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Les revêtement des miroirs de télescopes

Le miroir de 193 cm du télescope de l'Observatoire de Haute-Provence sortant de la chambre sous vide avec sa nouvelle aluminure.

Argenture, aluminure et revêtements de protection (I)

Après avoir décrit les propriétés des revêtements des lentilles et les spécifications des verres, nous allons à présent décrire les différents types de revêtements qu'on peut appliquer sur le miroir d'un télescope.

Ces revêtements comprennent le dépôt d'un film réfléchissant, la protection de la couche métallisée contre la corrosion, son renforcement ainsi que le traitement antireflet et éventuellement hydrophobe.

Cet article a été divisé en trois parties :

- L'argenture et l'aluminure (cette page-ci)

- Le revêtement diélectrique, le traitement sous vide et la protection monocouche

- Les revêtements antireflet et hydrophobe.

Commençons par la technique plus ancienne, l'argenture chimique des miroirs.

L'argenture

Comme nous l'avons brièvement expliqué à propos de la fabrication des verres, du Néolithique jusqu'au Moyen-Âge, les miroirs étaient généralement constitués de disque en métal poli (bronze, cuivre, argent, etc) soit plans soit légèrement convexes mais jamais personne n'a été capable de fabriquer un miroir concave bien que d'un point de vue optique les Anciens Grecs et les érudits Arabes connaissaient parfaitement sa géométrie.

Ce sont les verriers vénitiens qui inventèrent les miroirs en verre au XVe siècle. Il s'agissait de miroirs étamés élaborés sur un bain d'amalgame d'étain et de mercure. La technique sera reprise par les verriers français à partir de 1665.

L'inconvénient est que ce procédé utilise du mercure, un métal lourd toxique et l'étain s'oxyde au moins vingt fois plus vite que l'argent. Ce procédé sera toutefois utilisé jusqu'en 1840.

Conscient de ces problèmes, les physiciens et les chimistes ont cherché d'autres techniques sans danger pour la santé pour augmenter le pouvoir réfléchissant des miroirs. Deux métaux non toxiques pour l'homme étaient connus pour leur pouvoir réfléchissant, l'argent et l'aluminium.

Etonnement si l'argent est un polluant et est toxique pour les bactéries, les champignons et la plupart des organismes à sang froid, l'homme supporte très bien de fortes doses jusqu'à un certain seuil où un excès provoque l'argyrisme (la peau et le blanc des yeux deviennent gris).

Connu comme métal précieux depuis l'Antiquité, l'argent est relativement malléable et peut être déposé sur n'importe quelle surface y compris courbe. Quant à l'aluminium, il fut découvert en 1807 et à cette époque on ne parvenait pas encore à le produire industriellement (voir plus bas). L'argent était donc tout indiqué pour les miroirs de télescopes.

L'idée était de trouver un procédé capable de déposer une pellicule d'argent sur le verre ou tout autre substrat au moyen d'une réaction chimique d'oxydoréduction ou Redox (l'une des réactions élémentaires qu'on apprend sur les bancs d'école).

Pour rappel, la réaction Redox permet de réaliser un échange d'ions entre les réactifs. Elle fait intervenir deux réactions :

- une réaction d'oxydation où l'élément se lie à l'oxygène et libère de la chaleur (réaction exothermique).

Par exemple : 4 Fe + 3 O2 → 2 Fe2O3 + ν

- une réaction de réduction où l'élément libère de l'oxygène mais la réaction s'arrête si on interrompt l'apport d'énergie (réaction endothermique).

Par exemple : Ag2O + 2 H + n → 2 Ag + H2O.

Sur le plan chimique, en donnant ses électrons, le réducteur (l'élément cédant son ou ses électrons ou anion) subit un oxydation, tandis que l'oxydant (l'élément qui gagne un ou plusieurs électrons ou cation) subit une réduction.

Le réducteur est un produit généralement très réactif et acide tandis que l'oxydant est dans ce cas-ci l'élément qu'il faut isoler et déposer sur le verre. Le résultat de la réaction chimique donne d'un côté l'ion oxydant (cation) réduit, l'argent, de l'autre les produits d'oxydation acides.

L'équation chimique générale de l'oxydoréduction est la suivante :

Oxydant (ion métal) + réducteur → Métal réduit + produit oxydé (eau) + résidus (composé organique, etc.)

L'argenture chimique fut mise au point à partir de 1835 par le chimiste allemand Justus von Liebig (celui des cubes de viande) de l'université de Giessen.

Etiquette éditée en 1929 par LEMCO (Oxo) illustrant Justus von Liebig et son laboratoire de l'Institut de Chimie à l'université de Giessen. Il s'agit d'une copie d'une gravure sur bois colorée gravée par Wilhelm Trautschold vers 1840. Document Wikipedia/ChemHeritage

Liebig découvrit une technique d'argenture des surfaces optiques basée sur la réduction de nitrate d'argent ammoniaqué (AgNO3 + NH4NO3) par du sucre (du saccharose, C12H22O11, un aldéhyde et donc un produit réducteur très réactif).

Néanmoins, malgré plus de dix ans de recherches, Liebig ne réussit pas à commercialiser son invention.

La technique fut perfectionnée en 1844 par le chimiste anglais Drayton qui avait déjà remplacé l'étamage traditionnel des glaces (couverte d'un amalgame d'étain) par l'argenture à froid du verre, un procédé que recommanda Faraday et qui fut commercialisé.

Drayton utilisa un bain comprenant de "l'azotate d'argent" (du nitrate d'argent), de l'alcool et une huile essentielle servant de réducteur. Mais le dépôt n'était pas régulier.

La formule de l'argenture fut améliorée en 1855 par le chimiste français T.Petitjean qui utilisa comme réducteur de l'acide tartrique (C4H6O6) additionné d'ammoniaque et parvint à obtenir un revêtement tout à fait régulier de quelques millimètres d'épaisseur. Son procédé fut également commercialisé.

L'équation générale de l'argenture chimique est la suivante : AgNO3 + NH4NO3 + R-COH → Ag + 2 NH3 + H2O.

Avant de plonger le disque dans cette solution, il est recommandé de le plonger dans un bain mordant à base de protochlorure d'étain (SnCl2) et de soude caustique (NaOH), c'est le mordançage. L'utilisation de ce bain n'est pas indispensable mais il facilite l'adhérence du dépôt en rendant la surface de verre sensible à la métallisation et améliore la qualité de la surface.

A la fin du traitement, une fine couche d'argent s'est déposée sur la surface et on retrouve dans le bain des esters (R-COONa), du sel (NaCl) et de l'acide en solution.

A présent qu'on maîtrisait la technique, en 1856 le physicien et astronome allemand Carl August von Steinhell pris contact avec von Liebig pour faire argenter les premiers miroirs de télescopes.

En 1857, Léon Foucault parvint à amincir la couche d'argent jusqu'à environ 0.1 micron soit 100 nm d'épaisseur.

En 1863, l'opticien francais Adolphe Martin décrivit ce procédé avec mordançage qu'il appliqua pour fabriquer un miroir de Foucault et le miroir de 1.20 m du télescope de l'Observatoire de Paris.

Miroir argenté de 317 mm de diamètre fabriqué par l'astronome écossais William Peck en 1889.

Comme le rappelle la BBC, la même année, cette technique fut appliquée par le célèbre astronome amateur anglais, le révérend Thomas William Webb qui réalisa la première argenture sur un miroir de 140 mm de diamètre (5.5") avant de l'appliquer à des miroirs de 200 et 240 mm en 1864.

Précisons que l'argenture se réalise en plongeant le disque disposé face vers le bas dans le bain de mordant puis dans celui de nitrate d'argent ammoniaqué. Si la méthode est aisée pour un petit miroir qui ne pèse pas lourd, elle devient très délicate pour un disque de 400 mm et supérieur et requiert la fabrication d'un système basculant.

Dans son livre "La construction du télescope d'amateur", Jean Texereau décrit une méthode d'argenture chimique selon le procédé de Martin, mais sans mordançage (bain acide facilitant l'adhérence de l'argent) dans un bain à 20°C (cf. C.T.A. II, ch.XIII, pp243-249 ou pp277-284 de l'édition de 2004).

Avec ou sans mordant, une fois sèche, la surface se couvre d'un léger voile qu'il faut éliminer avec une peau de chamois bourrée de coton, sur laquelle on peut éventuellement verser un peu d'oxyde de zirconium (ZrO2) qui va aussi renforcer l'argent.

Enfin, il est conseillé de polir la surface avec du rouge à polir anglais (du sulfate ferreux calciné) mais tous les amateurs ne le font pas.

La couche d'argent est très fragile et le polissage génère inévitablement des filandres minuscules qu'il faut essayer de retirer car elles diffusent la lumière.

La surface argentée s'oxyde rapidement. Pour la protéger, à l'époque on la recouvrait d'une couche de cuivre par un procédé chimique ou galvanique mais elle ne supportait pas une couche supplémentaire. De nouvelles techniques ont été developpées, le cuivre par exemple étant remplacé par un film d'oxyde métallique qui peut également servir d'antireflet.

Le traitement étant très documenté, facile à appliquer et pas très long (une demi-heure de travail pour un miroir d'amateur, 4 heures pour un miroir de 2 mètres), le procédé chimique d'argenture des miroirs fut utilisé pendant plus d'un siècle avant qu'il soit jugé nocif (ceux qui l'utilisaient respiraient des émanations d'ammoniac). Ce procédé est aujourd'hui interdit. Il a été remplacé par un dépôt d'argent par sublimation sous vide et par l'aluminure.

A voir : Argenture dans un tube à essai - Silver mirror

(Ingrédients : eau, ammoniaque, soude caustique, nitrate d'argent, glycérol ou glucose et de la verrerie)

A lire : Argenture des miroirs, D.Belozisky

Recette appliquée à l'Observatoire de Marseille, 1941

L'argenture sous vide

L'un des premiers miroirs sur lequel fut appliqué l'argenture sous vide fut le miroir de 2.5 m (100") du télescope Hooker de l'observatoire du mont Wilson. Le miroir brut de 33 cm d'épaisseur (13") pesait 4.5 tonnes et fut fondu par la verrerie de Saint Gobain.

Rappelons que jusqu'à la mise en service du télescope du Mont Palomar en 1948, les photographies du ciel prises avec le télescope Hooker étaient les plus détaillées du monde. Grâce à sa puissance lumineuse 160000 fois supérieure à celle de l'oeil humain, ce télescope a permis aux astronomes d'améliorer nos connaissances sur l'évolution stellaire et la structure de la Voie Lactée. Ses photographies ont illustré tous les magazines et tous les livres encyclopédiques traitant d'astronomie et notamment les fameux livres "Le Ciel" (1923) et "Sur les autres mondes" (1937) écrit par Lucien Rudaux ainsi que "L'astronomie, les astres, l'univers" (1948) qu'il écrivit en collaboration avec Gérard de Vaucouleurs.

A gauche, le miroir de 2.5 m (100") du télescope Hooker du mont Wilson après son argenture sous vide (c.1917-1921). Document G.E.Hale, "The New Heavens". Au centre, en septembre 1929, le magazine "Scientific American" consacra un article à l'argenture de ce miroir. A droite, la Lune photographiée par Francis G.Pease au télescope Hooker le 15 septembre 1919. L'exposition sur plaque argentique est de 1.5 seconde au foyer Cassegrain (f/16). A l'époque, il s'agissait de l'image la plus détaillée de la Lune.

Si les télescopes ont évolué et ont vu leurs dimensions multipliées par quatre en un siècle et bientôt par dix, les techniques d'argenture ont également été améliorées afn de permettre aux astronomes d'en tirer tout le bénéfice dans les nouvelles disciplines de l'astronomie, en particulier dans la partie proche infrarouge du spectre qui se développa à partir de la fin des années 1960.

Mais bien qu'on développa des détecteurs spécialement sensibles à cette région spectrale, pendant des décennies les astronomes ont dut soit se contenter des aluminures ou des argentures classiques soient s'orienter vers les premiers télescopes infrarouges spatiaux tel IRAS lancé en 1983.

Aussi, dans le cadre du projet Gemini de Mauna Kea, en 2004 les ingénieurs et les chimistes ont développé un revêtement spécifique à base d'argent adapté à la couverture spectrale de ces deux télescopes de 8.1 m de diamètre qui s'étend du proche UV au proche infrarouge (300-1100 nm).

En effet, bien que l'aluminium présente environ 91% de réflectivité dans le visible, il présente trop d'émissivité en proche infrarouge (jusqu'à 20% d'émissivité à 1000 nm pour l'aluminium poli) pour l'usage qu'en attendaient les astronomes.

Au cours de tests, les ingénieurs ont montré qu'un échantillon de miroir argenté exposé jour et nuit à l'air, à l'humidité et au Soleil de Mauna Kea perd entre 0.35% et 1.4% de réflectivité par mois dans le spectre visible. La couche d'argent doit donc être protégée.

Ci-dessus, courbes de réflectivité de l'aluminium et de l'argent en fonction de la polarisation de la lumière. L'argent améliore la réflectivité de 5 à 10% comparé à l'aluminium. Ci-dessous, réflectivité de différents revêtements testés dans le cadre du projet Gemini à Mauna Kea. Documents Refractive index et Gemini adaptés par l'auteur.

Les experts ont élaboré un revêtement à base d'argent appelé ACT, du nom du fournisseur, qui optimise le coefficient de réflection entre 300-1000 nm tout en protégeant la surface et en réduisant au minimum l'adhérence des poussières et de l'humidité. Il réduit également l'émissivité infrarouge propre du revêtement à 2.3% pour l'ensemble des miroirs d'un télescope (contre 6% pour un miroir aluminé).

Cette recette se compose d'un revêtement de 4 couches comprenant 5 nm de NiCrNx (adhérant entre le substrat et le multicouche), 200 nm de Ag (réflecteur), 0.8 nm de NiCrNx (adhérant) et finalement 15 nm de SiNx (renforceur). Ce multicouche offre une réflectivité supérieure à 92% entre 300-700 nm et 98% entre 700-1100 nm.

L'argenture sous vide a également été utilisée pour le miroir de 4.10 m du télescope Vista de l'ESO installé en 2008 à l'Observatoire de Paranal au Chili. Le miroir fabriqué en Zerodur par Schott et poli par LZOS (qui fournit également le miroir secondaire de 1.24 m en Astrositall) fut recouvert d'une argenture à trois couches composée d'une couche d'argent en sandwitch entre deux couches de NiCr.

Ouvert à f/1.0 et f/3.25, le télescope Vista est dédié à l'étude du ciel en proche infrarouge jusque 2.4 μm (il peut également observer dans le visible), sa mission principale étant de cartographier le ciel de l'hémisphère Sud et de découvrir des objets sombres et froids (planètes, étoiles brunes, matière sombre, etc.).

Le miroir en Zerodur de 4.10 m du télescope Vista avant et après son argenture sous vide en 2008. Le revêtement est composé de 3 couches NiCr-Ag-NiCr. Documents Andy Born/Vista.

L'aluminure

La technique d'aluminure est basée sur l'extraction de l'alumine (oxyde d'aluminium, Al2O3) contenue dans la bauxite. La technique d'extraction fut inventé en 1859 par Henry Sainte-Claire Deville et perfectionné en 1887 par Karl Joseph Bayer. Le procédé de Bayer est toujours utilisé aujourd'hui.

L'aluminure est dérivée d'un procédé inventé en 1931 par John Strong. Bien que plus complexe que l'argenture, c'est la plus efficace. Elle consiste à recouvrir une surface d'une fine pellicule d'aliminium par sublimation sous vide (à une pression de 10-6 HPa).

Le vide s'obtient très lentement. Dans une cloche sous vide amateur ou commerciale destinée à l'aluminure de miroirs de quelques dizaines de centimètres de diamètre, il faut environ 1 heure pour atteindre 10-6 HPa (7x10-7 Torr) C'est la partie la plus longue du traitement car une aluminure et une protection complète prennent moins de 5 minutes, un peu plus si le substrat est poreux.

>En revanche, dans une chambre à vide professionnelle adaptée à des miroirs de 8 mètres comme dans le cas des télescopes Gemini installés à Hawaii, les pompes mettent 1h20m pour atteindre 10-3 HPa et il faut 6 heures de plus pour atteindre 10-6 HPa. C'est deux fois plus que le temps requis pour mettre sous vide la chambre d'aluminure de 2.50 mètres de l'Observatoire de Haute-Provence.

A voir : Réaluminure du miroir de 5 m du télescope Hale du Mont Palomar, 2005

Le miroir de 5 mètres en Pyrex du télescope Hale du Mont Palomar avant et après son aluminure qui est réalisée tous les deux ans environ. Documents Caltech.

Au sortir de la cloche, l'aluminium est très tendre et se recouvre d'alumine en quelques semaines. Il faut donc la protéger et éventuellement la renforcer. Nous décrirons ce procédé enn troisième page.

Une couche d'aluminium pur à 99.99% et non traitée offre plus de 91% de réflectivité dans le spectre visible, 86% à 800 nm pour remonter ensuite et atteindre 96.7% à 2900 nm. Ce revêtement présente également une émissivité propre dans l'infrarouge qui peut atteindre 6% pour l'ensemble des miroirs d'un télescope. Grâce aux revêtements, on peut augmenter son pouvoir réflecteur à 96% dans le visible et 98% dans l'infrarouge.

A voir : Parcours de vie Alain Point, technicien à l'Obs. de Haute Provence, 2015

Aluminure du miroir de 193 cm de l'Observatoire de Haute-Provence (html)

A gauche et au centre, préparation et résultat de l'aluminure du miroir Ritchey-Chrétien de 1.70 m fabriqué par LZOS qui équipera le futur télescope spatial WSO-UV dont le lancement est prévu en 2017. Le traitement effectué par Luch Association comprend un revêtement d'aluminium et de fluorure de magnésium. A droite, fin de l'alluminure du miroir de 193 cm du télescope de l'Observatoire de Haute-Provence. Le miroir a été retourné. Le traitement a duré 4 heures.

Si en théorie l'aluminium est entre 5 et 10% moins efficace que l'argent, grâce aux revêtements multicouches et surtout son prix plus démocratique que celui du métal précieux, l'aluminure devient très avantageuse tant pour les amateurs que pour les professionnels.

Depuis les années 1950, pratiquement tous les miroirs aussi grands soient-ils sont aluminés tandis que les petits miroirs de quelques centimètres peuvent être recouverts d'un revêtement diélectrique. C'est l'objet du prochain chapitre.

Prochain chapitre

Les revêtements diélectriques

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