Contacter l'auteur / Contact the author

Recherche dans ce site / Search in this site

 

Météorologie élémentaire

Document NIX.

La trace du jet stream polaire (le banc de nuages qui traverse la mer de haut en bas) observé au dessus du Newfoundland au Canada depuis la navette spatiale. Document NASA.

Le jet stream (I)

Rappel historique[1]

Un jour, en 1942, le Lt aviateur Edward Hiatt se trouvait en mission avec son tout nouvel avion, le B29, à 27000 pieds (9000 m) au-dessus du Japon. Le bombardier de bord s'étonna qu'il ne parvenait pas à caller son viseur sur son objectif pourtant prévu pour compenser le déplacement de l'avion, considéré à l'époque comme le plus sophistiqué de son temps.

 Questionnant le navigateur et le radar au sol on leur confirma qu'ils avaient bien un vent arrière de 225 km/h et une vitesse propre de 545 km/h. Cette vitesse de 770 km/h était beaucoup trop élevée et le Lt Hiatt pensait qu'il s'agissait d'une erreur instrumentale. Mais aucune manoeuvre ne changea la situation. Finalement Hiatt décida de larguer ses bombes "au mieux", mais il était déjà à plus de 20 km de son objectif...

A son retour à la base de Saïpan le chef d'escadrille sermona Hiatt pour le fait qu'il n'avait pas atteint son objectif. Hiatt eut beau s'expliquer, personne ne crut son histoire de vent en altitude.

Quelque temps plus tard, un jeune prévisionniste américain envoya à un général en charge d'une escadrille du Pacifique un rapport météo dans lequel il relevait des vents soufflant à plus de 300 km/h au-dessus de Tokyo vers 10500 m d'altitude. Sur le coup cette annonce fut si inattendue que le général lui passa un savon, lui conseillant de revoir ses mesures... Ce que fit consciencieusement notre militaire mais il finit par lui répéter la même chose pour finalement se voir traité de débile par le général !

Toutefois, durant la même campagne, le pilote d'un avion de reconnaissance rapporta qu'il avait tenté de réaliser des photographies d'un objectif touché après une mission de B29. Au cours du vol son navigateur lui fit remarquer que malgré sa vitesse propre leur avion volait en réalité à 5 km/h... à reculons et volant d'est en ouest il devenait une cible de choix pour les pilotes japonais !

Il fallait donc se rendre à l'évidence : à la hauteur du Japon il existait un vents violent à la limite de la troposphère. Le prévisionniste ne s'était donc pas trompé, et du coup, en vrai gentleman le général s'excusa humblement auprès de son météo en reconnaissant son erreur. Le jet stream venait d'être découvert.

Mais en novembre 1944 ce courant rapide gardait tout son mystère et posa de gros problèmes aux bombardiers survolant le Japon à plus de 8000m d'altitude car ce vent clouait au sol les avions les plus perfectionnés de l'époque, déjà équipés de radar et d'un système sophistiqué de radionavigation ! En fait les B29 qui furent conçus pour voler en haute altitude à l'abri des chasseurs ne purent jamais remplir leur mission et effectueront l'essentiel de leur mission à basse altitude !

Oishi Wasaburo.

Mais c'était oublier que quelques années plus tôt, en 1926, le météorologiste japonais Oishi Wasaburo avait démontré l'existence du jet stream en lançant simplement des ballons-sondes qu'il suivait au théodolite. Mais pensant qu'il ne serait pas lu par la communauté internationale s'il publiait son article en japonais, il le publia en esperanto, espérant une très large diffusion, qu'il eut effectivement. Malheureusement personne ne fit attention à son article et encore aujourd'hui sa découverte est largement méconnue du monde scientifique. Ce n'est que 20 ans plus tard que les Américains découvrirent ses travaux.

Durant l'hiver de 1944-45 des ballons météo apparurent au-dessus des Etats-Unis. Ils étaient porteur de bombe. Après enquête il apparut que ces ballons provenaient du Japon et avaient parcouru 9650 km à une vitesse voisine de 160 km/h ! Ces ballons volaient à 9000 m d'altitude et traversaient le Pacifique jusqu'à la côte ouest des Etats-Unis.

En réalité l'armée japonaise n'avait pas conscience de la puissance du jet stream mais ils se demandaient malgré tout si leurs bombes, à tout hasard, ne pouvaient pas atteindre les Etats-Unis au bout de quelques mois. Car leur invention était très perfectionnée pour l'époque. Leurs ballons étaient maintenus dans le courant jet grâce à des capteurs embarqués qui larguaient en temps utile des sacs de leste pour maintenir l'altitude du ballon. Certains seront abattus, d'autres seront récupérés et utilisés pour les entraînements. Environ un millier de ces ballons atteindront les Etats-Unis. Malheureusement le 5 mai 1945 l'un de ces ballons tua six enfants en Orégon, les seules victimes de la guerre sur le continent américain.

La découverte de ces ballons fit prendre conscience aux météorologistes que le courant jet ne se limitait pas au Japon mais encerclait au moins le quart du globe. Un autre événement allait confirmer son existence dans l'hémisphère sud.

En 1947, un vol commercial quadrimoteurs tenta de traverser les Andes en direction de Santiago du Chili. Mais à l'époque on volait sans radar et sans connaissance des vents d'altitude. Malheureusement le "Stardust", un avion de 20 tonnes, son équipage et ses 6 passagers s'évanouirent dans la nature sans laisser la moindre trace. On fouilla méticuleusement la région durant plusieurs jours sans succès. Dans les années qui suivirent les théories les plus farfelues seront évoquées à son sujet : on évoqua un nouveau "Triangle des Bermudes", l'intervention des OVNI, etc.

Puis un jour, en l'an 2000, on découvrit des ossements humains, un moteur Rolls-Royce et une roue d'avion au bas d'un glacier. Il s'agissait des restes du "Stardust". Après enquête on put reconstituer l'accident. L'avion rencontra une tempête au-dessus des Andes. Pour l'éviter le pilote décida de grimper à plus de 7000 m d'altitude. Mais à ce niveau de vol il fut littéralement happé par le courant jet alors notoirement inconnu.

On sait aujourd'hui que l'avion volait dans le jet stream mais l'équipage n'en avait pas conscience; l'avion avait ralenti et faute de disposer de radar et plongé dans les nuages, vu le temps écoulé le pilote croyait avoir dépassé les Andes et entama sa lente descente vers la capitale. Alors que le pilote pensait qu'il descendait sur Santiago, il se dirigeait en fait tout droit sur la montagne et finit par s'écraser sur le sommet du glacier. Suite au crash une avalanche se déclencha et ensevelit les restes. Cachés dans la glace, les débris glissèrent le long des flancs de la montagne durant 50 ans jusqu'aux pieds du glacier où dame Nature nous les rendit. Les voyageurs périrent car l'équipage méconnaissait l'existence du jet stream.

Après la guerre, les météorologistes ont entamé des recherches sur ces vents mystérieux : d'où venaient-ils, où allaient-ils, comment ils affectaient l'atmosphère, etc. Aujourd'hui on sait où ce trouve le courant jet à tout instant. On sait qu'il n'est pas continu et qu'il existe cinq courants jets autour du globe. Mais plus incidieusement on sait également qu'il influence le climat. Au cours des vingt dernières années on a découvert qu'il permettait aux tempêtes de moyenne altitude de se former et de se développer car il se nourrit des courants thermiques de ces dépressions. Nous y reviendrons.

Position des jets streams

à travers le monde

Aujourd'hui les pilotes d'avions de ligne se servent du jet stream comme on emprunte une autoroute pour gagner du  temps lors de la traversée de l'Atlantique; le temps gagné pour revenir des Etats-Unis atteint 1h30 comparé au trajet dans l'autre sens.

Pour l'anecdote, le panache qui s'élève parfois au sommet du mont Everest est en fait la neige soulevée par le passage du jet stream qui survole l'Himalaya à cette altitude ! L'alpiniste et caméraman anglais Leo Dickinson s'en servit le 21 octobre1991 comme d'un ascenseur pour gravir l'Everest en ballon ! Tout d'un coup se rappella-t-il "il y eu des turbulences... c'était comme si une main nous soulevait !... Le courant jet nous poussait." Mais il ne pouvait pas s'approcher à moins de 900 m de l'Everest car le courant jet butait sur le sommet en créant des courants descendants que n'aurait jamais pu contrecarrer la poussée du ballon. Aussi pour éviter d'être plaqué contre la montagne par le vent, sur les conseils de son météorologiste, avec son navigateur il choisit de passer à l'aplomb de l'Everest. L'aventure suicide se transforma en succès retentissant !

Le panache de neige sur le versant de l'Everest est produit par le souffle du jet stream. A droite les dimensions du courant jet.

En 1999, sponsorisé par Breitling, Bertrand Piccard et Brian Jones se servirent également de l'accélération du jet stream pour effectuer le tour du monde en ballon pressurisé. Grâce aux bons soins des météorologistes, notamment du Suisse Pierre Eckert et du Belge Luc Trullemansn leur aventure fut couronnée de succès.

Dimensions

Le jet stream est donc un courant de vent violent en forme de ruban ou de tube aplati circulant juste en dessous de la tropopause et qui se déplace d'ouest en est, parfois de manière sinueuse. Ces dimensions sont très variables d'une situation à l'autre. On a conventionnellement fixé la vitesse minimale de ce courant à 100 noeuds (185 km/h).

Ci-dessus à gauche, un schéma des masses d'air et des jets streams en perspective. A droite, une vue similaire en plan. Ci-dessous à gauche, une coupe verticale de l'atmosphère à hauteur de la tropopause avec la température en Celsius à gauche et la hauteur en pieds à droite. Le jet stream est représenté en bleu ciel par les lignes d'égales vitesse de vent (la partie centrale en relief) tandis que les transversales représentent les isothermes. On reconnaît le jet stream dans le prolongement du front chaud, à la limite des tropopauses de l'air chaud et de l'air froid. Au centre du jet stream (jet core) les vents soufflent entre 100 et 400 noeuds (~50 à 200 m/s) pour redescendre à moins de 100 noeuds ou 50 m/s à la limite du courant. Au centre, la position des zones de turbulence ou CAT (en mauve), les turbulences les plus fortes étant situées dans la masse d'air chaud sous le centre du jet stream. A droite, carte des gradients de température et de pression dans la zone du jet stream. Le centre du jet stream est représenté en rouge avec des vents dépassant 40 noeuds ou plus de 50 m/s mais la zone des isotaches de vents forts (de 80 à 40 noeuds ou ~40 à 20 m/s) est deux fois plus étendue. Documents Brooks/Cole via U.Az, Aerowinx, D.R. et LibreTexts adaptés par l'auteur.

En fait, ce n'est pas seulement l'existence d'une vitesse élevée, mais la présence d'un fort gradient de vitesse autour de cette "rivière de vent" qui permet de déterminer qu'il s'agit bien du jet stream. Dans ces conditions, il peut avoir une épaisseur de 15000 à 20000 pieds au maximum. Ses dimensions horizontales sont extrêmement variables : 100 à 200 km de large et  de 1000 à 2000 km de longueur moyenne. Sa vitesse maximale est d'environ 400 noeuds au-dessus du Pacifique, soit 740 km/h ! Dans le plan vertical il se situe dans l'air chaud, entre la tropopause associée à la masse d'air chaud et celle associée à la masse d'air froid. Etant donné qu'il ne peut pas s'élever il prend une position horizontale et s'accélère donc naturellement.

Formation

Nous ne ferons pas ici la revue des nombreuses hypothèses qui ont été émises à ce sujet. Signalons seulement que ce phénomène se produit souvent lorsqu'on observe une forte inversion froide, formant une série de dômes étendus. L'air chaud tropical rejeté au-dessus emprunte les "vallées" d'altitude entre ces dômes et prend une forte accélération : le jet stream est alors formé.

La condition nécessaire à la formation d'un jet stream est un fort contraste de température; l'air froid se trouvant du côté des basses pressions. Dans ce cas le gradient de pression (et par conséquent le vent) augmente rapidement avec l'altitude et atteint un maximum au niveau où le champ de température est renversé, l'air le plus froid se trouvant alors du côté des hautes pressions. Un front bien marqué (en température) remplit cette condition, le renversement du champ de température s'effectuant alors à un niveau intermédiaire entre les deux tropopauses.

Photo satellite infrarouge et analyse de surface de la situation météorologique européenne le 9 juin 2006 à 0h TU : il s'agit d'une belle journée estivale, il faisait plus de 20°C l'après-midi avec un ciel très peu nuageux. Plus intéressant, on note à gauche de l'image et courant derrière et parallèlement au front chaud situé au milieu de l'océan Atlantique Nord, un banc de nuages élevés signalant la présence d'un jet stream. Celui-ci s'étend sur près de 4000 km et souffle du secteur SO à SSO avec une vitesse maximale de 120 noeuds. Ainsi que le montre cette carte NESDIS des vents de surface, ce jet stream entraîna en haute mer des vents soufflant jusqu'à 30 noeuds. Documents NESDIS/NOAA, Météo France et Met Office.

De manière schématique on peut donc considérer les différentes tropopauses (des latitudes polaire, tempérée et tropicales) comme un ensemble de plaques concentriques et superposées à la jonction desquelles se trouve un courant jet. Il coïncide avec la position des perturbations.

Ainsi, dans les grandes plaines du centre des Etats-Unis, durant l'été c'est le courant jet qui entraîne la formation des tornades, tout spécialement celles qui se développent dans ce qu'il convient aujourd'hui d'appeler la "Tornado Alley". Le sommet des cumulonimbus touchant la tropopause, le jet stream les entraîne provoquant l'autogyration de la cellule orageuse. Lorsque les courants ascendants deviennent très intenses, l'intérieur des cumulonimbus subit une importante chute de pression entraînant la mise en rotation de la base du nuage avec la formation progressive d'un entonnoir. La cellule se transforme en tornade (ou trombe au-dessus de la mer). Aux abords de celle-ci les vents soufflent d'ordinaire entre 200 et 400 km/h, ravageant tout sur leur passage. Si vous n'avez pas quitté les lieux depuis longtemps, accrochez-vous à la vie, car tout le reste sera réduit en charpie, et ce n'est pas une figure de style... !

Deuxième partie

Position et orientation du jet stream

Retour à la Météorologie

Page 1 - 2 -


[1] Résumé du documentaire "Five Miles High" du réalisateur par Marc Cronin. Ce film fut présenté sur la BBC en 2002 et fut traduit en français sous le titre "Plus haut que les nuages".


Back to:

HOME

Copyright & FAQ