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La diversité des étoiles

Les éléments plus lourds que le fer sont notamment formés au cours de la fusion de deux étoiles à neutrons grâce au processus r. Document ESO, L.Calçada, M.Kornmesser adapté par l'auteur.

Les sources de processus r (VII)

Cela fait des décennies que les physiciens et les astrophysiciens s'interrogent sur l'origine des éléments lourds qu'on détecte dans l'univers (dans l'atmosphère des étoiles, dans le milieu interstellaire et dans beaucoup de galaxies naines), notamment les actinides (numéros atomiques 89 à 109) qu'on retrouve dans le système solaire et 95% de tout l'or existant sur la Terre et de façon générale tous les éléments d'une masse atomique A > 260 (Z > 102) avant leur fission (pour rappel l'élément chimique le plus lourd et le dernier découvert à ce jour est l'oganesson-118 (Z = 118, A = 294). Il s'agit d'un élément de synthèse, radioactif et instable).

On sait aujourd'hui que les éléments lourds furent créés dans les étoiles lorsque les nucléons ont capturé des neutrons. Dans la plupart des vieilles étoiles ce processus nucléaire s'est déroulé rapidement, d'où sous nom de "processus r" où "r" signifie rapide.

Si les astrophysiciens savent que le processus r existe, les conditions extrêmes dans lesquelles il se produit sont mal connues à quelques exceptions près que nous allons décrire. Les astrophysiciens ignorent encore exactement quel type d'étoile ou phénomène astrophysique produit cette réaction. En effet, des éléments lourds se forment dans le coeur des étoiles massives évoluées mais ils se sont formés trop tôt pour que les étoiles à neutrons ou les supernovae résultantes aient eu le temps de les recycler et les alourdir par nucléosynthèse et décroissances successives. On a ainsi découvert qu'un mécanisme supplémentaire de fission-fusion d'éléments lourds intervient dans certaines vieilles étoiles.

La fission-fusion en complément

Si le processus r se produit dans des environnements riches en neutrons tels que les fusions d'étoiles à neutrons ou certains types de supernovae et est capable de créer de nombreux éléments chimiques plus lourds que l'uranium (noyaux transuraniens), les détails sont mal compris car ils sont inaccessibles aux expériences. Résultat, comme le dit Ian U. Roederer de l'Université du Michigan qui étudie le sujet depuis des années, "Nous n'avons pas une bonne idée du nombre de types différents de sites dans l'univers qui peuvent générer le processus r, nous ne savons pas comment se termine le processus r et nous ne pouvons pas répondre à des questions telles que combien de neutrons peut-on ajouter ? Ou, quel peut être le poids d'un élément ?" Les chercheurs doivent donc extrapoler ces détails à l'aide de modèles de nucléosynthèse qui seront ensuite confrontés aux (rares) données observationnelles.

Dans un article publié dans la revue "Science" en 2023, Ian U. Roederer de l'Université du Michigan et ses collègues ont analysé les abondances d'éléments du processus r détectés dans un échantillon de 42 étoiles de la Voie Lactée enrichies en éléments du processus r. Ils ont constaté que les abondances du ruthénium, du rhodium, du palladium et de l'argent (numéros atomiques Z = 44 à 47, masse atomique A = 99 à 110) sont en corrélation avec celles des éléments plus lourds (63 ≤ Z ≤ 78, A > 150). Mais il n'y a pas de corrélation pour les éléments voisins (34 ≤ Z ≤ 42 et 48 ≤ Z ≤ 62).

Selon les auteurs, "c'est une preuve que les fragments de fission des noyaux transuraniens contribuent aux abondances. Nos résultats indiquent que des noyaux riches en neutrons avec une masse atomique > 260 sont produits lors d'évènements de processus r" (pour rappel, A > 260 g/mol concerne des éléments au moins aussi lourds que le lawrencium-103). Roederer et ses collègues ont donc examiné les éléments chimiques qui pourraient être produits par fission dans certaines vieilles étoiles afin de savoir s'ils permettaient de répondre à certaines des questions précitées.

A gauche, illustration artistique d'une collision entre deux noyaux lourds. A droite, fusion (merge) de deux étoiles à neutrons au cours de laquelle seront synthétisés les éléments les plus lourds du tableau périodique grâce au processus r de capture rapide des neutrons. La collision libère des neutrons que les noyaux radioactifs vont rapidement capturés. La capture de neutrons est suivie par la désintégration radioactive qui produit des éléments plus lourds. On estime que ces deux réactions se produisent en seulement une seconde. Documents T.Lombry et Matthew Mumpwer/LANL.

Les chercheurs ont analysé les quantités d'éléments lourds dans 42 étoiles bien étudiées de la Voie Lactée. On sait que ces étoiles contenaient des éléments lourds formés par le processus r par les générations précédentes d'étoiles. En adoptant une vision plus large des quantités de chaque élément lourd trouvées collectivement dans ces étoiles plutôt qu'individuellement comme on le fait habituellement, ils ont identifié des modèles jusqu'alors méconnus. Ces modèles indiquent que certains éléments répertoriés vers le milieu du tableau périodique, comme le rhodium (Rh, Z = 45, A = 102.9) et l'argent (Ag, Z = 47, A = 107.9), étaient probablement les restes de la fission d'éléments très lourds. Les chercheurs ont pu déterminer que le processus r peut produire des atomes d'une masse atomique d'au moins 260 avant leur fission (par exemple du lawrencium-103).

Selon Roederer, "Ce 260 est intéressant car nous n'avons jamais détecté quoi que ce soit d'aussi lourd dans l'espace ou naturellement sur Terre, même lors d'essais d'armes nucléaire. Mais les voir dans l'espace nous donne des indications sur la manière de réfléchir aux modèles et à la fission et pourrait nous donner un aperçu de la façon dont la riche diversité d'éléments est née."

Roederer et ses collègues ont identifié des abondances excessives corrélées de certains éléments dans certaines étoiles, concordant avec le fait que ces éléments sont des produits de fission d'éléments encore plus lourds. Ces résultats indiquent que certains évènements du processus r nécessitent une réaction de fission-fusion pour alourdir les éléments plus lourds que l'uranium, qui se désintègrent ensuite en éléments détectés dans les étoiles.

Si dans le coeur du Soleil le délai entre deux captures de neutrons est inférieur à 100 secondes, lors de la fusion (merge) de deux étoile à neutrons, on estime que l'ensemble du processus de capture de neutrons et de désintégration radioactive se déroule en une seulement 1 seconde.

Pour identifier les éléments les plus lourds que le fer dans l'univers, les astrophysiciens doivent obtenir des spectres d'étoiles en les sélectionnant parmi les plus vieilles enrichies en éléments produits au cours du processus r. Pas besoin de chercher très loin car ces étoiles résident à quelques milliers d'années-lumière, dans la Voie Lactée. Quelques phénomènes extragalactiques explosifs confirment également la formation de ces éléments lourds. Voici quelques exemples qui prouvent que cette réaction a bien lieu dans les étoiles.

Éléments du processus r dans l'étoile HD 222925

A ce jour, la seule étoile dans laquelle des éléments issus du processus r ont clairement été identifiés est HD 222925, une étoile de magnitude 9 située à ~1460 années-lumière dans la constellation du Toucan (Tucana).

HD 222925 est une étoile géante rouge de classe spectrale F8. Ágée de 8.2 milliards d'années, elle est parvenue à un stade où elle transforme les cendres d'hélium de son noyau en carbone. Elle évolue sur la Bande Horizontale (HB), c'est-à-dire le stade évolutif qui suit la Branche des Géantes Rouges (RGB). Sa masse est de 0.75 M pour 6 R, 43 L et une température effective de 5636 K.

Grâce au spectrographe du Télescope Spatial Hubble et des données optiques antérieures, Ian U. Roederer de l'Université du Michigan et ses collègues dont Anna Frebel spécialiste des étoiles âgées ont analysé le spectre de HD 222925 et ont identifié 404 raies d'absorption dans la partie ultraviolette correspondant à 72 éléments chimiques allant de l'hydrogène à l'uranium. Il faut y ajouter 11 éléments découverts dans la partie proche infrarouge de son spectre (cf. C.Navarrete et al. (2015). Au total, 83 éléments chimiques sont présents dans l'atmosphère de cette étoile.

Cette étoile affiche une faible métallicité [Fe/H] = -1.46 ±0.10 dex mais paradoxalement son atmosphère est enrichie en éléments lourds qui peuvent uniquement être produits par le processus r. Cette étoile appartient donc également au type chimique Ap (surabondance en métaux).

A gauche, les longueurs d'ondes des raies qui ont été détectées et utilisées pour dériver les abondances dans l'étoile HD 222925. Chaque point représente une raie d'absorption. A droite, le tableau périodique de Mendeleïev montrant les éléments chimiques examinés dans HD 222925 par les auteurs. Les éléments sans isotopes à longue durée de vie sont indiqués en gris. Ils ont déjà été détectés dans des spectres proche infrarouge par C.Navarrete et al. (2015). Documents I.U. Roederer et al. (2022) adaptés par l'auteur.

L'atmosphère de HD 222925 contient 63 métaux et 7 autres de façon marginale. Elle comprend notamment 42 éléments entre 31 ≤ Z ≤ 90 issus du process r, y compris des éléments rarement détectés dans un processus r stellaire comme des métalloïdes (Ge, As, Sb, Te), des non-métaux (S, Se), des métaux pauvres (Ga, Cd, In, Sn, Pb), des métaux de transition (Ag, W, Re, Os, Ir, Pt, et Au), des actinides (Th, U), etc.

Selon les chercheurs, la fraction de lanthanides log(X_La) = 1.39 ±0.09 est typique des étoiles "améliorées" par le processus r et supérieure à celle de la kilonova de l'évènement GW170817 qui résulte de la fusion de deux étoiles à neutrons (voir plus bas). C'est la première fois qu'on identifie une étoile aussi riche en éléments issus du processus r (cf. I.U. Roederer et al., 2018; I.U. Roederer et al., 2022).

Le fait de contenir ces éléments lourds ne veut pas dire que HD 222925 les a tous synthétisés. Si beaucoup d'éléments ont été produits grâce à la nucléosynthèse (cf. les chaînes pp, le cycle CNO, la réaction triple alpha, les processus s et r, etc), ces  métaux préexistaient également dans le nuage de gaz et de poussière à partir duquel se forma cette étoile il y a plus de 8 milliards d'années. Ces poussières d'éléments lourds proviennent probablement d'une supernova qui les dispersa dans l'espace.

Si le cas de HD 222925 est unique à ce jour mais prouve que le processus r se produit dans les étoiles évoluées, voyons quelles sont les autres sources possibles de processus r.

Les supernovae

On a longtemps pensé que le processus r était favorisé dans les supernovae car on n'imaginait pas d'autres étoiles ou évènements astrophysiques capables de produire des réactions nucléaires aussi violentes et des éléments aussi lourds. Mais au cours des dernières décennies de nouvelles données observationnelles ont fini par apporter les preuves que plusieurs autres phénomènes astronomiques pouvaient également former ces éléments par le processus r.

Selon le physicien nucléaire Anton Wallner du centre Helmholtz-Zentrum Dresden-Rossendorf (HZDR) et de l'Université Nationale Australienne (ANU) de Canberra et ses collègues, les supernovae ne peuvent pas expliquer la quantité d'éléments lourds qu'on trouve dans notre banlieue galactique. Cela signifie que d'autres évènements cosmiques y ont majoritairement contribués, notamment la fusion de deux étoiles à neutrons ou certaines supernovae atypiques associées aux GRBs et aux collapsars (cf. A.Wallner et al., 2021).

Echantillon de la croûte océanique contenant quelques atomes de Pu-244 et de Fe-60. Document A.Wallner et al. (2021).

Si un évènement impliquant un processus r s'était récemment produit à proximité du Soleil, certains parmi ces éléments se retrouveraient aujourd'hui dans la croûte terrestre. Wallner et ses collègues ont donc décidé de partir à leur recherche. Ils ont extrait du fond de l'océan Pacifique un échantillon de 410 g de croûte terrestre présenté à gauche et recherché des traces de processus r, notamment des radionucléides de plutonium-244 (Pu-244).

Grâce au spectromètre de masse par accélérateur du HZDR, un accélérateur d'ions qui permet de mesurer de très faibles teneurs d'éléments, les chercheurs ont pu identifier 180 atomes de plutonium-244 qui se sont déposés dans la croûte terrestre au cours des 9 derniers millions d'années.

Les chercheurs ont ensuite comparé l'abondance du plutonium-244 à celle d'atomes de fer-60 dont la source est connue. Ce fer provient des supernovae de Type II, mais il s'est formé par des réactions de nucléosynthèse dans le coeur d'une étoile et non dans le cadre du processus r. Ils ont découvert 415 atomes de fer-60.

Le plutonium-244 présente une demi-vie de 80.6 millions d'années et celle du fer-60 est de 2.6 millions d'années. Ces deux éléments n'auraient donc pas pu être présents lors de la formation de la Terre, il y a 4.6 milliards d'années. Cela implique que leur source est un évènement relativement récent.

Aux cours de leurs analyses, les chercheurs ont calculé depuis combien de temps ces éléments avaient été déposés et découvrirent deux pics à ~ 2.5 millions et ~6.5 millions d'années, suggérant qu'au moins deux supernovae avaient récemment explosé à proximité de la Terre.

Mais les scientifiques ne peuvent pas affirmer que le plutonium provient également de ces supernovae. Si c'était le cas, la quantité de plutonium produite dans ces supernovae serait trop faible pour expliquer l'abondance des éléments lourds mesurée dans notre voisinage galactique. Cela suggère que les supernovae ne peuvent pas être la principale source d'éléments lourds, du moins à proximité du Soleil. Cela signifie que d'autres sources de processus r sont toujours nécessaires. Les fusions de deux étoiles à neutrons sont les candidates idéales.

Les fusions d'étoiles à neutrons

Des expériences conduites par la Collaboration HADES dans l'accélérateur d'ions lourds du GSI installé à Darmstadt ont permis de simuler les conditions de la fusion d'étoiles à neutrons (cf. GW170817 plus bas). La reconstruction du rayonnement thermique donne une température de 800 milliards de degrés Celsius. C'est un niveau d'énergie permettant aisément la fusion des noyaux lourds (cf. Collaboration HADES, 2019).

En 2019, l'équipe de Imré Bartos de l'Université de Floride découvrit dans des météorites remontant à l'époque du système solaire primordial des isotopes radioactifs d'actinides prouvant qu'ils furent créés grâce au processus r. En calculant le taux de désintégration de ces isotopes et en les comparant à des simulations de la Voie Lactée, les chercheurs ont pu déterminer qu'ils furent créés au cours de la fusion de deux étoiles à neutrons situées à environ 1000 années-lumière de la nébuleuse protosolaire survenue quelque 80 millions d'années avant la formation du système solaire et 100 millions d'années avant la formation de la Terre.

Selon leurs calculs, le processus r serait probablement à l'origine de 0.3% des éléments les plus lourds existants sur Terre et notamment de l'or, du platine et de l'uranium, confirmant par une autre méthode les chiffres publiés en 2017 (cf. I.Bartos et al., 2019).

Précisons qu'une alliance de mariage en or qui exprime une connexion humaine profonde symbolise également notre connexion avec notre origine cosmique remontant avant l'émergence de l'humanité et même avant la formation de la Terre, à savoir que ce bijou contient environ 10 mg d'or qui furent créés il y a 4.6 milliards d’années...

Les processus r se produisent également dans les galaxies naines (cf. Meeting de l'AAS 2018) mais sur une échelle de temps plus longue, c'est-à-dire que les éléments lourds qu'on y détecte se sont formés plus récemment dans l'histoire de l'univers. C'est ce retard dans la production des éléments lourds qui permit d'affirmer que les fusions d'étoiles à neutrons est l'une des deux principales sources de ces éléments.

La kilonova

Après la supernova et la fusion de deux étoiles à neutrons, la troisième source d'éléments lourds et stables produits par le processus r est la kilonova (cf. GRB 130603B et GRB 211106A) ou hypernova qui présente à la fois les caractéristiques d'une supernova ou d'une nova et celles d'une étoile compacte (cf. N.Tanvir et al., 2013). Proportionnellement, c'est peut-être la source la plus importante.

La kilonova est surnommée la "supernova à processus r". Une kilonova peur se former de différentes manières. La plus commune est un astre qui devient soudainement aussi brillant que 1000 novae soit 1/10e à 1/100e de la luminosité d'une supernova (cf. GRB 130603B). Une autre manière est la fusion de deux étoiles à neutrons (cf. GRB 211106A). L'explosion produit non seulement des éléments lourds mais elle les désintègre également en produisant un intense flux de rayonnements, de particules et des ondes gravitationnelles. Cette explosion est accompagnée de rayons gamma, les émissions les plus énergétiques de l'univers. Elles ne peuvent donc être émises que dans des circonstances particulières liées à des conditions extrêmes que les astrophysiciens commencent seulement à comprendre.

De façon générale, on regroupe les phases d'implosion gravitationnelle d'astres massifs (ou binaires) en rotation rapide sous le nom de "collapsar". Dans une étude publiée dans la revue "Nature" en 2019, l'équipe du physicien théoricien Daniel M. Siegel de l'Université de Columbia a estimé que "80% des éléments lourds existant dans l'univers furent probablement formés par des collapsars lors de l'effondrement d'étoiles massives d'au moins 30 M."

CPD-29 2176 : une HMXB progénitrice d'une kilonova

Pour la première fois, en 2023 des astronomes utilisant les données du télescope SMARTS de 1.5 m du CTIO installé Chili ont détecté avec certitude un système stellaire qui formera un jour une kilonova (cf. N.D. Richardson et al., 2023).

Ce système inhabituel catalogué CPD-29 2176 ou SGR 0755-2933 est situé dans le Grand Chien à environ 11400 années-lumière du Soleil. Il fut découvert en 2016 par l'observatoire spatial Neil Gehrels Swift de la NASA suite à une éruption de rayons X qu'on supposait à l'époque provenir d'un SGR (Soft Gamma Repeater) pouvant être un magnétar (cf. S.D. Barthelmy et al., 2016; R.F. Archibald et al., 2016). Des observations ultérieures avec le télescope SMARTS ont permis aux astronomes de caractériser cette source qui s'avère être une HMXB (High-Mass X-ray Binary), un système binaire X massif composé d'une étoile à neutrons créée par une supernova ultra-dépouillée et une étoile massive en orbite proche qui va peut-être devenir elle-même une supernova ultra-dépouillée.

Illustration du système binaire HMXB CPD-29 2176. Document NoirLab adapté par l'auteur.

Qu'est-ce qu'une supernova ultra-dépouillée ? Selon NoirLab, il s'agit de "l'explosion en fin de vie d'une étoile massive dont une grande partie de son atmosphère extérieure a été dépouillée par une étoile compagne. Cette classe de supernova n'a pas la force explosive d'une supernova traditionnelle, qui autrement expulserait une étoile compagnon proche du système."

Selon Noel D. Richardson de l'Université aéronautique Embry-Riddle et auteur principal de l'article, "l'étoile à neutrons actuelle devrait se former sans éjecter sa compagne du système. Une supernova ultra-dépouillée est la meilleure explication de la raison pour laquelle ces étoiles compagnes sont sur une orbite si serrée. Pour créer un jour une kilonova, l'autre étoile devrait également exploser en supernova ultra-dépouillée afin que les deux étoiles à neutrons puissent éventuellement entrer en collision et fusionner."

Selon André-Nicolas Chené du NOIRLab et coauteur de cet article, "Ces nouveaux résultats démontrent que, dans au moins certains cas, deux étoiles à neutrons sœurs peuvent fusionner lorsque l'une d'elles a été créée sans explosion d'une supernova classique."

Produire un système aussi étrange est cependant un processus long et peu probable. En effet, selon Chené il existerait un système binaire de ce type dans la Voie Lactée pour dix milliards d'étoiles. Bien que cela reste très faible, c'est dix fois plus que la précédente estimation.

La génération actuelle d'astronomes ni même la suivante n'auront la chance d'observer cet évènement. On estime qu'il faut au moins un million d'années pour que l'étoile massive explose en supernova en laissant derrière elle une étoile à neutrons. Ce nouveau reste stellaire et l'étoile à neutrons préexistante devront alors se rapprocher progressivement dans une étreinte cosmique fatale, perdant lentement leur énergie orbitale sous forme d'ondes gravitationnelles. Lorsqu'elles finiront par fusionner, l'explosion de la kilonova qui en résultera produira des ondes gravitationnelles beaucoup plus puissantes et libérera dans l'espace une grande quantité d'éléments lourds, parmi lesquels l'argent et l'or.

L'évènement GW170817

Le 16 octobre 2017, l'ESO annonça officiellement la découverte de la contrepartie visible d'une source d'ondes gravitationnelles découverte deux mois plus tôt grâce à l'interféromètre LIGO en collaboration avec Virgo et cataloguée GW170817. Moins de 12 heures plus tard, les astronomes avaient identifié la contrepartie optique. La source provenait d'un astre situé dans la galaxie NGC 4993 à environ 130 millions d'années-lumière dans la constellation de l'Hydre. Cette explosion qui secoua l'espace-temps était le résultat de la fusion de deux étoiles à neutrons qui donna naissance à une nouvelle étoile à neutrons hypermassive comme l'ont confirmé les astronomes de la RAS en 2018.

A voir : Fusion de deux étoiles à neutrons, NASA

A gauche, la galaxie lenticulaire NGC 4993 située à environ 130 millions d'années-lumière dans la constellation de l’Hydre. A droite, évolution de la luminosité de la kilonova observée dans cette galaxie entre le 22 et le 27 août 2017. Documents ESO et ESO/ESA/STScI.

Environ 15 heures après l'émission des ondes gravitationnelles, le satellite Swift détecta un flash en UV. Neuf jours plus tard, les satellites Fermi et INTEGRAL détectèrent un flash de rayons gamma d'une luminosité estimée à 9.7x1043 erg/s (un facteur 5 fois inférieur au flash du GRB 090510) qui fut suivi par une forte émission de rayons X détectée par Chandra et NuSTAR.

L'évènement de nature explosive présentait une luminosité 1000 fois supérieure à celle d'une nova classique. Le flash UV correspondait à une perte de masse d'environ 0.03 M sous forme de vent stellaire, typique d'une kilonova bleue comme l'expliquèrent Phil A. Evans de l'Université de Leicester et ses collègues dans la revue "Science" en 2017. La kilonova fut cataloguée AT2017gfo alias SSS17a (cf. D.A. Coulter et al., 2017).

L'analyse spectrale effectuée grâce au NTT et au VLT indiqua la présence de platine, d'uranium et probablement de césium et de tellure parmi d'autres éléments lourds issus des réactions de fusions thermonucléaires. De l'or a même été produit dans une quantité estimée à la masse de la Terre ! C'est la première fois qu'on identifia concrètement l'effet d'un processus r, le faisant enfin sortir des limbes des modèles théoriques.

Nous verrons à propos des ondes gravitationnelles que la fusion des deux étoiles à neutrons donna naissance à un jet bipolaire présentant un effet superluminique; un point chaud s'étant déplacé apparemment de 2 années-lumière en 155 jours, ce qui correspond à une vitesse apparente de 4c. Les nouvelles données de 2022 du Télescope Spatial Hubble combinées à celles du VLBI de 2018 montrent que la vitesse apparente du jet atteignit 7 fois la vitesse de la lumière et une vitesse réelle à la source d'émission de 99.97% de celle de la lumière ! (cf. K.P. Mooley et al., 2022 et NASA).

Les Fast Radio Bursts (FRB)

Les "Fast Radio Bursts", FRB en abrégé, sont des sursauts radios d'une durée de quelques millisecondes émis par des objets du ciel profond dont on ignore la nature et l'origine (à ne pas confondre avec les GRB d'une période bien plus longue). Comme lors de la découverte des pulsars, certains astronomes ont évoqué l'hypothèse d'une émission extraterrestre, mais qui n'a jamais été prouvée.

Un FRB libère en quelques miilisecondes autant d'énergie que le Soleil en un an ! Il s'agit donc d'hyperexplosions brutales probablement associées à des changements de leur champ magnétique. On y reviendra à propos de la polarisation de leur rayonnement (voir plus bas).

Les FRB sont également appelés "sursauts de Lorimer" par référence à l'astronome Duncan R. Lorimer de l'Université de West Virginia, spécialiste des objets compacts (trou noir, étoile à neutrons, pulsar, naine blanche, etc.) qui découvrit avec ses collègues le premier FRB dans le Petit Nuage de Magellan en 2007 et qui fit l'objet d'une publication dans la revue "Science" la même année.

A ce jour, plus de 1000 FRB ont été détectés par les radiotélescopes dont celui de Parkes (64 m de diamètre) en Australie, Arecibo (305 m de diamètre) à Porto Rico, CHIME (un réflecteur cylindrique de 20 m x 100 m travaillant entre 400-800 MHz) installé au Canada, FAST qui découvrit six nouveaux FRB en 2021 dans le cadre du sondage CRAFTS, et une poignée d'autres installations.

La nature des FRB reste inconnue car soit les flashes sont trop rapides soit la source est trop éloignée pour être identifiée.

Sur l'ensemble des FRB connus, 24 sources sont des Répéteurs ou "Repeating FRBs", c'est-à-dire des sources dont l'émission s'est répétée au moins une deuxième fois mais 19 seulement ont été identifiées (cf. E.Fonseca et al., 2020; CHIME/FRB Collaboration et al., 2019).

A gauche, illustration d'un FRB. A droite, le système d'antennes CHIME installé au Canada assure une veille permanente des sursauts radioélectriques, en particulier des sources FRB. Le système se compose de 4 réflecteurs hémisphériques de 20 m x 100 m fonctionnant entre 400-800 MHz avec une résolution de 0.39 MHz. Il peut traiter 2048 signaux simultanément. Documents Pitris/Dreamstime et André Renard, Dunlap Institute/U.Torotnto/CHIME.

On a longtemps cru que les FRB étaient situés dans la Galaxie jusqu'à ce qu'on localise certaines sources dans des galaxies situées à plusieurs milliards d'années-lumière. Ainsi en 2016, Evan Keane de l'organisation SKA (Square Kilometre Array) et son équipe sont parvenus à associer une source FRB avec une galaxie elliptique située à environ 6 milliards d'années-lumière dans la constellation du Grand Chien. Un FRB Répéteur a également été découvert en 2018 dans la galaxie spirale M81 (FRB 20200120E, cf. M. Bhardwaj et al., 2021) située à ~12 millions d'années-lumière et en 2020 dans la galaxie starburst NGC 3252 située à ~65 millions d'années-lumière (FRB 20181030A, cf. M. Bhardwaj et al., 2021).

Le record de distance est détenu par FRB 20220610A dont la source est localisée dans une galaxie située z ~ 1.016 soit 7.88 milliards d'années-lumière (cf. S.Ryder et al., 2023). Ce FRB est 100000 fois plus lumineux que FRB 20200428 émit par le magnétar SGR 1935+2154 découvert dans la Voie Lactée en avril 2020 (cf. CHIME/FRB Collaboration, 2020, voir plus bas). L'origine d'un rayonnement aussi intense ne s'explique pas, ce qui veut dire que les modèles actuels des FRB et peut-être ceux des magnétars doivent être modifiés et affinés pour tenir compte de ces évènements extrêmes.

Les sursauts en rafale de FRB 121102

FRB 121102 fut découvert en 2014 par l'astrophysicienne américaine Laura Spitler dans les données d'Arecibo enregistrées en 2012. En 2017, sur base d'études par interférométrie, plusieurs équipes de chercheurs dont celle du doctorant Mitsuru Kokubo de l'Université de Tokyo et ses collègues, l'équipe dirigée par le radioastronome Cees G. Bassa du NIRA et celle de l'astrophysicien Shami Chatterjee de l'Université de Cornell ont déterminé que FRB 121102 est une source compacte d'une taille inférieure à 1.7 mas. Elle coïncide avec une radiosource (QRS121102) très faible de 180 μJy qui émet également dans le spectre visible à la magnitude apparente de +25. C'est la premières source FRB associée à un objet visible.

La source FRB 121102 située dans une galaxie naine située à 2.4 milliards d'années-lumière. Voir aussi la vidéo MP4 sur le site Gemini Obs. Document Gemini Observatory/AURA/NFS/NRC adapté par l'auteur.

FRB 121102 se trouve dans une galaxie naine pauvre en métaux située à z = 0.193 soit 2.4 milliards d'années-lumière dans la constellation du Cocher. Elle est associée à une gigantesque nurserie d'étoiles pouvant contenir des étoiles à neutrons ou des magnétars qui se trouve à 6200 années-lumière du centre de cette galaxie qui mesure 20000 années-lumière de diamètre.

Sur l'ensemble des FRB, seul FRB 121102 a présenté plus d'une centaine de sursauts radio depuis 2012 à une cadence variable. FRB 121102 suit une période d'activité d'environ 157 jours : il est actif durant ~90 jours puis reste silencieux durant ~67 jours (cf. K M. Rajwade et al., 2020).

En 2018, la source présenta 93 sursauts en l'espace de 5 heures dont 45 pulses durant les 30 premières minutes (cf. Y.G.Zhang et al., 2018) dont les périodes s'échelonnaient entre 0.03 ms et 2 ms. Entre le 29 août et le 29 octobre 2019, elle présenta 1652 sursauts sur une période de 59.5 heures réparties sur 47 jours. Durant cette période, jusqu'à 122 sursauts par heure furent détectés; c'est le taux le plus élevé jamais enregistré pour une source FRB (cf. D.Li et al., 2021).

On reviendra sur FRB 121102 à propos de la dépolarisation de son rayonnement (voir plus bas).

Dans un article publié dans la revue "Nature" en 2018, Daniele Michilli de l'Université d'Amsterdam et ses collègues ont suggéré que FRB 121102 est un petit objet d'une douzaine de kilomètres de diamètre, la taille typique d'une étoile à neutrons. Elle serait plongée dans le champ magnétique intense du disque d'accrétion (chargé électriquement) d'un trou noir massif d'au moins 10000 M situé à proximité.

Imaginer qu'un si petit objet soit visible à plusieurs milliards d'années-lumière paraît invraisemblable. En fait, étant donné sa distance FRB 121102 brille principalement en dehors du spectre visible par son émission non thermique.

Certains chercheurs ont suggéré qu'il s'agit d'une étoile à neutrons car des astronomes du NRAO ont déjà découvert une telle configuration en 2013. Comme illustré ci-dessous à gauche, à environ 0.5 année-lumière du trou noir supermassif Sgr A* situé au coeur de la Voie Lacté gravite un magnétar, c'est-à-dire un pulsar fortement magnétisé, catalogué PSR J1745-2900. Dans une étude publiée en 2015, Jonathan I. Katz suggéra que cette étoile compacte se comporte comme un FRB mais de nouvelles mesures sont nécessaires pour le confirmer.

En attendant de confirmer cette théorie, les astronomes doivent approfondir leurs connaissances de la dynamique des interactions magnéto-ioniques dans le milieu interstellaire et vérifier si les modèles de FRB et les prédictions correspondent aux observations. Aussi, pour l'heure les chercheurs n'excluent pas d'autres explications, notamment en ce qui concerne les sursauts non répétitifs qui ne sont peut-être pas associés ou de même nature que la source FRB 121102.

A consulter : FRB Catalogue

A gauche, illustration du magnétar PSR J1745-2900 situé à proximité du disque d'accrétion du trou noir supermassif SG A* situé au coeur de la Voie Lactée. Son comportement est similaire à celui de la source FRB 21102. A droite, l'environnement de 6 FRB observés dans des galaxies extérieures photographiées en IR (F160W) par le Télescope Spatial Hubble et Gemini North (FRB 180916). Le champ couvre 5 à 10" selon les images. Document Bill Saxton/NRAO-AUI-NSF et A.Mannings et al. (2021).

Dans une étude publiée dans "The Astrophysical Journal" en 2021, l'astrophysicienne Alexandra Mannings de l'UCLA et ses collègues sont parvenus à étudier en haute résolution l'environnment de 8 FRB grâce au Télescope Spatial Hubble dont 6 images prises en infrarouge à 1600 nm sont présentées ci-dessus à droite. L'emplacement du FRB est indiqué par l'ellipse tiretée.

Par déduction, les chercheurs ont écarté les anciennes hypothèses, notamment celle associant les FRB à des régions riches en étoiles massives et seraient des supernovae. Ces FRB ne proviennent pas non plus de la fusion de vieux coeurs d'étoiles compactes tels que des étoiles à neutrons, car de telles collisions sont rares et ont tendance à se produire loin en dehors des bras galactiques. Les observations de Hubble de 2009, 2019 et 2020 suggèrent plutôt que les sursauts des FRB proviendraient de magnétars (voir plus bas).

Les chercheurs ont également exclu l'idée que les sursauts pourraient provenir de galaxies naines, car les télescopes ne distinguaient pas de bras en spirale ou d'autres structures galactiques. Le traitement d'image avancé et l'analyse des données de Hubble ont permis aux chercheurs d'écarter cette explication pour ces huit FRB.

Pour comprendre la nature des dizaines d'autres FRB, en 2017 le physicien Justin Vandenbroucke de l'Université du Wisconsin à Madison et ses collègues ont publié les résultats d'une étude dans "The Astrophysical Journal" visant à vérifier si les sources FRB étaient des émetteurs de neutrinos.

Entre mai 2011 et mai 212, ils ont recherché des émissions neutrinos dans les archives de l'Observatoire IceCube installé au pôle Sud. Sur les 138322 évènements concernant potentiellement des neutrinos muoniques, aucun ne correspondait à la localisation d'une source FRB. Les scientifiques peuvent donc déjà fixer la limite supérieure de la quantité de neutrinos qui serait émise pendant les sursauts FRB et les comparer aux prédictions des différents modèles d'étoiles ou d'émetteurs magnéto-ioniques. D'ores et déjà il s'avère que les FRB qui ne sont pas d'intenses émetteurs de neutrinos. Donc l'idée qu'ils seraient des quasars (AGN, etc), des GRB ou des trous noirs semble également écartée.

A voir : Hubble Tracks Origins of Energy Blasts, NASA-GSFC, 2021

L'absence de polarisation explique l'origine des FRB

Dans un article publié dans la revue "Science" en 2022, une équipe de 21 chercheurs chinois dirigée par Di Li de l'Académie des Sciences Chinoise analysa la polarisation des FRB au moyen du radiotélescope FAST de 500 m de diamètre, la plus grande parabole fixe du monde.

Les chercheurs ont proposé la première description systématique des environnements dans lesquels résident les FRB. Leurs résultats indiquent que les sursauts proviennent probablement d'environnements jeunes ou complexes tels que les SNR de supernova. Autrement dit, les FRB se produisent uniquement dans des environnements particuliers de l'univers, ce qui est déjà un progrès important dans notre compréhension de ces phénomènes.

L'émission de 2018 de FRB 121102 précitée présentait une polarisation linéaire proche de 100% et une rotation de Faraday très importante et variable. Ces phénomènes sont la signature d'un effet magnéto-optique, c'est-à-dire d'une interaction entre la lumière et un champ magnétique intense dans le milieu interstellaire. Concrètement, la polarisation de la lumière subit une rotation proportionnelle à la composante du champ magnétique dans la direction de propagation de la lumière. Mais lorsque FAST détecta les 1652 éruptions de FRB 121102 en 2019, aucune polarisation ne fut observée.

Le degré de polarisation linéaire de 9 FRB (désignés par la couleur) augmente avec la fréquence des émissions. Chaque émission présente une mesure de rotation différente qui quantifie la rotation de Faraday de la polarisation. Document D.Li et al. (2022) adapté par l'auteur.

Pour comprendre cette différence, Li et ses collègues ont compilé les mesures de polarisation de 21 FRB Répéteurs qui représentent environ 90% des représentants connu de ce groupe. Ils ont découvert que la polarisation varie selon la fréquence des sursauts. Aux basses fréquences, les émissions des FRB peuvent êtrecomplètement non polarisées. Le seuil était fixé à 2 GHz. Selon Li et ses collègues, cela expliquerait pourquoi FAST n'a pas réussi à détecter la polarisation : les chercheurs ont sondé FRB 121102 entre 1 et 1.5 GHz alors que la découverte de la polarisation par le radiotélescope de Green Bank fut réalisée à des fréquences d'au moins 3 GHz.

Pour expliquer pourquoi la polarisation des FRB chute rapidement aux fréquences plus basses, l'équipe a proposé un modèle dans laquelle l'environnement immédiat, plutôt que la source elle-même, joue un rôle central. Bien que les sursauts soient probablement totalement polarisés à leur source, ils se propagent à travers des nuages de gaz ou de plasma en suivant des chemins légèrement différents de ceux des ondes radio détectées sur Terre. Dans le processus, les ondes rencontrent autour d'elles différentes densités d'électrons et d'intensités de champ magnétique, ce qui conduit à des rotations de Faraday légèrement différentes de leurs angles de polarisation. L'amplitude de la rotation est plus grande aux basses qu'aux hautes fréquences. Au moment où les ondes de basse fréquence sont captées par un radiotélescope, elles ne montrent plus la polarisation initiale et semblent dépolarisées.

Selon Bing Zhang de l'Université du Névada et coauteur de cet article, "En faisant la moyenne sur plusieurs chemins, la polarisation dans les basses fréquences est plus étalée que dans les hautes fréquences."

Si une source FRB est entourée de gaz ou de plasma ionisé avec des champs magnétiques capables de dépolariser les ondes radio, cela signifie que l'environnement est relativement jeune. Un exemple bien connu est le SNR, le vestige ou rémanent d'une supernova dans lequel une jeune étoile à neutrons s'est formée au cœur d'un nuage constitué des restes du noyau de l'étoile progénitrice.

Il faut des dizaines de milliers d'années pour que le SNR se disperse mais l'étoile à neutrons restera active pendant bien plus longtemps. La perte de polarisation peut également être le signe d'un environnement moins jeune mais relativement complexe. Comme expliqué plus haut, certaines étoiles à neutrons évoluent à proximité du trou noir supermassif Sgr A* situé au centre de la Voie Lactée. Les FRB de ces étoiles à neutrons devraient traverser le gaz ou le plasma qui entoure le trou noir. Un autre exemple d'environnement complexe est un magnétar qui orbite autour d'une autre étoile. Les deux étoiles peuvent interagir et créer un environnement turbulent dans lequel les FRB du magnétar se disperseraient et se dépolariseraient. Dans ce scénario, le magnétar n'a pas besoin d'être très jeune.

Selon Zhang, tous ces scénarii peuvent expliquer l'origine des FRB. Il y avait plus de 50 modèles théoriques décrivant l'origine physique des FRB. Tous sauf quelques-uns ont été exclus, mais cela ne signifie pas qu'un seul offre une description correcte, la créativité de dame Nature étant généralement plus imaginative que celle des chercheurs.

Pour confirmer cette théorie, il faut à présent que les chercheurs approfondissent leurs connaissances des FRB, notamment aux basses fréquences. On y reviendra (voir plus bas).

Un lien entre les jeunes pulsars et les FRB

Dans un article publié dans la revue "Nature Astronomy" en 2022 (en PDF sur arXiv), Kenzie Nimmo de l'Institut Néerlandais de Radioastronomie ASTRON et ses collègues ont étudié les intensités des FRB et leurs propriétés polarimétriques sur une large gamme d'échelles de temps, allant de la milliseconde à la nanoseconde pour mieux comprendre leur mécanisme d'émission.

Espace des phases des phénomènes transitoires allant de la nanoseconde à la seconde générés par quelques pulsars, FRB, magnétars et autres RRATs. Document K.Nimmo et al. (2022) adapté par l'auteur.

On sait notamment que les luminosités élevées et les courtes durées des flashes des FRB présentent des densités d'énergie extrêmes, similaires à celles qu'on trouve dans le voisinage des étoiles à neutrons et des trous noirs. Depuis quelques années, les observations montrent clairement qu'il pourrait exister un lien entre tous les astres compacts émettant des signaux transitoires. Mais il faut encore le démontrer pour chaque catégorie d'objet.

Pour mieux comprendre les propriétés des FRB, Nimmo et ses collègues ont utilisé des données spectro-polarimétriques d'archives du VLBI européen EVN (EVLBI) - qui est le VLBI le plus sensible au monde - enregistrées à 1.4 GHz en 2021 complétées par des mesures prises avec le radiotélescope de 100 m de l'Effelsberg. L'équipe concentra ses recherches sur les flashes du FRB Répéteur 20200120E précité situé dans la galaxie M81.

Les chercheurs ont constaté que ce FRB 20200120E peut produire des flashes isolés d'une durée aussi courte que ~60 nanosecondes, avec des températures de brillance - la température équivalente du corps noir à cette fréquence - atteignant 3x1041 K (sans tenir compte des effets relativistes), comparables aux "nano tirs" du pulsar du Crabe comme illustré à droite.

En comparant la gamme des échelles temporelles et des luminosités, les chercheurs ont constaté que "le FRB 20200120E assure la transition entre les jeunes pulsars et les magnétars galactiques connus (par ex. SGR 1935+2154) et les FRB extragalactiques beaucoup plus éloignés."

Selon les auteurs, "Cela suggère un mécanisme d'émission magnétique commun couvrant de nombreux ordres de grandeur en termes d'échelle de temps et de luminosité."

Ils concluent qu'il existe probablement une population de transitoires radio ultrarapides émettant sur des échelles de temps allant de la nanoseconde à la microseconde qui est ignorée des études actuelles sur les FRB car non détectée ou sous le seuil de sensibilité des radiotélescopes.

Le flash FRB d'un magnétar ?

Le 28 avril 2020 à 7h34 locale, CHIME enregistra un flash FRB de plusieurs millisecondes comprenant deux composantes, une émission X très puissante et une émission radio. En raison de sa luminosité (~3x1034 erg à 400-800 MHz), les astrophysiciens savaient que cette source était proche, contrairement aux autres FRB qui sont tous situés dans d'autres galaxies. Cette émission provenait du magnétar galactique SGR 1935+2154 (cf. A.V. Kozlova et al., 2020) découvert en 2014 à ~30000 années-lumière dans un rémanent (SNR) de supernova. C'est une découverte importante qui surexcita tous les membres de la collaboration CHIME/FRB qui s'empressa de publier un article sur ce phénomène dans la revue "Nature" en 2020 (en PDF sur arXiv).

Un autre radiotélescope à grand champ, STARE2 (Survey for Transient Astronomical Radio Emission 2), formé de trois antennes comprenant des dipôles croisés dispersées dans l'ouest des États-Unis et fonctionnant à 611 MHz détecta également le signal FRB le 28 avril 2020 et mesura son énergie. Ses résultats furent également publiés dans la revue "Nature" en 2020 (en PDF sur arXiv).

Cette découverte pourrait être le chaînon manquant tant recherché par les astronomes depuis plus d'une décennie. En effet, ces évènements simultanés suggèrent que les deux signaux proviennent de la même source cosmique.

Localisation du magnétar SGR 1935+2154 à la limite inférieure des émissions des FRB déduites des mesures de STARE2. Document E.Ó. Catháin.

Bien qu'il s'agisse d'un évènement unique, de nombreuses questions demeurent, notamment pourquoi ce flash était 30 fois moins énergique que le FRB le plus faible détecté dans une autre galaxie ? De plus, seuls cinq des 30 magnétars connus dans la Voie Lactée émettent des signaux radio faibles et SGR 1935+2154 n'en fait pas partie.

Les astronomes sont de plus en plus convaincus que certains, sinon tous ces flashes radio de type laser proviennent de magnétars. Cette explication exclurait des sources plus exotiques telles que les trous noirs supermassifs et la fusion des étoiles à neutrons.

Si cette hypothèse est exacte, pour la prouver il faudrait détecter simultanément un neutrino et une éruption radio du même magnétar. Mais ce sera un défi difficile à relever car les neutrinos ne se laissent pas facilement capturer.

Comment expliquer qu'un magnétar pourrait alimenter un FRB ? En 2010, Brian Metzger de l'Université de Columbia et ses collègues ont déjà proposé un modèle dans lequel les magnétars émettent de fréquentes rafales de particules à des vitesses proches de celle de la lumière, semblables aux grandes bouffées de plasma que le Soleil éjecte sous forme de CME. Lorsqu'une telle émission frappe la matière émise plus tôt, il se forme une onde de choc qui provoque un déplacement en spirale des électrons autour des lignes de champ magnétique, générant une puissante impulsion radio de type laser. Le groupe de Metzger n'avait pas appliqué son modèle à un astre aussi faible que SGR 1935+2154, mais quand il le fit, cela fonctionna. Ce modèle peut également expliquer pourquoi l'impulsion des rayons X du magnétar était 100000 fois plus énergique que la composante radio.

Le physicien théoricien et astrophysicien Maxim Lyutikov de l'Université de Purdue pense que l'éjection de matière se produit près de la surface du magnétar. En 2002, des années avant la découverte des premiers FRB, il proposa un moteur basé sur la reconnexion magnétique, dans lequel les lignes de champ se brisent et se reconnectent dans de nouvelles configurations, à l'image de ce qu'on observe sur le Soleil et qui provoque de puissantes éruptions.

Selon Lyutikov, sur une étoile à neutrons ces reconnexions pourraient engendrer des rafales presque simultanées de rayons X et d'ondes radio, bien que son modèle ne prenne pas encore en compte l'impulsion laser.

Quelle que soit le mécanisme à l'origine des FRB, le flash du 28 avril 2020 montre que les magnétars sont capables de produire quelque chose de plus puissant que leurs faibles signaux radio habituels. Si on place le signal dans un diagramme luminosité/fréquence comme celui présenté ci-dessus à gauche, on constate que les magnétars peuvent combler l'écart avec les FRB. Cette découverte rend aujourd'hui cette possibilité beaucoup plus plausible.

Une émission d'origine sismique ?

Analyse de la fonction de corrélation temps-énergie des sursauts radio de FRB 20121102A. Document T.Totani et Y.Tsuzuki (2023).

Dans une étude publiée dans les "MNRAS" en 2023, Tomonori Totani et Yuya Tsuzuki, tous deux de l'Université de Tokyo ont étudié en détails les signaux de trois FRB (FRB 121102A, 201124A et 20220912A) à partir des données disponibles dans les archives. Cela représente près de 7000 sursauts radio pour les trois sources. Ils ont ensuite réalisé une analyse de fonction de corrélation dans l'espace 2D du temps et de l'énergie pour chaque sursaut.

C'est la première fois que des chercheurs analysaient l'intervalle de temps entre deux sursauts quels qu'ils soient (Δt) car jusqu'à présent les chercheurs analysaient les distributions du délai ou temps d'attente entre deux sursauts consécutifs.

Les chercheurs ont ensuite utilisé la même méthode d'analyse pour examiner les corrélations temps-énergie d'environ 5000 tremblements de terre survenus au Japon pendant un an et demi entre 2010 et 2012 puis sur plus de 2600 éruptions solaires survenues en 2012 et entre 2017 et 2021 durant des périodes d'activités calme et active. Ils ont ensuite comparés les résultats.

Concernant les FRB, selon les auteurs, "la fonction de corrélation indique que chaque sursaut a environ 10 à 60% de chance de produire une réplique à un taux décroissant selon une loi de puissance proportionnelle à (Δt + τ)-p avec p = 1.5 à 2.5 et τ est la durée typique d'un évènement. Ce comportement est tout à fait similaire à celui de la loi d'Omori-Utsu des tremblements de terre" (cf. les ondes sismiques).

Tout aussi intéressant, les chercheurs ont constaté que "Le taux de réplique corrélé est stable quels que soient les changements d'activité de la source, et il n'existe aucune corrélation entre l'énergie émise et Δt. Nous démontrons que toutes ces propriétés sont quantitativement communes aux tremblements de terre, mais différentes des éruptions solaires sur de nombreux aspects."

Dans leurs conclusions, les auteurs "suggèrent que les FRB répéteurs sont un phénomène dans lequel l'énergie stockée dans des croûtes rigides d'étoiles à neutrons est libérée par l'activité sismique. Cela pourrait constituer une nouvelle opportunité pour de futures études visant à explorer les propriétés physiques de la croûte des étoiles à neutrons."

C'est la première fois qu'on envisage que les FRB sont liés à l'activité sismique d'étoiles à neutrons. Cette méthode d'analyse offre l'opportunité aux chercheurs d'obtenir des informations sur les propriétés physiques des croûtes des étoiles à neutrons et sur le mécanisme de production d'énergie lors des séismes.

L'avenir est aux basses fréquences

Actuellement on ne peut pas en dire plus sur les FRB et donc le mystère demeure. C'est la raison pour laquelle les scientifiques recherchent d'autres moyens pour compléter leurs connaissances des FRB.

Les chercheurs pensent que les sursauts FRB sont probablement bien plus fréquents que ce qu'on observe. Dans une étude publiée dans "The Astrophysical Journal Letters" en 2017, les astronomes Abraham (Avi) Loeb du CfA Harvard-Smithsonian et sa collègue Anastasia Fialkov ont analysé le profil spectral de FRB 121102 et extrapolé son activité afin de calculer le nombre de FRB observable par les futurs radiotélescopes entre 50 MHz et 3.5 GHz. Ils obtiennent un taux d'émission supérieure à 1 FRB par seconde sur la totalité du ciel en tenant compte des sources faibles dans l'univers lointain. Selon d'autres études, il existerait peut être 10000 évènements FRB émis chaque jour dans toutes les directions.

Vandenbroucke estime qu'il est possible que les FRB obéissent à une physique exotique. Mais Lyutikov estime que la découverte du flash du magnétar précité exclut cette possibilité : "Le jeu des théories alternatives devient de plus en plus difficile. Pour la majorité, c'est une question résolue : ce sont des magnétars."

Pour confirmer cette théorie, il faut des outils pour les étudier. Or, la résolution des instruments à 1.4 GHz (Parkes, ASKAP) est insuffisante pour identifier directement les sources individuelles ou leur fréquence de travail ne convient pas (par ex. 0.4-0.8 GHz pour CHIME et 0.8 GHz pour le GBT et UTMOST). C'est la raison pour laquelle les chercheurs comptent beaucoup sur les nouvelles installations radioastronomiques interférométriques et en particulier sur le SKA (Square Kilometre Array) en mode basse fréquence (le sous-système SKA-LOW fonctionnant entre 50-350 MHz avec une sensibilité de 2 mJy) qui en théorie pourrait détecter plus d'un FRB par minute sur la totalité du ciel jusqu'à l'ère de la réonisation de l'Univers, soit 700 millions d'années seulement après le Big Bang, entre z ~ 6 et 12 (cf. les résultats de la Collaboration Planck sur les contraintes sur l'histoire de la réionisation, XLVII, 2016).

Si on parvient à ce résultat, les chercheurs auront plus de chances de comprendre la nature des FRB. En plus, s'ils atteignent cette époque primordiale, grâce aux FRB ils pourront étudier la structure et l'évolution de l'Univers à très grandes distances, y compris sa composition et l'effet des émissions FRB sur le rayonnement cosmologique et les premiers nuages d'hydrogène ionisé.

Enfin, pour en revenir aux étoiles compactes, dans leur évolution les étoiles à neutrons sont non seulement les filles dégénérées d’étoiles massives mais sont également associées aux pulsars.

Prochain chapitre

Les pulsars

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