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La théorie du Big Bang

Adaptation d'une illustration de Michael Moreu.

Les trois premières minutes (IV)

Suite à la publication du livre de Steven Weinberg sur les "Les trois premières minutes de l'univers", on pourrait considérer que ce concept est sa propriété. Il le serait presque car Weinberg et quelques autres ont saisi toute l'importance de cette période de transition. On peut dire effectivement que tout l'Univers se joua en l'espace de trois minutes et quelques secondes. Cette manière d'imaginer la genèse de l'Univers se fonde sur les théories que nous venons de décrire. Elles vont nous permettre de retracer l'histoire toute entière de l'Univers et même de spéculer d'une façon approximative sur son avenir.

Selon la théorie du Big Bang aujourd'hui acceptée quasi universellement, au départ l'Univers n'existait pas. Qu'il y ait une singularité ou non, c'est ici que naissent les paradoxes. Au temps "t = 0" - que nous plaçons entre guillemets car nous verrons à propos de la thermodynamique que ce temps n'est peut-être pas un moment instantané de la Création mais pourrait être décrit de façon "dynamique" - nous assistons au Big Bang proprement dit.

Pour quelle raison, par quel processus, c'est la grande inconnue. Selon Hawking, si nous pouvons trouver une théorie qui établit le lien entre la relativité générale et la mécanique quantique, nous pourrions éclaircir le phénomène du Big Bang et comprendre l'entièreté de l'évolution de l'Univers, y compris comprendre ce qu'il y avait "avant”, avant le temps. Cette opinion est partagée par d'autres scientifiques qui aimeraient croire qu'une théorie complète englobe uniquement ces deux cadres de la physique quitte à y incorporer de nouveaux concepts plus audacieux encore.

Deux écoles de pensée

Pour décrire les évènements qui conduisirent à la formation de l'Univers, deux écoles de pensée s'affrontent : 

- l'école de Paul Steinhardt respectant à la lettre le modèle Standard des particules élémentaires

- l'école d'Alan Guth et d'Andrei Linde invoquant l'inflation et ses particules parfois exotiques.

Selon les physiciens "traditionnels" supportant l'idée de Paul Steinhardt, le phénomène d'inflation s'expliquerait uniquement dans le cadre de la physique des particules élémentaires et d'une meilleure connaissance des conditions qui prévalaient dans l'Univers primordial juste après l'époque de Planck. Ce cadre théorique doit décrire les champs qui déterminent les propriétés de la matière jusqu'à des niveaux extrêmes d'énergie, y compris la nature et la masse de toutes les particules élémentaires.

Cette théorie n'accepte que les particules du modèle Standard de la physique et certainement pas de particules exotiques et autres cordes, boucles ou branes, à moins d'un changement de paradigme suite à une découverte fondamentale. En revanche, elle supporte le concept de supersymétrie (SUSY) et son lot hypothétique de particules supersymétriques (photinos, gluinos, etc) qui se différencient essentiellement des particules standards par leur nombre de spin et certaines par leur masse très élevée.

Document du CERN adapté par l'auteur.

Outre cette difficulté conceptuelle, la physique des particules est confrontée à un problème technique. En effet, nos accélérateurs de particules sont bien trop petits pour pouvoir simuler les niveaux d'énergie de l'inflation qui exigent des anneaux de confinement de l'ordre d'une année-lumière de longueur. Les physiciens ne peuvent étudier que des phénomènes de basse énergie, au moins 1015 ordres de grandeur plus faibles que les états de l'Univers primordial (énergie incidente de 13 TeV au LHC contre les 1019 GeV nécessaires pour atteindre l'époque des GUT), et donc très loin des conditions initiales de l'Univers.

Ceci dit, à ces relativement faibles niveaux d'énergie ou même dans l'espace, les physiciens ou les astrophysiciens peuvent malgré tout étudier les sous-produits des réactions de très hautes énergies. Ils peuvent par exemple déterminer indirectement si les photinos existent ou pas en recherchant les traces de leur annihiliation sous forme d'émissions gamma d'antiprotons de haute énergie dans les nuages de matière sombre, qu'ils soient interstellaires ou extragalactiques, et peut-être même au sein des étoiles et notamment du Soleil.

Même chose pour les gravitons, les pendants gravitationnels des photons et qui sont les seules traces des fluctuations intenses des champs gravitationnels primordiaux, qu'on pourrait un jour détecter à une température proche de 1 K.

Enfin, nous verrons qu'on peut également étudier dans les installations du CERN ou du RHIC la "soupe de quarks", les partons constitués d'un plasma de gluons et de quarks qui sont apparus une fraction de seconde (avant 10-13 s) après le Big Bang et à des niveaux d'énergie supérieurs au TeV.

A l'opposé de ce concept, l'école d'Alan Guth (inflation et mécanismes de Higgs) ou d'Andrei Linde (inflation chaotique), considère que l'Univers primordial supporte une variété de champs. Si la majorité d'entre eux ne génère aucun effet inflationnaire, quelque part dans l'Univers une région a rassemblé les bonnes conditions pour déclencher l'inflation et toutes les étapes qui suivirent que nous allons décrire.

Le modèle inflationnaire offrant une explication plus complète de l'évolution primordiale de l'Univers et englobant le modèle Standard, il est supporté par une majorité de chercheurs et fait l'objet d'un nombre croissant de publications.

Etant donné que les observations et les expériences ne permettent pas d'explorer concrètement l'époque du Big Bang avant les premières secondes, les théoriciens n'ont pas d'autres alternatives que de proposer des hypothèses sur base d'un modèle plus simple de la réalité, basé sur un Univers uniforme et homogène de Big Bang chaud. Un démarrage irrégulier et chaotique a plus de chance de se produire dans l'infini des modèles possibles qu'un démarrage dans des conditions prédéterminées (par exemple anthropocentriques). La seule contrainte est que ce modèle doit épouser un moment ou un autre les conditions de l'univers observable de nos jours. Mais nous verrons que plus un modèle est chaotique et donc inhomogène plus l'amplitude d'une irrégularité risque de produire un effondrement de toute la matière contenue dans cette région de l'Univers jusqu'à créer un mini trou noir. Dans ce cas, notre "bulle-univers" n'aurait jamais existé. Or puisque nous sommes là pour nous poser la question, il faut bien trouver un modèle dont toutes les conditions et évènements primordiaux sont compatibles avec la nature et les propriétés de l'univers actuel.

En l'état actuel de nos connaissances, si le modèle Standard des particules paraît incomplet voire inadapté comparé aux modèles inflationnaires, il serait présomptueux d'écarter l'un ou l'autre modèle, si bien que ces différentes hypothèses sont toujours supportées, les membres de chaque camp apportant de temps en temps des indices ou de nouvelles preuves appuyant leur théorie. En parallèle, les physiciens s'interrogent sur la réalité des cordes et de la gravité quantique à boucle. La recherche continue.

Faute d'une théorie unifiée et validée par l'expérience ou l'observation, nous allons donc décrire le scénario de Big Bang dans le cadre de la théorie faisant consensus, c'est-à-dire celle de la théorie inflationnaire et selon deux modèles : d'abord à travers la détente du "faux vide" du champ scalaire et les mécanismes de Higgs proposés par Alan Guth, ensuite dans le cadre du préchauffement de l'Univers et des oscillations chaotiques du potentiel d'énergie des champs scalaires d'Andrei Linde et Alexey Starobinsky. Si les différences entre ces modèles sont subtiles (ils font tous appel à des champs scalaires pour créer les particules et provoquer l'inflation), celui d'Alan Guth à la chance d'avoir bénéficié en 2013 de la découverte du boson de Higgs à l'origine des mécanismes de Higgs, ajoutant un peu plus de crédibilité à sa théorie même si comme nous le verrons tous les détails sont loin d'être réglés et ne permettent pas encore de départager les théories. Une fois que cela sera précisé, on résumera ces notions en décrivant les conséquences de l'inflation avant de décrire les étapes ultérieures.

L'Univers inflationnaire proposé par Andrei Linde en 1982. Depuis cette

date, l'époque et la durée de l'inflation ont été réduits et de nombreux détails se déroulant avant ~10-33 seconde ont été ajustés mais le

scénario global reste inchangé. Document A.Linde adapté par l'auteur.

Le temps de Planck

Les physiciens nous disent que jusqu'à 10-43 s nous sommes au "temps de Planck". Un lieu sans environnement se développe, d'un rayon inférieur aux dimensions des particules élémentaires, à l'intérieur duquel les lois d'une physique transitoire encore mal connue sont devenues valides. Toutes les forces connues étaient en équilibre, unifiés en une seule interaction fondamentale, la théorie "de Tout" (TOE).

On peut estimer la densité totale d'énergie de l'Univers supérieure à 1019 GeV. Convertie en densité de masse grâce à la relation d'équivalence d'Einstein (E=mc2), cela équivaut à plus de 5.155 x 1094 fois la densité de l'eau soit une densité (masse volumique) d'environ 1094 kg/cm3 ou ~1094 tonnes/litre d'espace, sans qu'elle atteigne nécessairement une valeur infinie; c'est la densité de Planck.

Par comparaison, avec une densité de 11.35, un bloc de 1 dm3 de plomb pèse 11.35 kg (1 km3 de plomb pèse ~1011 tonnes), une étoile naine présente une densité (masse volumique) de 1000 tonnes/cm3 (106 kg/cm3) et une étoile à neutrons atteint un milliard de tonnes/cm3 (109 kg/cm3).

Si la température minimale de l'Univers est de 0 K soit -273.15°C avec l'absence de toute énergie, nous pouvons tout aussi bien un jour découvrir mathématiquement la densité maximale d'énergie dont l'Univers peut disposer. Cette idée à d'autant plus de sens si on considère que l'espace et le temps sont encore dissociés, à l'image d'une écume quantique constituée de quanta.

A l'échelle et au niveau d'énergie de Planck, l'espace-temps pourrait comporter au total, non plus 4 mais 11 dimensions (théorie M), les espaces excédentaires étant compactifiés. Mais il n'est pas impossible qu'une théorie unifiée nous permette finalement de modéliser un univers à 4 dimensions.

Tout l'Univers tient dans un espace de 10-33 cm. Qu'est-ce que cela représente ? C'est dix millions de milliards de fois plus petit qu'un quark (~10-16 cm) qui est lui-même 20 fois plus petit qu'un proton ! C'est l'ère des théories de jauge et des théories unifiées (TOE, SUSY, etc).

A cette échelle subatomique, les relations d'incertitudes de Heisenberg jouent un rôle considérable. L'espace-temps n'est pas continu et n'a même pas encore de réalité. A l'instar des particules qui explorent toutes les trajectoires possibles, d'un point de vue probabiliste l'Univers explore toutes les géométries possibles. Sa structure spatiale se déforme et se déchire continuellement, une multitude d'espaces se juxtaposent et s'évanouissent à tout instant, suivant les inégalités d'Heisenberg. A nous de démontrer puisque nous existons, que le chemin pris par l'Univers a été guidé par un élément précis, une classe d'histoires plus probable que les autres.

Grâce aux théories de jauge qui évaluent les niveaux d'énergies, les physiciens ont démontré que lorsque la température et la densité de l'Univers sont proches de l'asymptote, les lois de la physique quantique imposent que la force qui agit entre les quarks et antiquarks diminue jusqu'à disparaître, c'est la "liberté asymptotique".

Quelques-uns parmi les pionniers de la théorie de l'Univers inflationnaire. De gauche à droite, Alexey Starobinsky (2013), Andrei Linde (~2000), Alan Guth (~2000) et Peter Higgs (~2005). Documents Gruber Foundation, Stanford University, MIT et Peter Tuffy/The University of Edinburg.

Plusieurs configurations initiales de l'Univers ont été proposées pour expliquer sa structure actuelle, notamment en invoquant des processus quantiques chaotique. Durant cette période le vide subit des fluctuations quantiques mais rien ne permit de différencier les bosons intermédiaires du photon. Comme le boson de Goldstone Z° ils n'ont pas de masse.

Dans de telles conditions, l'état dans lequel se trouve l'énergie total de l'Univers influence fortement sa densité. La quantité totale de rayonnement est liée à la quatrième puissance de la température (loi de Stephan-Boltzmann). L'énergie de repos des particules est bien plus élevée que l'équation d'équivalence d'Einstein le permet. L'Univers n'est encore qu'énergie, photons.

A la densité de Planck, les quarks et les leptons restent séparés, baignés par le rayonnement intense des photons gamma. La température ne permet pas à la matière de se former, ni même aux noyaux. Comme les photons gamma, les neutrinos n'ont virtuellement pas de température de seuil ni peut-être de masse, ils existent à toute température aussi élevée soit-elle. Seuls existent donc les photons, les différentes familles de quarks, de bosons, de neutrinos et leurs antiparticules qui se transforment entre eux au gré des collisions.

Pendant l'ère quantique de la théorie "de Tout", l'énergie et la densité de l'Univers étaient tellement élevées que la distance qui séparait les quarks et les antiquarks leur permettait de se comporter comme des particules libres.

Alors que l'Univers poursuit son expansion, les quarks et les antiquarks commencent à prendre leur distance, leur force d'interaction augmentant. Lorsque leur énergie atteignit un maximum une nouvelle paire de quark-antiquark se créa à partir du rayonnement. A mesure que la taille de l'Univers augmente, dès que la température permet la moindre réaction, les leptoquarks X transmutent certains quarks en leptons, mais dans cet environnement de particules élémentaires, quarks et leptons sont indifférenciables. En maintenant cet équilibre thermique, la taille de l'Univers grandit de façon inversement proportionnelle à sa température. 

Jusqu'à 10-36 s ou un peu plus tôt selon les modèles, toute l'énergie de l'Univers est encore contenue dans un champ scalaire, les fameux bosons de Higgs de la théorie d'Alan Guth capables de briser la symétrie prédite par la GUT (époque de l'union des interactions forte et électrofaible) et/ou dans le champ d'inflaton d'Andrei Linde qui contrôle l'inflation (concept que reprit Alan Guth en 1981)[12].

Les premières particules élémentaires se sont diluées avec l'expansion inflationnaire de l'Univers durant un intervalle de temps exponentiel estimé à 60 e-folds (repliements de facteur e en base de Neper). Ce phénomène a fortement fait chuter la température de l'Univers qui est tombée à 1027 K selon Alan Guth ou 1022 K selon Andrei Linde. Or nous verrons qu'à l'époque de la GUT (vers 10-35 s), la température de l'Univers était très élevée, atteignant 1032 K en début de régime selon Alan Guth (1027 K selon Andrei Linde), ce qui a notamment permis de former les baryons (baryogénèse) et les leptons (leptogénèse) bien que certains modèles permettent leur création sous une température légèrement inférieure, durant la symétrie électrofaible. On y reviendra. Comment cette hausse de température s'est-elle produite alors que l'univers était censé se refroidir suite à l'expansion ? L'inflation !

Les fluctuations quantiques

A gauche, jusqu'à 10-43 s nous sommes au temps de Planck et l'écume quantique de l'univers subit des fluctuations chaotiques (GIF de 273 Kb). A droite, fluctuations quantiques d'un champ scalaire juste sous la densité d'énergie de Planck (GIF de 1 Mb). Documents G.Felder et A.Linde.

L'inflation de l'Univers

Les premiers modèles inflationnaires fixaient le début de l'inflation juste au temps de Planck, à 10-43 s et l'arrêtait seulement vers 10-33 s. Aujourd'hui, les physiciens jugent que cette période est trop longue compte tenu des conséquences qu'entraîne un tel phénomène sur les caractéristiques de l'Univers. Ainsi, selon Joseph Silk de l'Université John Hopkins, cette période se serait produite plus tard et aurait été beaucoup plus courte, entre 10-35 et 10-33 s. Dans les derniers modèles, la fin de l'inflation surviendrait un peu plus tôt, à 10-36 s. Adoptons cette dernière valeur puisqu'elle est de l'ordre de grandeur des valeurs concurrentes.

En fait l'instant de l'inflation est moins important que le niveau d'énergie (la température). En effet, dans tous les cas l'inflation ne débuta que lorsque la température de l'Univers chuta suffisamment pour qu'il n'y ait plus assez d'énergie pour maintenir la supersymétrie primordiale (TOE), c'est-à-dire l'unification de la gravité avec la GUT.

Si le modèle Standard des particules élémentaires ne peut décrire cette période primordiale, en revanche le modèle inflationnaire d'Alan Guth ou d'Andrei Linde parmi d'autres est parfaitement adapté pour décrire l'évolution de cet Univers.

Précisons que le modèle "Mixmaster" proposé par Charles Misner en 1969 prédit les mêmes évènements ainsi que l'existence des trous noirs primordiaux sur lequels nous reviendrons mais il ne résout pas tous les problèmes cosmologiques qui sont mieux résolus et de façon plus élégante dans le modèle inflationnaire.

1. L'état de "faux vide" du champ scalaire

Dans tous les modèles inflationnaires, l'Univers est rempli d'un champ scalaire ayant une énergie d'un type très particulier : c'est l'énergie du vide, insensible à la dilution. Son état d'énergie assimilé au "faux vide" influence le taux d'expansion de l'Univers. La densité du “faux vide” étant constante, elle ne diminue pas au cours du temps tout comme l'expansion de l'Univers qui accélère de manière constante. Le taux d’expansion qui caractérise la vitesse de récession de deux éléments quelconque continue à augmenter pendant que la température de l'Univers diminue. Or normalement, l'effet du vide n'est pas ajouté à l'effet gravitationnel de la matière et par conséquent le taux d’expansion devrait diminuer au cours du temps. Ce phénomène paradoxal est une des conséquences de la relativité générale.

L'état de "faux vide" du champ scalaire

Diagramme de la densité d'énergie d'un champ de Higgs représentant schématiquement la détente du "faux vide" à l'origine de la brisure de symétrie de la GUT et de la formation des particules élémentaires (quarks, électrons et neutrinos). Assumant que les champs scalaires f (les bosons de Higgs) disposent d'une énergie potentielle V(f), le "faux vide" correspond à une région de l'espace où les champs de Higgs sont nuls, symbolisé ici par le sommet de la colline. La densité d'énergie de ce faux vide implique une pression négative représenté en relativité générale par une force de répulsion. Tant que les champs de Higgs sont nuls, la symétrie est respectée et aucun phénomène ne se produit. Le mécanisme qui provoque la descente vers l’état de vide ordinaire est déterminé par des fluctuations thermiques ou quantiques d'énergie. Si l’un des champs de Higgs s'écarte de la valeur nulle dans un état de "faux vide", il provoque l'inflation de l’Univers entre 10-36 s et 10-32 s selon les modèles jusqu'à retrouver son état d'énergie minimale, le “vrai” vide (le bas de la colline), dans lequel l’état de symétrie est brisé. Ce nouvel état provoque un réchauffement de l’Univers. Durant ce temps l’univers a grandit d’un facteur d'au moins 1050. Dans le modèle inflationnaire faisant intervenir un champ d'inflaton plutôt qu'un champ de Higgs, l'intensité d'énergie V(f) est beaucoup plus faible, le "chapeau Mexicain" se transformant en chapeau presque plat. Document Alan Guth/MIT adapté par l'auteur.

Selon Einstein, la force gravitationnelle n’est pas seulement créée par la densité d’énergie r mais également par la pression (r + 3P/c2). Dans des conditions normales, le second terme est insignifiant mais il devient déterminant dans les états de "faux vide" déterminés par l'état du potentiel d'énergie des champs scalaires. Dans ces conditions, la somme entre parenthèse devient négative. Précisons que cet effet n’est pas hydrodynamique (comme la chute de la pression) mais revête un caractère purement gravitationnel. On en déduit donc que l’attraction gravitationnelle, la pression, devient synonyme de répulsion. Concrètement, une force répulsive cosmique d'une intensité inouïe est en train de se développer dans le champ scalaire mais elle ne se concrétisera que sous certaines conditions.

2. Les mécanismes de Higgs

Selon Alan Guth et ses collègues, le champ scalaire à l'origine du "faux vide" est un champ de Higgs, c'est-à-dire que l'Univers est remplit de bosons de Higgs. Ce champ scalaire ayant un effet répulsif, il soustrait l'énergie à la gravitation, si bien que son énergie potentielle augmente à mesure que l'Univers se dilate. Brian Greene[13] a estimé qu'au moment du Big Bang, si le champ de Higgs emplissait un Univers de 10-23 cm3, 10 grammes de matière aurait suffit à créer l'Univers tel que nous l'observons !

Dans cet Univers en devenir, localement les bosons de Higgs sont très loin de leur état d'équilibre (état d'énergie minimum stable); leur champ reste à zéro alors que leur énergie potentielle s'accroît à mesure que l'Univers se refroidit jusqu'à la "surfusion" (un état similaire à celui de l'eau qui en présence d'impureté ou de sel peut rester liquide en-dessous de zéro degré mais l'état étant instable, un choc suffit à la figer instantanément), tombant à 1027 K selon Alan Guth. Un champ de Higgs restant nul dans cet état de "faux vide" signifie qu'il suffit d'une infime fluctuation thermique pour qu'il se détente en provoquant l'inflation exponentielle de l'Univers, cédant au passage sa masse aux autres particules, jusqu'à ce qu'il retrouve un état d'équilibre d'énergie minimale, le "vrai" vide.

A lire : Comment les particules ont acquis leur masse

Les mécanismes de Higgs

Boson vecteur

sans masse

+   Boson scalaire

      sans masse

=  Boson vecteur

          massif

C'est l'interaction du champ scalaire du boson de Higgs avec les particules qui explique l'origine de leur masse. La découverte du boson de Higgs au CERN en 2013 valide ce modèle.

L'Univers ayant encore une taille subatomique, selon Sidney R. Coleman et ses collègues c'est une fluctuation quantique d’énergie du champ du Higgs qui par effet tunnel s'est affranchie de cette barrière d'énergie et provoqua l'inflation, lissant toutes les inhomogénéités et anisotropies de l'Univers. Cette région devint notre "bulle-Univers".

On se retrouve avec une symétrie brisée à la fin de la phase inflationnaire, les bosons de Higgs ayant transféré leur masse aux particules élémentaires, quarks, électrons et neutrinos. La température de l'Univers est remontée à 1032 K selon Alan Guth pour graduellement redescendre dans un milieu isotrope et homogène à grande échelle, les conditions du modèle Standard. C'est aussi à la fin de l'inflation qu'on assiste au premier découplage des interactions (voir plus bas).

3. Le préchauffement de l'Univers

Pour remonter la température de l'Univers à 1032 K et permettre la première brisure de symétrie des interactions et par la suite la baryogénèse, Andrei Linde et ses collègues dont Alexey Starobinsky ont inventé le "préchauffement" (ou réchauffement dans d'autres modèles, le "reheating") de l'Univers pour préparer l'inflation et rejoindre ensuite le modèle Standard.

Ce modèle se base sur l'évolution d'un champ scalaire d'inflaton. Selon Alan Guth, "il ressemble au champ de Higgs excepté que le diagramme de densité d'énergie est beaucoup plus plat". Le concept d'inflaton n'exploite donc pas les mécanismes de Higgs ni bien sûr les bosons de Higgs et ne tient donc pas compte d'une hypothétique phase de "surfusion" qu'aurait connu l'Univers primordial. Si la solution paraît plus simple, son développement est tout aussi complexe.

Deux grandes théories ont été proposées pour expliquer l'inflation et la production de particules au cours de la désintégration de l'inflation. La première fut le "réchauffement perturbatif" proposé indépendamment par Lewis Abbott, Andrei Linde et leurs collègues en 1982. Elle sera progressivement remplacée par le "préchauffement" en 1990 par A.Dolgov et al., qui sera supportée par Shtanov et al. en 1995 et appuyée la même année par les travaux de Lev Kofman, Andrei Linde et Alexey Starobinksy et d'autres physiciens. Il s'agit d'un processus plus complexe, non perturbatif qui se serait déroulé plus rapidement et plus tôt dans la genèse de l'Univers.

Dans l'ancienne théorie, plus simple et plus intuitive que le préchauffement tachyonique (cf. l'univers inflationnaire), Linde et ses collègues imaginaient que les oscillations minimales du champ d'inflaton représentaient des particules scalaires indépendantes, c'est-à-dire ayant chacune une probabilité finie de se désintégrer selon la théorie des perturbations (une méthode similaire au développement de Taylor mais appliqué au calcul quantique) en particules plus légères en fonction de leur couplage avec le champ d'inflaton. Le nombre d'oscillations nécessaire à la désintégration du champ d’inflaton est très élevé, compris entre 105 et 1010, ce qui risque de détruire toutes les particules produites. Ce modèle ne semble pas compatible avec le modèle Standard des particules élémentaires.

L'inflation selon Andrei Linde

Selon Andrei Linde, l'inflation de l'Univers s'expliquerait en raison de l'amplitude de plus en plus grande des fluctuations quantiques du champ scalaire d'inflaton. Mais selon Alan Guth (voir plus haut) ces champs scalaires sont les bosons de Higgs qui en transférant leur énergie aux particules ont provoqué l'inflation de l'Univers. A droite, évolution du potentiel inflationnaire. L'inflation se produit lorsque l'énergie potentielle V(Φ) domine l'énergie cinétique 1/2Φ2 et s'arrête lorsque les deux niveaux sont comparables. Ensuite, la densité d'énergie de l'inflaton est convertie en rayonnement pendant la phase de réchauffement. Les fluctuations observées dans le rayonnement diffus cosmologique (CMB) correspondent aux fluctuations quantiques de l'inflaton dΦ 60 e-folds avant la fin de l'inflation. Documents A.Linde (2008) et A.Bauman (2009) adaptés par l'auteur.

Pour éviter la production de monopôles (en théorie de GUT ils quantifient la charge électrique mais auraient stoppé l'expansion de l'Univers) ou pire, de gravitinos (en supersymétrie leur présence empêcherait toute nucléosynthèse ultérieure), le réchauffement se produit lorsque l'énergie passe sous le seuil de 1016 GeV (on évite les monopôles) et même idéalement sous 109 GeV (on évite les gravitinos), c'est-à-dire lorsque le paramètre de Hubble (H) descend jusqu'à une valeur voisine du taux de désintégration de l'inflaton. Immédiatement, l’énergie de l’inflaton est convertie en rayonnement et la température de réchauffement remonte à T4rec.

En revanche, dans la théorie du préchauffement, les particules sont produites beaucoup plus tôt, plus rapidement et de manière non perturbative. Ensuite le processus se complique (c'est au cours d'une phase perturbative puis de thermalisation que les particules sont produites).

Dans la plupart des versions de ce second modèle, la masse acquise par les différentes particules couplées au champ d’inflaton varie en fonction du temps. Lorsque l’inflaton passe par exemple au minimum de son potentiel (si la masse effective varie de manière non-adiabatique), certains modes sont favorisés de manière exponentielle, ce qui conduit à la production de particules. Quelques oscillations du champ d’inflaton suffisent ensuite pour qu’il se désintègre complètement au profit des particules.

Dans le modèle du préchauffement tachyonique sur lequel nous reviendrons, sous certains conditions cette désintégration se produit avant que l’inflaton n'atteigne son minimum de potentiel (cas où le potentiel du champ scalaire V(Φ) < 0, la masse des particules couplée à l'inflaton portée au carré est négative). Comme le dit Linde, dans ce cas d'instabilité tachyonique, la production de particules est très efficace et la phase de réchauffement quasi-instantanée (une seule oscillation de l'inflaton, ce qui favorise la création de particules.

4. La formation des trous noirs primordiaux

Le préchauffement peut ou non affecter les perturbations cosmologiques apparues pendant l’inflation selon qu'il existe ou pas des perturbations d'énergie à grandes échelles (par ex. des perturbation entropiques de pression non-adiabatique), ce qui dépend des détails de la phase de réchauffement. Aux petites échelles, les perturbations cosmologiques peuvent traverser l’horizon (des particules) au moment du réchauffement. Si elles sont affectées par ce phénomène, elles peuvent conduire à la formation de trous noirs primordiaux ou PBH dont Anne Green de l'Université de Nottingham a proposé une brève description (présentation PDF).

Dans un autre scénario, comme l'ont montré Teruaki Suyama et son équipe en 2014, ces trous noirs primordiaux peuvent disparaître rapidement si l'échelle d'énergie de l'inflation est élevée. Mais du fait de leur évaporation quantique, ils ont pu participer au préchauffement de l'Univers et modifier l'histoire de l'expansion de l'Univers avant de disparaître bien avant les premières nucléosynthèses de l'ère radiative (~100 s après le Big Bang).

Un trou noir primordial ne peut se former que dans un environnement très chaotique lorsque l'amplitude d'une perturbation dépasse une valeur critique, produisant un effondrement de toute la matière située dans cette région de l'Univers. La masse d'un trou noir primordial dépend de l'époque de sa formation et donc de la taille de l'univers observable à ce moment là. La masse de ces trous noirs dépend de la transition de phase durant laquelle ils se sont formés et varie entre 10-5 g au temps de Planck (10-43 s après le Big Bang) à 103 g à l'époque de la GUT pour atteindre 105 M 1 seconde après le Big Bang, ceux dont la masse étant supérieure à celle enserrant l'horizon s'étant formés ultérieurement.

En théorie, les trous noirs primordiaux de plus de 1012 kg (la taille d'un petit astéroïde) survivraient encore mais leur taille d'environ 10-12 mm soit voisine de celle du proton (0.84 femtomètre) rend leur détection directe impossible. En revanche, les plus massifs seraient détectables et plusieurs théories ont été proposées. Pour ne pas surcharger cet article, on reviendra spécialement sur les trous noirs primordiaux.

Les conséquences de l'inflation

1re conséquence : Avant l'inflation, lorsque la densité de l’énergie des particules et du faux vide étaient proches de la densité de Planck ρ~1094 g/cm3, l'Univers grandit exponentiellement, (et) doublant quasiment de diamètre toutes les 10-34 s selon la formule du facteur d’échelle : R(t) = Ro exp(3x10-35 s). Pendant l'inflation, l'Univers(ou notre "bulle" ou domaine) grandit en fonction du cube de sa dimension, triplant cent fois de taille dans l'intervalle et grandissant d'un facteur variant selon les modèles entre 1050 et (1 suivi d'un trillion de zéros !) en 10-36 s ![13] Son volume enfla également mais dans des proportions triples, si bien qu'il atteignit un facteur d'au moins 10150 voire deux fois plus vaste. Le domaine réel (la "bulle" de notre Univers) atteignit 100 millions d'années-lumière ! Aujourd’hui cette distance a grandit d’un facteur 1025. La taille du domaine atteint quelque 1033 années-lumière, soit 465 mille milliards de milliards de fois la taille de l'univers visible !

Illustration des "bulles" d'univers se matérialisant à partir de l'écume désolidarisée de l'espace et du temps à l'échelle de Planck. L'une de ces bulles devint notre univers. Document T.Lombry.

L'horizon de notre "bulle" univers réside donc au-delà des distances accessibles. L'univers observable actuel s'étend sur 46.5 milliards d'années-lumière et est déjà inconcevable. Personne ne peut imaginer ce que représente alors la dimension du domaine réel et encore moins celui de l'Univers pris dans sa totalité (si les deux objets se sont détendus à des taux différents) !

Si les “murs” à deux dimensions spatiales qui séparent les domaines (les différentes "bulles" d'univers) existent, ils se situent donc hors d’atteinte de nos moyens d’investigation. Là-bas résident aussi les monopôles prévus par la GUT et d’autres entités topologiques tout aussi exotiques qui séparent les différents univers. Mais ce sont des hypothèses.

Il existe toutefois des théories inflationnaires dans lesquelles les "murs" des domaines apparaissent après l'inflation et se propagent donc à une vitesse inférieure à celle de la lumière. Ces modèles sont aujourd'hui exclus car on devrait observer au moins l'un de ces murs sous forme d'une matière "exotique", ce qui n'est pas le cas.

2e conséquence : Selon la théorie d'Alan Guth, pendant l'inflation nous avons assisté au transfert de la masse des bosons de Higgs aux particules élémentaires, le seul mécanisme qui explique aujourd'hui pourquoi et comment les particules ont acquis leur masse.

3e conséquence : A la fin de l'inflation, vers 10-36 s, le taux d’expansion de l'Univers est passé sous la vitesse exponentielle. Dans le modèle d'Alan Guth, la densité de l'énergie tomba à une valeur qui est tout à fait négligeable par rapport à la densité du “faux vide”. C’est durant cette phase de transition que la densité du “faux vide” revint à une valeur proche de zéro, l'état de moindre énergie et stable du vide ordinaire.

4e conséquence : A présent, suite à l'effet des champs scalaires, la température de l'Univers est remontée à environ 1032 K. A cette température il n’y a pas encore de différence entre particules et antiparticules, tout n'est encore qu'une sorte de plasma dont on ignore les propriétés réelles. En fait, les réactions entre particules supermassives se déroulent à un taux qui peut être différent de celui des réactions entre antiparticules.

5e conséquence : Comme l'autorise la GUT, suite à la 4e conséquence, il peut exister une asymétrie dans la désintégration matière-antimatière dès 10-36 s, ce qui implique que la durée de vie du proton pourrait être bien supérieure aux quelque 1030 ans prédits par la théorie.

6e conséquence : Sur un plan plus spéculatif, selon la théorie de "l'inflation éternelle" d'Andrei Linde, étant donné que l'inflaton est capable de créer un espace-temps à partir d'une seule "goutte" de matière-énergie primordiale (10-23 cm3 ou 10 grammes suffisent pour créer un Univers), rien n'empêche d'autres "gouttes" de subir la même transformation à partir d'un univers parent. Par conséquent, l'Univers peut être truffé de bulles-univers filles issues de Big Bang antérieurs, l'Univers avec un grand U prenant l'aspect d'une structure arborescente peut-être infinie, ce qu'on appelle la "mousse de Linde". On retrouve cette notion dans la "mousse de spins" en gravité quantique à boucles. Précisons que ce concept "d'écume d'univers" est différent de celui des univers multiples de Hugh Everett.

Notons que chaque bulle-univers dispose par définition de ses propres lois physiques et donc également de sa propre flèche du temps. Certaines bulles-univers peuvent être dépourvues d'étoiles, d'autres infinies ou microscopiques selon la valeur de l'inflaton et du contenu de chaque bulle-univers. Mais dans tous ces univers, l'inflaton générant une expansion maximale, il est inévitable qu'elle finisse par s'effondrer (Big Crunch), quitte à recréer aussitôt un ou plusieurs Big Bang. En théorie, si toutes les bulles-univers filles s'effondrent sans reformer de bulles-l'univers, il ne resterait que la bulle-univers parente.

Parmi tous les modèles inflationnaires, l'expérience BICEP2 a démontré que l'inflation éternelle avait la plus forte probabilité d'exister, ce qui signifie que c'est peut-être l'inflation qui a le pouvoir de créer des univers et non pas l'inverse comme beaucoup le pensent encore (à relire deux fois) !

A consulter : LATTICEEASY, G.Felder et I.Tkachev

Simuler l’évolution de champs scalaires dans un univers en expansion

Le découplage des interactions

La théorie de Tout (TOE) prédit que toutes les interactions sont unifiées au-delà d’une énergie de l’ordre de 1019 GeV. A mesure que l’Univers s’est détendu et s’est refroidi, les forces se sont découplées. Notons que les seuils de découplage sont donnés à titre indicatif car ils varient d'un modèle à l'autre. La conséquence prévisible de ce scénario conduit à la désintégration du proton. Mais cet évènement est extrêmement rare : on prévoit une désintégration par an dans 1000 tonnes de fer mais elle n'a pas encore été observée.

Première brisure de symétrie

A la fin de l'inflation, vers 10-36 s, le niveau d'énergie de l'Univers est passé sous le seuil de 1019 GeV et sous une température de 1032 K. Nous assistons à la première brisure de symétrie des interactions. La TOE se scinde : l'interaction gravitationnelle se sépare du rayonnement unifié et devient 1039 fois plus faible que l'interaction électromagnétique. A présent l'univers se voit régit par les lois classiques de la gravitation. Les interactions entre particules qui se succéderont ensuite ne modifieront en rien la température des ondes gravitationnelles car elles n'interagiront plus avec la matière. A ce niveau d'énergie les interactions forte et électrofaible sont encore unifiées dans la GUT

La bonne nouvelle est qu'il est théoriquement possible de détecter ce rayonnement cosmologique des ondes gravitationnelles primordial es d'une manière analogue à ce que réalisa le satellite Planck pour le rayonnement à 2.7 K mais en utilisant une toute autre technologie.

Les ondes gravitationnelles cosmologiques

Les ondes gravitationnelles d'origine cosmologique émises à la fin de l'inflation vers 10-36 ou 10-33 s sont constituées de gravitons et pourraient être détectées à une température voisine de 1 K le jour où les techniques le permettront, c'est-à-dire probablement vers 2050 et certainement avant le prochain siècle.

Ce rayonnement fut engendré en même temps que les fluctuations primordiales de densité qui ont donné naissance aux grandes stuctures de l'univers. Seules différences, ce rayonnement n'interagit pratiquement pas : il ne créé rien, ne provoque aucune compression mais déforme uniquement l'espace lorsqu'il se propage.

La prétendue découverte de la contribution des ondes gravitationnelles (en vert) à la polarisation du rayonnement à 2.7 K fut infirmée en 2016. Cette polarisation en mode B provient en réalité de la poussière omniprésente dans la Voie Lactée. Document BICEP2.

Le problème est que vu l'époque et la distance d'où provient ce rayonnement, sa fréquence est excessivement décalée vers le rouge. On estime qu'aujourd'hui sa fréquence est de l'ordre de quelques millièmes de hertz sinon inférieure. Or dans cette gamme de fréquence les "parasites" engendrés par les sources naturelles sont omniprésents, principalement le bruit des marées océaniques et les bruits sismiques.

Des laboratoires au sol comme LIGO et autre Virgo ont essayé de détecter ces ondes gravitationnelles d'origine cosmologique, mais sans succès. Il est probable que les installations ne sont pas encore assez sensibles ou que le signal soit noyé dans les bruits parasites. En revanche, en 2016 LIGO découvrit des ondes gravitationnelles émises par deux trous noirs en cours de fusion, une découverte tout aussi fondamentale qui fit la une de tous les médias. On y reviendra.

Face à cette difficulté, un observatoire gravitationnel placé sur orbite offre quelques avantages. L'ESA a déjà planifié la mission eLISA à l'horizon 2025-2028 et la NASA envisage la mission OMEGA mais dans un avenir indéterminé.

En attendant les résultats de ces futures missions, à partir de 2010 et pendant 3 ans, les expériences BICEP2/Keck Array et SPT installées au pôle Sud en collaboration avec la mission Planck ont essayé de découvrir l'empreinte des ondes gravitationnelles dans l e rayonnement cosmologique à 2.7 K. Mais comme l'ont confirmé les astronomes début 2016 dans la revue "Nature", des contre-analyses ont montré que la polarisation en mode B qui fut détectée ne provient pas des ondes gravitationnelles comme ce fut publié mais de la poussière interstellaire omniprésente dans la Voie Lactée, ce que certains chercheurs avait déjà suggéré en 2014. L'effet attendu des ondes gravitationnelles cosmologiques n'était donc pas au rendez-vous.

Si nous voulons mesurer la polarisation due à l'effet de l'inflation et donc espérer valider les modèles, la prochaine expérience de ce genre devra discriminer un signal 10 fois plus faible, et passer du millikelvin au nanokelvin. Même si la résolution des détecteurs ne doit pas être très élevée, pour les ingénieurs c'est un défi encore plus difficile à relever que la mission Planck et un projet également très coûteux. Mais avec de la chance il y aura une cerise sur le gâteau qui mérite bien quelques efforts.

La soupe de quarks

10-36 s après le Big Bang, par 1027 K l'univers baigne dans une soupe de quarks et d'anti-quarks (cercles vides) dont la plus grande partie vont s'annihiler. Mpeg de 660 Kb. Document NCSA.

Deuxième brisure de symétrie

Vers 10-35 s se produit une deuxième brisure de symétrie. C'est la fin de l'ère de Grande unification (GUT). Le niveau d'énergie de l'Univers est descendu à 1016 GeV, sa température est de 1027 K. Dans les années 1980, les cosmologistes pensaient que l'énergie requise pour les GUT étaient de 1014 ou 1015 GeV. Aujourd'hui Alan Guth et ses collègues estiment qu'elle serait de l'ordre de 1016 GeV.

A ce niveau d'énergie qui continue de diminuer, les hypothétiques leptoquarks X et Y acquièrent leur masse si bien que l'énergie des quarks ou des leptons ne peut plus former de leptoquarks.

Ainsi que le disait le pape Pie XII en 1951, la lumière apparaît, une coïncidence avec les mots de la Bible "Et que la lumière soit !". Mais l'Univers reste opaque, le rayonnement émis est aussitôt diffusé et réabsorbé par les quarks, les leptons ou leur antiparticule. On ne voit pas au-dedans, tout n'est que lumière. Les paires de quarks-antiquarks s'annihilent en abondance en émettant des photons gamma.

Une soupe de quarks (QGP)

A présent l'Univers baigne dans ce qu'on surnomme une "soupe de quarks" composée d'un plasma de quarks et de gluons ou QGP qu'on appelle également des partons capables de produire de nombreux hadrons. Cet état de la matière est décrit par la chromodynamique quantique (CDQ) qui prédit précisément que cette soupe de quarks existe à des températures ou des densites extrêmement élevées où le confinement de couleurs (des quarks) n'existe plus (les quarks ne sont pas déconfinés mais réellement libres). Cet état de la matière mais limité à des conditions de déconfinement peut être reproduit dans les installations du RHIC ou du CERN.

Création d'un plasma de quarks et de gluons dans le collisionneur du RHIC du BNL en 2018. Voir le texte pour les explications. Document BNL/Javier Orjuela Koop.

En 2018, James Nagle et ses collègues de l'Université Vanderbilt ont publié dans la revue "Nature Physics" les premiers résultats d'une expérience appelée PHENIX permettant de créer un plasma de quarks et de gluons grâce au collisionneur RHIC du BNL. Comme on le voit à gauche, en provoquant des collisions entre protons (p), deutérons (d), noyaux d'hélium-3 (3He) et noyaux d'or (Au), les chercheurs sont parvenus à créer de minuscules gouttelettes de plasma de quarks et de gluons qui se sont détendues ensuite sous trois formes géométriques : des sphères (p+Au), des ellipses (d+Au) et des triangles (3He+Au).

Les chercheurs ont découvert que ces minuscules gouttelettes se comportaient comme un fluide, un comportement qu'on pensait impossible pour cet état de matière. Or quelques microsecondes après le Big Bang (et peut-être dans le coeur des étoiles à neutrons), c'est justement dans ce plasma de quarks et de gluons que baignait l'Univers.

Les mesures effectuées au RHIC montrent que cette soupe de quarks et de gluons coule comme un liquide de très faible viscosité (on parle de fluide quasi-parfait selon la théorie de l'hydrodynamique). L'absence de viscosité permet aux gradients de pression établis au début de la collision de persister et d'influer sur la manière dont les particules émergeant de la collision frappent le détecteur. Autrement dit, les gouttelettes gardent en quelque sorte la "mémoire" de la forme initiale du projectile

Bien sûr on peut également simuler cette soupe de quarks sur ordinateur comme l'ont fait des chercheurs du CERN en 2018 pour simuler le comportement de la matière dans le coeur des étoiles à neutrons.

En 2017, afin d'étudier le boson Z et cette soupe de quarks, une équipe de physiciens dirigée par A.M. Sirunyan de la Collaboration CMS réalisa deux expériences de collisions, respectivement entre ions lourds de plomb et entre des protons plus légers. Au cours de ces collisions qui atteignirent une énergie de 5.02 TeV dans le centre de masse, ils ont observé l'émission d'électrons et de muons produits lors de la décroissance des bosons Z. Ils ont ensuite mesuré les niveaux d'énergie libérés et découvert qu'ils étaient inférieurs dans la collision entre protons, ce qui signifie que les collisions entre ions de plomb ont créé une plus grande quantité de QGP avec laquelle les partons ont interagi. Reste à présent à préciser les paramètres qui autorisent la formation de cette soupe de quarks.

Comme évoqué, pendant cette phase primordiale de l'Univers, les quarks ne sont toujours pas confinés et portent leur influence à l'infini en échangeant des gluons. C'est l'époque à laquelle les cordes cosmiques ont pu apparaître, du moins si ce concept reste valide dans les années à venir.

Diagrammes de phase de l'eau (gauche) et de la soupe de quarks (centre). A droite, le principe de la collison Pb-Pb réalisée au CERN en 2017 par l'équipe de A.M. Sirunyan pour étudier le bosons Z et les propriétés de la "soupe de quarks". Documents CERN et Collaboration CMS adaptés par l'auteur.

Un point sur lequel il faut insister est le fait que juste après l'inflation, la densité du vide équilibre exactement la densité critique et, pour une raison qui demeure mystérieuse, la densité de la matière est précisément égale à cette valeur critique, avec une précision fantastique supérieure à 1040 décimales ! On y reviendra.

Second fait troublant pour le sens commun, à une température supérieure à 1027 K, s’il n’y avait eu que ces particules supplémentaires et “exotiques” dans l’Univers, toutes les paires de particules massives et leurs antiparticules se seraient annihilées au cours de l’expansion et du refroidissement de l’Univers, leur nombre étant exactement égal. Aujourd’hui l’Univers ne contiendrait aucun proton ni neutron. Ils auraient tous été transformés en lumière. Notre Univers ne contiendrait pas de matière ordinaire. Que s’est-il passé ? C'est la conséquence des "Conditions de Sakharov".

Les conditions de Sakharov

En 1967, Andrei Sakharov publia un petit article d'à peine quatre pages sur la "violation de l'invariance CP, l'asymétrie C et l'asymétrie baryonique de l'univers".

Rappelons comme nous l'avons décrit en physique quantique, que la violation de la conservation de la parité (P) fait la distinction entre matière et antimatière. La violation de CP concerne par exemple la désintégration asymétrique du kaon.

Dans son article, le physicien russe propose ce qui deviendront les "Conditions de Sakharov", trois conditions que la baryogénèse doit remplir pour conduire au contenu énergétique actuel de l'univers :

1. Il existe une violation de la symétrie CP et de la symétrie C : matière et antimatière n'obéissent pas aux mêmes lois.

2. La conservation du nombre baryonique est violée (cf. la charge électrique des strangelets) : il y a un excès de baryons comparé aux antibaryons.

3. L'équilibre thermique est rompu : lié à l'excès de baryons vis-à-vis des antibaryons, leurs taux respectifs de réactions sont différents depuis qu'il n'y a plus d'équilibre thermique.

Ces critères sont essentiels et encore aujourd'hui les physiciens essayent scrupuleusement d'en tenir compte dans leurs modèles.

Selon certains modèles, c'est déjà à cette époque, vers 10-32 s qu'aurait lieu la baryogénèse, c'est-à-dire la formation des premiers baryons, protons et neutrons à partir de la soupe de quarks; il s'agit de la baryogénèse de grande unification.

Mais actuellement, si ce modèle est toujours d'actualité, les physiciens lui préfèrent la baryogénèse électrofaible qui se serait déroulée une fraction de micro-seconde plus tard, à "basse" énergie, car plus accessible à leurs accélérateurs de particules. On y reviendra dans un instant car elle va bientôt se produire. En effet, nous allons entrer dans l'ère hadronique qui verra la formation des particules sensibles aux interactions fortes (oméga négatif, neutrons, protons, mésons, etc) à partir du rayonnement thermique.

Prochain chapitre

La formation des hadrons

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[12] Le concept d'inflaton fut également reprit par Alan Guth après le Workshop Nuffield de 1981 organisé par Stephen Hawking et intitulé "The very early Universe", atelier au cours duquel les physiciens et cosmologistes les plus renommés ont présenté les résultats de leurs travaux consacrés à l'univers primordial avant la première seconde.

[13] Brian Greene, "La Magie du Cosmos", Robert Laffont, 2005, p375.

[14] Dans sa version de l'inflation chaotique, Linde propose que l'univers grandit d'un facteur 101000000 ! Par comparaison, depuis 13 milliards d'années et l'époque de la recombinaison, l'Univers a vu sa taille multipliée par ~1100.


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