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La matière et l'énergie sombres dans l'Univers

Les trois problèmes de la matière sombre (IV)

Nous savons aujourd'hui que les étoiles ne participent qu'à une petite fraction du bilan de la matière cosmique, représentant à peine 5% de la densité critique. Nous savons depuis quelques décennies que l'essentiel de la matière et de l'énergie contenues dans l'Univers est sombre voire invisible.  Dans certaines endroits de l'univers, la matière sombre est tellement importante qu'elle affecte la dynamique et la structure des galaxies.

Pour ne prendre qu'un exemple spectaculaire, l'astrophysicien Michael A. Beasley et son équipe de l'Institut d'Astrophysique des Canaries ont étudié au moyen du Gran Telescopio Canarias (GTC) de 10.4 m la galaxie géante ultra diffuse (UDG) VCC 1287 alias LEDA 41311 qui est entourée d'un essaim d'amas globulaires. Dans un article publié en 2016 dan "The Astrophysical Journal", Beasley et son équipe confirment que ces amas globulaires se déplacent à grande vitesse, ~1071 km/s comme les galaxies de l'association M87 appartenant à l'amas de la Vierge. Cette vitesse indique qu'ils sont attirés par un puissant champ gravitationnel.

Dans un rayon d'environ 8 pkc autour du centre comprenant les amas globulaires les plus éloignés, les mesures directes indiquent que cette galaxie présente une masse équivalente à 4.5 milliards de masses solaires mais en tenant compte de la matière sombre du halo dont les caractéristiques sont celles prédites par les simulations, la masse totale dite virielle de cette galaxie représente environ 80 milliards de masses solaires et présente un rapport Masse/Luminosité M/L = 106 dans le rayon effectif, soit 10 fois supérieur à celui d'une galaxie ordinaire. On ne trouve un rapport M/L aussi élevé que dans les galaxies naines du Groupe Local. Mais dans le cas de VCC 1287, le rapport entre la matière sombre et la matière stellaire est ~3000.

Selon Beasley, bien que de la matière sombre soit présente dans d'autres galaxies, ce cas est exceptionnel. "Pour chaque kilogramme de matière ordinaire, VCC 1287 contient 3 tonnes de matière sombre. On peut donc dire que les galaxies ultra diffuses sont essentiellement composées de matière sombre et de quelques étoiles". La question est maintenant de savoir comment une galaxie aussi diffuse et sombre peut exister.

Localisation de la galaxie VCC 1287 (LEDA 41311 ou PGC 41311) de magnitude apparente 17-18 mais dont la brillance de surface est tellement faible qu'elle est invisible à l'oculaire d'un télescope. Elle se situe à 50 millions d'années-lumière, à un degré au nord de la "chaîne de Markarian" de l'amas de la Vierge. En fait, VCC 1287 se trouve dans la constellation de Coma, la Chevelure de Bérénice, mais appartient au sous-ensemble M87 qui se situe 2° au sud près de NGC 4459 qui appartient à l'amas de la Vierge, ce dernier couvrant un champ d'un diamètre de ~20° qui empiète sur la constellation de Coma. La photo N/B a été prise par un astronome amateur au moyen d'une lunette de 100 mm de diamètre de l'Observatoire Antarès et l'encart couleur par la MegaCam du CFHT. A droite, une photographie du catalogue SDSS dont voici la version annotée. VCC 1287 est la petite nébulosité située près du centre dans le tiers gauche de l'image. Documents Michael A. Beasley et al. (2016) et Sky-Map/SDSS.

Cet exemple nous démontre que malgré notre inventaire de toute la matière contenue dans l'univers et la détection de certaines formes d'énergie sombre (par exemple le plasma chaud interamas), nous connaissons encore très peu de chose sur la nature de la matière sombre dont les effets surpassent de loin ceux de la matière baryonique. Pour comprendre la nature de l'énergie sombre et de la matière sombre et éventuellement les détecter, les chercheurs doivent d'abord comprendre d'où elles proviennent, à quelle époque du Big Bang elles se sont formées et par quels processus elles ont survécu au cours du temps.

Notre inventaire des constituants de l'Univers nous a permis de comprendre de quelle manière la matière et l'énergie étaient distribués dans l'univers. Notre analyse a aussi mis en évidence trois problèmes relatifs à la matière et à l'énergie sombres, aucun n'ayant jusqu'à présent été entièrement abordé par les chercheurs.

1. Les baryons sombres

A dix contre un, l'ensemble des baryons sont sombres et ne participent pas à la formation des étoiles. A l'exception des amas de galaxies, dans lesquels les baryons "sombres" se manifestent sous forme de gaz chauds émettant des rayons X, la nature des baryons sombres est inconnue. Selon M.Persic et P.Salucci, si nous faisons l'inventaire des baryons, on découvre que les amas représentent environ 10% des baryons contenus dans l'Univers, tandis que les 90% restants représentant tous les baryons sombres prennent une forme différente.

Les deux candidats les plus prometteurs pouvant représenter ces baryons sombres sont le gaz chaud diffus et les "étoiles sombres", c'est-à-dire des naines blanches ou des étoiles neutrons en fin de vie, des trous noirs ou des objets de taille planétaire dont la masse est proche du seuil des réactions thermonucléaires.

L'hypothèse du gaz chaud diffus est supportée par Michael S. Turner pour trois raisons :

1°. C'est dans ces régions que se trouvent les baryons sombres dans les amas;

2°. A l'époque de la formation de ces amas, vers z ~ 0-1, la densité moyenne du gaz était pratiquement égale à la densité baryonique (sauf si la densité de matière était très faible) et représentait la plus grande partie des baryons sous forme gazeuse, soit un peu plus de 2% de la densité critique :

Ωgazh2 = fgazΩMh2 = 0.023(ΩM/0.27)(h/0.65)1/2

3°. Les simulations réalisées en 1997 par M.Rauch et son équipe ainsi que par J.Ostriker en 1999 suggèrent que la plupart des baryons devraient encore exister aujourd'hui sous forme gazeuse.

Pour les défenseurs de la seconde théorie, il y a deux arguments en faveur d'une matière baryonique sombre cachée sous forme "d'étoiles sombres". Le premier est le fait que les baryons gazeux qui ne sont pas associés aux amas n'ont pas été détectés. Le second, les résultats des études de microlensing dans le Petit et le Grand Nuage de Magellan effectuées par Michel Spiro et ses collègues en 1999 sont compatibles avec une valeur d'un tiers du halo Galactique constitué de naines blanches de 0.5 M.

A gauche, l'amas ouvert NGC1818 dans lequel le Télescope Hubble a découvert une étoile naine (dans le cercle). A droite, le Grand Nuage de Magellan. Documents NASA/STSCI/HST et AAO.

Ces deux arguments ne sont malheureusement pas irréfutables et nous pouvons déjà faire trois remarques. D'abord, le fait que le gaz situé en dehors des amas est plus froid (T ~ 105-106 K) le rend difficilement détectable par ses raies d'absorption ou d'émission. Il y a également autant d'explications "attractives" pour chaque phénomène de microlensing.

Ensuite l'interprétation en termes de naines blanches est incomplète. Ainsi que le démontra David S. Graff et ses collègues en 1998, ces naines blanches sont invisibles. On peut se demander pourquoi ? Selon Piero Madau, leur taux de formation serait également excessif quelle que soit l'époque considérée, passée ou présente (proche de 100 par an par Mpc3). B.Fields et ses collègues se demandent à leur tour où seraient ces étoiles situées en fin de Séquence principale associées à cette population stellaire et au gaz quand on sait qu'elles seraient 6 à 10 fois plus nombreuses que les naines blanches et n'auraient pas été utilisées dans le processus stellaire.

Enfin, Charles Alcock et ses collègues ainsi que le groupe EROS ont démontré en 1998 que les lentilles gravitationnelles découvertes dans le SMC sont en fait associées à des étoiles (microlensing) appartenant au SMC et l'un des événements du LMC est également associé à une lentille gravitationnelle située au sein du Grand Nuage de Magellan.

On peut voir le problème différemment. Les effets de microlensing découverts dans les deux Nuages de Magellan présentent tous les caractéristiques d'étoiles de faibles masses ordinaires. Si c'est bien le cas, elles ne peuvent donc pas être dans le halo sinon, en raison de leur proximité, nous les aurions détectées; la question est donc de savoir où elles se trouvent réellement.

2. La matière sombre et froide

Le second problème concernant la matière sombre vient de l'inégalité ΩM ~ 0.27 >> ΩB ~ 0.05 : il y a beaucoup plus de matière que de baryons et donc, la matière sombre non-baryonique est la forme de matière dominante dans l'Univers. Nous connaissons cette conclusion depuis 1980 environ et elle fut définitivement consignée dans le tableau d'inventaire en 1998 par les mesures de Burles et Tytler sur les abondances de deutérium.

Collision entre particules avec interactions de neutrinos. Document IDPASC/CPAN.

La physique des particules nous offre une explication intéressante concernant le problème de la matière sombre non-baryonique : selon John Ellis du CERN, il s'agirait des reliquats de particules élémentaires abandonnées au cours du Big Bang. Des particules à longue vie ou faiblement interactives issues de l'ère de la "démocratie nucléaire" seraient restées en nombre suffisamment important pour représenter une fraction significative de la densité critique (mais il faut qu'elles soient très peu sensibles aux interactions afin que leur annihilation cesse avant que leur nombre soit trop faible).

Les trois candidats les plus prometteurs sont des particules neutres ou interagissant peu avec la matière baryonique : les neutrinos d'une masse probablement inférieure à 1 eV, l'axion d'une masse de 10-5 ±1 eV et le neutralino d'une masse comprise entre 50-500 GeV ! Toutes trois sont présentes dans les théories de Grande unification et de supersymétrie qui tentent d'unifier toutes les particules et les interactions de la nature.

Le fait que ces particules représentent la matière sombre non-baryonique est considéré par beaucoup soit comme une grande coïncidence soit comme un sérieux indice. Par ailleurs, le fait que ces particules interagissent très peu les unes avec les autres ainsi qu'avec la matière explique naturellement le fait qu'elles soient distribuées de manière plus diffuse dans l'Univers. Reste à trouver un moyen de les détecter.

Actuellement la théorie des neutralinos issue des théories de supersymétrie fait appel à une matière sombre chaude (HDM) qui aurait formé les structures cosmiques par un phénomène de fragmentation dit "top-down" ou de blinis tel que décrit par Y.Zel'dovitch puis S.White, C.Frenk et M.Davis en 1983, les superamas se fragmentant pour former les amas et ensuite les galaxies individuelles. Or cette théorie ne correspond pas aux observations où tout indique au contraire que les grandes structures cosmiques se sont formées par accrétion de plus petites entités, "de bas en haut".

Concernant les neutrinos, on estime leur masse comprise entre 0.001 et 0.1 eV selon la saveur et leur différence de masse est très faible, de l'ordre de 0.01 eV/c2. Ceci suggère que la masse minimale du neutrino serait d'environ 0.1 eV (à confirmer), ce qui signifie, compte tenu de leur abondance, qu'ils contribuent au moins autant que les étoiles brillantes à la densité de matière !

Simulation à N corps en haute résolution d'un halo de matière sombre galactique. Document B.Moore (2000).

Etant donné que les axions et les neutralinos se comportent comme de la matière sombre et froide, ils représentent les candidats idéaux de la matière sombre. On s'attend donc à en trouver dans le halo de la Voie Lactée et Gates et Turner ont démontré en 1995 qu'on ne pouvait pas les écarter de la liste des MACHOs.

Nous avons vu précédemment qu'environ les 2/3 de la matière sombre contenue dans le halo ne peuvent pas s'expliquer en tenant uniquement compte des formes de matière baryonique. La densité du halo est estimée à 10-24 g/cm3, avec une incertitude qui atteint un facteur 2. Cette région est donc idéale pour trouver des particules de matière sombre et froide !

Des expériences ont été conduites au Laboratoire National de Lawrence Livermore (cf. T.Ressell et al., 1993), au CERN (cf. CMS Collaboration, 2017) et dans d'autres laboratoires internationaux pour découvrir des neutralinos dans des réactions nucléaires ou même dans le halo de la Voie Lactée (cf. A.Albert et al., 2017), mais en vain jusqu'à présent.

Deux expériences visant à détecter des axions ont également été conduites, l'une en Corée (CAPP), l'autre en Italie (QUAX), toutes les deux basées sur la même technique de l'haloscope de Sikivie mais chacune dans une zone de masse différente (entre 10.7126 et 10.7186 µeV pour CAPP et 43.0182 µeV pour QUAX). Les résultats publiés en 2021 furent également négatifs (cf. O.Kwon et al., 2021; D.Alesini et al., 2021).

Ceci dit, les physiciens ne se découragent pas car ils n'ont pas encore exploré les fréquences (cf. la conversion des GHz en eV) correspondant aux masses supérieures à 100 µeV où pourraient aussi se cacher les axions. La difficulté est que lors d'un couplage axion-photon (les axions peuvent se transformer en photons sous l'action d'un champ magnétique), ils émettent une énergie radioélectrique qui tombe dans des fréquences comprises entre 2 GHz (0.827 µeV) et 2500 GHz (10.3 meV). Or certaines bandes de fréquences sont déjà allouées par l'UIT à des services de communication (Wi-Fi, bande X, micro-ondes, etc), quand le milieu n'absorbe pas le rayonnement, rendant la détection du signal issu de la cavité résonnante quasiment impossible.

En fait, même si les axions et les neutralinos sont les candidats les plus intéressants et sont incorporés dans les théories physiques, rien ne prouve que ces bosons existent, d'autant que n'importe quelle particule massive reliquat du passé (d'une masse supérieure à 1 GeV environ) serait compatible avec le modèle CDM.

Des solutions plus exotiques ont également été envisagées. En 1999 par exemple, Jedamzik et Niemeyer ont suggéré que les MACHOs, des trous noirs de masse solaire apparut lors de la transition quark/hadron (mais il peut également s'agir de corps inertes de taille planétaire mais très massifs), se cacheraient dans le halo. Edward W. Kolb suggéra en 1999 que des WIMPs de plus de 1012 GeV auraient été produits par un processus non thermique à la fin de la phase inflationnaire.

Bref, au risque de devenir trop sûr de nous, rappelons que dame Nature dispose de nombreuses solutions pour créer des particules de matière sombre. Mais en fait il n'est même pas certain qu'il y recourût.

3. L'énergie sombre

Nous avons plusieurs fois qualifié d'"exotique" la substance dont seraient constituées les particules de "matière" sombre. Dorénavant ce terme doit être réservé à l'énergie sombre (ou noire), celle qui induit actuellement une expansion accélérée de l'Univers. Ce type d'énergie est en fait plus exotique et moins bien connue que n'importe quelle autre.

Les valeurs arrondies pour les trois composantes connues de l'univers : matière visible (baryonique), matière sombre et énergie sombre. Document NASA/GSFC (2016) adapté par l'auteur.

Dans ce domaine nous savons essentiellement trois choses : que sa contribution vaut pour 73% de la densité critique; que sa pression est négative d'environ -ρ/2; et qu'elle ne s'agglomère pas (sinon elle aurait contribué aux estimations de la densité de matière). Ainsi que nous l'avons évoqué, la solution la plus simple suggère qu'il s'agit de l'énergie associée aux particules virtuelles qui remplissent le vide quantique et dont l'existence a été confirmée par de nombreuses expériences; dans ce cas p = -ρ et l'énergie sombre est uniformément répartie tant spatialement que temporellement.

Mais cette simple interprétation présente quelques problèmes. Einstein inventa la constante cosmologique pour rendre son modèle d'univers statique et le rejeta ensuite. Or, nous savons aujourd'hui que ce concept n'est pas une option mais correspond à une réalité : l'énergie associée au vide. Toutefois, il n'existe aucun calcul précis de cette énergie, et tant ceux de Y.Zel'dovitch, S.Bludman et M.Ruderman ou de S.Weinberg oscillent entre 10122 et 1055 fois la densité critique. Certains physiciens pensent que le jour où nous comprendrons vraiment le problème, on découvrira que la réponse est zéro !

Attirés par l'idée que les cosmologistes auraient pesé le vide (!), les physiciens théoriciens tels Jeffrey A. Harvey et Raman Sundrum se sont à nouveau penchés sur la question en 1997 et 1998. La suggestion de Sundrum, considérant que l'énergie du vide est proche de la densité critique parce que le graviton est une particule composite d'une dimension d'environ 1 cm, indique combien une constante cosmologique peut avoir de profondes conséquences en physique fondamentale.

Pour éliminer ces problèmes liés à la constante cosmologique, des théoriciens ont exploré d'autres possibilités, recherchant une composante diffuse de l'énergie sombre. En 1982, Turner et Wilczek ont suggéré que même si l'énergie du vrai vide est nulle, étant donné que l'Univers primordial s'est refroidi en passant par une succession de phases de transitions, il pourrait être parvenu dans une phase de vide métastable présentant une énergie du vide non nulle. Dans le contexte de la théorie des cordes, où il existe un très grand nombre de faux vides à forte concentration d'énergie, cela devient une idée très intéressante : il est possible que la dégénération des états de vide ait été brisée par de très petits effets, si petits qu'ils ne nous ont pas conduit dans un état de plus basse énergie quantique durant l'époque primordiale.

Simulation d'un univers primordial rempli de cordes cosmiques à l'échelle cosmologique. Au fil du temps, les boucles des cordes en vibrations se seraient évaporées en émettant des ondes gravitationnelles. Elles auraient survécu jusqu'à l'ère dominée par la matière. Document via VIRGO.

En 1984, Alexander Vilenkin suggéra l'existence d'un réseau emmêlé de cordes cosmiques très légères générées durant la phase de transition électrofaible; des réseaux constitués d'autres défauts topologiques (par exemple des "murs", ces entités à deux dimensions spatiales qui délimitent les différentes "bulles d'univers", etc) sont également possibles ainsi que nous l'avons évoqué à propos des problèmes du modèle cosmologique Standard.

En général, l'équation d'état de ces défauts topologiques est caractérisée par w = -N/3 où N est la dimension spatiale du défaut (rappelons que N=1 pour les cordes, 2 pour les murs, 3 pour les monopôles, etc). Les données des SNe Ia excluent pratiquement les cordes, mais permettent encore l'existence des murs prédits par les théories inflationnaires.

Une solution alternative qui reçut une certaine attention est l'idée d'une "décroissance" de la constante cosmologique, un terme forgé par le cosmologiste soviétique Matvei Petrovitch Bronstein en 1933; une idée plutôt bizarre quand on pense que les cosmologistes recherchent tous les moyens pour rendre le vide quantique dynamique à partir d'un champ scalaire.

L'idée de base est de considérer que l'énergie du vrai vide est nulle, mais que tous les champs n'ont pas évolué vers leur état d'énergie minimum. C'est un état différent d'un vide métastable qui présente un potentiel minimum local et est qualifié classiquement de stable. Ici, le champ est classiquement instable et ondule ou glisse vers son état de moindre énergie.

Notons que deux critères de cette "mini-inflation" ou scénario du champ scalaire ondulant n'ont aucune conséquences. Le premier, l'équation d'état peut prendre n'importe quelle valeur entre -1 < w < 1. Le second, w peut varier au cours du temps. Ce sont ces deux facteurs qui pourraient permettre de distinguer ce champ parmi les autres possibilités. En fait, selon Huterer et Turner, il y a quelques espoirs que les supernovae de Type Ia répondent à ces critères et permettent en fin de compte de reconstruire le potentiel du champ scalaire.

Ce scénario d'une mini-inflation est intéressant et a été étudié depuis 1987 mais il n'est pas sans défauts. Tout d'abord, on assume que l'énergie de l'état de vrai vide (Φ au minimum de son potentiel) est nulle; elle ne répond donc pas au problème de la constante cosmologique. Ensuite, ainsi que Sean M. Carroll le démontra en 1998, le champ scalaire est infiniment léger et peut donc véhiculer des interactions à longue portée, ce qui entraîne de sévères contraintes sur ses propriétés. Enfin, à l'exception éventuelle du modèle de Joshua A. Frieman et al., aucun des modèles du champ scalaire n'explique comment le potentiel s'ajuste à tout l'arsenal de l'Univers et pourquoi il est si léger (m ~10-33 eV).

Le modèle cosmologique ΛCDM

Dans l'Univers primordial, c'est-à-dire antérieur à 10-35 s après le Big Bang, le modèle cosmologique Standard n'accepte pas d'autres structures mathématiques que les équations de champ de la relativité générale ni d'autres particules élémentaires que les quarks et les électrons. Il ne répond donc que partiellement à l'unification des forces développée dans les théories de Grande Unification (GUT et autre TOE).

Le modèle cosmologique Standard a donc été affiné pour étudier ce qui s'est passé au commencement de l'Univers, c'est-à-dire si possible (et s'il existe) jusqu'au temps "0", notamment grâce au modèle ΛCDM (le modèle de la matière froide et sombre) qui impose plusieurs conditions :

- l'Univers est une solution particulière des équations de la gravité de la théorie de la relativité générale

- l'Univers est homogène à grande échelle et est en expansion

- l'Univers connut une période d'expansion exponentielle appelée l'inflation qui s'arrêta 10-35 s après le Big Bang

- les fluctuations quantiques sont à l'origine de la distribution de la matière à grande échelle observée aujourd'hui.

Les deux dernières conditions sont spécifiques à cette théorie et sont pour le moins exotiques dans la mesure où elles sortent des phénomènes habituels et palpables.

A gauche, simulation de l'agglomération des galaxies autour des noeuds de filaments de matière sombre et froide réalisée par les superordinateurs de l'Institut Kavli d'astrophysique des particules et de cosmologie de l'Université Stanford. A droite, iIllustration du regroupement des galaxies en amas provoqué par les oscillations baryoniques acoustiques (BAO, Cf. la mission Planck), ou la probabilité de trouver une galaxie à une certaine distance d'une autre galaxie est régie par la relation entre la matière sombre et la matière ordinaire. À mesure que l'Univers s'étend, cette distance caractéristique augmente également, ce qui permet de mesurer la constante de Hubble. Documents  KIPAC et Zosia Rostomiand.

Mais comme nous le savons en science, ce n'est pas parce qu'on ne voit pas quelque chose, qu'il n'existe pas. À partir de là, les physiciens ont dû faire des suppositions et émettre des hypothèses de travail, que d'autres ont cherché à invalider, certains pour de bonnes raisons, d'autres tout simplement parce qu'ils ne la comprenaient pas et ne voyaient pas l'intérêt d'inventer une physique a priori exotique qui semblait impossible à vérifier.

Mais on peut dire que depuis les travaux d'Andrei Linde en 1974 notamment, ce modèle inflationnaire a reçu du galon suite aux premières découvertes de COBE et est aujourd'hui supporté par la majorité des cosmologistes. Cerise sur le gâteau, les résultats de Planck confirment tout à fait ce modèle.

Ainsi, à partir des données du satellite Planck et en les comparant aux modèles et aidés par des superordinateurs vectoriels simulant ces processus, les scientifiques sont aujourd'hui en mesure de proposer une recette, une configuration physique de l'Univers qui permet de reproduire avec une très haute précision la distribution du rayonnement cosmologique qu'observa Planck. Toutefois, aux époques plus récentes, Planck prédit une densité d'amas 2.5 fois plus importante que ce que les astronomes observent, ce qui sous-entend que la théorie doit être affinée.

En guise de conclusion

Depuis 1998, les astrophysiciens et les cosmologistes disposent d'un recensement plausible et complet de toute les formes de matière et d'énergie qui existent dans l'Univers. Le modèle ΛCDM explique la formation des grandes structures cosmiques et est compatible avec les données réunies à ce jour. Quant à Planck, il nous a donné la première preuve tangible en faveur de l'inflation (univers plat et perturbations de densité adiabatiques).

Ces faits conduisent les cosmologistes conservateurs à prétendre que nous sommes parvenus à un point tournant de la cosmologie, aussi important que la découverte du rayonnement cosmologique en 1965 par Penzias et Wilson.

Bien sûr il reste d'importantes questions à résoudre : comment s'est formée la matière sombre ? Comment évolue-t-elle ? Que sont les baryons sombres ? Quelle est la nature de l'énergie sombre ? Comment expliquer que matière et énergie se répartissent en 4.8% de baryons, 0.5% de neutrinos, 25.8% de CDM et 69.4% d'énergie sombre ? Plus subtil encore est le rapport de la matière sombre sur l'énergie sombre : du fait qu'elles évoluent différemment au cours du temps, ce rapport était très élevé par le passé et deviendra très faible dans le futur; il n'y a qu'aujourd'hui qu'ils sont comparables. Pourquoi maintenant ?

Malheureusement, la réponse n'est pas écrite dans les livres traitant de la matière et de l'énergie sombre que les auteurs sont bien en peine de décrire.

A gauche, illustration du satellite Planck. A droite, illustration du télescope Euclid de 1.20 m de l'ESA lancé le 1er juillet 2023 et placé sur le point L2 de Lagrange. Il est dédié à l'étude de la matière et l'énergie sombres. Documents ESA/T.Lombry et ESA/C.Carreau,T.Lombry.

Pour résoudre ces questions énigmatiques, les missions spatiales comme celle de Planck (désorbité en 2013) et ses successeurs, le nouveau télescope spatial Euclid de l'ESA de 1.2 m de diamètre lancé le 1er juillet 2023 avec l'aide de SpaceX ainsi que les expériences tant cosmologiques que physiques sont très utiles, en particulier les études des grands redshifts (SDSS, 2dF, etc). Il faut y ajouter les données des supernovae, les expériences visant à détecter directement des axions et des neutralinos dans le halo, les données sur le microlensing (MACHO, EORSII, OGLE, AGAPE, superMACHO), les expériences nucléaires du CERN à la recherche du neutralino et de ses confrères supersymétriques ainsi que la mesure de la masse du neutrino, les études KEK et SLAC-B révélant de nouvelles données sur la nature de la violation CP et enfin les expériences hors accélérateur de particules qui nous apporteront un peu plus de lumière sur la masse du neutrino, sur les particules de matière sombre, sur les nouvelles forces ainsi que sur la nature de la gravité.

Pour paraphraser les paroles d'un homme célèbre, nous vivons à une époque formidable de la cosmologie !

Pour plus d'informations

Sur ce site

Les découvertes récentes en astrophysique et en cosmologie

La structure de l'Univers

Les problèmes du modèle Standard

Les missions COBE, WMAP et Planck

Vidéos

Énergie noire et modèles d'univers (présentation), F.Combes, Collège de France

Les simulations cosmologiques de matière noire (présentation), F.Combes et al., Collège de France

Le problème de la matière noire : galaxies spirales (présentation), F.Combes et al., Collège de France

Sur Internet

Euclid, ESA

La matière noire, Richard Taillet, LAPTH

Cours de Cosmologie, SAF/IAP

Edelweiss, Expérience de détection directe de WIMPs, CNRS

WIMPS versus MACHOS, D.Bennett, U.Notre Dame

Cours de Cosmologie (PDF, niveau Master), F.-X. Désert, Obs. Grenoble, 2004

Cours d'astronomie et de cosmologie (PDF, niveau Master), F.Combes, Obs.de Paris-Meudon, 1983

Cosmology Tutorial (partiellement en français), Ned Wright, UCLA, 2015

The evidence for dark matter in galaxies, Michael Richmond, RIT

Historical Introduction to ΛCDM, Joel Primack, U.Californie UCSC, 2013

Standard Cosmology (support de cours)

Dark Energy (extrait de Discover)

Dark Energy Dominates the Universe, Kilbinger et M.Hetterscheidt, 2003

Sources and Detection of Dark Matter and Dark Energy in the Universe, 6th UCLA Symposium, 2004

Dark Matter 2002, 5th UCLA Symposium

Dark Matter, Center for Particle Astrophysics

Dark Matter and Large Scale Structure, Joel Primack, SLAC

Cosmos in fast forward, simulations, U.Illinois

The Dark Matter Universe, U.Oregon

UK Dark Matter Collaboration

Cosmological Dark Matter: An Overview, Alex Markowitz, UCLA

Project CLEA : The large scale structure of the universe, U.Gettysburg

DEEP project, Obs.Lick

Articles

Un peu de lumière sur la matière noire (PDF), Françoise Combes, 2007

Dark Energy: Just What Theorists Ordered, Michael S. Turner, Physics Today, April 2003

Dark Matter, Yorck Ramachers, Europhysics News, Vol.32, No.6, 2001

The Cosmic Triangle: Revealing the State of the Universe, N.Bahcall/J.Ostriker/S.Perlmutter/P.Steinhardt, Science, 28 May 1999 (ArXiv)

Dark Matter and Energy in the Universe, Michael S. Turner, Astronomy and Astrophysics, 10 Jan 1999

CDM Cosmology with hydrodynamics, Renyue Cen/Jeremiah P. Ostriker, ApJ 417, p415, 1993.

Quelques livres (cf. détails dans ma bibliothèque dont la rubique Cosmologie)

Niveau vulgarisation

Le Futur du cosmos: Matière noire et énergie, Joseph Silk, Odile Jacob, 2015

La matière noire. Clé de l'Univers ?, Françoise Combes, Vuibert, 2015

Le mystère de la matière noire, Gianfranco Bertone, Dunod, 2014

Matière sombre et énergie noire, Alain Bouquet et Emmanuel Monnier, Dunod, 2008

Matière noire et autres cachotteries de l'Univers, Alain Bouquet et al., Dunod, 2003

Niveau avancé ou universitaire

Dark Matter. Theories on its Origin & Substance, Paul F. Kisak, CreateSpace Independent Publishing Platform, 2015

The Dark Matter Problem: A Historical Perspective, Robert H. Sanders, Cambridge University Press, 2014

Cosmologie. Des fondements théoriques aux observations, Francis Bernardeau, EDP Sciences, 2007

Dark Matter In The Universe, John Bahcall, Tsvi Piran, Steven Weinberg, World Scientific Publishing Co Pte Ltd, 2004

The Third Stromlo Symposium, No. 165: The Galactic Halo, Astronomical Society of the Pacific, 1999.

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