|
Devenez chasseur de comètes, par Michel Festou, CNRS
Introduction (I) L'article sur les comètes vous aura peut-être donné l'envie d'inscrire à votre tour votre nom en lettres de feu sur le velours noir du ciel. Ce n'est que légitime quand on sait que chaque année plusieurs astronomes amateurs ont la chance de découvrir de nouvelles comètes. L'astronome Michel Festou (1945-2005) était directeur de l'Observatoire de Besançon et directeur de recherche au laboratoire d'astrophysique du CNRS à Toulouse-Tarbes, à l'Observatoire Midi-Pyrénées. Spécialiste des comètes et passionné de planétologie, il nous propose une technique de recherche des nouvelles comètes basée sur l'expérience de l'amateur canadien Rolph Meier (1953-2016). Environ 84% des comètes apparaissent dans l’hémisphère Nord. Ce phénomène est à la fois lié au fait que les astronomes s’y trouvent en plus grand nombre que dans l’hémisphère Sud et qu’il y a plus d’observateurs actifs durant l’été boréal que durant l’hiver austral. Meier commença à rechercher les comètes à l'âge de 19 ans, en 1972, peu après l'inauguration à Ottawa d'un observatoire public appartenant à la Société Royale d'Astronomie du Canada (RASC), section anglophone. L'instrument offert aux amateurs était un télescope newtonien de 400 mm f/5 (cf. cet article publié en 1980). L'instrument était installé à l'Observatoire d'Indian River aujourd'hui renommé Fred P.Lossing Observatory situé à l'écart des lumières urbaines gênantes, à 50 km à l'ouest de la capitale. Avec un oculaire Erfle de 35 mm offrant un champ apparent de 68°, ce télescope donne un grossissement de 56x. La pupille de sortie est de 7 mm fournissant le maximum de clarté; le champ circonscrit est de 1°15', mais il peut atteindre 2°12' avec les nouveaux oculaires Plössl ultra grands angles, ce qui en fait un instrument idéal pour les faibles luminosités. A l'usage, l'instrument (et le site) s'est avéré capable "de voir" des étoiles de 17e magnitude ou des nébulosités aussi difficiles que les nuages de poussière entourant M45 ou ceux de la "Tête de Cheval" d'Orion. Précisons que de telles performances ne sont absolument pas un préalable pour faire des découvertes, heureusement !
Méthode Une ligne de conduite s'impose : discerner rapidement les vraies comètes des objets non cométaires. N'oublions pas que le célèbre Charles Messier dressa son catalogue afin de disposer d'une référence sûre qui lui dirait si l'objet dans son champ était un objet permanent du ciel ou non. On voit tout de suite apparaître deux éléments indispensables pour faire un bon "chasseur" : un jugement sûr et une bonne documentation auxiliaire. Avec un peu d'expérience, l'observateur connaît d'ailleurs un très grand nombre d'objets astronomiques dont il sait, même si elles ne montrent pas de forme caractéristiques, sont telle galaxie ou telle nébuleuse. Meier a surtout utilisé des atlas papier comme l'atlas "Skalnate Pleso" (Atlas of the Heavens) d'Antonin Becvar publié en 1952 qui dispose de planches volantes et quelquefois il consulta l'atlas photographique "Atlas Stellarum" de Hans Vehrenberg (dont voici la carte N°12 aujourd'hui disponible en DVD) qui lui révéla une première fois un objet d'aspect diffus à l'endroit indiqué mais les autres fois il s'agissait... de comètes ! Précisons qu'aujourd'hui, grâce à une tablette ou un ordinateur portable relié à Internet si le site est couvert par le réseau Wi-Fi (ou depuis un ordinateur possédant des catalogues stellaires sauvés sur disque dur ou carte flash), l'amateur sur le terrain peut consulter des cartes du ciel très détaillées et rapidement savoir si l'objet qu'il aperçoit au télescope est un objet céleste connu, une comète ou un nouvel objet (cf. l'article Eurêka !).
Bien que les traités de cométologie disent qu'il est préférable d'utiliser des instruments bien plus modestes, nous verrons plus tard avec quelques exemples précis que ce n'est pas toujours vrai. Meier avance des arguments bien convaincants pour défendre son choix et, après trois découvertes (1978 F après 50 heures de quêtes étalées sur trois ans, 1979 I après 30 heures et 1980 Q après un nombre d'heures non précisée, mais sans doute faible comme le suggèrent ses déclarations dans la revue "Star & Sky" (qui ne fut publiée qu'entre janvier 1979 et février 1981), il semble que les évènements lui donnent raison. Tout au moins pour le type de comètes qu'il découvre. Par ailleurs, si la chance peut-être invoquée pour expliquer le modeste temps moyen d'observation entre deux découvertes, il n'en va pas de même pour expliquer ces dernières. La grande ouverture permet d'atteindre des objets faibles, donc de découvrir des comètes bien avant qu'elles ne deviennent brillantes (en règle général elles seront donc assez loin du Soleil). Bien que l'agrandissement de 56x soit faible, la grande focale et la forte luminosité du télescope rendent les nébulosités facilement identifiables dans la plupart des cas; même si l'on ne sait pas de quel objet NGC ou autre catalogue dont il s'agit, on sait immédiatement que ce n'est pas une comète et la chasse peut continuer sans perdre de temps, un facteur crucial.
Les objets suspects sont par ordre de fréquence, les galaxies, les amas globulaires, les nébuleuses galactiques, les nébuleuses planétaires, les systèmes stellaires multiples. Meier précise qu'il couvre le ciel qui lui est accessible en 8 heures environ et qu'il n'est pas nécessaire de faire ce balayage plus d'une fois par mois; il chasse donc 8 heures par mois au plus ! Son argument est que les comètes ne passent du stade "indécouvrable" à "découvrable" en moins de 30 jours. Mais l'expérience montre qu'il n'en n'est pas ainsi dans de nombreux cas et que la géométrie "Terre-comète-Soleil" peut jouer bien des tours à l'observateur. Pour Michel Festou, 15 jours est une moyenne plus acceptable. Prenons le cas de Bradfield (1980 T) : sa période de visibilité, alors que son orbite est connue, n'excède guère un mois. Et elle atteint la magnitude 3 ! Considérons Chernis-Petrauskas (1980 K). Elle est arrivée à son périhélie en juin : elle était alors à 10° sous l'horizon au moment du crépuscule astronomique (Soleil à -18°) pour un observateur placé à la latitude de 40°N, donc indétectable, alors qu'elle était à son éclat maximal. Et pour ce même observateur elle est restée sous l'horizon de Mars à Juin. Puis dans les deux mois qui ont suivi son passage au périhélie, elle s'est élevée à +35° sur l'horizon : elle était alors de 10e grandeur et plus. Après septembre 1980 sa hauteur sur l'horizon, toujours pour cet astronome hypothétique, a décru de nouveau. En tout, elle n'a pas dû rester plus d'un mois plus brillante que la magnitude 10, et sans jamais être à plus de 35° sur l'horizon. Un vrai coup de chance qu'elle ait été aperçue ! Un autre aspect que souligne Meier est le suivant : faut-il ou non revenir sur une région déjà observée, de crainte d'avoir manqué une comète ? Sa réponse est celle du bon sens : si on l'a déjà examinée, la probabilité d'y voir un objet est bien plus faible que celle d'en voir dans une région non explorée depuis un certain temps. Comment procède-t-il en pratique ? Meier considère une déclinaison qu'il n'a pas sondé depuis environ 1 mois, part de l'horizon, monte aussi loin qu'il peut en ascension droite, change de déclinaison de la valeur du champ et se dirige de nouveau vers l'horizon. Avec les nouveaux oculaires grand champ offrant un champ apparent de 84° ou plus encore, le ciel peut ainsi rapidement être balayé.
Bien que Meier attribue les succès de Bradfield à une grande expérience, une grande habileté, une faible concurrence dans l'hémisphère sud et à un site exceptionnel, il ne mentionne pas un facteur déterminant : Bradfield utilise une toute autre méthode. Il n'explore pas les mêmes régions du ciel et il n'emploie pas le même type d'instrument. Bradfield découvre les comètes près du Soleil, quand elles sont brillantes. Il est d'ailleurs limité dans ce domaine par son instrument, un télescope de 150 mm, bien plus adapté à la recherche rapide près de l'horizon d'objets de magnitude 7 à 9. Quand Meier commence une séance d'observation, il est certain, d'après la méthode décrite ci-dessus, qu'il n'accorde pas une grande attention à la zone proche de l'horizon. Il le dit d'ailleurs clairement lorsqu'il affirme que la probabilité de découverte est faible. On ne peut évidemment pas être d'accord avec lui, les succès de Bradfield le démontrent amplement. En fait, les caractéristiques orbitales des comètes que Meier découvre montrent nettement que sa méthode est idéale pour celles dont les inclinaisons sur l'écliptique sont élevées (donc passant dans les régions polaires écliptiques) et celles dont la distance au périhélie sont élevées, 1 UA et plus. Prochain chapitre
|