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L'eau, l'or bleu

La diversité du plancton. Document Christian Sardet.

Les écosystèmes (III)

Les acteurs de l'écosystème aquatique

Que l'on considère les océans, les mers intérieures, les rivières, les grands fleuves, les lacs ou les étangs, un écosystème aquatique produit constamment de la matière vivante. Celle-ci finit par mourir et se dégrader puis est lentement minéralisée (fossilisée) ou disparaît au service de la communauté sans laisser de trace. Ce scénario est entretenu par trois acteurs que l'on appelle des compartiments biologiques :

- Les producteurs : il s'agit pour l'essentiel des végétaux, algues microscopiques et phytoplancton, qui fabriquent par photosynthèse les matières organiques dont ils ont besoin pour assurer leur croissance. Ils consomment le gaz carbonique, l'azote, le phosphore, la silice et d'autres minéraux dissous dans l'eau et rejettent comme produit de réaction de l'oxygène.

- Les consommateurs : il s'agit des différentes communautés d'organismes herbivores, omnivores et carnivores. Parmi les premières citons les différentes espèces de zooplancton qui se nourrissent de phytoplancton ainsi que des invertébrés et des poissons qui se nourrissent d'algues et d'autres végétaux fixés sur le fond ou sur les roches.

Parmi les créatures omnivores il y a des espèces qui se nourrissent de végétaux, de zooplancton et d'autres invertébrés; Parmi les créatures carnivores, il s'agit essentiellement la faune de grande taille qui se nourrit des plus petites espèces, y compris certains oiseaux et de petits mammifères. Ces créatures respirent et consomment de l'oxygène produit par les plantes et rejettent du gaz carbonique dont profitent les végétaux.

- Les décomposeurs : à l'inverse des macrophages, il s'agit des micro-organismes (bactéries aérobies et champignons) qui décomposent la matière organique, qu'il s'agisse des sécrétions animales ou issue de leur décomposition, qu'elle provienne d'eaux de ruissellement, d'infiltrations ou d'eaux usées rejetées par les hommes. Ainsi que nous l'avons expliqué, ces matières organiques sont dégradées grâce à l'action de l'oxygène produit par les plantes.

La chaîne alimentaire

La chaîne alimentaire se définit comme la suite des relations alimentaires existant entre les êtres vivants. Ainsi que l'explique le schéma présenté ci-dessous, à travers ses trois principaux acteurs (producteurs, consommateurs, décomposeurs), l'écosystème aquatique produit en permanence des organismes vivants dans un cycle sans fin.

Schéma de la chaîne alimentaire aquatique.

Le premier maillon de la chaîne est généralement une espèce végétale. Ainsi, dans les océans peu profonds, ce rôle est assuré par le phytoplancton tandis qu'en profondeur, là où la lumière solaire ne pénètre plus, ce rôle est assuré par des bactéries thermophiles.

Il existe deux types de producteurs :

- Le producteur primaire est un organisme autotrophe, c'est-à-dire capable de synthétiser la matière organique uniquement à partir de matières minérales.

- Le producteur secondaire est un organisme hétérotrophe, c'est-à-dire qui se nourrit ou produit de la matière organique à partir de celle constituée par d'autres organismes qu'il consomme.

Les différents acteurs de la chaîne trophique finissent par mourir, rendant à la nature leurs éléments minéraux et organiques. Les producteurs, les consommateurs et les décomposeurs participent ainsi à l'épuration des écosystèmes aquatiques. Les uns apportent la matière première, les autres l'exploitent ou recyclent les déchets, l'ensemble de leurs actions permettant de préserver l'équilibre et la qualité de ces milieux.

La chaîne alimentaire est toutefois un concept qui ne s'applique pas aussi simplement et linéairement dans la nature. En effet, à l'échelle la plus petite des échanges biochimiques, chaque organisme interagit avec plusieurs autres de manière spécifique. Des interactions locales mêlant la matière ou l'énergie prennent place, chacune formant une petite chaîne alimentaire, l'ensemble de ces cycles interagissant, se croisant, s'entremêlant et créant des boucles d'interactions au sein des réseaux trophiques.

A l'échelle supérieure des écosystèmes, des échanges cycliques s'établissent également entre le biotope et la biocénose. Il s'agit des cycles biogéochimiques de l'eau, du carbone, de l'oxygène, de l'azote, du soufre et du phosphore parmi de nombreux autres (dont celui concernant le mercure par exemple).

Déséquilibre des écosystèmes

On parle de déséquilibre ou de rupture d'un écosystème car par définition un écosystème n'est pas une unité stable et éternelle; il est dynamique en ce sens que ses composantes naissent, se développent et meurent dans un cycle liant les anciennes et les nouvelles générations de manière continue. Comme le phénomène de la vie, c'est parce que le système est instable, subit des interactions et des perturbations qu'il évolue et survit naturellement au fil des éons.

Nous savons par exemple combien les crues peuvent être violentes et perturbent parfois une région durant plusieurs mois, tuant indifféremment animaux et végétaux quand elles ne tuent pas les hommes. Quand les crues n'entrent pas en compétition avec les activités humaines, du point de vue écologique elles sont indispensables au maintien des cours d'eau. Car si elles tuent la végétation elles permettent un rajeunissement des plantes riveraines, elles redessinent les fonds pour éviter leur envasement et participent à la régulation de la dynamique des populations.

Même si le phénomène est perturbant, c'est un facteur de maintien de la biodiversité. En effet, en l'absence de crues et s'il n'existe pas de boucles de rétroactions entre les populations, la compétition entre espèces peut déclencher une véritable hécatombe qui profitera à l'une des espèces. En conséquence, la crue offre un mécanisme naturel pour équilibrer les écosystèmes, encore faut-il que le système ne se dérègle pas, suite par exemple aux activités inconsidérées des hommes dans le paysage. C'est dans ce cadre qu'interviennent la bonne gestion des ressources naturelles et du territoire ainsi que le développement durable.

Un exemple typique de dérèglement est la crue du Nil qui depuis l'érection de plus d'une dizaine de barrages en Egypte et au Soudan n'alimente plus les rivages en limon fertile, au grand dam des petits fermiers et des agriculteurs. De plus, les eaux stagnes dans le delta, les Cariotes se plaignant que l'eau du fleuve est aujourd'hui très polluée.

A gauche, carte du Nil avec l'emplacement des barrages. A droite, location et origines des inondations et des crues en Belgique. Documents Hervé Amiot et Environnement de Wallonie.

Un écosystème suit une évolution ponctuée par une succession de perturbations. Sous l'effet d'une perturbation, le système change brutalement de régime et évolue vers un nouvel état d'équilibre lui apportant de nouvelles capacités d'autorégulation. S'il ne parvient à retrouver sa stabilité on dit qu'il perd sa capacité de résilience. Cela se produit lorsque la perturbation est trop importante et que le système a franchi un seuil irréversible. C'est notamment le cas lors des grandes pollutions (chimique ou nucléaire) ou après avoir exploité intensivement des ressources naturelles; passé un seuil critique, le milieu est définitivement altéré ou détruit ou la ressource est épuisée.

Quand il s'agit du mécanisme d'épuration des écosystèmes, ses capacités sont limitées par le potentiel de dégradation des bactéries aérobies. Si le milieu aquatique est peu oxygéné et qu'il fait froid, la matière organique non dégradée à tendance à s'accumuler. Lorsque le cumul devient plus important que le taux d'épuration, le milieu arrive à saturation et l'équilibre naturel est rompu, c'est la catastrophe écologique.

Lorsque le "déficit" en oxygène est naturel, le processus de dégradation de la matière organique ralentit et l'homme s'en aperçoit assez rapidement, notamment dans les marais ou les eaux de ruissellement peu oxygénées.

Enfin, il y a les perturbations artificielles liées aux activités humaines. Il y a d'une part le déversement de substances toxiques (acides, métaux lourds, etc) dans les eaux. On observe immédiatement une raréfaction des espèces vivantes ou on assiste à la disparition des espèces les plus fragiles. Le phénomène est généralement transitoire mais peut produire des effets directs durant plus de dix ans ou handicaper les populations à vie.

Il y a d'autre part, les nouvelles espèces animales ou végétales introduites intentionnellement ou non par l'homme et qui peuvent être à l'origine de profondes modifications de l'écosystème aquatique. Commme il s'agit généralement d'espèces exotiques plus résistantes que les espèces endémiques, elles envahissent leur territoire et deviennent l'espèce dominante au détriment de la biodiversité.

A lire : Global Invasive Species Database

A gauche, la distribution des Caulerpes en 1996, 12 ans après leur introduction accidentelle en Méditerranée par le musée océanographique de Monaco. A droite, tombant de Méditerranée couvert de Caulerpes. Documents ISIMA et Alexandre Meinesz.

Ainsi la Caulerpe (Caulerpa taxifolia) -  l'algue tueuse - introduite accidentellement sur le littoral de la Principauté de Monaco en 1984 a recouvert en l'espace 13 ans plus de 4700 ha d'herbiers sous-marins sur une épaisseur qui atteind 80 cm ! Elle est présente jusqu'à plus de 100 m de profondeur et a remplacé la Posidonie (Posidonia oceanica). La progression de la Caulerpe est exponentielle car elle est très résistance et supporte mieux l'eau froide que les espèces indigènes. On la retrouve aujourd'hui au large des îles Baléares, dans le détroit de Messine, en mer Tyrrhénienne et en mer Adriatique. Dans 50 ans elle sera présente dans toute la Méditerranée.

La Caulerpe envahit également d'autres parties du monde où les eaux sont relativement froides en profondeur comme par exemple les eaux australiennes de New South Wales (Sidney) et les eaux de la Baie de San Diego en Californie.

Il existe plusieurs méthodes pour la combattre. On peut évidemment l'arracher mais le travail est cher, long et fastifieux. On peut épandre du sel sur les fonds marins à raison de 20 kg/m2 ou encore réaliser une électrolyse au cuivre, l'algue étant très sensible à cet ion de métal. Les biologistes ont également introduit deux espèces de limaces de mer tropicales dont l'Elysia subornata qui s'en nourrissent. Mais le combat sera long.

La jussie (Ludwigia peploides) envahissant un lac. On retrouve de tels phénomènes en France (Loire, Bretagne, etc), aux Etats-Unis, en Australie...

Rappelons que la Caulerpe est devenue persona non grata et même interdite de séjour. Vous ne pouvez pas en cultiver dans un aquarium. Pour vous en débarrasser proprement et sans risquer de contaminer la nature, placez par exemple les herbes et tous les objets "contaminés" 24 heures au surgélateur puis plongez-les dans de l'eau de Javel avant de les jetter ou déversez-les sur un champ éloigné de tout cours d'eau afin que les plantes sèches au soleil.

De nombreuses plantes exotiques et souvent aquatiques sont devenues envahissantes pour citer la jussie (Ludwigia peploides) importée d'Amérique du Sud, la myriophylle du Brésil ou la renouée du Japon (Reynoutria japonica) parmi des dizaines d'autres espèces.

Des effets de bord plus ou moins inattendus peuvent également se produire lorsque l'homme croît pouvoir gérer son environnement mieux que dame Nature et agit par imprudence ou par ignorance dans une vision purement mercantile ou liée au prestige de son ouvrage.

On observe alors une perte de biodiversité (destruction d'une région suite à l'installation d'un barrage de retenue par exemple, tel celui des Trois Gorges en Chine) ou on assiste impuissant à des dégradations du milieu (disparition du limon suite à la canalisation des fleuves par exemple) voire à des accidents, conséquences souvent prévisibles d'une mauvaise gestion et du non respect des consignes de sécurité (rupture de digues sous la pression des eaux comme à New Orleans, inondations suite à l'urbanisation en dépit du bon sens, à un mauvais drainage des terres agricoles ou au manque de bassin d'orage).

Tous ces effets peuvent être associés à des phénomènes naturels (tremblement de terre, cyclone, tornade, tempête) qui ne viendront que renforcer la perturbation et l'ampleur des dégâts.

Dans le cas d'une marée noire par exemple, si les terres ou les roches sont spongieuses, elles peuvent rester imbibées de pétrole brut durant plus de 10 ans malgré le nettoyage assuré par des hordes de volontaires. La situation est encore plus préoccupante quand cela concerne la contamination de la faune aquatique par des métaux lourds (mercure, plomb, etc). Ils finissent par se concentrer au sommet de la chaîne alimentaire puis on les retrouve dans notre assiette avec des effets indésirables sur notre métabolisme (saturnisme, etc). On y reviendra.

Si l'homme est sage et retient les leçons du passé, il peut éviter que de telles catastrophes se reproduisent à l'avenir. Mais sous la pression socio-économique, le profit immédiat et le bien-être, le pouvoir de l'argent l'emporte généralement sur l'écologie, la santé et la sécurité. Seule une prise de conscience collective ou de nouvelles lois institutionnelles peuvent contraindre le monde politique et la population à agir dans le sens de l'écologie.

L'eutrophisation naturelle

L'eutrophisation est une forme de pollution de certains écosystèmes aquatiques qui se produit lorsque le milieu manque d'oxygène ou est trop riche en ammoniac. Cette pollution peut être naturelle ou artificielle. On reviendra plus loin sur sa forme artificielle lorsque nous aborderons le problème de la pollution.

Lorsque le milieu reçoit trop de matières nutritives, les végétaux (algues) arrivent à un seuil de saturation et ne peuvent plus les assimiler. En parallèle les algues et les plantes aquatiques commencent à proliférer. Ce phénomène se déclenche lorsque l'eau contient trop de nutriments constitués de phosphore (contenus dans les phosphates) et d'azote (contenus dans l'ammonium, les nitrates et les nitrites) qui constituent de véritables engrais pour la floreaquatique.

L'eutrophisation se présente sous différentes formes :

- Coloration verdâtre de l'eau, réduction de la transparence (phytoplancton en suspension)

- Dépôts brunâtres dans le lit des cours d'eau (diatomées et autres algues fixées)

- Grandes algues brunes-verdâtres envahissant toute la masse d'eau (algues filamenteuses fixées)

- Grands végétaux bruns-verdâtres aquatiques d'allures terrestres (végétaux supérieurs)

- Plantes couvrant toute la surface de l'eau (plantes aquatiques de petite ou grande taille)

A voir : Algues et mauvaises herbes aquatiques

A gauche, expérience d'eutrophisation dans le Grand lac d'Ontario au Canada. Le lac a été séparé en deux parties par un rideau en plastique étanche. Les deux bassins ont reçu du carbone et de l'azote mais le bassin inférieur a également reçu du phosphore. Sa couleur plus claire est due à la prolifération d'algues. Le phosphore (sous forme de phosphates) est notamment apporté par les détergeants des lessives qui contribuent à 50% de l'eutrophisation des grands lacs du Canada (Erié et Ontario). A droite, eutrophisation d'un lac du Wisconsin. Comparé à ce qui se passe dans certains lacs d'Afrique, ces phénomènes ci sont encore mineurs car ailleurs les plantes aquatiques peuvent proliférer au point de former un tapis végétal épais de 50 cm à la surface de l'eau, offrant un "écran total" sur plusieurs dizaines d'hectares, condamnant tous organismes aquatiques mis à part les amphibiens. Documents Pêches et Océans Canada et U.Wisconsin/Stephanie Lindloff.

L'eutrophisation s'observe principalement dans les réservoirs où l'eau se renouvelle lentement ou pas du tout (lacs profonds, estuaires, marais, étangs, etc.) et principalement entre 15 et 25°C, donc surtout en été. En effet, dans un lac l'eau est renouvelée de manière continue par les torrents et les eaux de ruissellement. Stimulées par ce flux, certaines algues poussent et se multiplient de manière excessive. Or, comme elles ont besoin de lumière pour se développer, elles s'étendent dans les eaux de surface au point de recouvrir graduellement toute la surface du lac comme le montre cette photographie. Les algues en excès finissent par mourir. Lorsqu'elles se décomposent, le milieu se charge en matières organiques biodégradables que les bactéries aérobies viendront consommer, qui à leur tour consommeront de plus en plus d'oxygène.

Nénuphars géants d'Amazonie (Victoria amazonica). Contrairement aux apparences, ils n'asphyxient pas ce bras du fleuve car le milieu est en équilibre. Document Rick Gillis.

Si le lac est profond, en l'absence d'une circulation convective suffisante entre les eaux des profondeurs et celles de surface, le fond du lac perd graduellement son oxygène et les bactéries finissent par ne plus pouvoir dégrader la matière organique qui tombe sur le fond et celle-ci s'accumule dans les sédiments. Le lac vieillit et finit par accumuler des boues. L'eau s'acidifie (pH ~5) et la plupart des poissons finissent par mourir, privés de nourriture.

Si la situation s'aggrave et qu'il fait chaud, l'oxygène dissous dans l'eau va encore diminuer et le phénomène va s'accélérer. Ainsi à 0°C, il y a environ 14 mg d'oxygène dissous par litre d'eau douce. A 30°C, il reste à peine 8 mg d'oxygène dissous par litre d'eau douce.

Le phénomène est accentué par les substances dissoutes rejetées par les activités humaines, notamment les phosphates des produits à lessiver. En revanche, si les eaux s'écoulent rapidement, elles sont également mieux oxygénées et les algues ne peuvent pas se fixer et s'accumuler en grande quantité.

Quand l'eutrophisation est naturelle, le phénomène est très lent et peut s'étaler sur plusieurs millénaires et parfois plus longtemps. Dans une rivière offrant peu de débit, cela peut se produire en l'espace de 100 ans, et moins de 50 ans dans un étang.

L'eutrophisation artificielle en revanche peut détruire un écosystème aquatique en quelques décennies voire même en quelques années seulement. C'est notamment le cas de nombreux estuaires d'Europe où la pollution artificielle joue un rôle important dans l'eutrophisation de l'eau.

Quand l'eutrophisation touche un lac, étant donné que généralement il est exploité par de petits pêcheurs, il arrive un jour où sa surface ne se différencie plus des terres cultivées et ressemble à un immense tapis vert souple et spongieux. Il est alors trop tard pour y remédier et l'équilibre est rompu. Il faut assainir la région. A défaut d'action d'envergure, les pêcheurs doivent nettoyer une partie du lac chaque jour, retirer des tonnes de végétaux pour espérer pouvoir pêcher quelques poissons ou crustacés, s'ils survivent dans cette véritable jungle aquatique.

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