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L'eau, l'or bleu

La molécule d'eau, ses orbitales et affinités. Document T.Lombry.

L'eau, source de vie (II)

Configuration spatiale

L'atome d'hydrogène dispose d'un seul électron et a besoin d'un deuxième électron pour compléter sa couche ou orbitale 1s et devenir stable (H-). L'oxygène contient 2 électrons sur son orbitale 1s et 6 électrons sur l'orbitale 2p. Il a besoin de deux électrons supplémentaires pour compléter son orbitale 2 p et devenir stable (O--).

Contrairement à ce que suggère notre intuition, les atomes constituants la molécule d'eau ne sont pas alignés à 180 ou même à 90° car la configuration de la liaison sp entre l'orbitale 1s de l'hydrogène et l'orbitale 2p de l'oxygène crée des nuages électroniques et une forme moléculaire hybrides.

La diffraction aux rayons X permet de constater que l'angle formé par la liaison covalente O-H n'est pas de 90° comme le prévoit la théorie mais de 104.5°. Ce phénomène est provoqué par une hybridation des orbitales 2s-2p de l'oxygène qui forment 4 nouvelles orbitales sp3.

Deux des six électrons forment des liaisons covalentes avec deux atomes d'hydrogène tandis que les deux autres orbitales portent chacune deux électrons non liants. Ces deux orbitales non liantes sont porteuses de charges négatives. Complétées par les deux charges positives des deux atomes d'hydrogènes, bien que la molécule d'eau soit électriquement neutre elle présente un moment dipolaire d'une valeur de 1.8 Debye soit 6.1x10-30 coulomb.mètre.

Ainsi que le montre le schéma ci-dessus, dans un espace plan, en tenant compte des moments dipolaires, la molécule d'eau se présente comme un triangle légèrement décentré ou plus exactement dans l'espace elle prend la forme d'un tétraèdre dont l'atome d'oxygène occupe presque le centre. S'il était placé au centre de la molécule, l'angle compris entre les deux liaisons covalentes O-H serait de 109.5°.

Les deux atomes d'hydrogène (en orange) occupent chacun un coin du trétraèdre, tandis que les charges négatives correspondant aux deux orbitales non liantes de l'oxygène (en bleu) occupent le troisième sommet.

Ce sont ces configurations géométrique et électronique particulières qui confèrent à la molécule d'eau ses propriétés : l'oxygène est porteur de charges légèrement plus négatives que l'hydrogène et attire de ce fait davantage d'électrons. En conséquence, les charges électriques sont distribuées de manière dissymétrique entre les deux atomes, on dit que la molécule est polaire. Dans la nature, il peut exister des molécules bipolaires voire même quadripolaires.

Les liaisons hydrogène

Par nature, l'oxygène a tendance à capter les électrons des autres atomes et l'hydrogène à tendance à perdre son électron. Dans la molécule d'eau, en pratique on constate qu'elle contient 10 électrons, dont 8 proviennent de l'atome d'oxygène et 2 proviennent de 2 atomes d'hydrogène. L'eau est donc en réalité constituée d'une molécule d'H2O2.

Le fait que la molécule d'eau soit polaire est une particularité essentielle pour comprendre ses affinités chimiques, c'est-à-dire sa capacité à se lier à d'autres substances, et la manière dont les nuages électroniques s'organisent autour de la molécule d'eau. Ainsi que nous l'avons évoqué, parmi les 10 électrons formant le nuage électronique, 2 électrons appartenant à l'oxygène ne participent pas aux liaisons chimiques covalentes; on les appelle les "électrons de cœur" tandis que 4 électrons de l'atome d'oxygène sont libres et participent à la formation des liaisons hydrogène.

Chaque molécule d'eau à la capacité d'établir 4 liaisons hydrogène. Etant donné que l'eau n'est entourée que de molécules semblables, le nombre de liaisons possible est équivalent au nombre de liaison de valence.

L'énergie requise pour établir une liaison hydrogène varie entre 10 et 40 kJ/mole. Par comparaison, la liaison covalente est d'environ 460 kJ/mole. C'est la raison pour laquelle on qualifie les liaisons hydrogène de liaisons de faible énergie, ou liaisons faibles.

Une faible variation dans la force des liaisons hydrogène peut provoquer de grands changements dans les propriétés physiques de l'eau. Document Martin Chaplin/LSBU.

La stabilité de la liaison hydrogène dépend de sa géométrie : plus la liaison O-H est colinéaire plus la liaison est stable.

Ces liaisons chimiques qui s'établissent entre les atomes d'hydrogène et d'oxygène expliquent la création de la molécule mais nullement ses différents états, solide, liquide ou gazeux.

Car si nous nous basons uniquement sur les calculs, on peut démontrer que dans des conditions de pression et de température normales (1013.25 mb et 15°C), l'eau devrait bouillir à... -80°C ! Or l'eau bout à 100°C dans ces conditions. Quelle est donc cette mystérieuse propriété qui permet à l'eau de rester liquide à température et pression ambiante ?

Le plus simple est de comparer l'eau à d'autres molécules constituées de deux ou trois atomes et différents de l'hydrogène ou de l'oxygène. C'est alors qu'on constate la grande originalité de la molécule d'eau : les fameuses liaisons hydrogène.

En effet, ces liaisons maintiennent la cohésion de la molécule d'eau dans tous ces états; qu'elle entre en ébullition ou se cristallise, les liaisons hydrogène agissent comme un élastique qui se détend ou se tord pour conserver la stabilité et la cohésion de la molécule. En d'autres termes, une faible variation dans la force des liaisons hydrogène peut provoquer de grands changements dans les propriétés physiques de l'eau comme le montre le graphique présenté à gauche. Et quand la résistance physique est dépassée par les circonstances, les liaisons hydrogène puis covalentes cèdent, la molécule se brise et avec elle notre espoir de conserver l'eau dans son état.

Nous verrons en météorologie qu'il faut une certaine énergie pour que l'eau passe d'une phase à l'autre ou pour rompre ses liaisons hydrogène. C'est donc l'existence et la force de ces liaisons qui font que l'eau reste liquide entre 0 et 100°C dans des conditions normales de pression, se cristallise en dessous de 0°C (liaison plus forte) et se transforme en gaz au-dessus de 100°C (liaison plus faible).

Les affinités chimiques

Nous avons expliqué en introduction que l'eau joue en rôle central dans l'évolution de la vie en raison de ses propriétés. En fait l'eau est si particulière du fait de sa liaison hydrogène et son caractère polaire.

Beaucoup d'autres molécules sont polaires et même bipolaires et peuvent se lier à d'autres. Les groupes carbonyles polaires par exemple (CO) peuvent se lier par des ponts hydrogène aux molécules d'eau. Cette liaison est par ailleurs beaucoup plus stable que la liaison CH. C'est l'une des raisons qui conduisit à l'apparition de l'effet de serre sur Terre. Nous y reviendrons quand nous discuterons de l'expérience prébiotique de Miller.

Associée à une certaine tolérance, cette liaison explique les propriétés extraordinaires de l'eau, tant sur le plan physique (changement de phase) que chimique (solvant, etc). Notons que la structure surfacique de l'eau a pu être simulée par un modèle quantique (cf. F.S. Cipcigan et al., 2015).

A gauche, représentation 2D très schématique de la densité électronique dans la molécule d'eau. Elle est 10 fois plus importante autour de l'atome d'oxygène qu'autour des atomes d'hydrogène. A droite, représentation 3D schématique de la probabilité de trouver une paire d'électrons dans la molécule d'eau. Le lobe rouge correspond au domaine préférentiel où se situent les 4 électrons de l’atome d’oxygène groupés par paires. Ces électrons dits libres permettent la formation des fameuses liaisons hydrogène. Les lobes bleus représentent les domaines où se situent préférentiellement les paires d'électrons qui assurent les liaisons O-H au sein de la molécule (une paire pour chaque liaison). La petite sphère rose matérialise le domaine des deux électrons de coeur de l’atome d’oxygène qui ne participent pas aux liaisons chimiques. Documents Martin Chaplin/LSBU et B.Silvi et A.Savin/LCT Jussieu.

La liaison hydrogène possède en effet 3 caractéristiques qui la rendent particulière et avantageuse dans toutes les réactions physico-chimiques :

- La liaison hydrogène est directionnelle (comme la liaison covalente) : la liaison O=H s'aligne dans l'axe de sa liaison de valence. Cette disposition explique la structure cristallographique de la glace par exemple ou l'agencement particulier des molécules de protéine ou des enzymes.

Sa polarité permet également aux ions (atome ou molécule ayant gagné ou perdu un ou plusieurs électrons) de s'isoler des autres molécules, empêchant leur combinaison avec les ions d'autres molécules et de signe opposé.

- La liaison hydrogène est souple car avec une énergie d'à peine 10 kJ/mole, elle est de l'ordre de grandeur de la température ambiante, soit 27°C. Dans le corps humain, à partir de 37°C on estime qu'environ 15% des molécules d'eau, ce qui représente tout de même environ 10 litres, forment 4 liaisons hydrogène avec d'autres molécules d'eau dont la durée de vie est très courte.

C'est donc entre 27 et 37°C environ que s'établissent la majorité des liaisons hydrogène mais c'est également sous ces températures qu'elles sont les plus flexibles sans pour autant être fragiles ni instables; elles peuvent se tordre, se rompre mais également se restaurer et évoluer en fonction de la température ou de la pression, ce que ne peuvent pas réaliser les liaisons covalentes, beaucoup trop énergétiques et donc rigides dans les mêmes conditions.

Nous verrons un peu plus loin que cette souplesse est indispensable pour réaliser certaines réactions chimiques. Elle intervient en particulier dans tous les processus biologiques impliquant des enzymes ou l'ADN.

- Enfin, la liaison hydrogène permet de transférer des ions hydrogène (H+ ou protons) entre les molécules qu'elle relie. Cette réaction est essentielle au développement des réactions chimiques en solution aqueuse, notamment celles impliquant les protéines; sans transfert ionique, les molécules biologiques seraient condamnées à l'inaction, or en ce qui concerne la vie, l'inertie ou la stabilité est synonyme de mort. C'est peut être ce rôle vital qui explique en partie pourquoi la vie serait apparue dans les océans plutôt que directement sur la terre ferme.

Les différents états de l'eau

Nous connaissons tous les trois principaux états de l'eau : solide (glace), liquide et gazeux (vapeur). Mais au total, en 2023 les scientifiques avaient découvert 21 formes cristallines de l'eau. La 20e forme de glace fut découverte en 2022 (cf. Z.M. Grande et al., 2022). Décrivons quelques_uns de ces états de l'eau et leur propriétés.

Découverte d'un second état de l'eau liquide

Dans un article publié dans la revue "International Journal of Nanotechnology" en 2016, une équipe internationale de chercheurs dirigée par la physicienne Laura M. Maestro de l'Université d'Oxford a déclaré avoir découvert un second état de l'eau liquide.

Les chercheurs ont étudié les propriétés physiques de l'eau et ont constaté que lorsqu'elle est chauffée entre 40 et 60°C, elle atteint une température de transition où elle semble osciller entre deux états liquides différents, présentant un nouvel ensemble de propriétés en fonction de l'état vers lequel elle retourne.

Pour comprendre ce changement d'état, les chercheurs ont examiné des éléments tels que la conductivité thermique, l'indice de réfraction, la conductivité, la tension superficielle et la constante diélectrique, c'est-à-dire des facteurs qui affectent la propagation du champ électrique dans une substance et comment ils réagissaient aux fluctuations de température entre 0 et 100°C.

Les chercheurs ont constaté que lorsque l'eau atteint 40°C, ses propriétés changent jusqu'à 60°C. Chaque propriété présente une "température de transition" différente quelque part dans cette marge dont la raison est probablement liée au fait que l'eau liquide a basculé dans une phase différente.

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L'équipe a énuméré quelques-unes de ces températures de transition : environ 64°C pour la conductivité thermique, 50°C pour l'indice de réfraction, environ 53°C pour la conductivité et 57°C pour la tension superficielle. Ces résultats confirment que dans l'intervalle 0-100°C, l'eau liquide présente une température de transition proche de 50°C pour beaucoup de ses propriétés. Reste à comprendre pourquoi.

Selon les chercheurs, ce changement d'état pourrait être lié aux propriétés si inhabituelles que présente l'eau en général. Comme nous l'avons expliqué, les molécules d'eau ne maintiennent que des liaisons hydrogène de très courte durée entre elles, et ces liaisons sont beaucoup plus faibles que les liaisons qui relient les atomes d'hydrogène et d'oxygène individuels à l'intérieur des molécules. Pour cette raison, les liaisons hydrogène qui relient les molécules d'eau sont constamment en train de se briser et de se reformer au-dessus du point de fusion de l'eau, et malgré ce chaos apparent, des structures fixes obéissant à des lois précises persistent, imposant un certain degré de structure au fouillis moléculaire.

La découverte de Maestro et ses collègues semble démontrer que l'eau présente peut-être quatre (voire même cinq) états différents et elle pourrait avoir de grandes implications pour les systèmes nanoscopiques et biologiques. Selon les chercheurs, "les propriétés optiques des nanoparticules métalliques (or et argent) dispersées dans l'eau, utilisées comme nanosondes ainsi que les propriétés d'émission des points quantiques utilisés pour la bioimagerie par fluorescence et le ciblage tumoral, montrent un comportement singulier dans cette plage de température. [Cela] soulève également la question de savoir si les changements structuraux de l'eau en fonction de la température affectent les macromolécules biologiques dans les solutions aqueuses, et en particulier dans les protéines, qui sont les unités biologiques fonctionnelles vitales dans les cellules vivantes".

La phase glace VII de l'eau

Nous savons tous que l'eau peut se présenter sous différentes formes ou états : solide, liquide ou gazeuse et même dans un état métastable, la surfusion. Ces états dépendent de la pression et la température. Sur Terre et dans des conditions proches de la normale, ces trois états peuvent exister simultanément aux environs de 0°C; c'est le "point triple". Mais sur d'autres planètes et dans des conditions très différentes, l'eau peut exister dans d'autres états, dont certains sont très étonnants.

En 1963, l'auteur Kurt Vonnegut publia un roman de science-fiction intitulé "Le Berceau du chat" (Cat's Cradle) dans lequel il décrivit un monde appelé "Ice Nine" (glace neuf) où la glace présentait la particularité de fondre à 45.8° C. Mise en contact avec de l'eau et notamment avec celle des océans, dans une réaction en chaîne elle transformait immédiatement ceux-ci en glace, entraînant la fin du monde.

Heureusement pour nous, ce type de glace n'existe pas. Mais les physiciens ont découvert au cours d'expériences de laboratoire une autre forme de glace appelée "Ice VII" (glace VII). Cette phase serait extrêmement dangereuse si elle existait dans les conditions terrestres. En revanche, elle pourrait exister sur les lunes glacées de Saturne et notamment sur Encélade déjà connue pour présenter des geysers de vapeur d'eau. Sa découverte aurait des implications sur le développement éventuel d'une forme de vie dans les entrailles de cette lune.

Lorsque les conditions de température et de haute pression sont réunies à la limite de la métastabilité, la glace VII présente la particularité de geler tout un monde en quelques heures ! Voyons cette étonnante propriété en détails.

A gauche et au centre, configuration expérimentale représentant la compression multichocs et le diagramme de phase de l'eau et de la glace VII superposés à une illustration d'une exoplanète océanique hypothétique. Contrairement à la compression simple choc (où la courbe suite celle de Hugoniot), la compression quasi isentropique permet de détecter des états profondément sous-refroidis du fait que la hausse de la température le long de la courbe d'état est beaucoup plus atténuée. Comme on le voit sur le schéma présenté ci-desous à gauche, les isentropes à deux phases pour les exoplanètes océaniques Gliese 581d et Gliese 1214b sont déclenchées à des températures de surface de respectivement 340 et 400 K. A droite, structure moléculaire tridimensionnelle des différentes phases de la glace. Notez la structure hexagonale de la glace ordinaire (Ih) et la structure cubique de la glace VII. Documents J.Belof et al. (2018) et  Kazuhiro Himoto adaptés par l'auteur.

Techniquement parlant, la glace ordinaire que nous conservons au congélateur correspond à la phase Ih ("h" pour hexagone); c'est la forme d'alignement que prennent tous les atomes d'oxygène pendant la congélation sous 0°C et une pression proche de la normale. Mais en théorie l'eau peut exister dans au moins 17 phases cristallines différentes qui dépendent des conditions de l'environnement concerné.

Cette phase de glace Ih se transforme en glace II si on lui applique une pression suffisante, les atomes d'oxygène s'alignant sous forme de losanges. Si on continue à augmenter la pression, on obtient les glace III, glace IV, glace V, glace VI, etc. D'autres formes de glace sont théoriquement possibles, même à des températures de plusieurs centaines de degrés Celsius à condition que la pression soit suffisamment élevée (quelques GPa).

Les atomes d'oxygène de la glace VII sont disposés en cubes, ce qui n'est possible que sous des pressions au moins 10000 fois supérieures à celle régnant à la surface de la Terre. Ces conditions furent créées en laboratoire en plaçant de minces échantillons d'eau en sandwich entre des plaques et en les bombardant  avec des ondes de choc de forte intensité ou des impulsions laser. En 2017, les physiciens de l'Université de Stanford ont filmé pour la première fois la formation de glace VII qui atteignit cette phase en seulement six nanosecondes, un record.

En 2018, des chercheurs ont annoncé dans la revue "Science" la découverte d'une glace VII naturelle dans des diamants extraits des profondeurs du manteau terrestre. S'il s'agit de la température et de la pression normales pour la formation de diamants, ce ne sont pas des conditions idéales pour former de la glace VII qui ne s'est vraisemblablement pas formée à cette profondeur. Si des inclusions d'eau furent prisonnières des diamants lors de leur formation, cette eau fut exposée à des températures bien plus froides à mesure qu'elle remonta à la surface, tout en étant soumise à des pressions élevées. C'est ainsi que ce sont formée les poches de glace VII piégées dans ces diamants. Selon le minéralogiste George Rossman de Caltech et coauteur de cet article, la glace VII contenue dans ces diamants n'est pas inconnue, mais le fait de retrouver cette forme à très haute pression et intacte fut le fait du hasard.

Suite à cette découverte, des physiciens du LLNL ont mis au point un nouveau modèle mathématique basé sur la nucléation. Rappelons que la nucléation est le processus qui se déroule au stade initial du processus de congélation, lorsque quelques molécules d’eau commencent à s’organiser en une structure moléculaire solide. Ce processus forme de minuscules cristaux de glace. S'il se produit dans des conditions idéales et si ces cristaux grossissent et se combinent entre eux, ils vont s'étaler à une vitesse supersonique jusqu’à congéler toute l'eau disponible.

Simulation informatique en 3D de la structure moléculaire de la glace VII. Document LLNL.

Il s'avère que même si la pression semble suffisamment élevée pour que de la glace VII se forme, si elle ne dépasse pas un seuil très spécifique, la nucléation se propage vers le centre de l'échantillon. Si on dépasse ce seuil, on obtient une transition de phase rapide au fur et à mesure que la nucléation se propage dans l’ensemble de l’échantillon. C'est ainsi que de la glace VII peut se former et s’étendre très rapidement à l'image du scénario de "Glace Neuf". Pour que le cristal de glace se forme dans l'eau à grande vitesse, les deux milieux doivent être à des températures différentes.

Dans un article publié dans les "Physical Review Letters" en 2018, Jonathan Belof du Lawrence Livermore National Laboratory (LLNL) et ses collègues ont montré que la glace VII se forme de manière très inhabituelle - en petites grappes d'environ 100 molécules qui se développent ensuite extrêmement rapidement : si la réaction de congélation se produit en 6 ns, elle se propage d'une molécule à l'autre à la vitesse de 1600 km/h; autrement dit elle peut geler tout un océan sur plusieurs kilomètres de profondeur en quelques heures !

Selon Belof, ce sont des conditions qu'on pourrait rencontrer sur des mondes océaniques, c'est-à-dire des exoplanètes recouvertes d'un océan. Selon les simulations, les ondes de choc provoquées par l'impact d'astéroïdes glacés et de comètes par exemple seraient suffisantes pour compresser toute l'eau jusqu'à la pression nécessaire pour former de la glace VII à une profondeur de plusieurs centaines de kilomètres. Si cette glace VII se propage rapidement jusqu'en surface, cela pourrait condamner toute vie sur cette exoplanète, une contrainte supplémentaire dont les exobiologistes doivent dorénavant tenir compte.

La glace XVIII, de la glace chaude superionique

Il s'agit d'un état ou phase particulière de l'eau entre liquide et solide qui n'existe pas à la surface de la Terre. Prédit depuis les années 1980, cet état se produit sous de hautes températures et pressions, de l'ordre de 5000 K et 190 GPa. Ce sont des conditions qu'on rencontre dans le coeur des planètes géantes glacées comme Uranus et Neptune et au centre de la Terre.

Image intégrée dans le temps d'une expérience de compression par choc laser afin de créer les conditions extrêmes régnant à  l'intérieur des planètes et étudier les propriétés de l'eau superionique. Document M.Millot et al. (2018).

Dans un article publié dans la revue "Nature Physics" en 2018, Marius Millot du laboratoire LLNL et de l'UCB et ses collègues ont annoncé avoir créé expérimentalement cet état qui, jusqu'ici pouvait uniquement être simulé numériquement faute d'avoir la technologique adéquate.

Au terme de quatre années de recherches, les chercheurs sont parvenus à créer de la glace superionique en comprimant un échantillon d'eau entre deux pointes de diamants jusqu'à 2.5 GPa. A ce stade, ils ont obtenu de la glace VII (voir plus haut) qui est déjà 60% plus dense que l'eau ordinaire. Ils ont ensuite bombardé cette glace VII avec un laser dont les ondes de choc portèrent la température de la glace à 5000 K et une pression de 190 GPa. La glace superionique s'est formée moins de 10 à 20 ns plus tard, avant de fondre.

Dans ce nouvel état, les liaisons hydrogène deviennent "superioniques" : en raison de l'intense chaleur, les liaisons hydrogène s'affaiblissent mais la forte pression maintient les atomes d'oxygène dans l'alignement cristallin de la phase solide.

Les chercheurs ont constaté que l'oxygène se concentrait dans de petits espaces semblables à des cubes, occupés par un atome à chaque coin et un au centre de chaque côté. Selon Federica Coppari du LLNL et coauteure de cet article, c'est la première fois que de l'eau solidifiée se présente d'une telle façon. L'équipe a proposé d'appeler cette nouvelle forme de glace "Ice XVIII" (glace XVIII).

Sous cet état, les ions hydrogène (des protons) peuvent continuer à se déplacer librement dans le cristal. Contrairement à un métal où c'est le déplacement des électrons qui engendre l'électricité, dans la glace superionique c'est le déplacement des protons qui la rend des centaines de fois plus conductrice que l'eau ordinaire.

Grâce à cette expérience, les astrophysiciens vont pouvoir améliorer les modèles de la dynamique et de la structure interne des planètes géantes glacées qui sont composées à 65% d'eau. Cet état particulier pourrait mieux expliquer leur étrange champ magnétique.

La découverte de la glace superionique (glace XVIII) pourrait résoudre le mystère de la composition des planètes glacées géantes comme Uranus et Neptune. Sous une enveloppe d'hydrogène et d'hélium liquides, ces planètes pourraient contenir une vaste couche de glace superionique (en noir à gauche et en plus clair à droite) enveloppant un noyau rocheux. Documents Iammoteh/Quanta Magazine et T.Lombry.

Découverte de nouvelles propriétés de l'eau

Une équipe de scientifiques dirigée par le chimiste et mathématicien Mark E. Tuckerman de l'Université de New York (NYU) annonça en 2018 dans les "Physical Review Letters" avoir découvert de nouvelles propriétés moléculaires de l’eau, des phénomènes qui étaient jusqu'ici passés inaperçus.

L'eau liquide est connue pour être un excellent transporteur de ses propres produits d'autoionisation, c'est-à-dire les produits chargés obtenus lorsqu'une molécule d'eau se divise en proton (H+) et anion hydroxyde (OH-). Cette propriété remarquable fait de l'eau un composant essentiel des technologies émergentes de production et de stockage de l'énergie électrochimique telles que les piles à combustible. Mais au-delà de cette application, la vie elle-même ne serait pas possible si l'eau ne possédait pas cette propriété.

Nous avons expliqué que l’eau est structurée sous forme d'un réseau complexe d’interactions directionnelles faibles appelées les liaisons hydrogène. Pendant près d'un siècle, on pensait que les mécanismes par lesquels l'eau transportait les ions H+ et OH- étaient identiques à tous égards mises à part les directions des liaisons hydrogène impliquées dans le processus.

Les modèles et les simulations informatiques avaient prédit une asymétrie fondamentale entre ces deux mécanismes. Si cette théorie est correcte, cette asymétrie pourrait être exploitée dans différentes applications en adaptant le système pour favoriser un ion par rapport à un autre. La preuve expérimentale de la prédiction théorique est restée insaisissable en raison de la difficulté d'observer directement les deux espèces ioniques. Les expériences ont seulement fourni des aperçus de l'asymétrie prédite.

Avec ses collègues, Mark Tuckerman, qui a été l’un des premiers chercheurs à prédire l'asymétrie des mécanismes de transport et la différence dans les arrangements de liaisons hydrogène, ont conçu une expérience novatrice. L'approche expérimentale impliquait le refroidissement de l'eau jusqu'à sa température dite de densité maximale, où l'asymétrie devrait se manifester le plus fortement, ce qui lui permettrait d'être détectée précisément.

Nous savons que la glace flotte sur l'eau et que les lacs gèlent à partir de la surface. L'explication réside dans le fait que les molécules d'eau changent de phase et entrent dans une structure dont la densité est inférieure à celle de l'eau liquide, une manifestation des propriétés inhabituelles de l'eau : la densité de l'eau liquide augmente juste au-dessus du point de congélation, à 4°C, la température de densité maximale. Cette différence de densité impose que le liquide est toujours situé sous la glace.

En refroidissant l'eau jusqu'à 4°C, les chercheurs ont utilisé la technique de résonance magnétique nucléaire pour montrer que la différence de durée de vie des deux ions atteint une valeur maximale où le transport est le plus lent. En accentuant la différence de durée de vie, l'asymétrie est devenue évidente.

Dans l'eau, les atomes d'hydrogène sont relativement mobiles et peuvent sauter d'une molécule à une autre. C'est ce saut qui rend les deux espèces ioniques si mobiles dans l'eau. En cherchant à comprendre comment les caractéristiques dépendaient de la température, les chercheurs ont examiné la vitesse à laquelle ces sauts se produisaient. Des recherches antérieures avaient indiqué que deux principaux arrangements géométriques des liaisons hydrogène facilitaient ces sauts. Les chercheurs ont constaté qu'à 4°C l’un des arrangements conduisait à un ralentissement significatif du saut de l'OH- par rapport au H+. S'agissant de la température de densité maximale, les chercheurs ont estimé que les deux phénomènes devaient être liés. De plus, leurs résultats ont montré que le comportement des sauts des molécules changeait brusquement à cette température.

Selon Tuckerman cette découverte gratifiante n'est pas sans conséquences pratiques. Elle permettra notamment de concevoir de nouveaux matériaux destinés à des applications exploitant de l'énergie propre.

Malgré ces découvertes, il existe encore beaucoup de questions ouvertes au sujet de la nature de l'eau qui plus que jamais suscitent la curiosité des scientifiques. Il y a également des questions pratiques que nous allons tenter d'expliquer mais toutes ne sont pas encore résolues, ce qui fait tout l'intérêt du sujet.

Une nouvelle forme de glace : la MDA

Dans un article publié dans la revue "Science" en 2023, le postdoctorant Alexander Rosu-Finsen, aujourd'hui rédacteur en chef adjoint de la revue "Nature Reviews Chemistry" et à l'époque membre de l'équipe de recherche du chimiste Christoph G. Salzmann de l'University College de Londres et ses collègues ont annoncé la découverte d'une nouvelle forme de glace.

Pour obtenir cette glace, les chercheurs ont utilisé un équipement relativement simple et peu coûteux. Salzmann et ses collègues ne cherchaient pas un nouveau type de glace mais voulaient simplement étudier de très petits cristaux de glace, car ils possèdent parfois des propriétés très différentes des plus gros morceaux.

Rosu-Finsen a commencé par briser de la glace qui fut maintenue au froid dans de l'azote liquide à -195.56°C, puis la plaça dans un shaker avec des billes d'acier comme illustré ci-dessous pour broyer la glace - ce qu'on appelle le broyage à billes - le tout étant maintenu à une température ultra-froide. Le shaker fut secoué d'avant en arrière 20 fois par seconde. Rosu-Finsen a ensuite ouvert le récipient et découvrit un matériau qu'il n'avait jamais vu; quelque chose de complètement inattendu s'était produit.

A gauche, la configuration utilisée par les chercheurs pour créer de la glace amorphe de densité moyenne ou MDA : de la glace ordinaire fut placée dans un shaker avec des billes d'acier et maintenue au froid et secouée vigoureusement. A droite, comparaison de la structure moléculaire de la glace cristalline ordinaire (à gauche) et de la MDA (à droite). Documents A.Rosu-Finsen et al. (2023).

Si visuellement le matériau blanc à l'intérieur du shaker ressemblait un peu à de la glace pilée, d'un point de vue chimique la glace avait été transformée. Le matériau était plus dense et une grande partie de la structure cristalline avait été détruite, produisant un matériau amorphe. La densité, cependant, ne correspondait pas aux glaces amorphes de haute et basse densités déjà connues. Curieusement, ce matériau était entre les deux; il avait presque exactement la même densité que l'eau liquide.

Jusqu'à présent, toutes les formes solides de glace, cristallines ou amorphes, étaient soit significativement plus denses, soit moins denses que l'eau liquide. Les chercheurs l'ont appelée la glace amorphe de densité moyenne ou MDA (Medium-Density Amorphous ice). C'est la 21e forme de glace découverte à ce jour.

C'est le choc des billes d'acier qui produisit une force de cisaillement sur les cristaux de glace, suffisante pour déplacer les molécules d'eau hors de leurs positions cristallines, leur permettant d'être serrées plus étroitement et offrant des propriétés uniques.

Les chercheurs ont également documenté deux types de glace présentant des molécules mélangées, ce qu'ils appellent des matériaux amorphes. La glace amorphe plus dense que l'eau est appelée glace amorphe de haute densité; la moins dense que l'eau est appelée glace amorphe de faible densité.

Les glaces amorphes n'existent pas sur Terre, mais elles pourraient être répandues dans l'espace, dans les comètes, dans les nuages interstellaires et les mondes glacés comme la lune Europe de Jupiter.

Selon Marius Millot, physicien au Lawrence Livermore National Laboratory en Californie qui avait créé l'eau superionique précitée, "C'est vraiment cool. Ce que cela nous dit, c'est qu'il y a encore beaucoup de choses que nous ne comprenons pas."

Décidément, l'eau et en particulier la glace cache encore bien des secrets.

A voir : 3D molecular visualisation - Water turning into ice CSIRO's Data61, 2019

Molecular dynamics simulation of ice crystal melting

Questions pratiques

Pourquoi l'eau joue-t-elle un rôle thermorégulateur ?

Nous avons tous constaté que près de l'océan le climat est plus doux en hiver comme en été et que durant la période hivernale il faut vraiment des conditions climatiques très rigoureuses durant plusieurs semaines pour que les embruns gèlent ou que la mer soit prise dans les glaces.

Température moyenne à la surface des mers relevée le 20-24 juin entre 1985 et 1997 par le radiomètre des satellites NOAA. Document JPL/PODAAC.

Quand un spécialiste parle de changement d'état de l'eau, il l'associe également à la notion de chaleur spécifique. De quoi s'agit-il ? La thermodynamique nous apprend que la chaleur représente un transfert d'énergie entre deux corps de températures différentes mis en contact. La chaleur spécifique d'un corps représente l'énergie nécessaire pour élever la température de 1 gramme de 1°C.

Pour l'eau, la chaleur spécifique est de 4.2 J/g par degré Celsius, ce qui est une valeur assez élevée, quatre fois supérieure à celle de l'air. A titre de comparaison, l'éthanol constituant les boissons alcoolisées présente une chaleur spécifique de 2.5 J/g par degré Celsius.

Cette chaleur spécifique élevée explique le rôle thermorégulateur de l'eau. En effet, cette propriété lui permet d'absorber ou de dégager plus d'énergie que d'autres substances. C'est ainsi que les premiers mètres de l'océan peuvent absorber autant de chaleur que toute la colonne d'air située au-dessus. L'océan est donc un immense réservoir de chaleur; en se réchauffant de quelques degrés seulement, il emmagasine une grande quantité de chaleur qu'il restitue sur une très longue période.

Cette capacité thermique lui permet également de jouer un rôle régulateur favorable au développement de la vie. Du fait de son inertie thermique, l'eau stabilise les réactions biochimiques qui dépendent toutes de la température.

On explique l'effet de cette chaleur spécifique par l'abondance des liaisons hydrogène qui doivent être préalablement rompues pour que l'énergie cinétique des molécules puisse augmenter. Concrètement, l'eau absorbe de la chaleur lorsque les liaisons hydrogène se rompent et, inversement, dégage de la chaleur lorsqu'elles s'établissent.

Pourquoi l'eau dissout-elle les substances ?

On dit que l'eau est un solvant universel car elle est capable de dissoudre la plupart des substances, qu'elles soient acides ou basiques, solides ou liquides. Si on réfléchit à ce mécanisme, c'est une caractéristique exceptionnelle à laquelle très peu d'autres liquides peuvent prétendre (l'ammoniac notamment).

Document Pharmaceutical Technology. Test de dissolution de pastilles fabriquées à Shanghaï pour le laboratoire Boehringer-Ingelheim.

L'eau dissout les substances ioniques (sels, etc) ainsi que certaines matières constituées de molécules polaires (dont les charges positives et négatives ne sont pas confondues). Il s'agit d'un solvant polaire dit protique (possédant au moins un hydrogène acide, c'est-à-dire susceptible d'intervenir dans des liaisons hydrogène) au même titre que les alcools (éthanol et méthanol), l'ammoniaque, etc.

Cette dissolution des substances est rendue possible par le caractère polaire de la molécule d'eau qui présente des charges à la fois positives et négatives lui permettant d'attirer les ions ou les molécules polaires de signe opposé. C'est ce qui explique la formation d'un "écran d'eau" autour de ces ions ou molécules, évitant leur combinaison avec d'autres molécules et favorisant leur dispersion au sein du liquide.

Dans la vie de tous les jours, cette capacité à dissoudre les solides et solutés offre l'avantage de faciliter notre alimentation (et celles des autres espèces vivantes) ainsi que le transfert des substances dans l'organisme sous forme liquide qui autrement seraient difficiles voire désagréables à manger ou à assimiler : les boissons sucrées, les solutions médicamenteuses, les vitamines, le café, etc.

Mais tout avantage à son inconvénient. Nous verrons que par son action mécanique et chimique, l'eau lessive les sols mais elle dissout et dissémine également les substances toxiques dans la nature, jouant le rôle moins flatteur de vecteur de pollution, action parfois épaulée par le vent.

Pourquoi l'eau érode-t-elle la matière ?

Comment l'eau qui glisse entre nos doigts peut-elle aussi être l'un des agents les plus destructeurs sur Terre ? Comment un filet d'eau, assez doux pour couler agréablement sur notre visage peut-il aussi tailler le granit ? Qu'est-ce qui confère à cette substance apparemment bénigne un tel pouvoir abrasif ?

Dans un article publié dans la revue "Nature Communications" en 2022, Xiang Cheng de l'Université du Minnesota Twin Cities et ses collègues ont découvert la raison pour laquelle les gouttelettes de liquide peuvent éroder des surfaces dures.

Erosion côtière par le flux de la mer. Document FYFD.

L'étude des gouttelettes fascinent les chercheurs depuis longtemps, notamment la façon dont les gouttes de pluie frappent le sol et dont les aérosols transportent des agents pathogènes. Mais jusqu'à présent, les études se sont limitées soit à l'analyse visuelle à l'aide de caméras à haute vitesse soit à des analyses chimiques.

Cheng et ses collègues ont développé une nouvelle technique qui permet de mesurer directement des quantités auparavant cachées qui confèrent aux gouttelettes leur force abrasive. La nouvelle technique, appelée microscopie de contrainte à grande vitesse, offre un moyen plus quantitatif d'étudier le phénomène d'érosion liquide en mesurant directement la force, la contrainte et la pression des gouttes de liquide lorsqu'elles frappent une surface.

Les chercheurs ont découvert que la force exercée par une gouttelette se propage en fait avec la goutte impactante – au lieu d'être concentrée au centre de la gouttelette – et la vitesse à laquelle la gouttelette se propage dépasse la vitesse du son pendant de courts instants, créant une onde choc à travers la surface. Chaque gouttelette se comporte comme une petite bombe, libérant son énergie d'impact de manière explosive et lui donnant la force nécessaire pour éroder les surfaces les plus dures au fil du temps.

Selon Cheng, "Il existe des dictons similaires dans les cultures orientales et occidentales selon lesquels "l'eau goutte à goutte creuse la pierre". De tels dictons ont pour but d'enseigner une leçon de morale : "Soyez persévérant". Même si vous êtes faible, lorsque vous faites quelque chose en continu, cela aura un impact. Mais quand vous avez quelque chose d'aussi doux que des gouttelettes qui frappent quelque chose d'aussi dur que des rochers, vous ne pouvez vous empêcher de vous demander comment l'impact de la goutte a-t-il causé ces dommages ? C'est cette question qui motiva notre étude."

A voir : Raindrop Impact on a Sandy Surface, APS Physics/UMN

Après avoir levé le voile sur le pouvoir mystérieux de la gouttelette, les chercheurs pensent que cette découverte pourrait être mise à profit pour aider à concevoir des surfaces plus résistantes à l'érosion pour les applications qui doivent résister aux éléments extérieurs.

Cheng et son équipe étudient déjà comment différentes textures et matériaux modifient la quantité de force créée par l'impact des gouttelettes. "Par exemple, nous peignons la surface d'un bâtiment ou enduisons les pales d'éoliennes pour protéger les surfaces. Mais avec le temps, les gouttelettes de pluie pourraient encore causer des dommages par impact. Donc, notre recherche consiste à voir si nous pouvons réduire la quantité de contrainte de cisaillement des gouttelettes, ce qui nous permettrait de concevoir des surfaces spéciales capables d'atténuer cette contrainte."

Pourquoi l'eau est-elle transparente ?

Faites congeler de l'eau du robinet, elle formera un glaçon translucide ou opaque. Prenez de l'eau bouillante, elle formera un glaçon transparent. La transparence d'une substance dépend à la fois de son épaisseur, liée à sa densité, sa structure moléculaire (amorphe ou cristalline), des impuretés qu'elle contient et de la longueur d'onde à laquelle on l'observe. Ainsi une feuille de métal de quelques microns d'épaisseur est transparente. En revanche une épaisseur de 20 m d'eau claire devient translucide voire opaque. Le corps humain est opaque à la lumière visible mais devient transparent aux rayons X.

A gauche et à droite, la limpidité de l'eau en Antarctique laisse rêveur les plongeurs de l'Atlantique ou localement de Méditerranée habitués aux eaux plus troubles. Ici la visibilité horizontale dépasse sans vergogne 50 m (la limite dans les eaux limpides du Pacifique) et tout autant verticalement s'il est possible d'avoir des repères. Au centre, un cube d'eau glacée devient translucide pour peu qu'il contienne des bulles d'air et des cristaux différemment alignés. Sa couleur bleue est dans ce cas-ci un effet artificiel. Documents Norbert Wu/SIO, Electronfx et NOAA Corps Photolibrary.

La matière est plus ou moins transparente en fonction de son état de vibration, c'est-à-dire de la facilité qu'ont les différentes composantes du rayonnement (quand il s'agit de lumière blanche) à traverser sa structure moléculaire. Si le rayonnement est absorbé au cours de son parcours, il y a extinction et la matière devient opaque. Si le rayonnement la traverse sans rencontrer d'obstacle, le milieu est transparent. Il en est ainsi pour l'eau, dont le réseau moléculaire est relativement transparent aux longueurs d'ondes bleue et verte mais il absorbe assez bien la lumière rouge, d'où la dominante bleu-cyan qui caractérise les fonds marins.

Enfin, concernant la luminosité dans l'eau, au large des îles Gambier situées au sud-est de la Polynésie, réputées pour ses eaux transparentes, à 100 mètres de profondeur, le corail ne reçoit plus que 10% de la lumière qui pénètre la surface et 4% à 120 m de profondeur.

Si au-delà de 50 m de profondeur, le monde sous-marin baigne dans un clair-obscur, un plongeur considère que l'obscurité totale commence à 400 m de profondeur. Mais en pratique les sondes photométriques indiquent que le noir absolu ne débute qu'au-delà de 1200 m de profondeur. Pour rappel, les abysses commencent à 4000 m de profondeur.

Pourquoi l'eau est-elle liquide ?

Une fois de plus, voilà une question a priori naïve mais qui soulève bien des discussions car personne ne connaît exactement la réponse ! Une majorité de scientifiques s'accordent à dire que l'état liquide est un effet direct des propriétés des liaisons hydrogène. D'accord, mais c'est une définition académique qu'il faut la nuancer.

Une vague parfaite photographiée lors du Volcom Pipe pro 2017 à Pipeline le 4 février 2017, sur la rive nord de l'île d'Oahu à Hawaï. Le Banzai Pipeline, ou simplement "Pipeline" ou "Pipe", est un récif de surf situé à Hawaï, au large du parc d'Ehukai Beach à Pupukea sur la côte nord d'O'ahu. Pipeline est connu pour ses énormes vagues qui se brisent dans les eaux peu profondes juste au-dessus d'un récif corallien acéré et caverneux, formant de grands pipelines creux et épais que les surfeurs aguerris peuvent surfer. Document Brian Bielmann/AFP.

Deux écoles s'affrontent car il y a la question du liquide visqueux et du liquide très fluide. On imagine que le premier est lié au poids moléculaire de la substance et de la force de ses affinités chimiques qui contrecarrent son agitation (cf. le gel dont la matière à la fois molle et liquide est solidarisée par un réseau réticulé de poylmères) mais dans le second cas, et dans le cas particulier de l'eau, le liquide est très fluide et cette caractéristique est encore plus évidente dans les substances très légères comme l'éther (elle est même portée au paroxysme dans les superfluides mais ici la physique obéit à d'autres lois).

Dans le cas de l'eau, pour les uns cette grande fluidité est liée à la recombinaison des liaisons hydrogène, pour les autres c'est la souplesse des liaisons hydrogène qui accepteraient une certaine tolérance (distance, torsion, etc), conférant à l'eau son aspect liquide. Mais nul ne le sait exactement car aussi étonnant que cela soit, tout le problème réside en fait dans notre ignorance des caractéristiques moléculaires précises et de la formulation théorique associées à la molécule d'eau.

Pourtant ce n'est pas faute de l'étudier sur les plans théorique et expérimental. A travers le monde, des équipes de chercheurs s'évertuent à analyser son spectre par spectroscopie optique ou infrarouge, on étudie son spectre Raman, on l'analyse par résonance magnétique nucléaire (RMN), par diffusion de rayons X ou de neutrons, ou par des voies purement mathématiques, en vain; la littérature scientifique est abondante mais il n'y a pas de consensus.

Modèle d'une micro-gouttelette d'eau : il s'agit d'un réseau constitué d'un amas de molécules icosaèdriques. Platon et ses formes pures y trouverait de l'intérêt. Document Martin Chaplin/LSBU.

Nous avons expliqué que la molécule d'eau est uniquement entourée d'autres molécules semblables. Mais cette situation qui paraît innocente pose quantité de problèmes du point de vue des affinités chimiques. En effet, puisque chaque molécule d'eau établit des liaisons hydrogène et covalente avec ses semblables, toutes ces molécules mises ensemble réalisent un nombre inimaginable de liaisons hydrogène et autant de liaisons de valence. Malgré toutes ces liaisons, l'eau compte parmi les liquides les plus fluides.

On sait également que ces liaisons sont directionnelles et nécessitent une certaine quantité d'énergie. Enfin, on sait que ces liaisons dépendent étroitement des conditions qui règnent dans le milieu : sans énergie ou très peu, ces interactions se figent et l'eau devient solide. Inversement, si on élève la température, les liaisons se tordent puis se brisent et l'eau se décompose en ses atomes.

Dans une molécule ne disposant pas de liaisons hydrogène, les atomes sont libres de tourner les uns par rapport aux autres autour de chaque liaison simple. C'est ce qui explique la variété des conformations biomoléculaires (mis à part le carbone où les liaisons sont dédoublées et la structure est rigide. Dans ce cas on parle d'énantiomètres et d'isomères). Mais cette liberté de mouvement affaiblit les interactions électromagnétiques et finit par briser la molécule.

Du fait de l'existence des liaisons hydrogène, ces mouvements de rotation ne peuvent pas se produire avec l'eau. Par ailleurs si les liaisons peuvent bien entendu se rompre, les expériences de spectroscopie démontrent que très peu de liaisons se rompent dans l'eau. De plus il faut noter que cette rupture requiert globalement beaucoup plus d'énergie que la chaleur requise pour passer d'une phase à l'autre.

Si les liaisons ne sont donc pas rompues, pour expliquer cet état de fluidité variable il reste la possibilité qu'elles se distendent ou plutôt qu'elles se tordent. En effet, au voisinage de 0°C, sous l'effet de faibles changements de température, la molécule d'eau se détend (quand on la refroidit) ou se contracte (quand on la chauffe).

Toutes ces particularités peuvent plus ou moins s'expliquer grâce au modèle icosaèdrique dont un exemple est présenté à droite (en état détendu) et dont Martin Chaplin de l'Université South Bank de Londres fait en revue détaillée en anglais.

On ignore cependant le mécanisme à la base de la torsion des liaisons hydrogène, comment elles tournent ou se déplacent. On connaît la dynamique globale de la molécule d'eau mais pas de ses constituants (positions relatives des atomes, évolution, pourcentage se contraction avec la température, etc). Bref, sous des eaux calmes, c'est le chaos ! Avis aux chercheurs !

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