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Origine de l'eau

L'eau si particulière à notre planète est paradoxalement d'origine extraterrestre; elle provient des petits corps (astéroïdes, comètes et météorites) riches en eau qui percutèrent la proto-Terre il y a plus de 4 milliards d'années. Photo adaptée de Beach backgrounds.

De la Terre aux confins de l'univers (I)

Nous pensons généralement que l'eau n'existe que sur la Terre. En réalité, nous devons distinguer plusieurs problèmes : d'où vient l'eau présente sur notre planète, découvrir si elle existe ailleurs dans le système solaire (même sous une autre forme) et éventuellement dans l'univers.

1. D'où vient l'eau de la Terre ?

Le bilan complet de l'eau présente sur Terre nous permet de conclure que l'eau contenue dans les océans ainsi que dans l'atmosphère ne représente que 50% de la quantité d'eau terrestre. L'eau qui ruisselle en surface, dans les grottes et surtout emprisonnée dans les roches jusqu'à plusieurs centaines de kilomètres de profondeur représente à son tour 50% de l'eau terrestre, sans compter la ringwoodite saturée d'eau située entre 660-700 km de profondeur qui contiendrait trois fois le volume des océans.

Rappelons que 95% des émanations gazeuses volcaniques sont également constituées de vapeur d'eau (reconnaissable aux fumées blanches) qui provient directement du manteau.

En masse, les océans ainsi que les mers intérieures, les fjords, les sources, les lacs et autres fleuves - ce qu'on appelle l'hydrosphère - représente 0.023% de la masse de la Terre (1.37 x 1021 kg contre 5.98 x 1024 kg) tandis que l'atmosphère contient 0.001% du volume total d'eau, ce qui représente 0.000088% soit 5.29 x 1018 kg de la masse de la Terre.

Cette eau représente un volume de 1386 milliards de km3, l'équivalent d'un cube de 1115 km de côté ou une "goutte" d'eau de 1015 km de rayon, soit plus de 12 fois plus petite que le rayon de la Terre. Au bas mot, cela représente un cube de 320 mètres de côté à la disposition de chaque habitant chaque jour ! Malheureusement elle est très mal distribuée et certains nappes aquifères ou roches hydratées comme la ringwoodite sont inaccessibles car enfouies profondément sous terre, quand l'eau n'est pas salée.

Toute l'eau potable ne représente qu'environ 120000 km3 soit un cube de 49 km de côté ou une "goutte" d'eau de 31 km de rayon.

Si nous répartissions toute l'eau de l'atmosphère entre tous les habitants de la planète, chacun disposerait chaque jour d'un cube d'eau mesurant 46 mètres de côté. Si toute cette eau potable était condensée, elle couvrirait la surface du globe d'une épaisseur de 2.5 cm. Selon d'autres estimations, cette quantité serait 9 fois plus faible, atteignant 12900 km3 ou 12000 milliards de tonnes d'eau potable, ce qui est infime dans l'absolu.

D'où vient toute cette eau ? La réponse est toujours incertaine et plusieurs hypothèses ont été émises. De nos jours, la Terre est située dans la partie interne du système solaire, une zone "sèche" en raison de sa proximité du Soleil. Il est donc apparemment contradictoire de trouver de l'eau sur la Terre. Pour comprendre pourquoi il en est ainsi, nous devons remonter dans le temps lorsque le système solaire se forma il y a un peu moins de 4.6 milliards d'années.

Des études ont montré que le système solaire s'est structuré de manière à séparer les matériaux "secs" des matériaux "humides" : il existe des météorites dites carbonées, relativement riches en eau qui proviennent du système solaire extérieur et des météorites non carbonées, plus sèches, provenant du système solaire interne (cf. la croissance des grains de poussière).

La réponse dans le deutérium

Dans un article publié dans le "Journal of Geophysical Research" en 2018, l'équipe de Jun Wu de l'Université d'Arizona (ASU), a calculé que le rapport D/H de l'eau des océans vaut 1.56 x 10-4 soit une teneur en deutérium de l'ordre de 156 ppm (avec 1 ppm = 1 mg/kg). Cette valeur relativement faible indique que la majorité des météorites riches en eau tombées sur Terre proviendraient de la Ceinture principale des astéroïdes (cf. aussi "Science", 2012) où D/H est voisin de 140 ppm alors que celui des comètes varie entre 150-300 ppm. Les chercheurs en ont déduit que les comètes ne constitueraient pas la principale source de l'eau terrestre.

En revanche, ils rappellent que l'eau peut facilement se former dans les entrailles de la Terre sous certaines conditions (voir plus bas). Par ailleurs, on sait que le disque protoplanétaire était très riche en hydrogène et en poussières. Les chercheurs suggèrent que l'eau fut formée par accrétion d'hydrogène soluble sur des isotopes de poussière au sein même des planétésimaux au cours des premiers millions d'années de la formation de la Terre. Ce scénario permet de résoudre le problème du rapport D/H dans le disque protoplanétaire qui selon les simulations ne devrait pas dépasser 21 ppm. Les chercheurs ont proposé le schéma suivant pour expliquer la formation de l'eau terrestre.

Schémas résumant les processus cosmochimiques et géophysiques à l'origine de l'eau de la Terre proposés par J.Wu et al./ASU (2018) adaptés par l'auteur. Voir le texte pour les explications.

Selon ce processus, les planétésimaux dont la taille était comprise entre celle de la Lune et de Mars se sont accrétés pour former la proto-Terre (a). Ces planétésimaux étaient formés de chondrites à enstatite (chondrite de type E), une matière contenant du fer sous forme de sulfite plutôt que d'oxyde et chimiquement proche des péridotites qu'on retrouve en abondance dans le manteau terrestre. Notons qu'à ce jour les géologues ont répertorié quelque 200 chondrites de type E, une famille relativement rare (~2% des météorites récoltés), parmi lesquelles les météorites d'Abee, Indarch, Neuschwanstein et de Saint-Sauveur.

Ces roches présentent également un rapport isotopique de l'oxygène similaire à celui de la Terre et de la Lune. De plus, le rapport entre la proportion de fer dans les enstatites (EH, riches en fer) et les silicates est également proche de celui qu'on retrouve dans la région comprise entre le noyau terrestre composé de fer et le manteau silicaté. Autrement dit, la péridotite terrestre proviendrait des chondrites de type E. On parvient ainsi à retrouver un rapport D/H ~140 ppm. Mais il faut tenir compte de la chaleur libérée par la Terre (par la radioactivité naturelle et l'accrétion) qui a conduit à différencier les roches, formant le noyau de fer et le manteau (b), le deutérium ayant tendance à se concentrer dans le manteau alors que l'hydrogène se concentre dans le noyau, raison pour laquelle le rapport D/H diminue dans le noyau et augmente dans le manteau.

Selon ce modèle, les planétésimaux et plus tard la proto-Terre furent rapidement envahis de magma enfermant le gaz dissous de la nébuleuse protoplanétaire. L'intérieur de la Terre s'est ensuite différencié, affectant les rapport isotopiques et diversifiant les sources d'eau (c-d).

Finalement, l'équivalent du volume d'environ trois océans était dissous dans le manteau terrestre. Le dégazage volcanique aurait ensuite transporté toute cette eau en surface (e-f). Selon les chercheurs, entre 10 et 30% de l'eau de cet océan primitif proviendrait indirectement des isotopes d'hydrogène absorbés par le magma.

Si cette théorie est séduisante, il faut la prouver. Il faut donc étudier chaque étape de ce scénario et tenter de démontrer que les mécanismes en action se produisent effectivement dans la nature. Ceci nous conduit à étudier l'hypothèse de l'origine externe de l'eau de la Terre, liée à l'apport des petits corps mais également l'hypothèse d'une origine interne liée au dégazage du magma il y a plus de 4 milliards d'années. Voyons ces deux scénarii en détails.

Origine externe

La première hypothèse considère que lors de la formation du système solaire, les planétésimaux, en particulier les comètes et les astéroïdes rocheux qui ont formé la Terre (cf. la théorie de l'accrétion) renfermaient énormément de gaz dont de l'hydrogène et des éléments légèrement plus lourds. A l'échelle planétaire ce réservoir de gaz était astronomique. Sous la chaleur du noyau de la jeune Terre, le gaz emprisonné dans les roches s'est lentement échappé pour former l'atmosphère primitive de la Terre puis se serait condensé sous forme de pluie sous l'effet du froid persistant en altitude. Cette période de pluies diliviennes aurait duré des centaines de milliers voire quelques millions d'années, le temps nécessaire pour remplir les bassins etr cavités océaniques sous plusieurs kilomètres d'eau (jusqu'à 10 km localement).

Cette hypothèse a récemment été renforcée suite à l'analyse des météorites de la famille des angrites, en particulier NWA 7034 surnommée "Black Beauty" présentée ci-dessous à droite.  A ce jour, c'est la seule météorite provenant de Mars qui ne soit pas une SNC. En effet, NWA 7034 est composée de brèches et de basalte fondu provenant de la croûte martienne comme l'a montré Kevin Cannon de l'Université Brown et ses collègues dans une étude publiée dans la revue "Science" en 2016. Cette angrite est riche en eau (abondance de 6000 parties par million soit 0.6%). Ses constituants ont interagi avec la surface de Mars ou avec de l'eau superficielle il y a 2.1 milliards d'années. Notons que cette météorite unique en son genre contient également des zircons âgés de plus de 4.4 milliards d'années provenant des sites volcaniques d'Élysium et de Tharsis (cf. M.Bizzarro et al., 2020).

Les angrites se sont formées il y a 4.56 milliards d'années. A cette époque la Terre avait seulement 20% de sa taille actuelle tandis que Mars qui s'est probablement formée plus rapidement, avait pratiquement sa taille actuelle. On ignore ce qu'il en était de Mercure et Vénus.

Plusieurs théories peuvent expliquer la présence d'eau sur Terre. La première qui est aussi la plus simple, considère que des comètes (et accessoirement les astéroïdes) sont entrées en collision avec la Terre à l'époque de sa formation. Selon une autre théorie, l'eau proviendrait non pas de l'extérieur mais de l'intérieur de la Terre suite notamment à l'interaction chimique entre l'hydrogène liquide et le quartz présents dans le manteau supérieur. Toutefois tous les mécanismes n'ont pas encore été étudiés et chaque théorie à ses partisans et ses détracteurs. A gauche, la comète de Bennett traversant le ciel crépusculaire le 4 mai 1970. Document Akira Fujii. Au centre, un cristal de quartz qui sous certaines conditions de température et de pression et en présence d'hydrogène peut former et piéger de l'eau. A droite, la météorite NWA 7034 "Black Beauty" découverte au Maroc en 2011. Il s'agit d'une angrite contenant 0.6% d'eau originaire de Mars. Document NASA/JPL-Caltech/UCLA/DLR/IDA.

Comme nous l'avons expliqué à propos de la genèse du système solaire, à cette époque la partie interne du système solaire était composée de protoplanètes et d'astéroïdes encore en fusion dont les surfaces étaient molles et envahies de magma. Même un élément solide comme le carbone qui présente une température d'ébullition de 4827°C était considéré comme un élément volatile. Il est donc surprenant et on compend encore assez mal comment NWA 7034 a pu conserver de l'eau connaissant son faible point d'ébullition, en particulier celui de l'hydrogène qui se situe à -252.9°C.

En revanche, dans une étude publiée dans les "Philosophical Transactions of the Royal Society" en 2017, le géophysicien Adam R. Sarafian du WHOI et ses collègues ont montré que l'astéroïde parent des angrites contenait probablement environ 20% de la teneur en eau actuelle de la Terre. Si cette proportion est faible en termes modernes, cette quantité d'eau dans le système solaire primordial indique que l'eau était assez abondante il y a 4.56 milliards d'années, à une époque où le système solaire interne était encore chaud. Selon les chercheurs, le corps parent des angrites devait probablement être aussi grand que l'astéroïde Vesta qui mesure environ 525 km de diamètre. La Terre est environ 25 fois plus grande.

Sarafian et ses collègues estiment que les angrites et les autres météorites à forte teneur aqueuse ont apporté une petite fraction de l'eau de la Terre au cours des deux premiers millions d'années de son existence. Mais la présence d'eau dans ces météorites ne suffit pas à expliquer toute l'eau existant aujourd'hui sur Terre, y compris dans les roches et dans le manteau qui ensemble en contiennent autant que les océans.

La contribution du vent solaire à l'eau de la Terre

On sait que dans le système solaire il existe beaucoup d'hydrogène mais le seul astre ayant un rapport du deutérium (D/H) inférieur à celui de la Terre est le Soleil lui-même. Or comme nous l'avons expliqué, l'eau des océans terrestres présente un rapport isotopique D/H plus proche de celui de l'eau présente dans les astéroïdes que de l'eau des comètes.

Photographie au microscope électronique à balayage d'un fragment de grain de poussière de l'astéroïde Itokawa. Document U.Glasgow/U.Curtin.

Dans une étude publiée dans la revue "Nature Astronomy" en 2021, une équipe internationale de chercheurs dirigée par Luke Daly de l'Université de Glasgow a découvert que le vent solaire, composé en grande partie de protons (des ions d'hydrogène), est capable de former de l'eau à la surface des grains de poussière des astéroïdes, et donc y compris ceux qui percutèrent la jeune Terre en formation. Les chercheurs confirment la théorie de Jun Wu et ses collègues décrite plus haut mais cette fois sur base d'expériences en laboratoire et d'échantillons directement prélevés sur un astéroïde.

Les chercheurs ont testé leur théorie du vent solaire en laboratoire en tirant des ions d'hydrogène lourds (deutérium) pour simuler l'effet du vent solaire sur des minéraux identiques à ceux qu'on trouve sur des astéroïdes et ont découvert que ces ions réagissent avec les particules minérales pour produire de l'hydroxyde (OH-) et de l'eau (H2O).

Ensuite, ils ont effectué une analyse méticuleuse atome par atome de minuscules fragments de l'astéroïde Itokawa de type S proche de la Terre, dont des échantillons furent collectés par la sonde spatiale japonaise Hayabusa et ramenés sur Terre en 2010. Leur analyse par sonde atomique tomographique (SAT) à l'Université de Curtin a permis d'étudier les quelque 50 premiers nanomètres de la surface des grains de poussière d'Itokawa. Cette technique permet de mesurer l'abondance et les positions des atomes et des molécules individuels en 3D. L'un de ces échantillons est présenté à gauche.

Remise à l'échelle, la quantité d'eau trouvée dans les grains de poussière équivaut à environ 20 litres pour chaque mètre cube de roche (soit 2% d'eau pour une roche peu dense).

Les chercheurs en déduisent qu'avec toute la poussière qui est tombée sur la Terre au fil des éons, énormément d'eau ordinaire formée à partir du vent solaire (et un peu moins de deutérium) se serait accumulée en plus de l'eau lourde provenant des plus gros impacteurs. Les calculs montrent qu'en mélangeant dans un rapport 50:50 des poussières riches en eau à des astéroïdes, on obtient la composition isotopique de l'eau de la Terre. Autrement dit, la moitié de l'eau de la Terre pourrait provenir de l'interaction du vent solaire sur les astéroïdes qui percutèrent la proto-Terre.

Selon Daly, cette étude donne non seulement aux scientifiques un aperçu remarquable de l'origine de l'eau de la Terre, mais pourrait également aider les futures missions spatiales : "La manière dont les astronautes obtiendraient suffisamment d'eau, sans transporter de fournitures, est l'un des obstacles à la future exploration de l'espace. Nos recherches montrent que le même processus d'altération spatiale qui a formé de l'eau sur Itokawa s'est probablement produit sur d'autres planètes dépourvue d'air, ce qui signifie que les astronautes seraient en mesure d'obtenir de l'eau fraîche directement à partir de la poussière présente à la surface d'une planète ou de la Lune."

La Lune apporta l'eau sur Terre

La plupart des études ont montré que les matériaux carbonés étaient probablement responsables de l'apport de l'eau sur la Terre mais on ignorait quand et comment ces matériaux carbonés - et donc l'eau - sont parvenus sur Terre. L'une des clés pour connaître l'origine de cette eau est l'analyse des isotopes du molybdène présents dans le manteau (cf. Yu-Hsuan Liang et al., 2016) pour extrapoler leur fraction dans le manteau primitif ou BSE (Bulk Silicate Earth) et la comparer à celle des météorites. En effet, ces radionucléides permettent de distinguer clairement les matériaux carbonés des matériaux non carbonés et représentent en tant que tels une "empreinte génétique" des matériaux du système solaire interne et externe (cf. C.Burkhardt et al., 2011).

Dans un article publié dans la revue "Nature Astronomy" en 2019, l'équipe de Gerrit Budde de l'Université allemande de Münster montra que la composition isotopique du molybdène terrestre (le losange vert dans le diagramme présenté ci-dessous à droite) se situe entre celles des météorites carbonées et non carbonées, ce qui démontre que certains molybdènes de la Terre proviennent du système solaire externe, c'est-à-dire au-delà de la ligne de glace.

A gauche, du minerai de molybdène (Mo-95). D'aspect gris aux reflets blancs, ce métal de transition (de terre rare) est gras au toucher. On en trouve également dans les météorites, en particulier dans les sidérites où il se mêle au fer et au nickel. Son abondance relative globale sur Terre est faible avec 1.5 ppm, il est en 42e place. Selon l'IMOA, on en a extrait ~258 kT en 2017. A droite, fraction des radioisotopes du molybdène dans les météorites et le manteau de la Terre. Document G.Budde et al. (2019) adapté par l'auteur.

Les propriétés chimiques du molybdène jouent un rôle essentiel car en tant que métal la majeure partie du molybdène terrestre se trouve dans son noyau. Selon Christoph Burkhardt, coauteur de cette étude, "le molybdène aujourd'hui présent dans le manteau de la Terre provient des derniers étapes de sa formation tandis que le molybdène des phases antérieures coula entièrement dans le noyau." Ces résultats montrent pour la première fois que des matériaux carbonés provenant du système solaire externe sont parvenus tardivement sur la Terre.

De plus, cette étude montre que la majeure partie du molybdène du manteau terrestre provient de l'astéroïde Théia qui percuta la Terre il y a 4.55 à 4.40 milliards d'années et conduisit à la formation de la Lune. Cependant, comme une grande partie du molybdène du manteau terrestre provient du système solaire externe, cela signifie que Théia lui-même provient également du système solaire externe. Selon les chercheurs, la collision a fourni suffisamment de matière carbonée pour représenter la totalité de l'eau existant sur Terre. Selon Thorsten Kleine, professeur de planétologie à l'Université de Münster, "notre approche est unique car, pour la première fois, elle nous permet d'associer l'origine de l'eau sur Terre à la formation de la Lune. Pour le dire simplement, sans la Lune, il n'y aurait probablement pas de vie sur Terre."

Le rôle discret des comètes

Quant aux comètes, si elles ont probablement contribué à la formation des océans, il existe toutefois des preuves selon lesquelles deux parmi les comètes récentes les plus brillantes, Hyakutake (1996) et Hale-Bopp (1997) contredisent cette théorie ou du moins réduisent l'effet des comètes. En effet, la constitution isotopique de l'eau de mer (eau normale et eau lourde) n'est pas identique à celle de ces deux comètes. En extrapolant ces valeurs, on aboutit à la conclusion inévitable que l'eau de nos océans n'a pas pu contenir plus de 30 à 40% d'eau cométaire. D'autres arguments viennent s'y ajouter tel le fait que ces comètes ne résidaient pas dans le plan du système solaire et n'auraient eu aucune chance de percuter la Terre. Il faut donc trouver d'autres comètes pour conforter cette théorie quelque peu controversée.

Par ailleurs, les recherches géologiques et astronomiques nous apportent les preuves que le bombardement cométaire sous forme d'averses a commencé longtemps après que la Terre se soit formée et refroidie. On en trouve les preuves dans la surface fortement cratérisée de la Lune, des autres planètes et des astéroïdes. Les dernières études suggèrent que c'est au cours des premiers 100 millions d'années d'existence du système solaire que la Terre ainsi que les autres planètes connurent une période d'intense bombardement météoritique (cf. le bombardement intensif tardif mais qui finalement aurait été très précoce). C'est durant cette période cataclysmique que les comètes ont pu apporter leur eau glacée sur Terre qui se transforma finalement en océans, mais l'essentiel de l'eau a probablement été apportée par Théia et d'autres astéroïdes ainsi que par le dégazage des roches terrestres.

Origine interne

La seconde hypothèse est complémentaire de la première et considère que l'eau appportée par les comètes et autres planétésimaux se trouvait à l'origine piégée dans le manteau de la Terre. Ces roches auraient subi un dégazage durant l'Hadéen il y a plus de 4 milliards, à l'époque où l'activité volcanique fut la plus intense. On estime qu'au début de l'Archéen il y a 3.8 milliards d'années, les océans occupaient un volume 25% supérieur à celui qu'ils occupent aujourd'hui. Mais bien que cette théorie est plausible, rien ne permet d'affirmer que toute cette eau est remontée par les volcans où s'il s'agit d'une contamination ultérieure.

Si l'astéroïde Théia, les météorites et autres comètes ont apporté une fraction notable de l'eau de la Terre, il faut identifier la dernière source d'eau. Il faut notamment expliquer la présence d'eau dans le manteau supérieur de la Terre, en particulier dans la ringwoodite.

Des expériences menées en 2014 par Ayako Shinozaki et son équipe de l'Université de Tokyo ont montré que de l'eau pouvait se former par dissolution de quartz en présence d'hydrogène liquide (H2) à haute pression et haute température. Dans cette expérience, les chercheurs travaillaient avec des pressions de 1.1 à 3.0 GPa (soit 10856 à 29607 atm) et des températures de 1127-1427°C (1400-1700 K).

Microphotographie d'une géode montrant de l'eau piégée au sein des cristaux. Document Dirk Wiersma/Science Photo Library.

Une expérience similaire mais théorique cette fois et plus complète fut réalisée peu après par les équipes dirigées par Niall English et Zdenek Futera de l'University College de Dublin. Ils ont simulé les réactions chimiques entre l'hydrogène liquide (H2) à haute pression et haute température présent dans le manteau et le dioxyde de silicium (SiO2) composant le quartz.

Les résultats de leurs simulations publiés dans les "Earth and Planetary Science Letters" en 2017 montrent que de l'eau peut se former sous certaines conditions qu'on retrouve entre 40 et 400 km de profondeur sous la surface de la Terre. Cette réaction se produit à environ 1400°C et ~2 GPa (20000 atm) et génère de l'eau liquide et un hybride de silicium. Les simulations montrent qu'au départ l'hydrogène liquide diffuse à travers les couches de quartz. Ensuite l'eau se forme non pas en surface mais au coeur du minéral; l'eau reste prisonnière du quartz, entraînant une augmentation de la pression, c'est-à-dire que le milieu reste pressurisé. Selon les simulations, la pression pourrait atteindre 20 GPa (200000 atm). Selon John Tse de l'Université de Saskatchewan au Canada et coauteur de cette étude, de telles pressions peuvent engendrer des tremblements de terre. On ignore encore quelle quantité d'eau doit être libérée pour engendrer ces séismes à très grandes profondeurs.

On peut s'étonner de trouver de l'eau dans les roches. Rappelons que certains pierres fines comme les opales (opales noires et Welos) sont formées de silicium mélangées à de l'eau. La formation du minéral dépend d'une alternance de périodes humides (durant lesquelles l'hydrolyse permet à la silice de précipiter) et de périodes sèches (durant lesquelles l'eau s'évapore en formant des couches successives de calcédoine et de quartz), d'où l'opale tire ses couleurs qui comme pour toutes les pierres fines ou précieuses dépendent de la présence de certains ions métalliques.

Une autre étude publiée dans la revue "Nature" en 2017 par Mario Fisher-Gödde et Thorsten Kleine de l'Université de Münster basée sur l'analyse des isotopes des météorites et de ceux du manteau de la Terre a également montré qu'il est peu probable que l'eau soit parvenue sur Terre par les comètes après la formation de la Terre comme on l'a longtemps supposé. En réalité, l'analyse des données suggère que l'eau de la Terre proviendrait avant tout de l'intérieur, bien qu'on ne sache pas encore exactement par quel mécanisme.

Selon Tse, l'eau formée dans le manteau terrestre peut remonter en surface de plusieurs manières parmi lesquelles la plus commune est le transport par le magma à travers l'activité volcanique. Il est possible que de l'eau soit encore créer de cette façon dans les profondeurs de la Terre et le même mécanisme pourrait aussi être à l'oeuvre sur les autres planètes telluriques.

Ceci dit, tous les spécialistes ne partagent par l'enthousiame soulevé par ces simulations. Ainsi, John Ludden du British Geological Survey estime que le mécanisme impliquant le dioxyde de silicium ne produirait de l'eau qu'à petite échelle et localement contrairement à l'apport d'eau par les comètes et autres astéroïdes durant les premiers âges de la Terre qui aurait été bien plus conséquent.

Il est difficile d'évaluer la pertinence de l'un ou l'autre modèle. Toutefois, a priori la théorie cométaire est plus séduisante, car elle expliquerait pourquoi la Terre est différente de Vénus par exemple ainsi que des autres planètes telluriques. Car l'argument considérant que sa distance au Soleil lui permet d'avoir de l'eau à l'état liquide n'est pas suffisant. Mars également bénéfice en été de température positive et Vénus comme Mercure ont très bien pu conserver de l'eau dans leur sous-sol (Mercure préservant d'ailleurs de la glace d'eau dans les régions du pôle Nord qui ne voient jamais les rayons du Soleil). Or aujourd'hui aucune de ces planètes ne contient d'eau libre. L'explication serait que l'eau nous tombant du ciel, la Terre a pu l'accumuler et donner naissance aux océans. Vénus à l'inverse ne contenait sans doute pas beaucoup d'eau au départ et celle-ci s'est définitivement évaporée et avec elle notre espoir d'y trouver d'éventuelles traces de vie fossilisées.

Si la cosmochimie et le rapport isotopique D/H de l'eau terrestre appuyent l'hypothèse d'une origine majoritairement interne, à ce jour il existe peu de scénarii vraiment convaincants mais les chercheurs sont persuadés que le deutérium permettra de résoudre cette énigme, combiné à une meilleure compréhension de la genèse du système solaire.

Le rôle clé des chondrites à enstatite

Le rôle des planétésimaux et autres météorites "humides" fut confirmé par une autre étude publiée dans la revue "Science" en 2020 par l'équipe de Laurette Piani du Centre de Recherches Pétrographiques et Géochimiques (CRPG) de l'Université de Lorraine en France. Les chercheurs ont analysé 13 chondrites à enstatite (EC) et ont trouvé beaucoup d'hydrogène dans ces météorites supposées sèches, assez pour affirmer que notre planète est née assez humide. Elle se serait formée à partir de matériaux humides présents dans la région interne du système solaire plutôt qu'à partir d'astéroïdes et de comètes provenant des régions externes du système solaire.

A gauche, un fragment de 10 cm de la météorite Sahara 97096. C'est une chondrite à enstatite riche en fer (type EH3) qui contient environ 0.5% en poids d'eau. Si la Terre était entièrement constituée de ce matériau, elle aurait reçu 23 fois la masse totale d'eau présente dans les océans actuels. Document L.Piani/Muséum national d'Histoire naturelle de Paris. A droite, vue en coupe de la météorite d'Abee, une chondrite à enstatite également riche en fer (type EH4) exposée au Musée Royal de l'Ontario. Elle fut découverte en 1952 en Alberta au fond d'un cratère de 1.8 m de profondeur et pèse 107 kg.

Les calculs des chercheurs suggèrent que les roches ayant formé la Terre abritaient au moins trois fois plus d'eau que les océans actuels de la planète. Selon Piani, "Notre découverte montre que les éléments constitutifs de la Terre pourraient avoir contribué de manière significative à l'eau de la Terre. Un matériau contenant de l'hydrogène était présent dans le système solaire interne au moment de la formation de la planète rocheuse, même si les températures étaient trop élevées pour que l'eau se condense."

Selon la planétologue Anne H. Peslier du centre Johnson de la NASA qui publia un article sur le sujet en 2012, Piani et ses collègues "soutiennent de manière convaincante que l'eau pourrait provenir de chondrites à enstatites."

Reste à déterminer à quel moment la Terre absorba cette eau. En effet, on ignore si la majeure partie de l'eau des océans remonte effectivement à cette époque. Ainsi, si la majeure partie de l'eau originelle de la Terre fut absorbée très tôt, elle a pu bouillir et s'évaporer suite au bombardements des planétésimaux ou au cours de la formation des océans magmatiques (dans ce cas, le débat planétésimal contre comète resterait viable). Selon Peslier, "Néanmoins, le travail des auteurs apporte un élément crucial et élégant à ce puzzle. L'eau de la Terre peut simplement provenir du matériau nébulaire à partir duquel la planète s’est accrétée."

L'avantage de cette théorie est de permettre à des exoplanètes contenant apparemment peu d'eau, d'en abriter de grandes quantités sous forme dissoute dans leur manteau. Quant à l'exploiter, c'est une autre histoire.

Deuxième partie

2. L'eau dans le système solaire

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