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L'astronomie des Dogon

L'étoile naine Sirius B scintille faiblement en dessous de Sirius située à 8.6 années-lumière. Cette petite étoile blanche gravite à une distance équivalente à 20 fois la distance Terre-Soleil. Entre 2022 et 2024 elle devrait être visible dans un télescope d'amateur car elle présentera son plus grand écart angulaire, avec 11.3". Document NASA/ESA/STScI

Critique de la cosmogonie dogon telle que retranscrite par M.Griaule (IV)

Ce que la science nous dit sur Sirius B

Que nous dit l'astrophysique au sujet de Sirius ? Sirius est l'étoile la plus brillante du ciel avec une magnitude apparente de -1.46. Elle est située à 8.6 années-lumière dans la constellation du Grand Chien (Canis Major, A.D.: 6h 45m 08.9s, Décl. -16° 42' 58"). C'est une étoile blanche de classe spectrale A1 Vm présentant une température effective de 10500 K (contre 5770 K pour le Soleil de classe spectrale G2 V, jaune). Sirius mesure 2.4 millions de km de diamètre, soit 79% de plus que le Soleil (1.39 million de km). Elle est 2 fois plus massive que le Soleil et 23 fois plus lumineuse ! Etant située relativement près du système solaire, elle présente un mouvement propre de 1.32"/an, trois fois inférieur à celui de Rigil Kentaurus (anc. Alpha du Centaure), et suit le même courant que les étoiles de la Grande Ourse. Durant la vie d'un homme Sirius se déplace donc devant les étoiles de plus de 1/20e du diamètre de la Lune ou du Soleil.

L'existence de Sirius B fut prédite en 1844 par Friedrich Bessel à partir des perturbations du mouvement propre de Sirius qu'il observait depuis dix ans. En 1851, C.H.F.Peters calcula son orbite.

Son compagnon Sirius B fut découvert le 31 janvier 1862 au cours de tests visuels réalisés par le maître opticien Alvan G. Clark avec le nouvel objectif de 470 mm (18.5') équipant la lunette de l'Observatoire Dearborn de l'Université du Mississippi. Il observa un corps sombre gravitant à la position indiquée dans le secteur ouest de Sirius. Il recevra une médaille de l'Académie française des sciences pour sa découverte du compagnon B.

Ce n'est que vers 1910 que les astronomes se rendirent compte qu'il existait un nouveau type d'étoile très massive, les étoiles naines, et en 1932 que le physicien Lev Landau le démontra sur le plan théorique.

Entre-temps, en 1915 Walter Sidney Adams réalisa le premier spectre de Sirius B au télescope du mont Wilson et démontra qu'il s'agissait d'une étoile naine blanche affichant principalement les raies de l'hydrogène de la série de Balmer. Cette abondance de l'hydrogène a permis de la classer dans la catégorie des étoiles naines de type DA2. Sirius B présente une température effective d'environ 25200 K, soit 2.5 fois plus élevée que celle de Sirius pour une luminosité de seulement 0.056 L.

En conclusion, au milieu du XIXe siècle, les Occidentaux passionnés d'astronomie connaissaient l'existence de cette étoile naine et les magazines comme les livres de vulgarisation y ont fait référence. La possibilité d'un compagnon C fut déjà évoquée par Camille Flammarion pour expliquer les "irrégularités de l'orbe du compagnon B".

Les supposés transits de Sirius B (ou même de l'éventuel Sirius C ou d'une exoplanète qui resterait à découvrir) n'ont jamais existé car l'étoile n'a jamais occulté Sirius, du moins vue de la Terre. En 1960, Van Den Bas détermina précisément sa période orbitale à 50.090 ans, valeur qui sera ultérieurement affinée grâce aux observatoires orbitaux à 50.04 ±0.9 ans.

L'étoile naine porte bien son nom. En 2005, grâce au Telescope Spatial Hubble on réévalua son diamètre à 12000 km soit 94% de celui de la Terre ou 0.0084 R pour une masse de 1.02 M. Toute cette masse condensée dans la taille d'une planète signifie que la gravité y est 350000 fois plus forte que sur Terre : un homme de 70 kg pèse 24500 tonnes sur Sirius B ! Mais il existe des astres à la gravité plus forte encore (pulsar, magnétar et trou noir).

Si le Soleil représente une étoile ordinaire et même de petite taille, sa densité moyenne (masse volumique) est de 1.41 g/cm3 ! Par comparaison, Sirius B présente une densité 2.25 millions de fois supérieure à celle de l'eau : 1 cm3 de matière pèse 2.25 tonnes sur Sirius B ! La gravité de surface log g = 8 soit 100 millions de g ! Comme le disait Ogotommêli (!), vous ne pouvez même pas soulever un grain de sable !

Sirius B brille à la magnitude +8.44. Cette étoile naine qui présente à peine 0.56% de la luminosité du Soleil est environ 10000 fois plus pâle que Sirius en lumière blanche et brille 500 fois moins que le Soleil (Mv -26.7). L'étoile naine devient plus brillante que Sirius dans les "lumières" UV lointain, EUV et rayons X mous.

Sirius B gravite à plus de 20 UA de Sirius, l'équivalent de la distance d'Uranus au Soleil et vue de la Terre, son orbite se projète actuellement à quelque 11" du disque de l'étoile; impossible donc qu'il occulte ou modifie l'éclat apparent du système.

Les amateurs avertis pourront peut-être l'apercevoir entre 2022 et 2024 lorsque la séparation angulaire avec Sirius atteindra son maximum de 11.3" (PA de 61 à 65°, soit secteur NE). Mais du fait de la grande différence d'éclat entre les deux étoiles, Sirius B demeure pratiquement invisible dans la plupart des télescopes car elle est noyée dans le rayonnement de Sirius. Voilà pour la réalité scientifique et ce sont certaines de ces "coïncidences" qui ont étonné tous les chercheurs.

Il y a également l'hypothétique Sirius C a priori évoqué par les Dogon (emma ya tolo) mais que cette fois personne n'a jamais observé. Selon des études conduites par des astronomes de l'Observatoire de Paris entre 1985 et 2000, "dans un rayon de 30" autour de Sirius soit 80 U.A. autour du système A-B, jusqu'à une magnitude limite de 17 [on peut exclure la présence d'un] objet de masse supérieure à 0.08 M. Seule une naine brune, similaire aux plus faibles actuellement observées avec une magnitude de 18-19, pourrait être encore indétectée [...] La région la plus centrale (< 30") autour de Sirius reste pour l'instant inexplorée. La trajectoire possible d'un compagnon de Sirius est une orbite de longue période (P > 2000 ans) très excentrique (e > 0.9). Selon l'orientation de cette orbite sur le ciel, il existe une possibilité qu'un compagnon soit actuellement à une très faible distance projetée de Sirius."

A consulter : Simulateur du système de Sirius

Symboles dogons de Pô tolo (Sirius B, à gauche) et emma ya tolo (Sirius C, à droite). Document M.Griaule.

Et de conclure : "Parmi tous les couples d'étoiles comportant une naine blanche, Sirius est un système singulier. Sirius A est l'étoile du type spectral le plus jeune présente dans les systèmes de ce type et Sirius B est une naine blanche parmi les plus massives connues. Ces particularités encore largement inexpliquées pourraient bien être le résultat de l'évolution d'un système plus complexe comportant une troisième étoile encore non détectée."

Complément d'information

Ainsi que nous l'avons dit, les Dogon connaissaient évidemment Sirius, et ce depuis plus de 400 ans, et se repéraient par rapport à cette étoile, ainsi que par rapport à Orion et aux Pléiades pour déterminer les époques des rites agraires. Toutes les sociétés primitives de l'hémisphère Nord ont procédé de la sorte pour ne citer que les Égyptiens qui appelaient Sirius "Sikor", "Siris" ou encore Sothis signifiant "qui rayonne".

Van Beek fait judicieusement remarquer que Griaule et Dieterlen sont les seuls au monde à défendre leur théorie et le secret des Dogon. Pour en avoir le coeur net, à partir de 1991 Van Beek et une équipe d'ethnologues enquêtèrent sur la question et publièrent plusieurs articles sur le sujet dans le magazine "Current Anthropology" évoqué précédemment.

Griaule prétendait qu'environ 15% de la tribu dogon connaissaient le secret de Sirius. L'équipe de Van Beek n'a trouvé aucune trace de cette connaissance après 10 ans d'enquête ! Ils aboutirent à la conclusion qu'ils n'y avaient aucune trace d'une tradition autour de Sirius dans la mythologie Dogon tel qu'évoquée par les deux ethnologues français.

Van Beek nous rappelle également que Griaule s'intéressait à l'astronomie et avait étudié cette discipline à Paris. James et Thorpe précisent également que Griaule avait emporté avec lui des cartes du ciel et avait l'intention d'initier les Dogon à cette science. Griaule connaissait Sirius B et, selon les auteurs, il est assez probable qu'il incita les Dogon à répondre à ses questions de manière inductives afin qu'elles s'orientent dans un sens confortant sa théorie. Il va de soi qu'aucun journaliste ou enquêteur qui se respecte ne doit travailler de la sorte.

Griaule semble avoir procédé comme un mauvais enquêteur, qui plus est, avec de mauvais traducteurs car ils n'étaient même pas certains de traduire correctement les termes techniques en français. Et en ce domaine, l'interprétation est le pire ennemi du scientifique.

En bref, rien qu'à travers ces exemples la majorité des ethnologues sont d'accord pour admettre que c'est Griaule qui apprit aux Dogon ce qu'ils savent sur le système de Sirius et qu'il ne s'agit nullement d'une connaissance originale de cette tribu, ce qu'Eric Guerrier appelait déjà "l'investigation participante" dans son livre en pages 95 et suivantes.

La couleur de Sirius

Une autre énigme concerne le changement de couleur de Sirius que plusieurs auteurs décrivent comme ayant été rouge voici environ 2000 ans et que les Dogon auraient soi-disant observé.

Je cite à nouveau Griaule : "Cette graine, c'est celle du sorgho femelle. L'étoile qui lui est associée s'appelle donc banalement l'étoile du sorgho femelle. A sa naissance, elle était rouge comme le sang, ensuite elle a blanchi, donnant sa couleur aux céréales issues d'elle. Moins fondamentale que l'étoile du fonio, l'étoile du sorgho femelle est plus volumineuse, et quatre fois plus légère [...]"

Et plus loin : "Ce pourquoi pô tolo était lourd, (c'est que) il avait (en elle) le restant du sang du monde tourné par le pô. (C'est) le reste du sang de toutes les choses qu'il a créées. pô tolo est la plus petite de toutes les choses; elle est l'étoile la plus lourde".

Une fois de plus, en raison du flou littéraire qui enveloppe cette traduction, on ne peut pas se prononcer sur ce texte sans nous-même spéculer sans fondement et réinterpréter les propos de Griaule. Le lecteur qui y voit la trace de l'activité cataclysmique du compagnon B ayant atteint la phase géante rouge avant de s'effondrer, s'y connaît certes en astronomie, mais ferait un bien piètre linguiste ou traducteur dogon. Reconnaissons qu'il est préférable de nous tourner vers d'autres sources un peu plus limpides, peut-être nous aideront-elles à éclaircir le texte dogon.

Le changement de couleur de Sirius fut suggéré sur base de plusieurs traités anciens dont ceux du célèbre avocat et Consul romain Cicéron (106-43 avant notre ère) qui traduisit "Les Phénomènes" d'Aratos de Sicyone (271-213 avant notre ère), qui aurait dit que Sirius est "pokilon", changeante (de couleur). Mais ce n'est pas ce qui dit le texte original. En effet, Aratos qualifie la constellation du Grand Chien de "poikilos" (Ποικιλος,), varié, c'est-à-dire que les étoiles présentent des éclats variés (allant jusqu'à 7 magnitudes d'écart). En réalité Aratos ne dit rien de la couleur de Sirius (cf. l'extrait repris sur sur la page de l'Oncle Dom).

Cicéron s'est également fondé sur des textes du philosophe et auteur Sénèque (4-65 de notre ère) et surtout de l'Almageste de Ptolémée rédigé vers 150 de notre ère dont certaines copies indiquent que Sirius présente une couleur "upokirros", rougeâtre (vous trouverez des copies images de ce catalogue sur le site Gallica).

Toutefois, les astronomes arabes qui ont traduit les textes de Ptolémée n'ont pas recopié cet adjectif. Ainsi, au IXe siècle, Al Battani (Albategnius) ne mentionne que cinq étoiles rouges dans la version arabe de l’Almageste : Antarès, Bételgeuse, Aldébaran, Arcturus et Pollux. Au Xe siècle, Al Suffi qui analysera également le texte original ne mentionne pas la coloration de Sirius.

Cependant Ptolémée n'est pas réputé pour ses observations mais pour ses tables et il aurait qualifié Sirius de "sous-jaunâtre" et non de rougeâtre.

Le texte reproduit à gauche écrit par l'astronome et historien chinois Sima Qian (145-87 avant notre ère)[7] est tiré de l'ouvrage astronomique "Shiji" XXVII écrit en 97 avant notre ère. Le passage en caractères gras (lu verticalement de haut en bas et de gauche à droite) se traduit par : "A l'Est - se trouve - [une] grande - étoile - [le] Loup (Tianlang, nom chinois de Sirius) - La pointe - [du] Loup - change - [de] couleur - nombreux - [sont les] voleurs -[et] bandits".

Enfin, plus loin l'auteur compare la couleur de Vénus (T'ai-pe) et de Sirius (Lang) : "Quand T’ai-pe est blanche, elle ressemble à Lang".  Autrement dit, selon Sima Qian, Sirius est de couleur blanche. Contrairement aux paroles qu'on lui prête parfois, Sima Qian n'a jamais écrit que Sirius change de couleur ou serait rouge. Il a juste prédit que lorsqu'elle scintille de toutes les couleurs, c'est annonciateur de brigandages.

Mais comme le souligne l'Oncle Dom dans sa page consacrée à Sima Qian, ce livre ne fut disponible en français qu'à partir de 1899 et donc plus d'une décennie après la publication des livres de Camille Flammarion.

L'existence de ces textes relativement concordants issus de cultures indépendantes a suscité plusieurs travaux pour tenter d'expliquer le phénomène. Mais ici également, il ne faut surtout pas interpréter le texte original au risque de commettre une sérieuse erreur scientifique.

Des soi-disant scientifiques ont interprété ce phénomène comme un sursaut cataclysmique de l'étoile naine ayant affecté l'éclat global du système de Sirius. Or, plusieurs arguments s'opposent à cette explication.

Tout d'abord, Sirius est sur la Séquence principale et donc dans l'état stable de la maturité. Elle ne va pas changer d'état et donc ni de couleur ni de température avant plusieurs milliards d'années. Il lui serait donc difficile de changer d'elle-même de couleur dans l'immédiat, même à l'échelle des temps astronomiques.

Ensuite, de mémoire d'astronome Sirius B n'a jamais été considérée comme une étoile variable; elle est donc physiquement incapable de produire un tel effet et encore moins de projeter des nuages de gaz et de plasma sur l'étoile hôte qui affecterait sa luminosité ou sa masse et en corollaire sa couleur. De la même façon, il reste à inventer une théorie, un modèle astrophysique, suggérant que Sirius A pourrait projeter des nuages de matière sur Sirius B dont l'effet modifieraient l'éclat global du système. Enfin, le texte ne mentionne pas un sursaut ou un changement d'éclat mais il dit simplement que l'étoile change de couleur et le conjugue au présent.

Le ciel de Babylone (Sumer, 32º33'N, 44º24'E) tel qu'il devait être le 1er février 100 de notre ère vers 22h simulé avec "TheSky Pro 6". Voici la même vue sous "Starry Night Enthusiast". Le champ couvre 100°. Sirius, située au-dessus à droite du centre (en dessous à gauche d'Orion), culmine à plus de 41° au-dessus de l'horizon sud où apparaît timidement Canopus. Doc T.Lombry.

Nous savons aujourd'hui que le changement de couleur de Sirius n'est que l'effet bien connu du scintillement atmosphérique (turbulence) qui est plus apparent sur les étoiles blanches et brillantes situées assez bas sur l'horizon, comme c'est le cas de Sirius aux latitudes moyennes.

De plus, sa couleur parfois rougeâtre est simplement due à la diffusion de Rayleigh près de l'horizon, comme c'est le cas pour le Soleil et tous les autres astres.

La couleur rouge de Sirius fut réfutée par Camille Flammarion dès avant 1900 qui prétendait que cette couleur n'avait pas été observée par les observateurs antiques. Il y consacra plusieurs pages dans son livre "Les étoiles et les curiosités du ciel" publié en 1882 (p477-479). 

D'un point de vue astrophysique, un changement aussi rapide est en contradiction avec la théorie de l'évolution stellaire et reste controversé pour ne pas dire écarté des débats sine die. Mais la découverte de nouveaux textes indépendants est venue relancer la polémique à la fin des années 1980. Il a donc bien fallut que les historiens des sciences ou les archéoastronomes se penchent sur la question et éclaircissent en même temps l'énigme de l'observation des Dogon.

Flammarion fait remarquer que curieusement, seuls des auteurs romains du 1er siècle et qui n'étaient pas astronomes, imputent une couleur rouge à Sirius. Or à la même époque, Manilius ("Astronomica", 15 de notre ère) qualifia Sirius de "coeruleus", bleue. Le célèbre Hyginus ("De Astronomia II", 10 avant notre ère) décrit Sirius d'une couleur "candor", c'est-à-dire d'une blancheur éclatante, ce qu'elle est encore aujourd'hui. Quant à Sima Qian, dans le "Shiji" XXVII il décrit Sirius comme "bai", autrement dit blanche. Idem dans un poème persan plus ancien (IXe siècle avant notre ère) qui exalte la blancheur de l'astre. Bref, de l'avis général et depuis bientôt 3 millénaires Sirius a toujours été blanche.

Malheureusement, les comptes-rendus romains ont été rapportés par différents copistes qui n'ont pas pris le soin de les recouper et de les commenter, et récemment encore au XXe siècle. Ainsi, Wolfhard Schlosser et Werner Bergmann par exemple invoquent dans un article publié dans la revue "Nature" en 1985 (p45) le "De cursu stellarum ratio" de Grégoire de Tours pour qualifier Sirius de "rubeola", diminutif de rubeus signifiant rouge. Malheureusement, ainsi que d'autres chercheurs le démontrèrent, ils avaient confondu Arcturus (étoile géante rouge - en fait orangée - du Bouvier de 4290 K et de classe spectrale K1.5 III) avec Sirius, une erreur grossière que ne ferait même pas un astronome amateur !

La cause est donc entendue, les archives des anciens astronomes nous apportent les preuves que Sirius n'a jamais changé de couleur sur la période évoquée et le phénomène n'aurait donc pu être observé par les Dogon. S'ils semblent avoir rapporté cet évènement, il ne peut s'agir que d'un emprunt à une culture étrangère (et nous verrons que les magazines de la SAF n'y sont pas étrangers).

Le satellite de Vénus

Parmi d'autres énigmes il y avait aussi le problème du satellite de Vénus. Le texte Dogon nous dit : "Là est sortie une toute petite étoile, dite « étoile qui accompagne Vénus »".

Ainsi que nous l'expliquerons dans l'article consacré à Vénus, la présence de ce "satellite" fut suggérée pour la première fois en 1645 par l'astronome italien Francesco Fontana puis par Cassini (1672), Short (1740), Lagrange (1761) et de nombreux astronomes. Devant la répétition des observations, au XIXe siècle ce satellite putatif de Vénus fut même baptisé "Neith".

La question sera discutée dans la revue "L'astronomie" et le livre "Les terres du ciel" de Flammarion (1877), mais en 1887 l'astronome belge Paul Stroobant démystifia cette hypothèse dans son "Étude sur le satellite énigmatique de Vénus"[8]. Considérant, la diversité des témoignages et leurs incompatibilités réciproques, la taille des instruments et les aberrations optiques, Stroobant en conclut qu'il pouvait s'agir d'images fantômes (de reflets dans les optiques), de la trace de petites planètes (astéroïdes) ou encore d'étoiles pâles.

Et de fait, aujourd'hui aucune des missions spatiales vers Vénus n'a permis de détecter cet éventuel satellite, mis à part la présence temporaire de l'astéroïde NEA 2002 VE68 qui présente actuellement une orbite dont le demi-grand axe coïncide pratiquement avec celle de Vénus (0.724 U.A. contre 0.723) bien qu'elle soit fortement excentrique (e~0.4). Cependant 2002 VE68 est invisible à l'oculaire d'un télescope amateur sans l'aide de la photographie car sa magnitude est de 20.1. Son diamètre est estimé à environ 300 mètres.

Mais à la fin XIXe siècle peu de gens eurent la possibilité de lire l'article de Stroobant, si bien que plusieurs décennies plus tard on pouvait encore penser le problème non élucidé.

A travers cet exemple, le texte Dogon prouve une fois de plus que certaines de leurs connaissances en astronomie furent influencées par la culture occidentale de la fin du XIXe siècle.

Les quatre éléments

Peu avant de décrire le système de Sirius dans son livre "Le renard pâle" tel que lui explique Ogotommêli, Griaule aborde les configurations stellaires et discute de la constellation d'Orion (le "Chariot d'Orion"). Il écrit : "Les pierres qui sont placées aux angles du champ, qui figurent les 4 étoiles du Chariot, représentent également les « 4 angles » de l'espace céleste. Leurs couleurs différentes connotent les 4 éléments [...] Ainsi le Chariot est, dans l'espace stellaire, le symbole du siège d'Amma; il entoure « atanu », le Baudrier, soit les 3 vicaires [...]".

Les quatre éléments de la philosophie grecque.

Nous avons vu un plus tôt à propos de Sirius B que Griaule dit que Ogotommêli parle des "trois éléments de base « air, feu et eau », l'élément « terre » est remplacé par le métal [...]".

Enfin, il écrit que "pô tolo contient toutes les matières réparties en 4 x 20 « casiers »; les 4 divisions fondamentales contiennent respectivement les grains (germes ?), les métaux, les végétaux (matières organiques ?) et l'eau, les 20 « casiers » qui les composent déterminant les répartitions et les formes, soit 80 éléments de base".

En lisant ces explications on ne peut éviter de faire un rapprochement avec les philosophies de la Grèce antique et Arabe qui ont développé le concept des "quatre éléments", air, terre, eau et feu, bien longtemps avant la cosmogonie dogon. Selon Anaximandre (610-545 avant notre ère) les quatre éléments fondamentaux de la nature étaient à la base de tous les changements observés. Le feu ou l'eau pouvaient provoquer la fin d’un cycle cosmique en provoquant le "feu cosmique" ou un "cataclysme" (déluge), ramenant ainsi la régénération de la vie. Cette philosophie perdura jusqu'aux derniers travaux d'alchimie de Newton (~1700).

Dans le passage sur Orion, le texte dogon décrit également la nature du monde et de ses manifestations, un concept holistique qui leur permet de classer le monde naturel d'une manière tout à fait similaire à celle utilisée par les philosophes grecs.

La coïncidence est trop forte pour être naturelle car si les textes japonais et chinois par exemple parlent également de "quatre éléments", il ne s'agit pas des quatre même substances, il y a du bois, de l'or, etc.

Le pays dogon n'étant jamais qu'à quelques jours de marche (30 km/jour) de l'influence islamique et des missions coloniales, il serait étonnant que ces informations ne soient pas parvenues d'une manière ou d'une autre jusqu'à leurs villages.

Bref, ces différents exemples nous démontrent que les Dogon ne furent pas initiés par de vrais savants;  leur contact, qu'il soit unique ou multiple, n'avait que des connaissances limitées en astronomie et une documentation très incomplète, typique d'une oeuvre de vulgarisation du XIXe siècle. D'autres éléments viendront confirmer cette hypothèse.

Mais Temple et Guerrier ont proposé une autre explication et préféré recourir... à l'extraordinaire ! Si nous prenons en considérant tous les éléments de la cosmogonie dogon (toutes les caractéristiques du système solaire, du système de Sirius et de la Voie Lactée), si de fait Griaule et Dieterlen n'ont pas instruit les Dogon sur toutes ces matières, un mauvais enquêteur pourrait de fait en conclure qu'il est face à une énigme et il fera sans doute appel à une explication irrationnelle pour résoudre la question. Mais pour un fin limier adepte de la démarche scientifique, l'enquête n'est pas achevée car c'est oublier l'influence culturelle de la colonisation, en particulier française.

Dernier chapitre

La colonisation française

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[7] "La Recherche", n° 239, janvier 1992, p 105, article de Jean-Marc Bonnet-Bidaud et Cécile Gry. Le texte chinois du Shiji est également reproduit dans "Ciel et Espace", n° 254, janvier 1991. Lire aussi Edouard Chavannes, "Les Mémoires Historiques de Se-ma Tsien", tome troisième, ch. XXVII, Paris, 1899)

[8] A lire sur l'hypothétique satellite de Vénus : Johann Heinrich Lambert, “Essai d’une Théorie du Satellite de Vénus”, Nouveaux Mémoires de l’Académie Royale des Sciences et Belles-Lettres, Année MDCCLXXIII, Classe de Philosophie Expérimentale, 1775, p222-250 - Hans Carl Frederik Christian Schjellerup, “On some Hitherto Unknown Observations of a Supposed Satellite of Venus”, Copernicus: An International Journal of Astronomy, 2, 1882, p164-168 - Paul Stroobant, “Étude sur le satellite énigmatique de Vénus”, Bulletin Astronomique, Série I, vol. 4, 1887, p473-475 - H.C. Wilson, “The Supposed Satellite of Venus”, The Sidereal Messenger, 6, 1887, p357 - Edward Emerson Barnard, “Negative observations of a Venus Moon” cité dans Joseph Ashbrook, “Astronomical Scrapbook: The Satellite of Venus”, Sky and Telescope, 13, 1954, p333.


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