Contacter l'auteur / Contact the author

Recherche dans ce site / Search in this site

 

 

L'astronomie des Dogon

Le village dogon de Banani situé au sud de Sangha au Mali, aux pieds de la falaise de Bandiagara. Cette photographie a été prise en 1990 par Huib Blom. Vous trouverez sur son site Internet de nombreuses photographies sur le pays dogon.

Pseudo-science et contamination culturelle (I)

Vous avez probablement déjà entendu parlé ou même lu des articles ou des livres sur l'extraordinaire astronomie des Dogon, en particulier leur description du système de Sirius.

Découvertes notamment par des éthnologues, les connaissances en astronomie des Dogon sont a priori trop en avance sur leur culture propre.

Ce paradoxe incita le Français Eric Guerrier, auteur du livre "La cosmogonie des Dogon: L'Arche du Nommo" à faire appel à une théorie extraordinaire plutôt que rationnelle pour expliquer leur cosmogonie atypique. Pour sa part, l'Anglais Robert Temple, auteur du livre "The Sirius Mystery" prétendit que les Dogon avaient été en contact avec des extraterrestres, appuyant sa théorie avec de soi-disant preuves.

De fait, cette énigme a longtemps préoccupé les scientifiques car durant plus d'un demi-siècle, mis à part une poignée d'ethnologues et d'astronomes, très peu de chercheurs se sont réellement penchés sur la question, ce qui n'a fait qu'amplifier la rumeur et les spéculations autour de l'origine des connaissances des Dogon.

Avant d'approfondir le sujet et tenter de résoudre cette énigme, commençons par décrire le pays et le peuple que nous allons étudier.

Le Mali et le pays dogon

Les Dogon sont un peuple d'agriculteurs et d'éleveurs qui vivent dans la région centre-ouest du Mali. Selon leur tradition orale, ils se seraient installés au XIVe siècle sur les falaises de Bandiagara situées dans le massif du Hombori, dans le Macina (la boucle du fleuve Niger), pour échapper à l'islamisation et ses lois (esclavagisme, etc).

Le Mali fut une colonie française de 1903 à 1960, année où le pays accéda à son indépendance comme beaucoup de pays d'Afrique à la même époque.

Vue aérienne d'un village Dogon (14°23'N, 3°39'O). Document Yann Arthus Bertrand.

La population du Mali est estimée à 13.8 millions d'habitants (CIA, 2010) qui se patragent entre 1.8 million de personnes ans le district de Bamako, la capitale du pays et 700000 Dogon (2005) dont 95% habitent la région dite du "pays dogon".

Située au sud du Sahara vers 14.3°N et 3.6°O, le pays dogon est une région du Sahel au climat subtropical semi-aride où les températures peuvent être caniculaires entre mars et juin (45°C). L'eau y est donc une denrée rare et précieuse qui permet de survivre dans cette région aride du globe.

On y trouve localement des oueds et des champs (mil, oignon, tabac), y compris de minuscules oasis (10 m de rayon) bien irriguées, mais généralement le pays est plutôt couvert de plaines desséchées et de déserts de pierres.

Le pays dogon n'en reste pas moins très attachant car ses habitants ont développé une architecture originale qui donne au pays une âme et un cachet particuliers qui méritent le détour, et plus encore quand on connaît leur culture.

Les Dogon représentent l'une des 12 ethnies du Mali et parlent dogon bien que le français soit la langue officielle. 80% des Maliens sont musulmans, 10% chrétiens (catholiques, protestants). Toutefois, comme 10% de la population malienne, beaucoup de Dogon sont animistes comme toutes les populations restées à l'écart de l'influence occidentale ou arabe. Notons toutefois que les Dogon de Tabi (SO de Tombouctou) ont été islamisés. Depuis quelques années, dans certains villages animistes, on trouve également une église et/ou une mosquée.

Le pays dogon couvre grosso modo un triangle qui s'étend entre les villages de Endé (O), Bamba (NE) et Koro (SE) comme indiqué sur la carte présentée ci-dessous. Les plus grands villages abritent entre 3 et 5000 personnes, chacun étant sous l'autorité d'un chef de tribu et d'un chef spirituel, le hogon. On en reparlera car ce dernier est à l'origine de toute cette affaire au sens noble du terme.

A voir : Reportages sur les Dogon

Un document visuel de Savoir et Voir/Lumières Primaires

A gauche, situation du Mali et du pays Dogon (Bandiagara) dans le Macina, la boucle du fleuve Niger. Les capitales sont indiquées en rouge. Voici une carte plus détaillée. A droite, l'extension des falaises au sud de Bandiagara où vivent les Dogon, entre Sadia, Bamba et Koro. Comme Tombouctou, les falaises de Bandiagara sont classées au Patrimoine mondial de l'humanité. Document T.Lombry et Michel Pennetier.

Les Dogon sont connus pour leurs cérémonies funèbres et leurs festivals très colorés et rythmés au cours desquels les danseurs Satimbe et Kananga portent leur célèbre masque sculpté et leur parure de cauries[1]. Rappelons que si pour les Occidentaux, les parures et les masques dogon se vendent très cher, pour les danseurs dogon se sont des objets sacrés dont la vente est sacrilège.

A l'image de leur pays, l'art dogon est très austère et dépouillé mais leurs connaissances en astronomie semblent en revanche très étonnantes.

L'astronomie des Dogon

Comme tous les peuples observant le ciel à l'oeil nu, les agriculteurs Dogon ainsi que les chefs religieux ne connaissaient que les cinq planètes visibles à l'oeil nu et les étoiles brillantes.

Or, sans les connaissances intellectuelles et technologiques de nos civilisations, leur mythologie semble parler des quatre satellites de Jupiter, de l'anneau de Saturne, de la forme sphérique de la Terre, de la position centrale du Soleil, des orbites elliptiques des planètes, des phases et des cratères de la Lune, d'un satellite de Vénus, de la structure spirale des galaxies et le fait que nous étions dans l'une d'elles, proche du système intérieur des étoiles d'Orion, de Sirius et des Pléiades, bref comme le disent les astronomes dans le bras intérieur d'Orion.

Plus étonnant, ils auraient découvert les particularités du système binaire de Sirius (l'étoile naine Sirius B) et observé son changement de couleur, phénomène qui fut soi-disant également consigné dans les annales chinoises.

Quel crédit faut-il accorder à ces découvertes ? Info ou intox comme le dirait un célèbre animateur ? Poser la question revient à suspecter un défaut d'analyse. Pour éclaircir la question et tenter de résoudre cette véritable énigme scientifique, nous allons étudier les origines historiques du phénomène, tant dans les sources littéraires qui l'ont lancé que dans les observations consignées par les ethnologues à propos de la cosmogonie dogon et analyser en parallèle l'histoire culturelle du Mali.

C'est un véritable devoir d'enquête pluridisciplinaire que nous allons effectuer, un voyage passionnant à travers le temps et l'histoire des découvertes qui nous conduira de la maison initiatique des chefs religieux dogons aux observatoires orbitaux en passant par les compagnes d'Egypte de Bonaparte et les missions des premiers ethnologues.

Enquête sur un mythe moderne

De l'avis unanime des scientifiques qui ont étudié les Dogon depuis le début du XXe siècle, l'art dogon ou de leurs ancêtres ne fait aucune référence à l'astronomie depuis plus de 2300 ans. Ces peintures pariétales photographiées à Kondi Pegue (Songo) en 1983 concernent le rite de la circoncision. Les chefs religieux (hogons) ont cependant développé une cosmogonie depuis plus de 400 ans qui se transmet à leurs seuls héritiers. Documents Huib Blom.

Si nous voulons analyser la question de manière objective et porter un jugement critique sur le sujet, a priori la cosmogonie dogon rapporte des faits mystérieux et paradoxaux. En effet, la période de révolution et la densité d'une étoile naine ne s'inventent pas - ou plutôt exigent une démonstration très étayée - ni l'explication de l'anneau de Saturne, des orbites elliptiques ou la structure spirale des galaxies.

Dès la découverte de ces informations les ethnologues et des astronomes considéraient que cette vision mythologique méritait d'être étudiée. Dans son livre "Silence au point d'eau" publié en 1988 et consacré à la bioastronomie, l'astronome Emmanuel Davoust de l'Observatoire Midi-Pyrénées de Toulouse discute de la cosmogonie dogon et suggère : "Il faudrait la comparer [...] avec l'Universalité musulmane de Tombouctou au XVIe siècle". 

En effet, située à environ 200 km au nord du pays dogon (17°N, 3°O), Tombouctou fut entre le XVe et le XVIe siècle un centre islamique très important et sera la cité la plus savante du Soudan.

On peut toutefois se méfier de comparer la culture Dogon avec celle de Tombouctou quand on connaît le passé international de cette contrée.

Fondée en 1100 par les Touaregs, la cité islamique subit de nombreuses influences : touareg, songhoy, marocaine, peul, française, etc. Mais les connaissances astronomiques des Arabes n'ont pas été (officiellement) transmises aux Dogon du fait que cette tribu réputée pour son indépendance d'esprit s'est justement isolée à Bandagiara pour échapper à l'influence musulmane (et plus tard à celle de l'évangélisation, mais les pères blancs n'ont pas insisté).

Emmanuel Davoust conclut néanmoins avec prudence, "Mais comme pour les OVNI, nous refusons d'invoquer une intervention extraterrestre à défaut de trouver d'autres explications satisfaisantes". Que les ufologues l'entendent !

A partir des années 1980 de nombreux chercheurs, scientifiques, journalistes, historiens, etc, ont enquêté sérieusement sur la question et ont fini par trouver l'explication. Pour maintenir le suspens jusqu'au bout, nous ne présenterons les conclusions de leurs enquêtes qu'à la fin de cet article. On peut toutefois déjà dire qu'elles sont plus terre à terre que la théorie extraterrestre de Robert Temple et détruisent avec elles tout un mythe.

Nous allons décrire les différents faits qui ont forgé cette histoire en remontant le cours du Niger jusqu'à Bandiagara et celui de l'Histoire vers les sources de la polémique. Nous rappellerons tout d'abord les principaux résultats des recherches de Griaule et Dieterlen ainsi que la petite histoire du livre de Temple. Nous nous pencherons ensuite sur les sources documentaires dont s'est inspiré Temple pour rédiger son livre avant de critiquer les sources elles-mêmes et de tenter d'expliquer l'origine de cette cosmogonie très originale.

Prochain chapitre

Aux origines d'une fabulation

Page 1 - 2 - 3 - 4 - 5 -


[1] Marcel Griaule, "Masques Dogons", Travaux et mémoires de l'Institut d'Ethnologie, Paris, t.XXXIII, 1938, p896, in-8°. Consulter également le site richement illustré de Huib Blom.


Back to:

HOME

Copyright & FAQ