira le répertoire de la bactérie à d'autres formes de carbone organique comme les aliments et les biocarburants, tout en réduisant les émissions de dioxyde de carbone, "mais elle ne voit pas cela se produire bientôt". On en reparlera dans quelques années.

Transformer le CO2 en méthanol

L'équipe de Bruce D. Patterson de l'ETH de Zurich en collaboration avec l'Institut Paul Scherrer (PSI), l'Empa, des universités de Zurich, Berne et de l'Université des Sciences et Technologies Norvégien (NUST) ont proposé dans un article publié dans les "PNAS" en 2019 de convertir le gaz carbonique dissout dans les océans en méthanol (CH3OH). Si le projet est très intéressant, il présente néanmoins de nombreux défis.

 L'idée des chercheurs est simple : des milliers de plate-formes flottantes équipées de panneaux solaires convertissent l'hydrogène et le gaz carbonique contenus dans l'eau de mer en méthanol. Chaque "cluster" comprend 70 plates-formes flottantes ou îles et produirait 1.75 tonne de méthanol par heure.

Pourquoi produire du méthanol ? A l'inverse des autres énergies, le méthanol un carburant liquide et donc facile à transporter. C'est un combustible polyvalent qu'on peut utiliser dans les centrales thermiques à gaz - qui sont une alternative écologique aux centrales nucléaires -, les voitures et les avions ou comme substitut au gaz naturel et aux hydrocarbures après conversion en éther méthylique.

Le procédé d'extraction du gaz carbonique et de l'hydrogène de l'eau de mer comprend quatre étapes :

1. la désalinisation de l'eau de mer par osmose

2. l'électrolyse de l'eau en hydrogène et oxygène

3. l'extraction du gaz carbonique de l'eau de mer

4. l'hydrogénation catalytique du gaz carbonique en méthanol.

La première étape (désalinisation) est assurée par des panneaux solaires qui produisent de l'électricité qui est stockée dans des batteries afin d'assurer une production en continu.

L'extraction du CO2 dissout est réalisée au moyen d'une membrane sélective : l'eau est d'abord acidifiée afin d'augmenter la concentration de CO2 qui est ensuite catalysé avec l'hydrogène selon la réaction suivante :

3H2 + CO2 CH3OH + H2O + ν

De plus, la synthèse du méthanol étant exothermique, selon les chercheurs il serait possible de récupérer une partie de la chaleur pour optimiser le processus.

Ce projet d'îles de panneaux solaires flottants permet de convertir le gaz carbonique dissout dans l'océan en méthanol. Chaque "cluster" est constitué de 70 îles de 100 m de diamètre et produirait 1.75 tonne de méthanol par heure. Document Novaton.

Comme illustré à gauche, le projet imaginé par Novaton consiste en un groupe ou cluster de 70 îles de 100 m de diamètre qui produirait 1.75 tonne de méthanol par heure. Pour alimenter le transport mondial qui consomme 15300 tonnes de méthanol chaque année, les chercheurs ont calculé qu'il faudrait installer 170000 clusters. Un cluster couvrant environ 1 km2 (mais seulement la moitié de panneaux solaires), pour satisfaire cette demande il faudrait une surface de 170000 km2, soit presque 5 fois la superficie de la Belgique ou 1.5% de la superficie des océans. Seules contraintes, ces clusters doivent garantir un certain rendement et donc être installés dans des zones tropicales ou équatoriales ensoleillées tout en étant à l'abri des intempéries (ouragans et tempêtes) et situés à proximité des côtes pour faciliter l'acheminement du méthanol par bateau. Les meilleurs sites sont les eaux calmes des zones côtières proches du Brésil, de l'Indonésie et de l'Australie.

Si sur le papier le concept fonctionne, pour le concrétier il faudra relever des défis immenses. Ne prenons qu'un exemple : l'hydrogénation catalytique du gaz carbonique en méthanol. Ce procédé nécessite de très hautes températures et pressions. Or, à très hautes températures l'hydrogène et le carbone peuvent former du monoxyde de carbone, un gaz toxique. Le projet envisage d'utiliser un catalyseur Cu-Zn-Al. Mais d'autres catalyseurs au gallium, zirconium ou ruthénium actuellement en test pourraient convenir mais pas dans une installation à aussi grande échelle. Ensuite, il faut installer et entretenir ces centaines de milliers de panneaux solaires, un défi actuellement insurmontable. Rien que la construction d'une seule île artificielle à partir de matériaux préfabriqués demande entre 3 et 6 mois de travail qu'il faut répéter... 170000 fois !

Peut-on aller beaucoup plus vite ? Avec beaucoup de ressources, certainement. Or nous ne les avons pas. De plus, du jour au lendemain on ne peut pas multiplier par cent ou mille la production des entreprises fabriquant des panneaux solaires ou centupler le nombre d'entreprises. A moins qu'un État suffisamment prospère et/ou une organisation supranationale - on pense évidemment aux États-Unis, à la Chine ou à la Commission européenne - prenne en charge cette initiative en collaboration avec le secteur privé et ouvre une souscription publique qui offrirait aux entreprises et au public des opportunités et des avantages financiers. Mais il n'est pas certain que l'État ou n'importe quelle institution qui a d'autres priorités s'impliquera dans une telle stratégie. Car le coût d'une telle installation est faramineux : sachant qu'un cluster coûte 90 millions de dollars, l'ensemble du projet reviendrait à 15.3 milliards de dollars, maintenance comprise, auxquels il faut ajouter le coût de production, équivalent à 54 $/MWh. Cela correspond à peu près au coût du mégawattheure d'une centrale nucléaire.

Bref, si ce n'est pas utopique, c'est un projet pharaonique et trop cher pour êre rapidement mis en place. En imaginant qu'il soit approuvé, il faut encore trouver les ressources (les mécènes, les matériaux, les transporteurs et le personnel) et relever les défis techniques. En commençant tout de suite, on imagine mal qu'un tel projet soit opérationnel dans 10 ans ou même 50 ans car ce n'est pas aussi valorisant que mettre fin aux maladies incurables, résoudre la faim dans le monde, supprimer le plastique des océans ni aussi prestigieux que mettre au point un propulseur relativiste ou la ruée vers un nouvel Eldorado. Bien sûr, vu l'urgence climatique, cela reste du domaine du possible. Nous avons donc tout à gagner à commencer tout de suite à petite échelle, avec un seul cluster. Avis aux mécènes.

Transformer le CO2 en combustible

Le chimiste Fernando Uribe-Romo de l'Université UCF de Floride et ses collèguess ont trouvé un moyen de détourner le processus de photosynthèse afin qu'il transforme les gaz à effet de serre en air pur et produise en même temps de l'énergie. Leur découverte fut publiée en 2017 dans le "Journal of Materials Chemistry A".

La lumière bleue des LED émise par le photoréacteur combinée à une matière hautement poreuse appelée MOF (Metal-Organic-Frameworks) transforme le gaz carbonique en formate, un combustible. Document Matthew W. Logan et al.

Les chercheurs ont développé une technique permettant grâce à une réaction chimique à travers un réseau métal-organique poreux appelé MOF (Metal-Organic-Frameworks) de briser la molécule de dioxyde de carbone en un élément organique non toxique et combustible.

A l'image de la photosynthèse des végétaux, au lieu de synthétiser de la matière organique (du glucose, une forme d'énergie chimique pour les organismes vivants) à partir de l'énergie lumineuse du Soleil et de carbone minéral, l'invention produit une autre forme d'énergie chimique, un combustible.

Les réseaux métal-organiques à ouvertures à pores (MOF) sont connus des chimistes depuis longtemps (cf. ces brevets de 1987, 2009 et 2011) car ils entrent dans les fabrications d'éléments photocatalytiques. Dans ce cas ci, le réseau isoréticulaire MOF est basé sur du titane et permet la photcatalyse du gaz carbonqiue sous l'effet d'une lumière bleue.

L'expérience que l'on voit à droite comprend une cuve cylindrique couverte sur sa paroi intérieure de LED bleues imitant la longueur d'onde bleue du Soleil agissant comme un photoréacteur. La chambre est ensuite alimentée en CO2. En passant à travers le MOF, au bout de 120 heures de traitement le CO2 est transformé chimiquement en deux formes réductrices de carbone, le formate ou formiate de carbone (CHOO-) et en formamide (CH3NO), deux combustibles "solaires", le traitement débarrassant l'air de son polluant à effet de serre.

La fabrication du matériau absorbant (le MOF) exploite une couleur spécifique de la lumière très difficile à gérer d'un point de vue technique, mais très bénéfique d'un point de vue sociétal, car elle contribue à réduire les gaz à effet de serre.

A terme, Uribe-Romo espère pouvoir produire de grandes quantités de carbone réduit à partir d'une réaction avec d'autres longueurs d'ondes lumineuses et d'adapter le MOF en conséquence. Si le procédé fonctionne efficacement, cela pourrait être un bon moyen de recycler les gaz à effet de serre, tout en exploitant un procédé propre de production d'énergie.

Photosynthèse

Energie + nCO2 + H2® (CH2O)n + O2

L'énergie lumineuse est convertie en énergie chimique (sucre). Le "déchet" de la réaction est l'oxygène libre.

Conversion du CO2 en combustible

CO2 + LED bleue + MOF ®  CHOO- + CH3NO

Sous l'effet d'une lumière bleue, le gaz carbonique absorbé par le MOF est transformé en carbone réduit, formate et formamide, qui sont deux combustibles.

Actuellement, le procédé est toujours en développement. Selon Uribe-Romo, "Il faut l'affiner afin de produire une plus grande quantité de carbone réduit afin qu'il devienne plus efficace [...]. L'idée serait de placer les stations de capture de gaz carbonique à côté d'une centrale électrique. Le gaz serait aspiré dans la station de purification où le gaz à effet de serre serait recyclé tout en produisant de l'énergie qui serait injectée dans le circuit de la centrale électrique". Il imagine aussi qu'un jour, "les propriétaires pourraient acheter des bardeaux (tuiles de bois) fabriquées à partir de MOF, ce qui permettrait de purifier l'air dans leur quartier tout en produisant de l'énergie qui pourrait être utilisée pour alimenter leurs maisons". L'idée est géniale et à suivre.

Transformer le CO2 en éthanol (1)

En 2020, des chercheurs de l'Université de Northern Illinois et du Laboratoire National Argonne ont développé un électrocatalyseur pour transformer le CO2 et l'eau en éthanol. L'éthanol est un composé déjà présent dans la majorité des carburants. Il est également utilisé dans l'industrie pharmaceutique et les cosmétiques. Les résultats de cette étude furent publiés dans la revue "Nature Energy".

Rendement faradique de l'électrocatalyseur selon la tension. Document T.Xu et al. (2020).

L'électrocatalyseur développé par les chercheurs permet de convertir électrochimiquement le dioxyde de carbone en combustible. Le catalyseur est constitué de cuivre dispersé atomiquement sur un support de poudre de carbone. Il décompose les molécules de CO2 et d'eau, et réassemble sélectivement les molécules cassées en éthanol.

Selon les chercheurs, le rendement faradique, c'est-à-dire le rapport entre la quantité d'électricité effectivement produite, absorbée ou utilisée au cours de la transformation, atteint environ 91% (à -0.7 V) et se maintient à environ 90% pendant 16 heures.

L'avantage du procédé est de fonctionner à basse température et pression. Il peut donc s'arrêter et redémarrer rapidement. Il est ainsi capable de s'adapter aux intermittences des énergies renouvelables comme le solaire ou l'éolien.

Les chercheurs ont également développé d'autres catalyseurs capables de convertir le CO2 en d'autres hydrocarbures. Les chercheurs souhaitent à présent trouver des partenariats avec des industriels.

Transformer le CO2 en éthanol (2)

En 2016, Adam J. Rondinone et son équipe du Laboratoire National d'Oak Ridge (ORNL) ont annoncé dans la revue "Chemistry Select" avoir mis au point une méthode efficace pour transformer le CO2 en éthanol. La réaction découverte par accident est d'autant plus efficace que la première étape de ce processus se réalise d'elle-même. La réaction transforme le CO2 en éthanol qu'on peut ensuite utiliser pour alimenter les générateurs de puissance et les véhicules.

La technique exploite un procédé catalytique impliquant des nanoparticules de cuivre intégrées dans des nano-aiguilles (des nano-spikes) en graphène N-dopé (du carbone dopé à l'azote) appliquées sur une surface de silicium. Selon le Dr Rondinone, membre de l'équipe de recherche de l'ORNL, "le système agit comme des sortes de paratonnerres de 50 nm qui concentrent la réaction électrochimique au sommet de la pointe". En appliquant un courant de 1. 2 V, le film de nano-aiguilles se comporte comme une paire d'électrodes :  en présence d'électrons, le système convertit (dimérise) le CO2 en suspension dans l'eau (H2O) en éthanol (C2H6O ou CH3-CH2-OH) selon la formule :

2 CO2 + 9 H2O + 12 e- C2H5OH + 12 OH- pour un potentiel à l'équilibre E°=0.084 V

La nanotechnologie permet d'obtenir des réactions catalytiques très précises avec très peu d'effets secondaires, c'est-à-dire de contaminants. Le processus de conversion présente un rendement de 63%.

Les chercheurs ont découvert ce processus par accident car le même type de réaction électrochimique permet de créer plus de 30 autres produits dont le méthane (CH4), le méthanol (CH4OH), l'éthylène (C2H4), l'éthane (C2H6), le monoxyde de carbone (CO) ou l'acide formique (HCOOH) mais le rendement de ces réactions (en terme d'efficacité et de sélectivité) est de loin inférieur à celui de l'éthanol.

A voir : Nano-spike catalysts convert CO2 directly into ethanol, ORNL, 2016

Le S2P de Sandia convertit le CO2 en combustible (sur le blog, 2008)

A gauche, les chercheurs Yang Song (assis), Dale Hensley (debout à gauche) et Adam Rondinone de l'ORNL examinant un échantillon de nano-aiguilles de carbone avec un microscope électronique à balayage (SEM). A droite, gros-plan sur le catalyseur à base de nanosphères de cuivre intégrées dans des nano-aiguilles de carbone fixées sur un substrat en silicium servant à transformer le dioxyde de carbone dissout dans l'eau en éthanol. Documents ORNL.

Ce processus présente plusieurs avantages comparé à d'autres méthodes de conversion du CO2 en carburant. D'abord la réaction utilise des matériaux ordinaires comme le cuivre et le carbone (plutôt que l'étain, le fer, le platine, l'argent ou l'or) et convertit le CO2 en éthanol qui est un combustible largement utilisé.

Ensuite, c'est un procédé simple car il utilise un seul catalyseur pour transformer le CO2 en éthanol et de plus avec un rendement supérieur à d'autres méthodes de conversion (par exemple en hydrocarbures liquides via une réaction avec le dioxyde de titane).

Enfin, et c'est peut-être le plus important, la réaction fonctionne à température ambiante, ce qui signifie qu'elle est immédiatement efficace et peut être facilement déclenchée ou arrêtée avec un très faible coût énergétique. On peut donc s'en servir notamment comme réserve alternative d'énergie afin d'éviter les fluctuations trop importantes dans le réseau d'approvisionnement en énergie. Avis aux industriels.

Risques sanitaires associés à l'éthanol et au E85

La question est maintenant de savoir si les industriels sont prêts à investir dans cette technologie qui pourrait assez rapidement être mise en production. En effet, plusieurs contraintes apparaissent. Il faut atteindre un niveau de production d'éthanol en rapport avec les besoins de la société (même limité à des véhicules publics, un village ou une ville pour commencer). Il faut ensuite que le prix de vente reste meilleur marché que celui des carburants actuels. Enfin, il faut que les véhicules puissent accepter ce nouveau type de carburant (il existe un kit de conversion appelé "Flex Fuel" ou "E85" permettant d'utiliser 85% d'éthanol et 15% d'essence mais il est inadapté aux véhicules diesel qui sont majoritaires dans certains pays).

Pompes à biofuel. Document Flexogreen.

Mais pire, selon une étude que beaucoup d'experts semblent avoir oubliés publiée en 2007 par Mark Z. Jacobson du Département d'Ingénierie Civile et Environnementale de l'Université de Stanford, l'éthanol serait aussi mauvais que le CO2 pour la santé. En effet, sous forme de carburant E85, il émet de l'acétaldéhyde (aldéhyde acétique, C2H4O) ou éthanal. C'est un composant volatil inflammable également émis par les plantes mais c'est aussi une substance toxique qui irrite les yeux et les voies respiratoires et susceptible d'être cancérigène selon l'INRS.

Selon le rapport Renewables 2005, en 2004 le "Flex Fuel" ou "Propel" représentait 44% des carburants non diesel utilisés au Brésil et 30% des mélanges d'essence vendus aux Etats-Unis en 2005. Il était également proposé au Canada et dans plusieurs pays européens.

Dans son article publié en 2007 Jacobson déclara : "comparé à l'essence (100%), le carburant E85 pourrait augmenter de 9% le risque de mortalité lié à l'ozone, le nombre d'hospitalisations et l'asthme dans la ville de Los Angeles et de 4% dans l'ensemble des Etats-Unis [...] mais on a estimé qu'il provoquera peu de changement dans le risque de cancer. En raison de son impact sur l'ozone, le risque sanitaire du E85 sur la population pourrait être supérieur à celui de l'essence. Il conclut : "Toutefois, en raison des incertitudes sur la reglementation de ses émissions, on peut conclure avec un certain niveau de confiance que le E85 ne va probablement pas améliorer la qualité de l'air par rapport aux véhicules à essence."

Malgré ces conclusions plutôt négatives voires alarmistes et du principe de précaution qui devrait prévaloir sur les règles économiques, la plupart des gouvernements n'ont pas hésité à proposer des biocarburants à base d'éthanol, le E85 étant en moyenne 30% moins cher que le diesel et 50% moins cher que l'essence super 98. En 2017, le superéthanol (ou bioéthanol) E85 était distribué en France, en Allemagne et dans quelques stations d'Espagne, d'Italie et des Iles Britanniques mais pas en Belgique ni au Luxembourg où le sujet est toujours en discussion pour des raisons sanitaires évidentes.

Bref, on peut être classé comme biofuel "vert" tout en présentant des risques sanitaires ! Autrement dit, contrairement à l'alimentation, en matière de carburant il n'y a aucun rapport entre l'usage du terme "bio" et la santé. Autant savoir.

Transformer le CO2 en nourriture pour les animaux

Le carbone présent dans l'atmosphère peut également être transformé afin d'être incorporé dans la chaîne alimentaire et ainsi boucler le cycle du carbone, un processus susceptible de contribuer à la réduction des émissions de gaz carbonique issues de l'industrie et de l'agriculture.

En 2018, Peter Rowe (28 ans) et Rob Mansfield (27 ans) fondèrent la société britannique Deep Branch Biotechnology avec le soutient du programme BioCity Accelerator avec l'intention de "sauver la planète". Membre du club restreint des "30 Under Manufacturing & Industry" de Forbes, les deux jeunes entrepreneurs terminèrent au terme de six mois d'activité la phase d'essai d'une méthode de transformation du CO2 en protéines. Selon les chercheurs, "la protéine est optimisée du point de vue nutritionnel pour être utilisée dans l'alimentation des animaux et comme substitut direct aux protéines conventionnelles de l'alimentation animale telles que le soja ou la farine de poisson."

Le procédé est basé sur un bioréacteur contenant des micro-organismes permet de convertir le gaz carbonique en poudre de protéines destinée aux poissons d'élevage. En parallèle, l'entreprise développe une protéine pour nourrir le bétail, en particulier les animaux monogastriques, c'est-à-dire les animaux dont l'estomac ne comprend qu'une seule chambre, tels que les humains, les rats, les chiens, les cochons, les chats, les chevaux et les lapins (à l'inverse des ruminants dont l'estomac comprend plusieurs chambres).

La poudre de protéines produite par Deep Branch Biotechnology à partir de gaz carbonique.

Si le procédé fonctionne à l'échelle du laboratoire, les chercheurs se concentrent actuellement sur la réalisation d'un modèle réduit et mobile en réduisant au maximum les risques industriels. Selon Rowe, "Nous visons à ce que le processus soit éprouvé à grande échelle et que nos produits soient commercialisés dans les quatre prochaines années".

Dans un communiqué, Imelda Juniarsih, analyste en investissements chez BioCity déclara : "Nous avons été impressionnés par le potentiel de cette nouvelle technologie en matière de réduction des émissions mondiales de gaz carbonique. Investir dans les entreprises en phase de démarrage est une priorité pour BioCity. Nous investissons dans de jeunes entreprises pour soutenir le développement de nouvelles technologies qui, selon nous, pourraient avoir un impact réel".

Le principe du bioréacteur développé par VTT.

Dans le même secteur, dans le cadre du projet "MOPED", une équipe de chercheurs dirigée par Juha-Pekka Pitkänen du Centre de Recherche VTT en collaboration avec l'Université de Technologie Lappeenranta (LUT) a mis au point en 2017 un procédé permettant de produire des protéines à partir d'électricité et de gaz carbonique comme illustré à droite et ci-dessous.

La technologie basée un réacteur biologique exploite des micro-organismes qui utilisent l'hydrogène de l'eau comme source d'énergie et le CO2 comme source de carbone. L'hydrogène est obtenu par le procédé classique d'électrolyse de l'eau grâce à l'électricité. Des nutriments sont également ajoutés comme le sulfate d'ammonium ((NH4)2SO4) et le phosphore afin que les micro-organismes produisent des protéines. Selon Pitkänen, "à long terme les protéines ainsi créées sont destinées à être utilisées dans l'alimentation. Le mélange est très nutritif, avec plus de 50% de protéines et 25% de glucides. Le reste est constitué de graisses et d'acides nucléiques. La consistance du produit final peut être modifiée en modifiant les organismes utilisés dans la production."

Ce procédé n'est encore qu'à l'état de prototype et le produit n'est pas encore commercialisable en l'état. Les micro-organismes demandent 2 semaines pour produire 1 gramme de protéines. Il n'est pas encore rentable ni même abouti. La poudre alimentaire ainsi produite est insipide et sans odeur définissable et ne peut donc pas être utilisée telle qu'elle en cuisine par exemple sans être améliorée. Les chercheurs estiment qu'il faudra 10 ans pour finaliser le projet et commercialiser ce produit.

Selon les chercheurs, l'avantage de l'invention est qu'elle utilise un mini-bioréacteur portable. Le procédé requiert aussi dix fois moins d'énergie que la photosynthèse et on peut avantageusement l'utiliser partout où de l'énergie renouvelable est disponible, notamment solaire ou éolienne. Cette technologie est particulièrement intéressante pour nourrir les populations dans les régions désertiques ou en agriculture, pour nourrir le bétail et préserver les terres cultivables.

A voir : Cell Factories - Beyond fossil oil based products, VTT

A consulter : Bioprocess development, VTT

A gauche, le mini-bioréacteur portable utilisé par VTT pour produire des protéines à partir d'électricité et de gaz carbonique. A droite, le résultat, une poudre de protéines alimentaires. Documents VTT.

Toujours dans le même secteur, la société NovoNutrients installée en Californie propose également de convertir le CO2 en nourriture pour les animaux. À partir d'une technique de fermentation naturelle et sans OGM, le procédé de transformation s'appuye sur des micro-organismes qui capturent le dioxyde de carbone pour assurer leurs fonctions métaboliques et fabriquer des protéines, des graisses ou des glucides.

Comme les autres procédés de ce type, le produit final constitue une alternative meilleure marché que les farines animales constituées notamment de poisson. La technologie s'applique également à l'aquaculture, notamment des microalgues (cf. M.Molazadeh et al., 2019) qui peuvent fixer le gaz carbonique ou d'autres matières contenues dans les eaux polluées et produire de la biomasse qu'on peut ensuite utiliser dans différents secteurs de l'industrie (industrie alimentaire, biocarburant, etc).

Transformer le CO2 en diamant

Daan Roosegaarde est un artiste et entrepreneur néerlandais qui a déjà réalisé de nombreux projets innovants. L'un d'entre eux consiste à créer "le plus grand aspirateur de pollution", le Smog Free Tower inspiré des machines à capturer le CO2 de l'air comme celle présentée ci-dessus. Mais ce projet ci est différent.

La machine de Roosegaarde mesure 6.9 m de haut et fonctionne de la même manière que certains purificateurs ioniques d'air. Elle est capable de purifier 30000 m3 d'air par heure et ne consomme que 1400 Watts d'électricité renouvelable, soit autant qu'une bouilloire électrique et le studio espère un jour intégrer des panneaux solaires à son installation. En 36 heures, la machine élimine jusqu'à 80% des impuretés contenues dans l'air, y compris dans des conditions de smog, c'est-à-dire mêlant polluants atmosphériques et brouillard. Les particules fines sont récupérées et compressées pour fabriquer des pierres précieuses utilisées en bijouterie : elle fabrique des diamants synthétiques composés à 42% de carbone. Chaque gemme est le résultat du filtrage de 1000 m3 de smog.

La Smog Free Tower, un dispositif de purification de l'air développé par l'artiste Daan Roosegaarde permet de récupérer le carbone de l'air afin de fabriquer des gemmes à 42% de carbone très proches des diamants de synthèse (100% de carbone).

Comme on le voit ci-dessus, le prototype fut testé à Rotterdam en 2015 puis des versions commerciales furent installées dans plusieurs villes en Chine dont la capitale Beijing afin de sensibiliser la population aux risques engendrés par la pollution. Des tours similaires devraient être installées à Mumbai et à Paris et vraisemblabement dans d'autres villes. Notons que pour financer les voyages, le studio de Roosengaarde a lancé une campagne de financement participatif (crowdfounding) nommée Kickstarter où chacun peut acheter des bijoux et des boutons de manchette fabriqués avec ses minuscules gemmes de smog - qui, en théorie, finiraient par devenir des diamants s'ils étaient comprimés sous une pression beaucoup plus importante (il faudrait atteindre 58000 atmosphères et 1400°C). Un diamant synthétique de 1 mm3 (l'équivalent d'un diamant < 0.01 carat) revient à 230 € (contre ~300 € pour un véritable diamant) de même poids.

La dernière invention de Roosegaarde est un vélo "Free Bicycle" qui aspire l'air pollué et rejète de l'air propre autour du cycliste.

En guise de conclusion

Comme évoqué en introduction, le sujet de capture et de la transformation du CO2 est loin d'être clos et à n'en pas douter les chercheurs proposeront à l'avenir d'autres solutions probablement plus efficaces et encore plus rentables.

Ceci dit, certains auront toujours l'argument de dire que ces technologies aussi performantes soient-elles ne résolvent pas le problème de la pollution et au contraire, qu'elles incitent les industriels à continuer de polluer puisqu'il existe des méthodes pour récupérer et transformer les polluants qu'ils émettent ! On peut aussi considérer que cette stratégie n'a pas d'avenir à long terme puisque notre société s'oriente de plus en plus vers des énergies alternatives mettant en avant l'énergie verte et propre et notamment les moteurs électriques dont certains véhicules sont déjà équipés. On y reviendra.

Si cela est vrai, on ne peut pas utiliser cet argument comme excuse pour ne rien faire ou plutôt pour laisser-faire les pollueurs ! Rien n'empêche de contraindre les pollueurs à ne plus émettre de substances polluantes ou à les recycler et en parallèle de rechercher des solutions pour réduire les émissions des gaz à effet de serre d'origine anthropique. Si nous voulons préserver notre santé et celle de la planète, nous n'avons pas d'autre choix que de mener cette guerre écologique sur tous les fronts en même temps et les "amis de la Terre" sont suffisamment nombreux y compris en politique pour faire entendre leur voix et changer les mentalités.

Pour plus d'informations

L'avenir des biocarburants (sur ce site)

Carbon Engineering

Centre de Recherche VTT

Climeworks

NovoNutrients

Deep Branch Biotechnology

Fermentalg

Tiger Beer

Can carbon capture from air shift the climate change equation?, Physics Today, 2018

United Nations Framework Convention on Climate Change (UNFCC, en français)

Global Change, GCRIO

Global Thermostat

Géosphère Biosphère, IGBP

Global Change Master Directory, NASA/GCMD

Mission to Planet Earth, NASA

Worldwatch Institute

CO2 Daily

Courbe de Keeling (Scripps)

NOAA

National Geographic - Earthpulse

Human Activities and their Impacts.

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