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L'extinction des dinosaures

La renaissance de la vie au Tertiaire (III)

Qu'advint-il de la faune et de la flore après l'impact de Chicxulub ? Après une telle succession de catastrophes, il est difficile d'imaginer qu'il y eut des survivants. Et pourtant des créatures survécurent.

Le cataclysme affecta essentiellement l'hémisphère nord et les Caraïbes mais l'onde de chaleur et le nuage d'éjecta et de poussière affectèrent toute la planète. Certaines régions furent toutefois épargnées en raison de leur géographie.

Si les végétaux se sont reconstitués quelques années après l'impact, les grands dinosaures n'y ont pas survécu. Selon leur habitat et leur localisation, ils seraient tous morts en quelques dizaines d'années bien que le sujet fasse encore l'objet de controverses.

Les mammifères, sans lesquels nous ne serions pas là, étaient très petits à l'époque, de la taille d'une souris ou des plus petits lémuriens. Ils ont survécu car ils bénéficiaient de plusieurs atouts. D'abord leur petite taille leur permit de se réfugier sous terre, ensuite leur régime alimentaire était varié alors que celui des dinosaures était spécifique.

Ensuite, les petits mammifères se reproduisaient rapidement, tous les 2-3 ans, leur donnant un avantage sur les quelques dinosaures survivants qui ne se reproduisaient que tous les 20 ou 30 ans et de plus en plus de manière consanguine qui affaiblit leurs défenses immunitaires. A ce rythme, il suffisait qu'une centaine d'individus d'une espèce de dinosaure disparaissent dans une région pour assister à son extinction.

Les petits mammifères ont donc eu plus d'occasions de subir des mutations et de s'adapter à tous les nouveaux environnements laissés en friche par les espèces disparues.

Même les premiers oiseaux granivores s'en sortirent mieux que les plus petits dinosaures car n'étant pas carnivores et édentés, ils pouvaient se contenter des graines dispersées ci et là qui avaient résisté aux incendies. Encore aujourd'hui, le tégument enveloppant les graines offre une très bonne protection contre les agents extérieurs, qu'ils soient mécaniques ou rayonnants (chaleur, etc).

A gauche, le squelette d'un jeune lémurien fossile (Darwinius massillae) baptisé Ida qui vivait voici 47 millions d'années. Cet animal était un mammifère herbivore se nourrissant de fruits, de graines et de feuilles. Il compte parmi nos ancêtres. A droite, un bébé tarsier. Cliquer sur l'image pour voir la forme adulte. Les lémuriens sont apparus il y a 60 millions d'années. Ils se caractérisent tous par un faciès court, une vision frontale et des pattes préhensiles, alors que jusqu’à présent la vision était latérale et les doigts unis. L'être humain a hérité de ces fonctions. Documents U.Oslo et Biodidac.

Quelques dizaines d'années après l'impact, lorsque les nuages toxiques se dissipèrent et que l'atmosphère devint plus supportable, la terre retrouva lentement sa beauté mais présentait encore un visage gris et poussiéreux que la pluie et les vents allaient nettoyer. Avec le temps, le ciel finit par s'éclaircir et les nuages déversèrent enfin des pluies douces sur les continents en friche.

Etant donné que de nombreuses espèces survécurent à l'impact et à ses effets secondaires, elles ont marché ou se sont posées sur les terres stériles, y déposant de temps en temps des graines et autres germes. A leur tour, les aérosols et les vents ont déplacé des graines vers des sites désertiques où elles se sont fixées. Ces sols a priori stériles contenaient donc déjà une vie latente qui n'attendait que le moment propice pour sortir de terre.

La végétation qui avait disparu pendant quelques dizaines d'années retrouva progressivement une seconde vie. Le sol enrichi en éléments minéraux essentiels se gorgea d'eau douce, favorisant le développement des premières mousses et des espèces végétales les plus rustiques.

Le sol envahit de cendres et mis à nu se couvrit tout d'abord de bactéries et de champignons. Puis des limes et des mousses apparurent aux interstices des roches où l'humidité pouvait s'accumuler avant que de la terre ne puisse s'y fixer, offrant un sol et de la nourriture à la flore. Ce processus biologique s'étendit sur plusieurs années.

Ensuite, les plantes les plus robustes assurèrent à nouveau la photosynthèse et donnèrent littéralement une nouvelle bouffée d'oxygène à la terre entière, favorisant la renaissance de toutes les formes de vie aérobies.

Les premières fougères envahirent le sol et devinrent localement aussi grandes que des arbres (les dicksoniacées et les cyatheacées qui sont apparues au Jurassique par exemple et qu'on trouve encore en Tasmanie ainsi que dans certaines forêts primaires peuvent mesurer jusqu'à 30 m de hauteur).

C'est ainsi que 10000 nouvelles espèces apparurent après l'extinction du Crétacé/Tertiaire. Un nouveau monde naquit, sans dinosaures, où les mammifères allaient pouvoir s'épanouir, apprenant à lutter pour leur survie parmi une végétation luxuriante.

L'émergence de l'homme

Après avoir évoluées et s'être diversifiées pendant plus de 60 millions d'années, l'une de ces espèces vivant en Afrique, issue du phylum des vertébrés, de la classe des mammifères et de l'ordre des primates, s'est sentie apte à descendre des arbres et à marcher sur ses deux pieds pour explorer son environnement. Au terme de plusieurs millions d'années d'évolution et d'adaptation, l'une de ces espèces finit par donner naissance à l'être humain qui bâtit un monde à son image en quelques milliers d'années. On reviendra sur ce passionnant sujet dans le dossier sur l'origine et l'avenir de l'Homme.

Sachant à présent ce qui s'est vraisembablement produit à la fin du Crétacé, une conclusion est évidente qui ne souffre d'aucune influence philosophique ou doctrinale. Il y a 160 millions d'années, si un astéroïde n'avait pas dévié de sa trajectoire, si la Terre n'avait pas été percutée par ce météorite il y a 65 millions d'années, si les dinosaures ne s'étaient pas éteints, les mammifères n'auraient pas proliféré et n'auraient pas donné naissance aux ancêtres de l'espèce humaine. On en déduit que l'humanité est apparue par le plus grand des hasards comme le résultat d'une série de phénomènes fortuits tout aussi imprévisibles les uns que les autres. Notre chance d'être vivant est un miracle dans tous les sens du terme.

Dans ce contexte, on est en droit de se demander pourquoi sommes-nous là ? Nous y reviendrons à propos du principe anthropique que certains peuvent juger discutable à juste titre tout comme l'"hypothèse Dieu", et du fait que nous sommes peut-être seuls dans l'univers. Mais jusqu'à preuve du contraire, il sera difficile d'expliquer notre présence ici bas, quand bien même il existerait une explication.

Cette remarquable histoire est aujourd’hui inscrite dans les empreintes et les fossiles prisonniers des sédiments terrestres dont l’analyse directe et la modélisation informatique permettent de reconstruire la morphologie et le biotope et dont nos gènes portent l'héritage. Grâce à tous ces indices, depuis les années 1980 une majorité de scientifiques se rallient à la thèse de l’équipe d’Alvarez et consorts.

Mais tempérons ces découvertes. Les scientifiques ont encore beaucoup à apprendre sur le timing des évènements survenus à la limite C/Pg, des mécanismes impliqués dans la suite de catastrophes (gradient de latitude, sélectivité des victimes et des survivants, refuges d'altitude, etc), autant de détails qui nécessiteront des décennies de recherches pour en extraire l'essentiel et espérer affiner le scénario présenté ci-dessus afin qu'il réponde à toutes les questions.

II. Les éruptions volcaniques

Document GettyImages.

Il existe une autre hypothèse suggérée dès 1987 par les Américains Charles Officer et Charles Drake du Dartmouth College ainsi que Vincent Courtillot de l'Institut de Physique de la Terre à Paris parmi d'autres[10] qui pourrait expliquer l'élévation soudaine de la concentration en iridium. Les chercheurs évoquent l'éruption des volcans aux quatre coins du monde, phénomène plus incertain mais dont on peut retrouver des traces jusqu'à l'ère Secondaire.

Cette théorie a été reprise par l'équipe du géophysicien Blair Schoene de l'Université de Princeton dans un article publié dans la revue "Science" en 2019. Même s'il ne s'agit que d'une hypothèse, on ne peut donc pas dire que la théorie du volcanisme soit écartée.

Les chercheurs basent leur hypothèse sur les coulées basaltiques découvertes dans les trapps du Deccan[11] bien visibles dans les montagnes proches de Bombay, dans le sud de l'Inde, ainsi que dans le secteur ouest de ce pays.

A la fin de l'ère Secondaire, il y a environ 65 millions d'années, cette région vit l'accumulation de cendres et de lave sur une épaisseur moyenne de 60 mètres (entre 10-150 mètres) à chaque éruption volcanique ! Localement, dans la partie occidentale, l'épaisseur totale des trapps atteint 2400 mètres, formant de véritables montagnes autour desquelles serpentent des vallées profondes.

Par comparaison, l'éruption du volcan El Chiñon au Mexique en 1982 qui tua plus de 2000 personnes recouvrit le sol de 40 cm de cendre seulement et affecta une zone d'environ 24000 km2. De nos jours, malgré l'érosion et les mouvements tectoniques, les trapps du Deccan couvrent encore une superficie d'environ 500000 km2, soit près du quart de la superficie de l'Inde.

Dans une étude publiée en 2005 (et dans une thèse soutenue en 2006), la géologue Anne-Lise Chenet de l'Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP) estime que pour couvrir une telle étendue et sur une telle épaisseur, les volcans ont dû être actifs durant plusieurs années et globalement le volcanisme s'entendit sur une période de 10000 à 30000 ans. Certains auteurs citent même une durée de 500000 ans à 1 million d'années.

On décompte aujourd'hui entre 50 et 60 éruptions volcaniques chaque année et environ 450 volcans sont actifs dans le monde. Selon la NASA, 1500 volcans pourraient se réveiller d'un jour à l'autre et menaceraient plus de 500 millions de personnes. Si la thèse soutenue par les chercheurs de Dartmouth est correcte, il y a 65 millions d'années, une forte activité volcanique put entraîner une extinction massive des espèces. Nous pouvons imaginer les retombées d'un tel phénomène en observant les volcans qui sont actifs de nos jours. Prenons quelques exemples.

Les trapps du Deccan en Inde s'étalent en alternance sur une épaisseur moyenne de 60 m et couvrent un mur de 250 m d'épaisseur. Localement, ils ont formé des montagnes culminant à plus de 3300 m d'altitude ! A droite, un gros-plan sur les trapps de Mahabaleshwar en Inde dont voici une photo un peu plus large prise par Gerta Keller. Documents Lazlo Keszthelyi et Mark Richards.

Par ses dimensions, l'explosion d'un volcan est souvent plus dévastatrice que celle d'une bombe. En 1980, le Mont St.Helens situé dans la chaîne des Cascades explosa sans grands préliminaires et libéra une énergie équivalente à plus de 27000 fois l'explosion de la bombe d'Hiroshima soit 600 MT de TNT (VEI 5) ! 470 millions de tonnes de cendres volcaniques retombèrent dans un rayon de 30 km tandis que les projections atteignirent la stratosphère (> 20 km d'altitude). Le pays fut dévasté sur des centaines de kilomètres carrés. Il y eut 57 morts et pour 1.1 milliard de dollars de dégâts ! Mais l'évènement était très localisé dans une contrée isolée et n'entraîna finalement que peu de perturbations.

Certains volcans projettent une quantité phénoménale de cendres dans l'atmosphère. L'explosion du volcan philippin Pinatubo en 1991 est l'exemple typique. Il libéra une poussière très lourde jusqu'à 25 km d'altitude. Durant des jours, le ciel fut totalement obscurci et envahi de gaz irritants. Cette poussière agit comme un "écran total" devant le rayonnement du Soleil. D'une densité de 2.7 (contre 1.6 pour du sable non compacté), la poussière retomba rapidement sur le sol. Semblable au talc, elle obstrua les moindres orifices et le poids des cendres volcaniques fit s'écrouler les ponts et les habitations. Lorsque la pluie se mit à tomber, se condensant sur la poussière, l'eau était devenue acide. Des torrents de boues (lahars) dévalèrent dans toute la région, transportant avec eux la mort et la désolation.

Lorsque l'explosion se produit dans un site naturel, cette neige minérale entraîne l'exode massif des populations. Le cycle de la vie est interrompu brutalement; la région sur laquelle elle retombe devient un désert, le sol étant recouvert d'une épaisse couche de boue solidifiée aussi dure que du ciment.

D'autres volcans, telle la montagne Pelée ou le Vésuve dégagèrent pendant leurs éruptions un important souffle de chaleur et libérèrent des nuées ardentes qui retombèrent sur les populations, tuant instantanément toute vie.

Enfin, les volcans enneigés qui se réveillent produisent la fonte massive des neiges qui les recouvrent. Celle-ci s'écoule en avalanches vers les vallées en nivelant les reliefs sur plusieurs kilomètres carrés. Il en est de même pour les volcans de laves (dits hawaïens) qui éjectent une plus grande quantité de lave vive et de bombes.

A consulter : Volcano World - The Montserrat Volcano Observatory

A gauche, l'éruption du volcan Soufriere Hills en 1995 sur l'île de Montserrat (Caraïbes) détruisit la moitié de l'île. Au centre, deux ans plus tard des coulées pyroclastiques détruisirent la capitale Plymouth. C'en était trop et la majorité des habitants émigrèrent en des lieux plus sûrs. L'île bénéficiant d'un climat et d'un environnement très agréables, aujourd'hui les habitants reprennent lentement possession des lieux mais le volcan continue à rejeter des vapeurs d'acide sulfurique. A droite, les lahars, flots de boue et de cendres mêlés s'écoulant du volcan Merapi sur l'île de Java après l'éruption de 1982. Documents anonyme, Watson et USGS.

A la fin du Secondaire, à la limite C/Pg, cette période volcanique dura au moins 30000 ans (voire 30 fois plus longtemps), au point de modifier la biosphère et de provoquer une extinction massive de 10% environ de toute les populations vivantes, végétales ou animales, du monde marin et terrestre.

Schoene et ses collègues ont apporté des données supplémentaires concernant le timing précis des éruptions du Deccan à partir de la datation de différents radioisotopes (C, U, Pb) et de cristaux de zircons trouvés dans les couches de cendres prises en sandwich entre les couches de laves extraits d'une centaine de sites prospectés.

Selon les chercheurs, "il y eut quatre périodes éruptives, la seconde s'étant produite quelques dizaines de milliers d'années seulement avant l'impact de Chicxulub. [... ] Les deux premières [...] correspondent à une période de temps où le climat a de nouveau fluctué. De nombreux scientifiques pensent que cela indiquait une perturbation initiale où le climat aurait pu contribuer à l’extinction massive. Nos données montrent que peut-être la deuxième éruption aurait pu jouer un rôle important dans l'extinction elle-même, car elle s'est produite juste avant."

Keller qui est coauteur de cet article est plus affirmative dans ses conclusions : "Le volcanisme du Deccan est la cause la plus probable de l'extinction massive des dinosaures. L'impact de Chicxulub pourrait avoir contribué à sa disparition, bien que le timing et les effets environnementaux de cet impact restent à déterminer."

A gauche, l'éruption du volcan Helgafell qui eut lieu en Islande en 1973 provoqua l'exode forcé des populations. A droite, le volcan Kanaga en Alaska. S'il devait entrer en éruption la neige accumulée sur ses flancs participerait à la formation de lahars dévastateurs. Documents David A.Hardy et US Fish & Wildlife et US Fish & Wildlife.

Mais les conclusions de Keller sont prématurées et hâtives car objectivement, sur base de ces seules informations, on ne peut pas affirmer que cette seconde éruption volcanique provoqua une extinction massive. Si cette analyse est significative et intéressante, elle n'est pas définitive. En effet, tous les géophysiciens reconnaissent que la relation entre les éruptions du Deccan et le moment du dégazage reste une question majeure à résoudre pour déterminer exactement quels étaient les rôles exacts du volcanisme et de l'impact de Chicxulub.

D'ores et déjà, selon les défenseurs de l'impact météoritique, la théorie du volcanisme n'explique pas la concentration des platines (iridium, etc) et la soudaineté de l'extinction massive des dinosaures.

Aujourd'hui la majorité des chercheurs pensent que la fin du règne des dinosaures coincide avec l'explosion d'une météorite et non pas avec celle de l'éruption des volcans, même si ces derniers ont pu contribuer au changement climatique et indirectement à l'extinction de certaines espèces.

Si l'hypothèse du volcanisme ne semble pas s'appliquer à l'extinction des dinosaures, d'autres théories alternatives d'ampleur astronomique ont été proposées avec plus ou moins de succès.

Prochain chapitre

Les théories alternatives

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[10] A propos des éruptions volcaniques et des flots basaltiques du Deccan lire, C.Officer et al., Nature, 326, 1987, p143 - V.Courtillot et al., Nature, 333, 1988, p843 - V.Courtillot, “A Volcanic Eruption”, Scientific American, 264, 1990, p53.

[11] Si en français et en anglais on utilise parfois le mot "trap", trapp est le mot exact car il est emprunté au suédois (ou au norvégien) signifiant escalier. Les volcanologues confirment qu’il y a 65 millions d’années, un “point chaud” de l’écorce terrestre se situait au sud-ouest de l’Inde, à l’emplacement actuel de l’île de la Réunion et fut à l’origine des trapps du Deccan. Suite aux mouvements des plaques tectoniques, ce point chaud s’est déplacé mais continue de provoquer des éruption volcaniques, telle celle du Piton de la Fournaise il y a quelques décennies.


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