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La matière et l'énergie sombres dans l'Univers

L'amas de galaxies de Pandore ou Abell 2744 situé à 3.5 milliards d'années-lumière. Les galaxies à l'arrière-plan sont situées à plus de 12 milliards d'années-lumière. Document NASA/ESA/STScI/Spitzer.

Inventaire de toute la matière et de l'énergie contenues dans l'Univers (II)

Le rayonnement fossile et les neutrinos

Grâce aux résultats des missions des satellites COBE, WMAP et Planck, nous savons que le rayonnement cosmologique correspond au rayonnement d'un corps noir dont la température a été réglée avec une très haute précision (supérieure à 0.005%) et dont nous connaissons la température avec une précision de quatre décimales, To = 2.72548 ±0.00057 K. On peut en déduire que la contribution de ce rayonnement à la densité totale vaut Ωγ = 2.480 x 10−5.

Si les neutrinos n'ont pas de masse ou une masse très légère inférieure à 10−4 eV, leur densité d'énergie est par contre connue avec précision (1% selon Dodelson et Turner) parce qu'elle est directement reliée à celle des photons Ωn = 7/8 (4/11)4/3 Ωγ (par espèce). Globalement on estime qu'il existe un neutrino pour dix photons !

On pourrait y ajouter la contribution significative d'autres particules relativistes mais la nucléosynthèse du Big Bang (les premiers éléments formés dans l'Univers chaud) impose plusieurs contraintes sur leur quantité. Ainsi, selon les estimations faites par S.Burles et ses collègues en 1999, leur contribution ne dépasse pas 40% de celle des neutrinos, à moins qu'elles n'aient été produites lors de la décroissance d'une particule massive peu après le Big Bang.

Mais l'un dans l'autre, ces particules relativistes contribuent entre 0.12 et 7% de la densité critique. Globalement, la composante radiative de la densité d'énergie est donc très faible aujourd'hui.

La densité de la matière et la constante cosmologique

La contribution de la matière consistant en particules de pression négligeable est la plus facile à évaluer parce que les agglomérats de matière et leurs effets gravitationnels ont été amplifiés au cours du temps. Ainsi, dans les amas extragalactiques riches de centaines ou de milliers de galaxies, la densité de matière dépasse généralement la densité moyenne d'un facteur de 1000 ou supérieur ! Sachant cela, on peut décomposer la densité actuelle matière/rayonnement en ses deux composantes, la matière et l'énergie du vide :

Ωo = ΩM + ΩΛ

en ignorant la contribution du rayonnement fossile et des neutrinos dits ultrarelativistes qui, comme nous le verrons ne représente que quelques pourcents de la densité critique.

L'énergie du vide est considérée comme une composante diffuse, mais qui ne veut pas dire lente car elle peut produire des effets à une vitesse exponentielle. On y reviendra. Notons que l'énergie du vide et la nouvelle constante cosmologique Λ sont une et même chose. En effet, si :

alors la constante cosmologique correspond à une densité uniforme d'énergie de magnitude ρvide = Λ/8πG.

Notons que Λ se définit également comme une distance si on calcule l'inverse de sa racine carré. Selon nos observations, étant donné qu'il ne semble pas y avoir de distorsions spatio-temporelles à l'échelle galactique (10 Mpc), on peut fixer une limite supérieure à Λ < 1/(1023 km)2, une valeur en parfait accord avec la théorie du Big Bang. De l'autre côté de l'échelle, Λ > 1/1 km2. En pratique tous les chercheurs admettent que la constante cosmologique est proche de zéro puisque l'espace-temps en dehors des zones de matière dense (planète, étoile, galaxie) paraît euclidien à courte (macroscopique) comme à très grande distance.

Il y a un consensus aujourd'hui pour considérer que l'anisotropie du rayonnement fossile offre le meilleur moyen de déterminer la courbure de l'Univers et donc d'évaluer sa densité actuelle, cf. l'équation du rayon de courbure.

Ceci est rendu possible parce qu'il s'agit d'une méthode intrinsèquement géométrique (on mesure physiquement une surface à la fin de la période radiative, vers un million d'années après le Big Bang) en utilisant des règles élémentaires, dans les deux sens du terme (outil de mesure et lois).

A gauche, le satellite Planck. A droite, la carte des fluctuations de température relevées par Planck et publiée en 2014. Des fluctuations de densité de l'ordre de 1/100000e de Kelvin sont imprégnées dans le rayonnement micro-onde fossile à 2.7 K. Elles témoignent qu'environ 380000 ans après le Big Bang il existait des zones hétérogènes dans l'Univers d'une taille comprise entre 100 et 1000 Mpc. La résolution de ce document atteint 5'. Document ESA/T.Lombry et Planck.

Comme les satellites COBE et WMAP avant lui, le satellite Planck mis en évidence des fluctuations dans le rayonnement cosmologique à 2.7 K remontant à quelque 380000 ans après le Big Bang, peu de temps après la recombinaison lorsque la matière domina définitivement sur le rayonnement. On y reviendra.

A cette époque, juste avant la recombinaison, le plasma constituant l'Univers était encore chaud (> 3000 K) et presque totalement ionisé. Ce mélange de matière baryonique (ions et électrons) et de rayonnement provoqua une légère oscillation dite acoustique engendrée par la pression de radiation du rayonnement. En effet, avant la recombinaison, la matière était encore fortement couplée aux photons. A mesure que les baryons furent attirés vers les puits de matière sombre et se condensaient par gravité, ils perdaient leur énergie. Les photons réagirent en excerçant une force opposée appelée la pression de radiation. Le plasma de baryons et de photons commença alors à vibrer, générant des oscillations acoustiques selon des modes de vibrations dépendant des propriétés de l'Univers à cette époque. L'amplitude de ces oscillations de baryons ou BAO est aujourd'hui imprégnée dans le rayonnement cosmologique et la carte qu'enregistra Planck et est mesurable par une analyse de Fourier.

En deux mots, l'analyse de Fourier d'un signal oscillant permet de déceler ses modes de vibrations et sa période ou pôle que l'on symbolise respectivement par les lettres "k" et "l". Dans ce cas-ci les modes où k ~ lHo/2 déterminent l'amplitude des fluctuations visibles dans le rayonnement cosmologique. En tenant compte de facteurs techniques (compression, raréfaction, etc.), on aboutit à un pic l ~ 200. La plus basse fréquence acoustique émise dépendant de la vitesse de propagation et de la densité de l'Univers, l varie comme l'inverse du carré de la densité : l ~ 200/√Ωo. Spergel démontra en 1999 que cette valeur est indépendante de la composition de la matière et de l'énergie contenues dans l'Univers.

Spectre de puissance du rayonnement cosmologique à 2.7 K observé (gauche) et déduit du modèle cosmologique Standard complété par la théorie de l'inflation (centre), autrement dit des fluctuations d'énergie en fonction de leur taille pour différentes mesures de la température de ce rayonnement. Les mesures de gauche ont été effectuées entre deux points du ciel séparé par un angle Θ par rapport au nombre de multipôle l=200/Θ (l= 2 correspond à 100°, l = 200 correspond à 1°, etc). Les courbes illustrent les prédictions des modèles CDM pour une densité de matière Ωo=1 (en bleu) et Ωo=0.3 (en magenta). Notez les différents "pics acoustiques" dans la courbe bleue. Ce sont les signatures clés laissées par les perturbations de densité d'origine quantique prédites par la théorie inflationnaire. Cette courbe correspond également à un univers plat et à la préférence des cosmologistes. Au centre, la courbe rouge est compatible avec une constante de Hubble assez faible. En revanche, tous les autres modèles (Ho élevée, énergie sombre dominante, neutrino massif, univers ouvert) présentent des amplitudes 10 à 20% plus faibles. Enfin, le modèle avec texture ne dépasse pas 20 μK (courbe quasi plate noire). A droite, la courbe théorique (en vert) superposée aux données de Planck (points rouges). Elle se décrit grâce à 6 paramètres cosmologiques et pas un de plus dont 2 relatifs à la densité de la matière et de l'énergie sombre. Documents M. Tegmark, 1999 et ESA - Collaboration Planck, 2015.

COBE s'est attaché à mesurer les multipôles l = 2 - 20, ce qui représente des variations de température entre deux points séparés entre 100 et 10° sur la voûte céleste, donc à très basse résolution (en rouge sur le graphique présenté ci-dessus à gauche). D'autres mesures ont donc été nécessaires pour couvrir les autres multipôles afin de découvrir les différents pics acoustiques. Des récepteurs HEMT dits de basses fréquences (< 100 GHz) ont mesuré l'anisotropie depuis des bases situées en Antarctique et des bolomètres à hautes fréquences (> 100 GHz) ont mesuré l'autre partie du spectre afin d'estimer la valeur du premier pic acoustique.

Sur le graphique présenté ci-dessus à gauche, la courbe bleue est en accord avec un univers plat, ce qui permet aux astrophysiciens d'annoncer que la valeur de densité actuelle Ωo = 1 ±0.2.

Bien sûr cette valeur n'était pas encore définitive et était entachée d'une erreur de 20%, si bien qu'elle fut affinée par les mesures effectuées par les satellites WMAP et Planck, la résolution de ce dernier étant 1000 fois supérieure (environ 5') à celle de COBE.

Finalement, les chercheurs ont obtenu une courbe du spectre de puissance du rayonnement cosmologique dont les pics qu'on observe ci-dessus à droite s'expliquent en tenant compte de seulement 6 paramètres cosmologiques dont deux concernent la densité des composantes sombres (cf. cet article).

La matière baryonique

Depuis l'article sur la nucléosynthèse primordiale "Alpha, Bêta, Gamma" publié par Gamow en 1948 et l’article "B2FH" sur la nucléosynthèse stellaire publié en 1957, les astrophysiciens considèrent que le processus de nucléosynthèse qui se déroula au cours du Big Bang représente le test clé de la cosmologie du Big Bang chaud (par opposition à l'hypothèse de l'atome primitif), ce qu'on appelle la nucléosynthèse du Big Bang ou BBN en abrégé. Depuis la fin des années 1970, cette théorie a permis de déterminer très précisément la densité baryonique de l'Univers.

En comparant méticuleusement l'abondance des éléments comme le D, 3He, 4He et 7Li avec les valeurs prédites par la théorie du Big Bang chaud, les astrophysiciens C.Copi, N.Hata et leurs collègues s'accordèrent en 1995 pour donner à la densité baryonique une valeur très faible, ΩB = 0.007 − 0.024, soit à peine 2% de la densité totale.

Document S.Burles et al. (1999) adapté par l'auteur

Parmi ces autre éléments légers, le deutérium est notre meilleur "baryomètre" et ce, depuis peu. Son abondance initiale dépend fortement de la densité baryonique (proportionnelle à 1/ρB1.7) et les processus astrophysiques qui affectent son abondance sont très simples car ils ne détruisent que la quantité de deutérium.

Avant 1998, cet élément ne pouvait pas servir d'indicateur car on ne connaissait son abondance que localement, dans des régions de l'Univers où la moitié du matériel avait servi à "fabriquer" les étoiles en détruisant la même quantité de deutérium. En 1998, la situation changea du tout au tout grâce aux prédictions du modèle BBN.

Dès cette date, on a pu fixer des premières limites supérieures et inférieures pour l'abondance du deutérium qui s'échelonnait entre 10-5 ≤ D/H ≤ 3x10-4. Il s'agissait encore d'une marge très importante. Scott Burles et ses collègues clarifièrent la situation en analysant l'abondance du deutérium dans quatre nuages d'hydrogène à grand redshift visibles devant des quasars ainsi que dans d'autres systèmes contenant a priori du deutérium. Ce travail fut réalisé avec le télescope Keck I de 10 m de diamètre équipé d'un spectrographe à haute résolution.

En 1999, ils aboutirent à un rapport η(D/H) = (3.4 ±0.3) x 10-5 (voir milieu du tableau de gauche). Leurs mesures permirent de préciser la densité baryonique avec une précision d'environ 1% : la densité des baryons à l'époque de la nucléosynthèse primordiale valait ρB = (3.8 ±0.4) x 10-31 g/cm3, ce qui correspond à une densité baryonique ΩB = 0.019 ±0.0012 ou voisine de 2%.

Le tableau présenté à gauche illustre les abondances relatives (par rapport à l'hydrogène) des différents éléments synthétisés dans les quelques minutes qui suivirent le Big Bang en fonction de la densité de la matière ordinaire (baryons). Les bandes verticales indiquent les intervalles de concordances estimées par C.Copi, D.Schramm et M.Turner en 1995. La colonne cyan indique la densité baryonique estimée à partir des mesures de l'abondance du deutérium effectuées par S.Burles et D.Tytler en 1998. Elles impliquent que la densité baryonique ΩB = 0.02 ±0.002.

Cette valeur correspond à celle déterminée par deux autres méthodes totalement différentes étudiées entre 1993 et 1997. En comparant les mesures d'opacité de la "forêt Lyman α" dans le spectre des quasars à grand redshift avec des simulations hydrodynamiques, P.Madau, D.Weinberg et plusieurs autres équipes ont défini une limite inférieure à la densité baryonique de ΩB > 0.015. Le second test concernait la hauteur du premier pic acoustique : il augmente avec la densité baryonique du fait que le champ gravitationnel s'intensifie et sa valeur est consistante avec les mesures de COBE, WMAP et Planck, apportant une confirmation des prédictions du modèle BBN.

Le poids de la matière sombre

Depuis les travaux pionniers de Jan Oort au niveau galactique dans les années 1930 et de Fritz Zwicky et Vera Rubin au niveau galactique et extragalactique, nous savons qu'il y a trop peu de matière visible dans l'Univers pour former les étoiles et maintenir les galaxies et les amas ensembles et donc que la plus grande partie de la matière contenue dans l'Univers est sombre pour utiliser un terme générique.

L’émission infrarouge des poussières, intimement mêlées au gaz interstellaire, et le rayonnement gamma des rayons cosmiques sillonnant le gaz interstellaire permettent de trouver de la matière baryonique sombre dans la Voie Lactée. Les rayons gamma émis ont une énergie supérieure à 100 MeV. Grâce au satellite gamma CGRO-Compton, des scientifiques du service d'Astrophysique du CEA ont découvert en 2005 d'immenses nuages de gaz sombre parsemés de poussières glacées qui avaient jusqu'ici échappé à toute détection. C'est ainsi qu'on découvrit que dans un rayon de 1500 années-lumière autour du Soleil, ce gaz sombre enveloppe tous les nuages connus d'hydrogène moléculaire (Céphée, Taureau, Caméléon, Orion, etc) et participe donc à cette"masse cachée baryonique" de la Galaxie. Petit à petit la matière sombre se manifeste. Documents I.Grenier/Université Paris 7/CEA Saclay.

Soupeser le poids de la matière sombre est également un défi et ce d'autant plus qu'on ne la voit pas ! Aujourd'hui, les astrophysiciens pensent que les amas de galaxies constituent le moyen le plus prometteur pour estimer la densité totale de la matière.

Pourcentage de gaz dans les amas en fonction de la température du gaz relevée en rayonnement X dans 45 amas de galaxies par Mohr et son équipe en 1998. On observe que le gaz atteint un plateau à haute température pour une masse de 0.075 ±0.002. Cela correspond à une densité moyenne de matière dans l'Univers de ΩM = 0.4 ± 0.1.

Les amas riches de centaines ou de milliers de galaxies sont des objets relativement rares - environ une galaxie sur 10 se trouve dans un amas riche - lequel s'est formé à partir de perturbations de densité s'étendant sur environ 10 Mpc. Mais du fait que ces amas rassemblent de la matière à travers de vastes régions de l'Univers, ils fournissent un bon échantillonnage de la quantité de matière contenue dans l'Univers. En utilisant les mesures effectuées sur ces amas, la densité baryonique du BBN peut être utilisée pour déduire la densité totale de matière, tâche à laquelle S.White et son équipe se sont atttachés depuis 1993.

L'essentiel des baryons contenus dans les amas de galaxies se trouve dans le gaz chaud du milieu intra-amas (MIA, "ICM" en anglais), source de rayonnement X, et non pas à l'intérieur même des galaxies. Le problème se réduit donc à déterminer le rapport total entre ce gaz et la matière. Ainsi que nous l'avons expliqué à propos de l'avenir de l'Univers, nous pouvons utiliser deux méthodes :

- Mesurer le flux de rayons X émis par le gaz intra-amas

- Cartographier l'effet Sunyaev-Zel’dovitch sur le rayonnement fossile provoqué par les électrons chauds intra-amas.

Notons qu'à l'avenir on pourra également envisager de mesurer l'intensité des ondes gravitationnelles émises par les systèmes binaires.

La masse totale des amas peut être déterminée de trois manières différentes :

- En estimant le déplacement des amas de galaxies en utilisant le théorème du viriel

- En assumant que le gaz est en équilibre hydrostatique et en l'utilisant pour déduire la distribution des masses

- En cartographiant directement la masse des amas grâce aux lentilles gravitationnelles telle que l'envisagea A.Tyson.

Les mesures de la contribution du gaz X obtenues par J.Mohr et son équipe en 1998 qui analysèrent 45 amas et par J.Carlstrom qui analysa 27 amas additionnels en 1999 donnent une masse totale de gaz chaud oscillant entre fgaz = 0.075 ±0.002 et fgaz = 0.06 ±0.006. En prenant les "meilleures estimations", on en déduit que la densité moyenne de toute la matière (baryonique) contenue dans l'Univers vaut donc :

ΩM = ΩB / fgaz = 0.4 ±0.1

Grâce aux données du satellite Planck, en 2015 la densité baryonique moyenne fut affinée à :

ΩB = 0.416 ±0.0045

Cela signifie qu'au total, la matière sous toutes ses formes ne représente que 27% de la masse de l'Univers ! Vu son importante dans notre inventaire, il vaut la peine de se pencher deux minutes sur la validité de ce nombre.

Troisième partie

Les preuves que l'Univers ne contient que 27% de matière

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