Contacter l'auteur / Contact the author

Recherche dans ce site / Search in this site

 

L'esclavage

Le drapeau déchiré de Fort Sumter (Charleston, S.C.) en 1861.

Le drapeau déchiré de Fort Sumter (Charleston, S.C.) en 1861. Cette bannière étoilée est le drapeau des Nordistes, anti-esclavagistes.

L'Union contre l'esclavage (V)

Les Etats-Unis représentent la plus grande nation démocratique au monde et le pays de toutes les libertés. Mais ces principes élémentaires n'ont pas été acquis immédiatement ni sans douleurs.

Les 39 millions soit 13% de Noirs qui vivent aujourd'hui sur le territoire et les possessions américaines ont pratiquement tous une origine esclave. C'est vrai à New York comme en Alabama ou à Porto Rico. Si leurs ancêtres ont été affranchis voici plus de 150 ans, les ghettos du Bronx ou du Sud témoignent que les blessures de l'esclavage et de la ségrégation ne sont pas encore effacées ni même cicatrisées.

Dans ce contexte il est intéressant de se pencher sur l'évolution de cette société pour essayer de comprendre ce qui motiva tout un peuple à tout d'abord oppresser puis à affranchir les Noirs et les gens de couleur en général. Quelles sont les motivations qui ont conduit les immigrés blancs à changer de mentalité envers les Noirs ?

A peu de choses près, on peut dire que la Guerre de Sécession qui opposa Nordistes et Sudistes résume à elle seule toute l'histoire des Etats-Unis. Etudier les raisons de cette guerre et ses conséquences nous permettront de mieux comprendre le fonctionnement du système politique et économique actuel des Etats-Unis et quel ressentiment peuvent encore avoir certains Noirs américains envers leurs compatriotes blancs.

Les premiers esclaves Noirs

Le vaste territoire qui constituera les Etats-Unis sera foulé par les Européens dès 1607, date à laquelle les premiers immigrants anglo-saxons (marchands, armateurs, hommes d'affaires) s'installeront en Virginie. En 1620, une deuxième colonie anglaise s'installa au Massachusetts.

En 1733, les Anglais occupent treize colonies[1], les provinces maritimes du Canada ainsi que quelques îles des Antilles (Jamaïque, Barbade). Face aux forces espagnoles, les Anglais ne parviendront pas à s'installer en Amérique du Sud, si ce n'est au Guyana (1814) et dans les îles Falklands (1833). En revanche, leur Empire s'étendra par la suite aux Indes orientales (Bengale, Inde, Hong Kong, etc).

Affiche annonçant une vente aux enchères de Nègres à Charleston (Caroline du Sud) en 1769. 

La pratique de l'esclavage existait aux Etats-Unis longtemps avant la signature de la Constitution américaine en 1787. Cette activité était répandue dans tous les Etats de l'Union.

Les premières traces d'esclavage remontent à 1640 où la Cour de Justice de Virginie condamna un Noir à l'esclavage. A cette date il y avait environ 150 esclaves noirs en Virginie et constituaient la plus grande population Noire de la colonie. Dix ans plus tard, leur nombre avait doublé. Vers 1680, on recensa 3000 esclaves noirs et vers 1704 ils atteignirent 10000 individus. Leur statut fut codifié légalement en 1705.

Face au manque de serviteurs Blancs sous contrat d'emploi-formation (indenture) et craignant une révolte des domestiques, les colons anglais ont de plus en plus recouru à l'esclavage des Noirs.

A la fin du XVIIe siècle, l'esclavage était devenu une pratique tellement banale que dans la ville de New York 42% des habitants possédaient des esclaves ! Entre 1700 et 1775, plus de 350000 esclaves africains sont entrés dans les colonies américaines. Vers 1770, il y avait plus d'esclaves dans la colonie new-yorkaise qu'il y en avait en Géorgie ! Les ventes aux enchères de "Nègres" étaient presque aussi régulières que les jours de marché.

Paradoxalement, à cette époque l'esclavage était déjà sanctionné dans toutes les colonies britanniques d'Amérique. Ainsi en 1780, la Constitution du Massachusetts déclare que tous les hommes « naissent libres et égaux ».

En 1783, après reconnaissance de l'indépendance des Etats-Unis par le Royaume-Uni, la ville de New York devient américaine.

Après 1790, l'exploitation des esclaves Noirs se répandit principalement dans les fermes et les plantations du Sud se consacrant à la culture du tabac, du coton, de l'indigo ainsi que du riz.

Des esclaves dans une plantation de coton aux Etats-Unis en 1864. Document Hulton Archive.

La Constitution américaine était en effet paradoxale. Le terme "esclavage" ne fut jamais cité mais une clause donna au gouvernement fédéral (le Congrès) le pouvoir de réglementer et d'abolir l'importation des esclaves à partir de 1808. Même Thomas Jefferson qui fut Président des Etats-Unis de 1800 à 1808 possédait des centaines d'esclaves. 

Restait à inventer les lois qui proclameraient l'émancipation des Noirs sur tout le territoire et trouver les techniques et moyens financiers pour dédommager les propriétaires d'esclaves. Rien que cette idée semblait déjà insurmontable. Elle resta donc à l'état d'épure durant plusieurs législatures. Pour l'heure, seuls les Etats du Nord respectaient la Constitution de l'Union.

Le 25 mars 1807, la loi portant sur l’abolition de la traite des esclaves reçut la sanction royale et fut appliquée dans tout l’Empire britannique. L'abolition de l’esclavage sera effective aux Etats-Unis, au Canada, dans les Antilles (Jamaïque, Barbade, ...) ainsi que dans toutes les colonies orientales du Commonwealth (Bengale, etc) à partir de 1833.

Devant l'expansion de l'industrie et de l'urbanisation, à partir du XIXe siècle la pratique de l'esclavage s'est progressivement déplacée vers les Etats du Sud (Géorgie, Alabama, Mississippi, Louisiane, etc) où elle était tolérée par le pouvoir fédéral pour des raisons économiques sur lesquelles nous reviendrons. Dans le Nord au contraire, dans "The Story of Louisiana", William O. Scroggs note que les "Nègres" n'offraient aucun avantage car ils travaillaient mal du fait qu'ils supportaient moins bien les rigueurs du climat (sic) !

Peaux-Rouges et peaux noires

Etonnement, après 1800 les Indiens d'Amérique du Nord pratiquèrent également l'esclavage, collectant parmi les tribus vaincues des prisonniers pour les travaux domestiques ou les sacrifices.

Indien d'un Etat confédéré possédant un bébé noir esclave.

 Dans le Sud, les "Cinq tribus civilisées" (Cherokee, Choctaw, Chickasaw, Creek et Séminole) avaient poussé leur fascination pour le style de vie occidental au point de reproduire des maisons coloniales avec leurs plantations et leurs... esclaves noirs comme on peut le voir sur la photographie présentée à gauche. Cette pratique continua après leur délocalisation dans les réserves indiennes à partir de 1830.

Après l'affranchissement des esclaves (voir plus bas), bon nombre d'anciens esclaves Noirs sont restés dans les réserves indiennes, certains fondant des familles avec leurs anciens maîtres. Fier de leur intégration, ces Noirs portaient des vêtements indiens, les rendant encore plus atypiques parmi les "Peaux-Rouges".

Mais retournement bien ingrat de l'Histoire, de nos jours les indiens Cherokee qui représentent la deuxième nation indienne des Etats-Unis après les Navajos ont voté une loi leur permettant d'exclure de leur nation les descendants des esclaves Noirs qui résident encore sur leurs terres. Les nations indiennes bénéficiant d'avantages et de subventions du gouvernement américain, les critiques ne voient dans ce scrutin qu'une façon pour les Cherokees de légaliser l'épuration ethnique. Bien entendu, les indiens natifs et même les métisses de Baja Californie considèrent qu'ils ne font que protéger leur communauté. En fait, si l'argent des subventions n'a pas d'odeur, il a bien une couleur.

Le programme d'Abraham Lincoln : un casus belli

En 1854 naissait le Parti républicain, le GOP ("Great Old Party") comme on le surnomme aujourd'hui, pour s'opposer à la loi Kansas-Nebraska autorisant la pratique de l'esclavage dans ces deux Etats. Le ton était donné. Les Républicains voyaient dans cette loi la preuve que les propriétaires d'esclaves du Midwest et du Sud conspiraient pour s'emparer du pouvoir fédéral et envisageaient d'étendre l'esclavage à tout le pays. Avocat de formation, Abraham Lincoln défendait également les vertus républicaines comme l'opposition à l'aristocratie, à la corruption et à l'esclavage. Le Parti républicain était de tendance centre-droite, proche des milieux d'affaires et assez conservateur. Aujourd'hui le GOP en a gardé les traits bien que des courants opposés évoluent dans ses rangs.

Visage émacié et anguleux, au regard clair mais sévère et profond, le président Lincoln (1809-1865) était avocat de formation et savait défendre ses opinions et convaincre son auditoire. C'était un homme déterminé à sauver l'Union et la Constitution, quitte pour cela à user de la force. Photo prise en 1861. Document Civics Online.

En 1857, alors que Lincoln était membre de la législature de l'Illinois, il proposa à ses collègues républicains de consacrer des fonds « pour retirer tous les Noirs affranchis de l'Etat d'Illinois » et de les renvoyer dans leur pays natal. Son idée sera violemment critiquée car son projet d'émancipation des Noirs avait un prix.

Pour les 11 Etats du Sud dits Confédérés (51 villes distribuées pour la plupart dans des zones agricoles), les esclaves représentaient 38% de la population et contribuaient à 23% de la richesse des Blancs. Le fait que Lincoln envisageait de réduire les droits des propriétaires d'esclaves était donc considéré comme une catastrophe économique potentielle pour les Sudistes. Même ceux qui n'avaient pas d'esclaves étaient prêts à défendre leur système économique, au besoin par les armes.

On estime qu'à cette époque l'ensemble du "parc" des esclaves Noirs présents sur le territoire des Etats-Unis représentait une valeur marchande supérieure à 2.7 milliards de dollars (de 1973, soit dix fois le prix des exportations annuelles de coton en 1860). Bien sûr le gouvernement ne pouvait payer une telle somme aux propriétaires en une fois et comptait étaler les paiments sur 25 ans. Mais même ainsi cela allait tripler les dépenses fédérales. Des solutions alternatives furent envisagées, comme le fait de laisser les enfants en esclavage jusqu'à leur majorité, mais elles réduisaient peu la dette. Finalement le coût de l'émancipation fut si élevé que même les anti-esclavagistes n'étaient plus d'accord de payer pour "racheter" ceux qui possédaient des esclaves.

En parallèle, l'amélioration des conditions économiques dans le Nord et l'émergence d'un capital industriel allaient bientôt faire s'effondrer l'organisation politique des Etats-Unis. Ce changement socio-économique s'étendit d'abord dans les Etats du Nord et du Nord-Est très peuplés (New York, Chicago, etc) puis de l'Ouest sans influencer les Etats du Sud. Ainsi la population urbaine doubla partout dans les Etats-Unis sauf dans les Etats Confédérés. Pour la classe bourgeoise et citadine, le temps d'un changement de stratégie économique était venu et l'abolition de l'esclavage était l'une des voies du succès. Comme le diront les historiens, la "révolution du marché" était en route.

En 1858, Lincoln fit un discours sur les dangers de la désunion qui fera mouche parmi les sénateurs. Le public sera également sensible à son éloquence et sa détermination, portant sa réputation au grand jour.

En 1860, Abraham Lincoln fut choisi pour conduire la liste républicaine à l'élection présidentielle. Il fut élu Président de l'Union le 6 novembre 1860 avec seulement 39.8% des suffrages, un score très faible qui s'explique par le fait que les Etats du Sud voyaient en lui une menace pour leur économie.

Son discours inaugural parla d'amitié, de passion, d'union et de patriotisme. Figure emblématique, le président Lincoln avait promis de ne pas étendre l'expansion de l'esclavage sur le territoire de l'Union, sans pour autant l'abolir.

A gauche, les Etats américains concernés par l'esclavage (brun-rouge) vers 1860, c'est-à-dire 5 ans seulement avant son abolition. Document Slavery In America. A droite, une annonce américaine de 1853. Un esclave noir adulte se vendait 1250$, une femme 800$ et un enfant de plus de 10 ans, 500$.

Bien que qualifié d'abolitionniste et condamnant la pratique de l'esclavage, Lincoln, tout comme Jefferson, favorisait en fait la colonisation et donc la déportation des hommes de couleur. Son projet d'émancipation des Noirs ne s'appliquait qu'aux Etats "rebelles", c'est-à-dire à ceux qui s'étaient retirés de l'Union et où l'esclavage n'était pas encore aboli.

Le mandat présidentiel de Lincoln n'allait pas être facile. Son administration était face à deux systèmes économiques incompatibles. D'une part, dans le Nord, les jeunes patrons à la tête des industries naissantes souhaitaient développer leur marché intérieur. Ils avaient besoin d'une politique protectionniste, de droits de douane et de prix élevés. Ils étaient également en faveur de l'égalitarisme. D'autre part, dans le Sud, au contraire les propriétaires fonciers souhaitaient une politique de libre échange (absence de barrière douanière, liberté de circulation des biens et service) afin d'écouler leurs produits agricoles vers l'Europe. Dépourvus d'industries, ils étaient en faveur de l'esclavage.

Autrement dit, il était pratiquement impossible pour un industriel vivant dans le Nord de vendre ses machines dans le Sud. En outre, en 1832 déjà le Congrès à dominance Nordiste imposa une nouvelle taxe douanière que la Caroline du Sud (Confédérée) jugea dangereuse pour son économie.

Les Etats Confédérés n'avaient pas d'autre alternative pour maintenir l'esclavage que de rallier à leur cause les nouveaux Etats et territoires de l'Ouest. Mais ni l'Orégon ni la Californie ne l'acceptait. En revanche, le Nord voulait stopper cette hémorragie (sauf 4 Etats du Midwest). La situation politique était donc tendue entre les Etats du Nord et du Sud, propice à l'éclatement d'une crise qui conduira à la guerre civile.

Prochain chapitre

La Guerre de Sécession

Page 1 - 2 - 3 - 4 - 5 - 6 - 7 - 8 -


[1] Nous ne nous étendrons pas sur la naissance des treize premières colonies anglaises d'Amérique du Nord (1583-1733) dont l'histoire est très bien résumée sur le site Il était une fois le Nouveau Monde ainsi que sur Wikipedia.


Back to:

HOME

Copyright & FAQ