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L'extinction des dinosaures

Document Don Davis.

Le tueur invisible (I)

Quel cataclysme mit donc fin au règne des dinosaures il y a environ 66 millions d'années ? Aujourd'hui encore et malgré des décennies de recherches, la réponse n'est pas définitive. Cet article va donc tenter d'éclaircir le sujet à la lumière des récentes découvertes.

L'extinction des grands sauriens à la limite du Crétacé/Paléogène (cf. le tableau des temps géologiques) mieux connue sous le nom de limite C/Pg (anciennement limite C/T[1]), mais aussi des fougères géantes et des ammonites à la fin du Crétacé fut provoquée par un phénomène à l'échelle astronomique qui modifia tout notre écosystème pendant plusieurs centaines ou milliers d'années, déversant d'énormes quantités de gaz carbonique dans l'atmosphère et ensevelissant les terres sont des millions de tonnes de cendres.

Il y a quelques années le paléontologue américain Peter D. Ward de l'Université de Washington décrivit les principales leçons que l'on peut tirer du débat sur l'extinction du C/Pg :

- Les modèles et les mécanismes qui ont conduit à cette hécatombe sont immatures et donc inadaptés pour expliquer les modes de comportements de la survie sélective et de l'extinction

- Les impacts peuvent provoquer une extinction

- D'ordinaire il y a plus d'un mécanisme tueur impliqué dans une extinction de masse, même dans le cas C/Pg

- Les enregistrements fossiles interprétés littéralement aux époques frontières des extinctions peuvent être trompeurs

- Toutes les extinctions devraient être considérées comme des processus rapides, sauf preuve du contraire

- Une percée scientifique sera le résultat d'efforts pluridisciplinaires, impliquant la paléontologie, la sédimentologie, la géochimie et les sciences de l'atmosphère.

L'extinction des dinosaures (5) représente la 6e extinction de masse que connut la Terre.

C'est en suivant ces conseils et en analysant notamment les résultats des recherches pluridisciplinaires que nous allons tenter d'exposer un scénario plausible de ce qui s'est passé il y a 66 millions d'années.

Trois grands axes de recherches ont été explorés depuis les années 1980 :

- Les mécanismes tueurs et les contraintes dans les modèles paléontologiques

- La calibration de la taille de "l'impacteur" et de l'extinction en elle-même

- Comment la sélectivité a préservé certaines espèces et pourquoi d'autres ont péri.

Plusieurs théories ont été invoquées pour expliquer l'extinction des reptiles géants. Dans ce cas ci, celles que nous retiendrons font appel à des évènements extraterrestres, d'ordre astronomique, dont on peut retrouver une périodicité car un phénomène similaire d'extinction s'est produit antérieurement à plusieurs reprises, ainsi que nous l'expliquerons dans l'article consacré aux extinctions de masse.

Les autres causes, biologiques (cycle interne, virus, etc), météorologiques (changement climatique soudain) et géologiques (mouvements du sol, volcanisme) n'ont aucune raison d'être périodiques, du moins de présenter des cycles dont la période dépasse plusieurs millions d'années. Ainsi les glaciations successives ne sont pas corrélées avec les extinctions de masse. En revanche, certains volcans peuvent avoir des éruptions cycliques tous les 600000 ans comme le Yellowstone. Nous reviendrons sur la cause géologique car certaines études considèrent le volcanisme comme une des causes probables d'extinction des dinosaures, d'autant plus qu'il peut expliquer d'autres extinctions de masse.

Enquête sur l'extinction des dinosaures

L'explication la plus plausible concernant l'extinction de 76% des espèces à la fin du Crétacé[2] dont celle des dinosaures et des ammonites tient compte des preuves d'un impact météoritique et des traces d'incendies qu'on retrouve à travers le monde. En effet, la théorie que nous allons décrire explique non seulement l'origine de la catastrophe mais également pourquoi des espèces dominantes ont disparu en quelques décennies et surtout pourquoi 24% des espèces ont survécu, y compris certains mammifères et des oiseaux.

Luis et son fils Walter Alvarez[3] ainsi que des chercheurs de Caltech découvrirent en 1980 dans les strates à la limite C/Pg un taux anormalement élevé d'iridium, d'osmium et de cristal de quartz au Canada, aux Etats-Unis, en Espagne, en France, en Italie, en Tunisie, au Danemark, dans les Balkans, en Chine et même en Nouvelle-Zélande.

Sur 29 sites prospectés à courte et grande distances du cratère d'impact par l'Expédition364 Chicxulub de l'IODP/ICDP (International Ocean Discovery Program/International Continental Scientific Drilling Program), comme on le voit sur la carte présentée ci-dessous à droite, dans 7 sites la concentration d'iridium dépasse 10 ppb (10 parties par milliard) soit 500 fois supérieure à sa concentration dans la croûte terrestre (0.02 ppb ou 0.05 μg/kg).

L'iridium est un métal rare sur Terre. Distribué uniforment à la surface de la Terre, il représente 1.13 x 10-7 g/cm2 (cf. HHMI). Mais c'est un élément ordinaire dans le système solaire, qu'on retrouve principalement dans les astéroïdes et les comètes. Il peut être 10000 fois plus concentré dans les météorites.

Cette couche n'a donc pu se former qu'avec la poussière générée suite à l'impact et la vaporisation d'un astéroïde (une météorite).

Toutefois, une minorité de chercheurs considérait qu'il n'existait pas de lien entre les impacts majeurs et leur principale conséquence, l'extinction de masse des espèces. Ou lorsqu'ils partageaient l'opinion générale, ils tempéraient leurs positions en précisant par exemple que l'extinction du C/Pg fut limitée aux Tropiques (Keller, 1994; Zinsmeister et Feldman, 1994) ce qui est totalement faux, ce qui fut démontré dès 1985 par différentes mesures géologiques effectuées aux quatre coins de la planète comme nous allons le découvrir.

A gauche, une carotte de granite de 83 mm de diamètre prélevée dans l'anneau de pic de Chicxulub contenant des veines cataclastiques et hydrothermales. La roche fut également métamorphosée par choc, comme illustré dans l'encart montrant des déformation planes dans du quartz espacées de ~5 microns (l'image mesure 245 microns de large). Document LPI et microphotographie prise par Ludovic Ferrière de l'Expedition 364 de l'IODP/ICDP (2017). Au centre, les "klint" ou falaises de Stevns situées à l'est du Danemark contiennent une concentration anormalement élevée d'iridium qui ne peut s'expliquer que par une contamination extraterrestre, c'est-à-dire suite à un impact météoritique. Document Dan Simon (2005). A droite, en (A) la reconstruction paléogéographique à la limite C/Pg du Crétacé supérieur des sites d'éjecta de la structure d'impact de Chicxulub affichant des taux anomalement élevés d'iridum. En (B), l'anomalie d'iridium mesurée au site limite distal de Gubbio, en Italie. En (C), les étoiles désignent les positions des carottes de forage réalisés au Yucatán, y compris le site prospecté par l'Expédition 364 de l'IODP/ICDP (étoile verte). En (D), la coupe transversale schématique du cratère d'impact de Chicxulub, avec l'emplacement du site M0077. Documents Expédition 364 Chicxulub (2021) et Heiko Pälike (B).

De façon générale, toutes les données recueillies jusqu'à présent tendent à démontrer que seule une perturbation extraterrestre a pu conduire à l'extinction de masse à l'ère Secondaire. Toutefois la répartition de l'iridium n'est pas régulière sur tout le globe et certains géologues et géochimistes considèrent que les taux d'iridium relevés aux époques des différentes extinctions pourrait très bien avoir une origine terrestre. En 1987, le paléontologue Stephen K. Donovan[4] de l’Université jamaïcaine des West Indies déclara que "seule l’extinction de masse du Crétacé-Tertiaire ne pourrait pas être attribuée à une cause terrestre." Cette conclusion fut confirmée sans équivoque en 2021.

Dans le cadre de l'Expédition 364 Chicxulub de l'IODP/ICDP, une équipe internationale de 394 chercheurs publia dans la revue "Science Advances" en 2021 les résultats de la distribution de l'iridium dans la structure d'impact de Chicxulub sur base de nouvelles données provenant de quatre laboratoires indépendants. Dans le cratère d'impact, la concentration d'iridium est quatre fois supérieure que dans les zones environnantes. C'est une preuve incontestable que ce cratère est bien le résultat de l'impact d'un astéroïde.

Au début des années 1980, dans des couches de sédiments près de Gubbio, en Italie, et de Caravaca, en Espagne. Dans une très fine couche d’argile qui marque la limite entre le Crétacé et le Paléogène, les scientifiques mesurent des concentrations remarquablement élevées en iridium, un métal rare qui s’observe peu à la surface du globe mais que l’on trouve en quantité dans les météorites. Cette couche n’a donc pu se former qu’avec la poussière produite par l'impact et la vaporisation d’une météorite géante. Lors de cet impact, nous savons que l’onde de choc vaporisa l'astéroïde en poussière, qui fut éjectée dans l’atmosphère avec, de surcroît, la poussière des roches impactées. Celle-ci s’est alors répandue partout, et créa ce que l’on appelle un hiver nucléaire : les rayons du Soleil ne parvinrent plus à traverser l'atmosphère rendue ainsi opaque. Ainsi, à la surface de la Terre, plongée dans une quasi-obscurité permanente, certaines espèces qui avaient échappé à l’impact et autres tsunamis vont à leur tour mourir. Jusqu’à ce que toute la poussière finisse par retomber au sol. Cela prit plusieurs décennies. Cependant, la scène du crime en série était incomplète. En effet, faute de cratère de météorite, l’hypothèse qu’une activité volcanique intense aurait pu causer cette extinction massive continua parallèlement à convaincre de nombreux chercheurs. La preuve "ultime", elle, ne sera trouvée qu'au tout début des années 1990.

Aujourd'hui les scientifiques confirment qu'Alvarez avait raison mais l'ampleur de la catastrophe fut bien supérieure à ce qu'il imaginait. Voyons en détails la théorie de l'impact météoritique avant de décrire succintement les théories alternatives qui n'ont plus beaucoup de supporters mise à part celle du volcanisme.

L'impact météoritique

En 1986, l'océanologue Jennifer Hess de l'Université de Rhodes Island et ses collègues découvrirent que l'eau de mer à l'époque de l’extinction des dinosaures présentait une grande teneur en strontium (cf. J.Hess et al., 1986).

En 1991, une équipe américaine de l'Université de Rhodes Island affirma avoir localisé le cratère d'impact à l'origine du bouleversement de notre biosphère. Ayant découvert de grande quantités de sphérules près de Haïti, ils considéraient que le lieu d'impact le plus vraisemblable était le cratère de Chicxulub dont l'épicentre est situé à ~25 km au nord de la ville éponyme (en fait Chicxuklub Puerto) et à environ 10 km des côtes, juste au nord de la péninsule du Yucatan, au Mexique. C'est le plus grand cratère de la planète[5] avec une profondeur de 32 km et un diamètre moyen de 192 km (et supérieur à 260 km en comptant les remparts effondrés). Il fut découvert en 1978 par les géophysiciens Glen Penfield et Antonio Camargo lors de prospections pour la société pétrolière mexicaine Pernex. Comme on le voit ci-dessous à droite, un arc de cénotes délimite le rempart externe du cratère.

Le profil du cratère d'impact présente deux pics centraux tandis que les remparts partiellement effondrés sont entourés d'éjecta sur plusieurs dizaines de kilomètres en direction de Belize. Selon une étude publiée en 2013 par Paul R. Renne du Centre de Géochronologie de Berkeley (BGC) et son équipe, le cratère de Chicxulub s'est formé il y a exactement 66 ±0.43 millions d’années.

A voir : Meteor Impact Site, NGS

En 1990, Alan Hildebrand et son équipe découvrirent une structure annulaire de 180 km de diamètre sous les couches sédimentaires à 10 km de la côte nord de la péninsule du Yucatan au Mexique (zone jaune sur la carte ci-dessus au centre). Cette formation est âgée d'environ 66 millions d'années et coïncide avec l'extinction de masse à la limite C/Pg. A gauche, l'instant de l'impact sur le plateau océanique (en pleine mer). Au centre, schéma des lignes de fractures, du rempart externe et de la limite des éjecta qui entourent le bassin d'impact. Rappelons qu'il y a 66 millions d'années la partie nord de l'Amérique centrale comprenant l'actuel Yucatan, une partie du Chiapaz, Belize et une grande partie du Guatemala étaient sous le niveau de la mer. A droite, la cartographie des cénotes révèle la limite du rempart externe du cratère. Documents David A.Hardy, T.Lombry et LPI adapté par l'auteur.

Le cratère d'impact est parfaitement conservé car il s'est formé à plus de 900 m de profondeur puis fut recouvert de sédiments. Aujourd'hui, le cratère est encore recouvert sous 500 m de sédiments mais certains éjecta plus éloignés du centre forment des hauts-fonds qui remontent par endroit jusqu'à 3-4 m seulement de la surface. Sur le site, entre 650 et 800 m de profondeur, on retrouve des sphérules de verre et de la fine cendre contenant des quartz choqués, c'est-à-dire ayant subi une pression d'au moins 20 GPa (200 kbar).

A l'époque, c'est-à-dire au début des années 1990, l'hypothèse météoritique n'avait pas retenu l'attention d'une équipe française du Laboratoire des faibles radioactivités car ils considéraient après contre-analyse que ces sphérules avaient une origine volcanique locale et rien de plus. Ils n'ont pas approfondi la question et sont passés à côté d'une découverte majeure. Le débat restait toutefois ouvert, en particulier dans l'esprit du géophysicien James F. Kasting de l'Université de Pennsylvanie (Penn State) déjà connu pour ses modèles climatiques, du géologue et biologiste Michael R. Rampino de l'Université de New York et de l'astronome Richard B. Stothers (1939-2011) de l’Institut des Etudes Spatiales de la NASA[6]. Leur persévérance les récompensa.

En 1993, les géochronologistes Peter Zeitler aujourd'hui à l'Université Lehigh et Michael Kunk de l'USGS apportèrent à leur tour la preuve[7] que le cratère d'impact de Manson en Iowa de 35 km de diamètre avait exactement le même âge que celui de Chicxulub. Cette découverte suggéra que la Terre fut frappée simultanément ou presque par au moins deux grands objets, phénomène qui se produit rarement avec les astéroïdes.

A gauche et au centre, cartographie du champ de gravité dans la région du cratère de Chicxulub révélant des détails topologiques. A droite, cartographie 3D des champs de gravité et magnétique de la zone d'impact. Notez la forme asymétrique du cratère d'impact qui apporte des indices sur la trajectoire suivie par l'astéroïde. Documents D.R., U.Arizona et V.L.Sharpton/LPI.

Le cratère de Chicxulub fit donc l'objet de deux nouvelles expéditions scientifiques en 1995 et 1996. Des géologues de la NASA et de la Planetary Society explorèrent la région de Belize en quête de signatures extraterrestres, de roches éjectées du cratère suite à la force de l'impact. Ces expéditions furent un succès et eurent une répercussion mondiale, tant dans la presse spécialisée que grand public.

Les chercheurs découvrirent tout d'abord dans les pierres de dolomites (carbonate de calcium ou de magnésium naturel) des fossiles d'une nouvelle espèce de crabe Carcineretes planetarius qui s'est éteinte à la fin du Crétacé, ainsi que des fossiles de néréides. Ces créatures permirent aux scientifiques d'avoir une première idée de l'environnement de cette région à l'époque de l’impact et de confirmer que la surface fut exposée à des éjecta de Chicxulub à la fin du Crétacé.

De nouvelles tectites furent également découvertes, dont la composition correspondait à celle trouvée dans les roches du Yucatan. Les découvertes se sont ainsi succédées. D'autres dolomites, de 8 m de diamètre, avaient été striées par une force titanesque. Certaines sphérules de calcites semblaient avoir subi un traitement inhabituel pour leur donner cette forme atypique. Certaines avaient été vaporisées avant de se cristalliser.

Traces d'éjecta (la ligne brune) à la limite C/Pg découvertes à Cristo Rey et Barton Creek, au Belize. Documents The Planetary Society.

En 2002, les géologues Adriana Ocampo et Kevin Pope de la NASA ont découvert ce qu'ils ont appelé "la fumée du fusil" (a smoking gun) en démontrant qu’à plus de 500 km de l'épicentre, la force de l'impact fut vraiment diabolique. Des roches éclatées ont été découvertes, encroûtées et polies dans les éjecta. D'autres roches présentaient des signes de métamorphisme de choc : des débris avaient été vitrifiés sous la chaleur de l'onde de choc qui suivit l’explosion et d'autres roches présentaient des trous résultants d'impacts supersoniques.

A Cristo Rey et Barton Creek au Belize, des zones exposées aux intempéries ont permis aux géologues de découvrir le tracé de la limite C/Pg. Ainsi qu'on le distingue ci-dessus, au-dessus d'éboulis et de sédiments jaunâtres, ils découvrirent un fin lit brun-bordeau de 5 cm d’épaisseur constitué de petits rochers arrondis et de sphérules au-dessus duquel reposait la couche d'éjecta sur une dizaine de centimètres, elle-même recouverte de dolomites blanches. Cette limite C/Pg courait sur plusieurs dizaines de mètres de longueur au milieu des montagnes de Belize. Cette trace biostratigraphique présente un indice clair en faveur d'un impact météoritique majeur. Des traces similaires furent découvertes en Alberta, au Canada.

Plus récemment, comme on le voit ci-dessous, des traces de la limite C/Pg furent découvertes dans le Parc du Lac Trinidad dans le bassin Raton au Colorado et à Geulhemmergroeve aux Pays-Bas, attestant des retombées mondiales de cette catastrophe.

Interpréter ces différents indices découverts aux quatre coins de la planète comme étant en rapport avec l'extinction des dinosaures est par contre une hypothèse plus incertaine qui n'a pas encore été démontrée mais ils convergent dans ce sens, y compris la prolifération des formes de vie après cette catastrophe, évènement sur lequel nous reviendrons.

A gauche, la trace de la limite C/Pg apparaît clairement dans la partie sud du Parc du Lac Trinidad situé dans le Bassin de Raton au Colorado aux Etats-Unis. La roche passe brutalement d'une couleur sombre à claire au-dessus de la limite C/Pg. A droite, trace de la limite C/Pg découverte dans les "tunnels de Geulhemmergroeve" situés près de Geulhem aux Pays-Bas. L'épaisse couche d'argile grise se trouve juste au-dessus de la couche du Paléogène (en jaune foncé) datant du Cénozoïque (anciennement Tertiaire datant de moins de 66 millions d'années), elle-même recouvrant la couche jaune claire et plus ancienne du Crétacé.

Enfin, en 2016 dans le cadre de l'Expédition 364 Chicxulub de l'IODP/ICDP précitée, une équipe internationale comprenant plus de 60 chercheurs explora pendant trois mois la zone onshore et offshore du cratère d'impact. Le but était de compléter les données recueillies précédemment, notamment au cours de l'expédition de 2004 et de répondre aux questions en suspens. L'analyse de ces données occupa les chercheurs pendant plus de 4 ans.

Parmi les questions que se posaient les chercheurs, il y avait celles concernant la formation du cratère : Pourquoi l'anneau est-il ouvert du coté nord ? Pourquoi l'anneau est-il couvert de pics ? Pourquoi le centre du cratère transitoire est décalé par rapport au cratère final ? Quelle est la nature des roches qui formèrent les pics et les remparts ? Proviennent-elles de la croûte supérieure, moyenne ou inférieure ? Quelles sont la cinématique et la dynamique de la formation des pics ? Quel mécanisme d'affaiblissement des roches contrôle la formation des grands cratères ?, etc. Bref, du vrai travail de spécialistes. Nous verrons page suivante que d'autres équipes s'intéressèrent aux conditions de réapparition de la vie après l'impact : quels organismes et combien de temps après l'impact sont-ils apparus, etc ?

À l'image de ce qu'on observe sur la Lune (cf. le bassin de Schrödinger de 320 km de diamètre), on constate que les grands cratères d'impacts fournissent un mécanisme pour resurfacer les planètes et les lunes rocheuses en mélangeant des roches proches de la surface avec des matériaux plus profonds. Les pics centraux sont formés à partir du soulèvement dynamique des roches pendant la formation du cratère. Lorsque le cratère est très vaste (> 100 km de diamètre), l'énergie qu'on retrouve normalement dans le pic central est transmise aux anneaux et aux remparts qui affichent un profil crénelé. Vu les dimensions du cratère de Chicxulub, en théorie le même mécanisme remodela la région mais il fallait le prouver.

Avant l'expédition de 2016, sans échantillons le débat était toujours ouvert concernant la mécanique de la formation des pics et à quelle profondeur ils se sont formés. L'Expédition 364 échantillonna l'anneau de pics, ce qui permit aux chercheurs de découvrir qu'il était formé de roches du socle felsique (des roches silicatées dites mafiques) soulevées, fracturées et choquées. Les roches de l'anneau de pics sont traversées par des dikes (roches magmatiques qui sont remontées par des cheminées et des fissures) et des zones de cisaillement et ont une densité et une vitesse sismique exceptionnellement faibles. L'impact de la météorite ayant été très important, il généra des flux verticaux et augmenta localement la porosité de la croûte terrestre.

 A gauche, reconstruction 3D du cratère de Chicxulub à partir des anomalies gravifiques relevées en 2016. A droite, reconstruction artistique du cratère de Chicxulub quelques années après l'impact il y a 66 millions d'années. Elle est scientifiquement fausse car à cette époque, la mer recouvrait le Yucatan. Documents D.Sandwell/Scripps et Detlev Van Ravenswaay/Science.

Sur le plan géologique, l'analyse des carottes prélevées dans le cratère et sur l'anneau de pics montre que certaines roches proviennent de 30 km de profondeur tandis qu'une couche de roche fondue mesurant ~3 km d'épaisseur combla le cratère puis fut recouverte de brèches polymictes et de Bunte typiques des brèches d'impact comme on le voit sur le schéma présenté ci-dessus à gauche. Les 800 mètres supérieurs de sédiments sont essentiellement constitués de shales, des roches sédimentaires métamorphiques ayant été portées à 250-300°C qui ont rempli le cratère après l'impact. Juste en dessous se trouve une couche de suévite redéposée de 12 mètres d'épaisseur qui pourrait avoir glissé dans le cratère après l'éjection initiale et la retombée des éjecta. Ensuite, il y a 86 mètres de suévite redéposée qui furent éjectées balistiquement du cratère pendant sa formation. Les 600 mètres les plus profonds sont constitués de grandes fragments éjectés composés de roches calcaire, de dolomite et d'évaporites dont 27% d'anhydrites.

Pour expliquer ces phénomènes, dans un article publié dans la revue "Science" en 2016 dans le cadre des résultats de l'Expédition 364 Chicxulub, le géophysicien et géologue Sean P. Gulick de l'Université du Texas qui s'intéresse aux risques naturels et leurs interactions tectoniques et climatiques, et ses collègues ont suggéré que sous l'impact, la croûte terrestre se liquéfia temporairement, formant ce qu'on appelle un cratère transitoire ou transient tandis que par réaction, à l'image d'une goutte tombant dans un liquide, le centre rebondit vers le haut puis retomba vers l'extérieur en formant les pics et l'anneau de pics de 45 km de rayon qu'on observe aujourd'hui. Seul problème, cette théorie est basée sur des modèles et rien ne prouve que cela s'est réellement passé ainsi, ce que Gulick confirme volontiers : "Nous n'avons jamais récupéré de roche provenant d'un anneau de pics d'impact pour vérifier si c'est correct"... d'où les controverses que cette théorie suscite encore (mais minoritaires). Il a donc fallu réexplorer la zone pour le prouver. On y reviendra.

Voyons à présent quel type d'objet est à l'origine de cet impact, quelles furent les conséquences de cette collision et comment la vie réapparut après ce cataclysme. C'est l'objet du prochain chapitre.

Prochain chapitre

La fragmentation de l'astéroïde Baptistina

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[1] Le public connaît mieux cet évènement sous son ancien nom de limite Crétacé/Tertiaire ou limite C/T ou encore K-T boundary.

[2] D.Jablonski, Science, 231, 1986, p129 - R.Lewin, Science, 231, 1986, p219 - W.Wolbach et al. Nature, 334, 1988, pp665-669 - J.Melosh et al., Nature 343, 1990, pp251-254.

[3] L.W.Alvarez, W.Alvarez, F.Asaro, and H.V.Michel, "Extraterrestrial cause for the cretaceous-tertiary extinction" (et en PDF), Science, 208, 4448, 1980, pp.1095-1108 - W.Alvarez et F.Asaro, “An Extraterrestrial Impact”, Scientific American, 264, 1990, p42.

[4] S.Donovan, Nature, 1987, p331 - S.Donovan, "Mass Extinctions. Processes and Evidence", Columbia University Press, 1989.

[5] R.Kerr, Science, 257, 1992, p878

[6] M.Rampino et R.Sothers, Science, 226, 1984, p1427 - J.Kasting et al., Nature, 342, 1989, p139 - V.Overbeck et G.Fogleman, Nature, 339, p434 - J.Hogan, “The Caribean killer”, Scientific American, 265, 1991, p12 - P.Zeitler in s/dir C.Koeberl et R.R. Anderson, "The Manson Impact Structure, Iowa: Anatomy of an Impact Crater", Geological Society of America, 1996, pp.383-396.

[7] R.Kerr, Science, 259, 1993, p1543.


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