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L'histoire du Yéti

Le yéti imaginé par Hergé en 1960 (page 56 de "Tintin au Tibet"). Document Casterman.

Entre mythe et science

Les histoires de yétis reviennent régulièrement à la une des médias. C'était un sujet très à la mode il y a quelques générations, à l'époque où la cryptozoologie - l'étude des animaux cachés - connut son heure de gloire, justement en raison de la découverte d'empreintes anormalement grandes dans la neige himalayenne. Cette science aborda tous les sujets les plus scabreux depuis le Kraken jusqu'au monstre du Lock Ness en passant par les dragons, les trolls, les pieuvres géantes et les cyclopes.

A côté de ces égarements, les chercheurs découvrirent malgré tout que certaines légendes reposaient sur des faits réels qui les conduisirent à découvrir de nouvelles espèces telles que le calmar géant (1853), le panda géant (1869), l'okapi (1901) et le gorille des montagnes (1902). De nos jours, il arrive encore qu'on découvre de grands mammifères (cf. la biodiversité). Mais faute de preuves, il reste des sujets classés parmi les légendes dont notamment les histoires de yétis.

Le scientifique et vétérinaire anglais Mark Evans enquêta sur les histoires de yétis pour tenter d'élucider ce mystère, cherchant à savoir s'il s'agissait de légendes ou s'il existait un semblant de vérité dans ces histoires.

Des empreintes, des témoignages et des photos

La première évocation du yéti est très ancienne et nous fut transmise par Roger Bacon (1214-1294), philosophe et savant qui cite l'observation au Tibet d'un homme sauvage, très grand, au visage clair, couvert de longs poils et dont les bras descendent jusqu'aux genoux. Il ne nourrit de viande de yacks. On dit aussi que parfois il porte un arc et des flèches.

Mais c'est surtout depuis le XIXe siècle que des aventuriers explorant l'Himalaya entre le Bhoutan, le Népal, Le Mustang, le Tibet et la Chine racontent que les habitants ont vu un "yéti". Le nom "yéti" est la déformation occidentale du mot "Yeh-teh" donné par les sherpas qui signifie "animal des endroits rocheux". C'est un animal couvert de poils qui se tient debout et mesure environ 2 m. Selon les témoins, il peut aussi être agressif. Quelques habitants ont même pu collecter quelques poils de la bête.

En 1832, le journal "James Prinsep's Journal of the Asiatic Society of Bengal" publia le récit de l'explorateur britannique Brian Houghton Hodgson, du corps diplomatique britannique au Bhoutan et au Népal, passionné par la faune de l'Himalaya et l'ethnologie qui relate l'observation d'un hypothétique yéti dans le nord du Népal. Il explique que ses guides locaux avaient repéré une grande créature bipède couverte de longs poils noirs, qui semblait fuir de peur. Les témoins en avaient peur et l'appelaient "rakshasa" signifiant "être surnaturel" ou "démon" en sanskrit. Hodgson n'a pas vu la créature, mais il conclut qu'il s'agissait probablement d'un orang-outan.

C'est en 1889 que le major Laurence Austine Waddell découvrit les premières empreintes du yéti dans la neige dans la région du Sikkim, au sud de l'Himalaya (cf. extrait). Les sherpas de son équipe lui dirent que ces empreintes étaient celles du "metoh-kangmi", qui signifie "homme-ours de neige" ou "homme sauvage" vivant dans les montagnes enneigées.

Mais Waddell avait une opinion différente. En 1899, il publia un livre intitulé "Among The Himalayas" dans lequel il décrit ses voyages en Himalaya. Il avair entendu des histoires de créatures bipèdes ressemblant à des singes. Il écrivit que parmi les nombreux témoins qu'il interrogea, aucun "ne pourrait jamais donner... un cas authentique. Lors de l'enquête la plus superficielle, cela a toujours abouti à quelque chose dont quelqu'un avait entendu parler". Waddell estimait que la créature était un mythe, comparable aux histoires racontées sur les "lions blancs, dont le rugissement est réputé s'entendre pendant les tempêtes". Il était convaincu que les traces appartenaient au "grand ours des neiges jaune (Ursus isabellinus), qui est très carnivore et tue souvent les yacks". Waddell avait le sentiment que les superstitions des habitants étaient si présentes qu'ils ne pouvaient pas regarder les traces d'ours sans se dire qu'ils appartenaient aux hommes sauvages.

L'album de Hergé publié en 1960 chez Casterman. Voici les planches publiées dans la revue "Tintin" en 1958.

En 1921, le colonel et alpiniste Charles Howard-Bury découvrit de grandes empreintes de pas lors d'une expédition au mont Everest. Son guide sherpa l'informa qu'il s'agissait de celles du "metoh-kangmi", ajoutant ainsi du crédit à l'observation de Waddell faite 32 ans plus tôt.

Puis en 1925, dans la région du Sikkim située en Inde, au nord de Darjeeling, le photographe N.A. Tombazi, membre de la Royal Geographical Society, écrit avoir vu à environ 4600 m d'altitude près du glacier de Zemu, à environ 200-300 yards (180-270 m) de distance et pendant une minute, la vague silhouette d'une créature bipède dont la démarche rassemblait à celle d'un homme : "Indubitablement, les contours de la silhouette était exactement comme celle d'un être humain, marchant debout et s'arrêtant de temps en temps pour tirer sur des buissons des rhododendrons nains. Elle apparaissait sombre contre la neige et, pour autant que je puisse le comprendre, ne portait aucun vêtement". Environ deux heures plus tard, Tombazi et ses compagnons sont descendus de la montagne et ont vu les empreintes de la créature, décrites comme " de forme similaire à celles d'un homme, mais seulement de six à sept pouces de long sur quatre pouces de large... Les empreintes étaient sans aucun doute ceux d'un bipède".

Comme les Inuits ont plusieurs mots pour décrire la qualité de la neige, quand ils évoquent le yéti, les peuples himalayens utilisent plusieurs mots pour exprimer le concept d'ours ou d'homme-ours : ils parlent de "Kang Admi" ou "Kangmi" (homme de neige), "Migoi" ou "Mi-go" (homme sauvage), "Mirka" (sauvage) ou encore "Dzu-teh" et "Meh-teh" (l'ours du bétail). "Dzu-teh" et "Meh-teh" se réfèrent en réalité à l'ours brun himalayen (Ursus arctos) mais "Dzu-teh" est aussi le yéti de la légende. "Mirka" (sauvage) apparaît aussi dans une légende locale dans laquelle "quiconque en voit un meurt ou est tué" selon une déclaration écrite par les sherpas de Frank Smythe en 1937. Enfin, on a attribué les observations du "Chu-Teh" à un singe Langur (Semnopithecus entellus) vivant à basse altitude, à l'ours brun de l'Himalaya (Ursus arctos) et à l'ours bleu tibétain (Ursus arctos pruinosus), une sous-espèce de l'ours brun que les Tibétains appellent "Dom gyamuk". Bref, si la confusion est totale, les villageois évoquent bien l'existence d'un "homme de neige" ou un "homme sauvage".

Ces signalements et ces "preuves" laissèrent courir le bruit qu'il existait un "abominable homme des neiges" en Himalaya comme le surnommèrent les médias occidentaux à partir de 1921.

Des scientifiques ont un temps imaginé que le yéti était un grand bipède ressemblant à un singe, certains suggérant qu'il pourrait s'agir d'un Gigantopithèque, ou encore de singes bipèdes de taille humaine appelés "Almas" et "Yeren" (homme sauvage) par les Chinois. On évoqua même l'hypothétique orang pendek (petit homme en malais) une sorte d'orang-outan mesurant jusqu'à ~1.50 m debout, mais il n'a jamais été découvert.

Face à cette explosion d'informations qui plaisaient à un public curieux de tout, Hergé succomba à la mode dans "Tintin au Tibet" publié en 1960.

Le film du "Bigfoot"

Les photos de "Bigfoot" et autre "Sasquatch" (le nom amérindien du Bigfoot), même en pied et à courte distance n'ont jamais convaincu personne. Le document le plus "convaincant" a priori fut réalisé aux Etats-Unis Roger Patterson et Robert Gimlin en 1967 dont une photo est présentée à droite.

Le Bigfoot qui aurait été vu et filmé par Roger Patterson et Robert Gimlin en 1967 lors d'un reportage dans la forêt de Bluff Creek, en Californie. Extrait du film "BigFoot", image 352.

Le 20 octobre 1967, les deux jeunes journalistes se promenaient à cheval le long de Bluff Creek, un affluent de la rivière Klamath, située dans le nord de la Californie à environ 40 km d'Orléans, dans le comté de Humboldt. Le site exact se situe à environ 60 km au sud de l'Oregon et à 30 km à l'est de l'océan Pacifique. Au détour d'une boucle de la rivière, au lieu-dit "le bowling", ils aperçurent sur l'autre rive, à une trentaine de mètres de distance, une grande créature velue qui marchait debout, comme un être humain. Patterson filma la créature qui semblait être une femelle. Soudain, elle s'arrêta et regarda autour d'elle et fixa la caméra. Selon Patterson, "Elle n'était absolument pas effrayée. Plus exactement, je pense qu'elle n'avait pas peur de moi, je crois que c'est le cliquettement de ma caméra qui l'intrigua". Les deux cavaliers tentaient de la suivre mais la créature se mit à courir. Ils perdirent sa trace au bout de quelques kilomètres.

Ce reportage fit l'objet du film "Bigfoot" sorti en 1967 qui montre effectivement une créature imposante d'environ 2 m, couvertes de poils sombres bruns-roux, pouvant peser 150 à 200 kg. On la voit tourner la tête vers la caméra, montrant une face couverte de poils. Le crâne semble haut et pointu, comme celui des gorilles des montagnes et similaire aux descriptions du yéti de l'Himalaya.

Mais quand on compare sa locomotion à celle des primates, on s'étonne que la créature se tienne parfaitement droite et surtout ait exactement la même posture qu'un être humain. De plus, par moment son pas est assez rapide et rappelle en tout point la démarche d'un être humain, ce qui paraît très suspect.

Bien sûr aucun film ne prouve rien et certainement pas l'authenticité de la créature sinon tous les monstres de science-fiction et des films d'horreurs auraient déjà envahi la planète ! Il faut donc relativiser l'intérêt de ce genre de "preuve".

De nombreux scientifiques ont jugé que ce film était un canular et que la créature était une personne déguisée. Dans son livre "Things and more Things" publié en 1969, le zoologiste Ivan Sanderson et ses collègues ont toutefois jugé que d'un point de vue scientifique, il n'y avait rien dans le film permettant de suspecter une supercherie (sic). Mais comment peuvent-ils l'affirmer sans la moindre autre preuve que ce film douteux ? Leur point de vue posé a priori et en chambre n'est pas très scientifique.

Bref, si les films et photos de Bigfoot sont authentiques, rien ne prouve que la créature qu'ils ont photographiée ou filmée est réelle, d'autant qu'il y eut beaucoup de canulars qui ont fini par décrédibiliser toute l'histoire.

Les photos des empreintes d'un yéti

Après avoir investigué les histoires de "Bigfoot" en Alaska, au Canada et aux Etats-Unis et son alter-ego "Almasty" en Russie sans grand succès, Evans explora la région himalayenne, berceau du légendaire Yéti.

La situation est différente en Himalaya où le yéti n'a jamais été photographié vu les difficultés d'accéder à cette région et du fait sans doute que les alpinistes veulent aussi préserver leur réputation. Bien sûr, il y a aussi des photos douteuses et des truquages évidents qui prêtent à sourire mais ils sont rapidement débusqués.

Plusieurs explorateurs ont photographié de grandes empreintes dans la neige ou ont entendu parlé d'histoires de yétis. Leur répétition dans certaines vallées de l'Himalaya suggère qu'il existe réellement des yétis. Reste à déterminer de quel animal il s'agit.

Après avoir écarté tout le folklore qui dénature le fond du problème, on peut se demander si le yéti ne serait pas une nouvelle espèce de grand mammifère, une espèce d'ours hybride ou autre chose. Evans réalisa plusieurs reportages dans les vallées de l'Himalaya entre 2013 et 2017 qui furent présentés sur les chaînes TV et sur Internet.

Ayant sous la main quelques photos d'empreintes attribuées à un animal inconnu et présentées ci-dessous, Evans simula la marche des ours dans la neige pour comprendre la forme de leurs empreintes et les comparer aux rares photos de celles du prétendu yéti.

A voir : Patterson - Gimlin Bigfoot Footage | Finding Bigfoot

A gauche, une empreinte découverte par l'explorateur Eric Shipton en 1951 sur le glacier de Menlung situé entre le Tibet et le Népal à plus de 6000 m d'altitude. Voici un agrandissement. Elle mesure 33 x 20 cm soit 10% plus grande que la taille que celle d'un grand ours adulte (30 x 17 cm). Certains pensent que cette photo de très bonne qualité serait un canular car Shipton était aussi connu pour les blagues et les canulars qu'il faisait à ses amis. Au centre, d'autres empreintes photographiées par Shelton en 1951. Documents D.R. A droite, les empreintes de pas datant de 2 ou 3 jours découvertes en 2014 par l'alpiniste Steve Berry, fondateur de l'entreprise Mountain Kingdoms, à 5350 m sur le mont Gangkar Punsum. Voici une vue générale. Des empreintes similaires furent découvertes en 2015 à 3 km des précédentes. Il existe d'autres photos assez similaires mais personne n'a jamais vu l'animal à l'origine de ces empreintes.

En résumé, les pattes des ours sont proches de celles des humains. C'est le seul animal qui pose ses pattes postérieures complètement à plat, comme le font les humains. Bien que ses griffes mesurent jusqu'à 10 cm de longueur (cf. les impressionnantes griffes du grizzly, une sous-espèce d'Amérique du Nord de l'ours brun), elles ne se marquent pas toujours dans ses empreintes. Si l'ours laisse deux paires d'empreintes quand il court, il lui arrive également de marcher en plaçant ses pattes postérieures dans ses empreintes antérieures et donc de tracer une piste semblable à celle d'un bipède. Mais généralement, ses empreintes comprennent deux traces rapprochées alternativement à gauche et à droite de sa piste (cf. la vidéo ci-dessous, séquence 2:32).

La forme des empreintes d'un ours n'a rien à voir avec celle que photographia Eric Shipton en 1951 présentée ci-dessus à gauche qui a plus du primate que de l'ours. D'ailleurs, dès sa publication certains affirmèrent que cette photo était trop parfaite pour être vrai. Ce serait un canular car Shipton était aussi connu pour les blagues et les canulars qu'il faisait à ses amis.

Quant aux empreintes présentées ci-dessus à droite, photographiées par Steve Berry, fondateur de l'entreprise Mountain Kingdoms, à 5350 m sur le mont Gangkar Punsum et dont voici une vue générale, Berry n'a jamais vu leur propriétaire car ces empreintes remontaient à 2 ou 3 jours. Il déclara qu'un ours "n'aurait pas pu escalader un versant de montagne si difficile". Il estime que ce sont les traces d'un léopard des neiges, mais qui laisse habituellement des traces moins contiguës, ou d'un yéti.

Comme le montre la deuxième vidéo ci-dessous à partir de la séquence 2:05, avec ses griffes un ours peut parfaitement gravir une côte raide enneigée et même escalader un glacier. Mais la photo de Berry est prise à grande distance et ne permet pas de distinguer les détails des empreintes. On ne peut donc pas identifier l'animal à partir de cette photo.

A voir : Deosai National Park - Home of The Himalayan brown bears, Walkabout Films

Himalayan Brown Bear Coming out of Hibernation | 2019 | HD, Roots Ladakh

La panthère des neiges, reine d'un royaume en altitude, NGWF

Incroyable léopard des neiges, Zapping Sauvage

A gauche, schéma des empreintes des pattes antérieures et postérieures des ours noirs et des grizzlys (des ours bruns d'amérique du nord). La taille de l'empreinte des pattes postérieures d'un ourson d'un an mesure ~14 x 7 cm et celle d'un adulte varie entre 20 x 12 cm et 30 x 17 cm. A sa droite, les empreintes d'un ours noir (qui peut aussi avoir un pelage brun, beige ou rougeâtre) photographiées le 14 novembre 2009 dans la neige du Parc National de Yosemite. Les grandes empreintes sont celles des pattes postérieures reconnaissables à leur grandes pelotes métatarsienne (les coussins plantaires). L'empreinte du pied est aussi longue mais plus large que celle d'un humain. Sur la première empreinte, les griffes sont également marquées devant les pelotes digitales. A droite du centre, la patte postérieure d'un grizzli (Canada). Elle peut dépasser 30 cm tout comme celle de l'ours blanc. Les pattes du grizzli et de l'ours blanc sont à peu près de la même taille, mais elles diffèrent par la quantité de poils sous la patte et la longueur des griffes. Voici les pattes d'un ours des Pyrénées photographiées par Aline Photographe. A droite, la patte d'une femelle ours blanc. Elle dispose de glandes sudoripares et est couverte de touffes de fourrure. Documents Western Wildlife/S.Herrero adapté par l'auteur, D.Steakley, Canadian Museum of Nature et Flip Nicklin/Minden Pictures/Corbis.

Rappelons que l'empreinte palmaire de la panthère des neiges comprend quatre coussins palmaires en plus du grand coussin métatarsien et non pas cinq comme chez l'ours. De plus, comme le montre cette photo, quand la neige est épaisse, les pattes de la panthère des neiges laissent une traînée avant de marquer leurs empreintes. Enfin, le léopard des neiges est crépusculaire et chasse rarement en pleine journée. Avec son pelage gris fauve tacheté, pouvoir la distinguer parmi les rochers ou entre les ombres est un vrai défi.

Aspect et comportement du yéti

Les versants sud ou nord de la chaîne himalayenne abritent respectivement des ours bruns et des ours noirs (qui ont une tache blanche sur le poitrail) ainsi qu'une population d'ours bleu qu'on ne trouve qu'au Tibet.

Evans écouta d'abord les histoires de yétis des habitants de l'Himalaya, du Bhoutan au Tibet en passant par le Upper Mustang, celles d'alpinistes tels que Reinhold Messner qui chercha pendant 10 ans le yéti qu'il vit en 1986, et l'avis des biologistes.

Après avoir gardé le silence pendant des années, en 1997 Messner prétendit avoir revu le yéti et acheta même la dépouille empaillée d'un soi-disant yéti au pelage beige à des nomades entre l'Inde et le Pakistan. Plus récemment, il revint sur ses déclarations en disant qu'en réalité le yéti serait un ours brun. Il faut dire qu'entre-temps, la génétique est passée par là et diverses études ont montré que les soi-disant "preuves" présentées (poils, scalps, et os) appartenaient... à des ours.

Un ours noir debout photographié et filmé par Erin McAllister en avril 2021 en Caroline du Nord. L'ours était accompagné par trois autres individus. Au total, l'ours resta debout environ 10 minutes (cf. Newsweek).

Lors de ses enquêtes, Evans constata que de nombreux habitants ont effectivement vu des ours. Ont-ils confondu le yéti avec un ours ? Généralement, les habitants ne confondent pas un ours avec un "yéti" car un ours adulte mesure ~1.20 m au garrot et 1.50-1.70 m quand il se redresse alors que le "yéti" serait toujours debout et mesure environ 2 m. Mais rien ne prouve qu'ils ne confondent pas la silouhette avec un grand ours brun de l'Himalaya dont certains mâles ont mesuré jusqu'à 2.20 m debout. Cela a effectivement de quoi impressionner, même un expert.

Comme expliqué plus haut, les sherpas surnomment "meh-teh" un petit yéti qui serait en fait l'ours ordinaire et "dzu-teh" ou grand yéti celui qui correspondrait au yéti qu'on recherche. Quand ils nomment l'ours, il y a donc une confusion possible entre les termes "ours" et "yéti".

Quand Evans demanda à des villageois népalais de décrire le "yéti" qu'ils avait vu, la description de la posture et la taille qu'ils en donnaient semblaient correspondre à celle d'un ours, même si certains détails semblaient bizarres comme le fait d'avoir entendu un sifflement.

Selon les Tibétains, le yéti se tient debout ou voûté et marche debout. Comme on le voit à gauche, l'ours peut aussi se tenir debout, ce qui surprend généralement les témoins car peu d'animaux en sont capables et l'ours est imposant (jusqu'à 2.70 m pour l'ours blanc, 2.10 m pour l'ours brun et l'ours noir et 1.70 m pour l'ours noir d'Asie). Même si c'est rare, il peut aussi marcher debout sur une centaine de mètres (cf. cette vidéo sur YouTube). L'une des raisons est qu'il peut avoir une blessure aux pattes antérieures. En voyant cette photo, des internautes ont évoqué le "Bigfoot". Il est certain que la même silhouette vue à grande distance et dans de moins bonnes conditions peut évoquer une étrange créature bipède. Mais celle-ci est bien identifiée et n'a plus de secret pour personne.

Le yéti aurait un comportement agressif. Depuis des décennies des dizaines de villageois vivant notamment au nord du Népal ont relaté des attaques par un "yéti" qui aurait également tué des animaux. Dans les années 1970, une femme déclara avoir été saisie par un yéti à la face sombre et jetée dans la rivière où elle s'est évanouie. A son réveil, des yacks et des vaches avaient été tués.

Si généralement les ours sont timides et évitent la confrontation, restant à distance des humains, l'ours bleu du Tibet est connu pour son agressivité. Il a déjà attaqué des humains et tué du bétail. Plus récemment, on estima qu'il était responsable de près de 30% des cambriolage dans la région chinoise de Sanjiangyuan située au sud de la princince de Qinghai et représentait plus de 58% des risques dans le parc national de Sanjiangyuan (cf. D.Li et al., 2019).

 De plus, n'importe quel prédateur peut devenir agressif quand la nourriture se fait rare. Avec sa force et ses griffes qui valent n'importe quelle arme blanche, un ours peut tuer un humain ou de grands mammifères d'un seul coup de patte.

A gauche, un ours brun de l'Himalaya  (Ursus arctos isabellinus) photographié au Pakistan. Les mâles peuvent peser 160 kg et mesurer entre 1.5 et 2.2 m debout. Au centre, des ours bleus du Tibet (Ursus arctos pruinosus), une sous-espèce de l'ours brun reconnaissable à son large collier blanc en forme de Y. Ils ont été photographiés en 2016 grâce à une caméra automatique dans le Parc National de Sanjiangyuan, en Chine. L'ours bleu pèse entre 70 et 160 kg et peut mesurer entre 1.30 et 2.20 m. Sa fourrure peut-être franchement grise, beige ou brune avec une tête parfois plus claire. A droite, l'ours noir de l'Himalaya (Ursus thibetanus laniger). Il pèse entre 90 et 200 kg et mesure 1 m au garrot et entre 1.40 et 1.70 m debout. Les ours peuvent vivre entre 20 et 30 ans. Documents Usman Ghani, Y.Dai et al., World Atlas et Flowcomm/Flickr.

Analyse des poils d'un yéti des Garo Hills

Entre-temps, des chercheurs firent une découverte. Dans les Garo Hills, des montagnes couvertes de forêt denses situées dans l'État de Meghalaya au nord-est de l'Inde, au début des années 2000 des villageois du peuple Garos disaient avoir aperçu une grande créature qu'ils appellent " mande barung" ou " homme de la forêt". Selon les Garos, ce serait un animal proche de l'homme et de l'orang-outan, haut de 3 m.

En 2008, un indien nommé Dipu Marak passionné par le yéti récupéra dans la jungle des Garo Hills des poils provenant d'un "mande barung" qui aurait aurait été vu par un forestier trois jours consécutifs en 2003. Il donna les quelques poils à un reporter de la BBC qui les transmit à des chercheurs. Après avoir été examinés au microscope optique en 2011 pour éliminer les méprises éventuelles et ne sachant pas identifier les poils optiquement, les échantillons furent transmis au généticien Bryan C. Sykes de l'Université d'Oxford et ses collègues. Les résultats de leurs analyses furent publiés dans les "Proceedings of the Royal Society B" (RSPB) en 2014.

Selon les chercheurs, les deux échantillons montrent une correspondance génétique à 100% avec une créature préhistorique ressemblant à un ours polaire (Ursus maritimus) qui vécut il y a plus de 40000 ans.

Il est tout à fait possible que des ours polaires soient descendus jusqu'en Himalaya. On sait qu'ils peuvent parcourir 30 km par jour et jusqu'à 80 km en 24 heures. Les suivis par géolocalisation montrent qu'ils peuvent parcourir erratiquement des milliers de kilomètres entre l'Alaska, le Canada et le Groenland. Le record est détenu par une ours blanc femelle qui parcourut 4796 km entre la baie de Prudhoe en Alaska et l'ile d'Ellesmere au Canada puis retourna au Groenland. (cf. Polar Bear International). A une époque où la calotte boréale descendit jusqu'en dessous 60° de latitude Nord, y compris en Pologne et dans le nord de la Russie (cf. cette carte du maximum glaciaire il y a 21000 ans), il est possible que des ours polaires soient descendus jusqu'en Himalaya situé à environ 4500 km du nord de la Sibérie.

Cette découverte suggère qu'il exiterait encore dans la partie sud de la chaîne himalayenne des ours sauvages dont l'origine remonte au Pléistocène, ce qui, selon les chercheurs pourrait bien être "le fondement biologique de la légende du yéti". Sykes déclara que ses recherches étaient une preuve suffisante pour commencer à planifier une expédition dans l'Himalaya pour capturer un spécimen d'ours "yéti" vivant (cf. The Independent, 2014).

Analyse des échantillons biologiques

Pendant ce temps Evans poursuivit ses recherches. En 2017, il collabora avec la biologiste Charlotte Lindqvist de l'Université de Buffalo, généticienne des ours, qui accepta d'analyser tous les échantillons biologiques qu'il ramenerait de ses voyages dans différentes régions himalayennes. Evans reçut ainsi des habitants et des nomades qu'il croisait des fragments de poils, d'os, de griffes et de dents provenant de prétendus "yétis" et servant parfois à des rites magiques. Même Messner lui offrit quelques poils et une dent appartenant au soi-disant yéti qu'il possédait toujours.

En résumé, l'ADN des 24 échantillons analysés était généralement très bien conservé et appartenait soit à des ours bruns de l'Himalaya (Ursus arctos) soit à des ours bleus du Tibet (Ursus arctos pruinosus). Seul un échantillon appartenait à un ours noir (Ursus thibetanus laniger) probablement importé de Chine ou d'Inde tandis que la dent extraite de la créature empaillé que possédait Meesner appartenait à un chien. Ces résultats sont conformes à ce que savaient déjà les scientifiques sur la distribution des ours dans ces régions. Ces ADN ont également permis aux biologistes de préciser la généalogie des ours bruns (cf. C.Lindqvist et al., 2017).

Les couleurs variables du pelage de l'ours bleu du Tibet (Ursus arctos pruinosus). Documents EB5 Network via Europe's Big 5 et World Atlas.

Selon Lindqvist et ses collègues, si les ours bruns du Tibet sont étroitement liés aux ours bruns d'Europe et d'Amérique du Nord, les ours bruns de l'Himalaya en danger critique d'extinction font partie d'une lignée plus ancienne qui pourrait s'être séparée des autres ours il y a 650000 ans au cours de la période glaciaire.

Concernant une possible hybridation, les génomes de ces ours ne contenaient aucune trace génétique d'ours polaire qui pourrait expliquer la taille et la démarche bipède du yéti. Mais ces échantillons de poils et d'os étaient très anciens et Evans ne disposait pas d'échantillons récents.

Si la piste des ours est temporairement abandonnée côté Tibet, il reste celle de l'hybridation éventuelle avec une autre espèce ainsi que le proposa Messner.

Un métissage avec des Dénisoviens

Si on examine les histoires de yétis du Tibet, si ce n'est pas une légende mais qu'aucune preuve n'atteste son existence (avis aux explorateurs), il reste la possibilité qu'il s'agisse d'une ancienne espèce éteinte dont la mémoire collective et le bouche-à-oreille ont modifié l'aspect pour en faire une créature légendaire. Voyons cette théorie.

Que sait-on aujourd'hui sur l'origine des Tibétains ? Les paléontologues nous disent que des humains archaïques sont passés par le Tibet à l'époque où l'Inde était inhabitée, il y a un demi-million d'années (cf. T.Laird, 2006). Les génomes mitochondriens (ADNmt) montrent que les premiers Homo sapiens ont peuplé le plateau tibétain il y a plus de 21000 ans (cf. M.Zhao et al., 2009). Cette population fut en grande partie replacée il y a environ 5000 ans par des immigrants du Néolithique venus du nord de la Chine actuelle. Mais sur base de l'analyse de l'ADNmt, on constate qu'il existe une continuité génétique entre les habitants du Paléolithique et les populations tibétaines actuelles.

Il y a donc plus de 21000 ans que les Tibétains se sont installés sur le haut-plateau situé sur le flanc nord de la chaîne himalayenne. Or il y a 60000 à 30000 ans, des Homo sapiens se sont dispersés en Asie centrale, notamment au nord-est du plateau tibétain (cf. cette carte) où se trouvaient les derniers représentants des Dénisoviens (cf. la localisation de la grotte Kaishiya où furent découverts les fossiles d'Homo Desinova âgés de 45000 ans).

Les paléogénéticiens confirment que les Dénisoviens de Xiahe étaient déjà installés sur la plateau tibétain depuis 160000 ans. Ils étaient donc adaptés aux hautes altitudes (le plateau tibétain s'étend entre 1500-5000 m d'altitude et la grotte de Baishiya oà fut découvert une mandibule de Dénisovien âgé de 160000 ans est située à 3280 m d'altitude).

Sachant que les Tibétains ont hérité de gènes de Dénisoviens dont EPAS1, Evans discuta avec le biologiste évolutionniste Rasmus Nielsen de l'Université de Californie à Berkeley qui étudia justement d'un point de vue statistique le gène EPAS1 pour savoir à quelle époque s'est produit le métissage entre les Dénisoviens et les ancêtres des Tibétains. La région himalayenne abritant de l'eau et du gibier, les Dénisoviens ont pu vivre des milliers d'années dans ce dernier refuge avant de s'éteindre il y a environ 29200 ans.

En utilisant notamment des données du gène EPAS1 des sherpas, Nielsen a pu calculer l'époque à laquelle vécut l'ancêtre commun des Tibétains et des Dénisoviens. Il obtient une probabilité maximale il y a 1500 générations soit environ 40000 ans. Mais la valeur suivant une courbe gaussienne, le métissage a pu commencer plus tôt et se terminer plus tard. La date la plus récente remonte entre 250 et ~500 générations soit entre 7000 et ~15000 ans.

Ces résultats sont intéressants car on peut les mettre en rapport avec l'histoire d'un autre ancien peuple. En effet, si on interroge les Aborigènes d'Australie, on découvre que certains récits du "Temps du Rêve" racontent des faits réels comme des inondations catastrophiques qui se sont produites il y a environ 18000 ans suite à la fonte de la calotte polaire australe (cf. The Great Flood). Cela veut dire que la mémoire collective peut garder le souvenir d'évènements très anciens dont il n'existe plus aucune trace physique. Dans le cas des Tibétains, il est donc possible qu'après 500 générations ils aient encore conservé le souvenir de certaines rencontres qui ont marqué durablement leur communauté, et dans ce cas-ci jusque dans leurs chairs.

Ceci dit, si cet éventuel métissage survenu dans un lointain passé pourrait expliquer la légende du yéti - encore faut-il le prouver - , cette théorie n'explique pas les observations du yéti ni les empreintes de pas découvertes au XXe siècle.

En guise de conclusion

Ces enquêtes ont permis d'émettre deux hypothèses sur l'origine du yéti. Il y a d'abord la théorie de "l'homme des bois" vu sur les contreforts de l'Himalaya au nord-est de l'Inde qui serait finalement un grand ours descendant d'une espèce d'ours polaire éteinte il y a 40000 ans.

La seconde théorie est celle proposée par Mark Evans. Bien que la probabilité soit faible, il est tout à fait possible que les histoires de yétis que connaissent tous les Tibétains fassent en réalité référence à la rencontre entre des Dénisoviens et les premiers Homo sapiens installés en Himalaya, notamment sur le plateau tibétain. Au fil des générations, l'histoire a été altérée mais globalement elle reposerait sur des faits réels. Si l'histoire du Yéti a été dénaturée avec le temps, il est émouvant de se dire qu'elle représente peut-être la plus ancienne évocation et trace mémorielle de la véritable histoire de l'origine de l'adaptation des Tibétains à l'altitude.

Dans les deux cas, il faudra plus de données et donc organiser de nouvelles expéditions pour apporter de nouvelles preuves génétiques, notamment de ce lien possible entre les ours polaires et ceux existants aujourd'hui en Himalaya. Quant à découvrir physiquement ce yéti légendaire et le capturer, l'espoir fait vivre.

Pour plus d'informations

Page Internet de Mark Evans

Le yéti : savez-vous qui est vraiment l'abominable homme des neiges ? (article + podcast), RTBF

Bigfoot Believers Uncovered a Lost Manuscript About the ‘Soviet Sasquatch’, The Motherboard, 2022.

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