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Irradié pour la France

L'archipel des Tuamotu (16°S 145°O).

Les mensonges du gouvernement français (III)

Lors des essais de Polynésie, convaincus par l'avis des scientifiques, le gouvernement français estimait qu'il s'agissait d'une bombe "propre". Même le vulcanologue Haroun Tazieff qui n'était pourrant pas physicien nucléaire prétendait que les essais atomiques dans l'atmosphère étaient sans risque. La propagande du gouvernement français alla jusqu'à autoriser les soldats de se baigner dans l'eau du lagon tandis que l'eau de mer servait après filtrage à la consommation quotidienne du personnel !

En cas d'accident, des documents envoyés à Paris par l'Etat-Major local apportent la preuve que les autorités envisageaient "cyniquement de compter sur la dispersion du nuage radioactif dans la haute atmosphère pour ne pas contaminer les populations" des îles ! Sinon ? Sinon la plupart du temps aucune action n'était de toute façon menée !

Il est arrivé plus d'une fois que les alertes retentirent à Mururoa pour dépassement du seuil de radioactivité jugé inoffensif. Les autorités locales ont fait comme si de rien n'était, disant même aux témoins "vous n'avez rien vu, rien entendu, il ne s'est rien passé" et on coupait l'alarme ! L'un des membres de l'Etat-Major, Antoine Sanguinetti, a même démissionné de son poste à l'époque, révolté par l'attitude irresponsable des autorités.

Le gouvernement français et les autorités en place sur les sites nucléaires connaissaient donc parfaitement les risques. Des documents écrits authentifiés témoignent aujourd'hui que les autorités de Paris sont sciemment restées muettes sur les effets des retombées radioactives pour "des raisons politiques et sanitaires" afin de préserver l'image flatteuse de la France comme puissance nucléaire et pour supporter son effort pour développer cette énergie ! C'est franchement révoltant !

Ceci explique pourquoi la population autochtone comme la majorité du personnel affecté aux différents sites ne furent pas informés des risques qu'ils encouraient. A plus de 115 km de Mururoa par exemple, à Turéia ou même aux Gambiers situées beaucoup plus loin (1600 km au SE de Tahiti), les enfants jouaient avec le sable, leurs parents utilisaient l'eau de pluie et continuèrent à planter arbres et légumes sans savoir que l'eau et leur terre étaient contaminées !

En 2003, 35 ans après été exposé aux retombées radioactives, les enfants devenus adultes sont atteints d'une tumeur de la thyroïde, d'autres sont victimes de fatigue chronique et doivent être alités tellement ils sont faibles. Malheureusement des dizaines de Polynésiens sont décédés avant d'avoir pu témoigner et poursuivre le gouvernement français en justice pour déni d'information, mensonge organisé sous la tutelle de l'autorité et contamination des populations civiles et de l'environnement.

En 2001, le rapport de l'OPECST précisait que suite aux essais atmosphériques "il n’en est ressorti aucun risque sanitaire spécifique" pour la population polynésienne, relevant toutefois 7 cas dépassant la "norme annuelle travailleur" de 50 mSv. Les doses reçues par la population restaient en deçà de 5 mSv, mais l’étude note une augmentation anormale de cancer des poumons, du col de l’utérus et de la thyroïde chez les femmes ; le taux de cancer de la thyroïde est 5 fois supérieur en Polynésie qu’en métropole. Le rapport conclut toutefois que bien que l’étude soit pertinente, il ne peut toutefois établir un lien direct entre ces pathologies et les essais nucléaires français !

Décidemment l'hypocrisie des officiels est chronique ! Comment peuvent-ils expliquer qu'un cancer de la thyroïde ou du col de l'utérus puisse se déclarer chez des dizaines de vahinées en l'espace de 30 ans s'il n'y a pas de source cancérogène dans l'environnement ?... Leur faut-il aussi une preuve formelle du lien du cause à effet ? A part les retombées des essais atomiques, il n'existe aucune source naturelle de polluants ou de rayonnements suffisamment intenses ou continue dans les atolls capable d'engendrer de telles symptômes en l'espace de 10 ou même 30 ans. De qui se moque-t-on ? Est-ce de la propagande ou cherche-t-on à cacher la vérité ou protéger quelqu'un ? A l'évidence le gouvernement français cherche à manipuler le public et fut prêt à mentir pour préserver la "grandeur" de la France !

Au total, selon le rapport de l'OPECST (CIPR-60), tous essais nucléaires français confondus, statistiquement et se basant sur la probabilité de 5% par homme-sievert d'obtenir un cas mortel, on estime qu'il y eut entre 0.95 et 4.3 cas mortels chez le seul personnel ayant participé aux séances de tir nucléaire. C'est un chiffre inquiétant. Quant aux civils polynésiens, le rapport les ignore !

Puisque c'est ainsi, que l'Etat français feint l'ignorance et refuse d'admette ses responsabilités, épaulée par des journalistes d'investigation et des avocats, la population s'est mobilisée pour faire valoir son bon droit. Car de délit il en est bien question et les victimes se comptent par centaines, que dis-je par milliers de personnes.

Mururoa : les victimes parlent

Après la fierté d'avoir été en Polynésie à l'époque de la bombe - dans les années 1966-1980 - ou d'être Polynésien puis à partir des années 190-1990 après la honte d'avouer qu'on porte une maladie incurable, finalement des chercheurs puis des Polynésiens ont commencé à parler pour les milliers de personnes victimes de la bombe qui n'osaient pas élever la voix ou qui étaient illettrées et mal informées. Les rapports remis au Sénat français par Haroun Tazieff (1982), M.H.R.Atkinson (1984), le Cdt Cousteau (1988), l'AIEA (1991) ainsi que Greenpeace (1992) rapportèrent leurs inquiétudes face aux effets secondaires des explosions atomiques sur la population et les écosystèmes. Gérard Martin qui contrôlait les émissions radioactives à l'époque de Mururoa confirma en 2004 qu'il y eut des "retombées radioactives lourdes". Globalement toutefois, s'ils reconnaissent que les taux de radioactivité sont très faibles (0.1 mS en général), certains puits sous-marins d'enfouissement du plutonium restent ouverts et peuvent induire à long terme une lente dissémination des radioisotopes dans l'eau et donc dans toute la chaine alimentaire.

L'organisation Médecins du Monde a notamment observé un nombre grandissant de cancers en Polynésie. Ils estiment aujourd'hui que 25% des pathologies sont imputables aux retombées radioactives.... En 2003, en collaboration avec l'association "Moruroa e tatou" (Mururoa et nous) et l'Observatoire des armées françaises (OBSARM), l'ONG créa une mission humanitaire et médicale permanente à Papeete, "afin que la France assume ses responsabilités" à l'égard des 850 vétérans polynésiens qui travaillèrent sur les sites nucléaires et qui ne furent jamais informés des risques liés à leur travail.

La phobie du nucléaire est à ce point importante dans l'archipel, qu'aujourd'hui tous les malades imputent leur état chronique aux essais nucléaires... Si c'est loin d'être prouvé, il est un fait qu'aucun habitant de Polynésie n'a été averti des risques qu'il encourait et les autorités en place n'ont rien fait pour protéger leur population.

Quand les victimes parviennent à consulter leur dossier médical ou dosimétrique, ils découvrent que les taux de radiation n'ont pas été communiqués aux médecins. Même les doses reçues par les poissons pêchés sous le point zéro restent confidentielles. Pour quelle raison si ce n'est pour cacher un secret militaire et des valeurs radiotoxiques.

Tir Rigel du 24 sept 1966 à Fangataufa (<200 kT).Document CEA-DAM.

Il y a en effet un fait sur lequel les avocats français de la partie civile doivent insister. Dans un site d'expérimentation nucléaire, les militaires français et leurs défenseurs estiment que seul le personnel en contact direct avec le risque de radiation doit être protégé. Mais même le personnel subalterne n'assistant pas directement aux essais est protégé dans certaines circonstances. Ainsi tous les militaires du service de décontamination NBC par exemple étaient équipés de combinaison étanche quand ils procédaient aux décontaminations du personnel, des bâteaux ou des infrastructures ayant subit un fall-out. Mais à deux pas de là, les soldats de première classe et les civils jouaient sur la plage en bras de chemise ! D'autres regardaient les explosions uniquement protégés par... leur maillot et leurs lunettes solaires ! Aujourd'hui ces derniers sont soit morts contaminés soit souffrent de maladies des yeux, des glandes salivaires ou des poumons, autant de symptômes propres à une contamination aérienne.

A l'époque des faits, l'Etat-Major français a seulement informé son personnel subalterne d'avoir "la tête dans les bras au moment de l'explosion pour éviter le flash"...quant aux radiations et la contamination radioactive, personne n'en parlait aux civils, ni aux légionnaires en place et bien sûr jamais à la population polynésienne...

C'est ainsi que le LDG, le service scientifique de l'Etat-Major était au courant des risques. L'un de leur membre, Bernard Ista est mort en 1985 d'un cancer, laissant son épouse seule et sans ressource. Il avait travaillé à Mururoa sur des barges autour du point zéro. Le gouvernement n'a pas reconnu sa maladie comme imputable à son activité professionnelle.

Or c'est faire preuve d'incompétence et d'irresponsabilité que de dire cela et mal connaître les effets du nucléaire. Aujourd'hui, 80% des vétérans français ayant participé aux essais nucléaires en Polynésie sont en mauvaise santé. Tous pourtant ont reçu de faibles doses de rayonnements ionisants. Certaines victimes, qu'elles aient travaillé au sol ou à partir d'avion sont malades depuis des années, d'autres ont perdu leurs cheveux, ils présentent un cancer de la gorge ou sont devenus aveugles avant 50 ans. Les victimes ne souffrent pas du contact direct aux radiations mais de contamination, c'est-à-dire des retombées de l'explosion (fall-out) qui soulève des particules d'environ un micron dans l'atmosphère et que les gens respirent ensuite à 20, 50 ou 100 km de distance dans les heures, les jours et les mois qui suivent.

Nous sommes tous d'avis que ce seul fait réduira au silence les arguments de la partie adverse, même si elle dépose le rapport de l'OPECST comme pièce à conviction. Malgré ses recours en appel(s), le principe de précaution, la protection des populations civiles et l'argument scientifique raisonnable doivent prévaloir. Les autorités doivent être condamnées, notamment pour ne pas avoir respecté la Convention des Droits de l'Homme de Genève. Ajouté aux autres incidents, les avocats de la partie civile disposent d'un faiseau d'indices concordants qui valent plus que tous les belles paroles rassurantes des autorités que plus personnes ne croit. Le gouvernement s'est assez moqué des gens ! Les images paradisiaques des îles se couvrent aujourd'hui de larmes et le charme des atolls a fait place à la colère qui résonne déjà dans le prétoire des tribunaux.

Pour se défendre, le service de Santé des Armées prétendait encore en 2003 aux enquêteurs de Médecins du Monde que les militaires ne restaient que quelques mois à Mururoa. Mais c'est totalement faux ! Des militaires sont restés sur place... 26 ans ! Mais en disant cela, il avouait implicitement qu'il valait mieux ne pas rester trop longtemps sur l'île... Et que dire des populations autochtones ? L'Armée les a laissées tomber et il a fallu qu'elles se battent pour témoigner dans leurs chairs des conséquences des essais nucléaires sur leur santé. L'attitude du gouvernement français a été scandaleuse dans cette affaire et continue de l'être !

En quête d'indemnisation

En Algérie la situation est également préoccupante. Des populations entières ont été contaminées car aujourd'hui encore les vents de sable soufflent des éléments radioactifs et localement l'eau des oueds n'est plus potable. Chez les Haratines par exemple, les gens meurent de cancer et des enfants naissent malformés suite aux essais nucléaires. Le gouvernement français ne les a jamais indemnisés. N'est-il pas responsable de ce problème ?

Devant l'indifférence des autorités plus d'un lecteurs Algériens m'ont fait part de leur révolte face à l'irresponsabilité de la France. Messieurs les présidents.Chirac, Sarkozy, Hollande et Macron, quand leur maladie sera-t-elle prise en considération ?

Malheureusement en vertu du "Secret Défense" qui couvre encore toutes ces affaires, beaucoup de victimes ou leur veuve n'ont toujours pas accès au dossier de dosimétrie ni au dossier médical de leur époux "Mort pour la France" et à qui on refuse ce titre posthume (il est vrai qu'il est normalement décerné en temps de guerre mais une modification de la Loi est possible) ! La plupart des veuves n'ont même pas droit à la pension de leur mari, quant aux enfants Algériens mutilés ou malades, aucun n'est pris en charge par le gouvernement français.

La Loi militaire est en fait inadaptée dans le cas de maladies se déclarant 20 ou 40 ans après les faits. En revanche la loi sur le code du travail stipule aujourd'hui que les victimes civiles des maladies radioactives tels les ingénieurs du CEA ou du LDG ayant travaillé en Algérie ou à Mururoa ne doivent pas apporter la "preuve de présomption d'origine". Mais cette loi n'est pas applicable au personnel militaire ! Quelle lâcheté, d'autant plus que la preuve scientifique de cette contamination nucléaire est impossible à obtenir; tout au plus peut-on rassembler un faisceau d'indices, des présomptions... ce ne seront jamais des preuves.

L'homme est aujourd'hui capable de créer des étoiles mais ses mains sont sales de déchets nucléaires dont il ne sait que faire comme un enfant irresponsable qui aurait déclenché un feu sans pouvoir l'éteindre. L'histoire de Prométhée se répète. Dieu punira-t-il l'homme de lui avoir volé le feu ? Au vu des catastrophes naturelles et autres accidents nucléaires, certains groupes extrémistes aimeraient le croire.

Récemment, l'épouse d'un militaire contaminé et décédé avoua que l'Etat-Major lui avait dit en 1962, "Vous devez taire ce que vous avez vu à l'hôpital... hélas les essais nucléaires doivent se poursuivre... il nous faut des volontaires.... si on commence à ébruiter on n'aura pas assez de volontaires...". Par ces mots il reconnaît donc avoir trompé son personnel ! Heureusement Médecins du Monde a réagi devant l'attitude inadmissible du gouvernement et a déjà reçu 550 demandes de dossiers relatifs à des victimes du nucléaire dont près de 350 de Polynésiens. Mais jusqu'à présent, en général l'action en dédommagement se résume à une indemnité financière ridicule de quelques milliers d'euros . On peut toutefois espérer que les choses vont bientôt changer; les langues se délient et des avocats spécialisés de la partie civile ont pris les choses en main.

Car le Ministère français de la Défense est coupable d'avoir sciemment menti à ses employés, à la population autochtone et pollué la nature. Mais nul ne sait quand le gouvernement acceptera cette vérité. En fait, même s'il ne l'avoue jamais, il sera probalement condamné. En effet, l'imprudence dans ce cas-ci est un délit, même non intentionnel. Et il est heureux aujourd'hui, bien qu'il fallut attendre plus de 30 ans, que les victimes ou leurs ayant-droits demandent des comptes et des indemnités au gouvernement français à la hauteur des préjudices subit.

Situation depuis 2000

Les médecins de Polynésie constatent un nombre anormalement élevé de troubles du comportement et de maladies génétiques dans la population polynésienne depuis l'époque des essais nucléaires. Une étude médicale a montré que parmi 2000 enfants examinés, 300 souffrent de troubles du développement et 69 présentent des problèmes d'origine génétique. Il y a plus d'enfants présentant ces troubles dans les atolls proches des sites nucléaires.

Au sein d'une même famille, et les cas sont nombreux, il arrive que les grands-parents, les parents, les enfants et même les petits-enfants (nés après 2018), souffrent de symptomes propres à une contamination radioactive comme le cancer de la thyroïde, un cancer du foie, un cancer osseux, une leucémie, une déficience mentale ou une maladie génétique. C'est la première fois qu'on constate qu'une contamination radioactive a des effets héréditaires sur au moins 4 générations !

C'est également en Polynésie que le pédopsychiatre Christian Sueur a découvert le premier cas de translocation vers le chromosome 10 chez une jeune fille atteinte de déficiences mentales. Le chromosome 10 intervient dans le codage du développement neuro-psychiatrique.

Face à de telles maladies aussi nombreuses et même héréditaires, comment le gouvernement français ose-t-il encore nier que ces personnes ne sont pas victimes des retombées des essais nucléaires ?

Ceci dit, alors que l'Etat français connaît les effets des essais nucléaires en Polynésie notamment sur l'environnement et sur la santé des personnes, il n'a jamais réalisé d'étude épidémiologique. Notons que les Américains n'ont jamais réalisé d'étude épidémiologique après leurs essais nucléaires dans les îles Marshall en 1946 et 1958 alors qu'aujourd'hui encore les taux de radioactivité restent élevés dans la zone.

En 2006, l'Assemblée de la Polynésie francaise publia un rapport de 334 pages intitulé "Les polynésiens et les essais nucléaires" (cf. PDF) dans lequel le Comité d'enquête constate "l'ampleur insoupçonnée des conséquences sanitaires, économiques, sociales, écologiques de trente ans d'essais nucléaires sur la Polynésie française" et leur impuissance à faire reconnaître leur situation par le gouvernement de Paris alors que le président Chirac en visite à Tahiti en 2002 avait déjà évoqué "la dette nucléaire de la France à l'égard de la Polynésie".

En 2006, Florent de Vathaire, épidémiologiste de l'INSERM confirmait l'existence d'un lien statistique entre les essais nucléaires et les cancers de la thyroïde dont souffrent certains Polynésiens. Mais à ce jour, l'avocat français Jean-Paul Tessionnière qui représente les vétérans, les Polynésiens et l'association AVEN a vu sa demande en réparation jugée irrecevable par le tribunal !

A se demander si le gouvernement français considère que les victimes sont toutes des mythomanes, victimes d'affabulations, à moins qu'il ne considère que le mensonge est organisé ! Mais ainsi que le faisait remarquer un vétéran, "si les essais étaient si propre que cela, pourquoi les a-t-on faits à 20000 km de la France ?..." Franchement de qui se moque-t-on ?

Alors que les autorités militaires françaises cherchent encore à savoir si elles doivent ou nous reconnaître leur faute, les gouvernements des Etats-Unis et du Royaume-Uni indemnisent déjà les victimes, preuve qu'ils ont reconnu l'existence d'un lien de cause à effet et la responsabilité de leur gouvernement respectif. Mais en général, les Américains tentent de rejeter la faute sur les victimes afin de ne pas les indemniser.

Cette fois la France ne pourra pas échapper à la Justice où alors les Français ne vivent plus en démocratie.

Le 2 octobre 2006, Marcel Julien de la Gravière, Délégué français à la sûreté nucléaire et représentant du gouvernement, a exprimé sa volonté de vouloir mettre en place en Polynésie française une surveillance médicale annuelle des populations des atolls concernés par d'éventuelles retombées des essais nucléaires. Mais si ce contrôle risque probablement de se concrétiser un jour, aucune date n'est encore arrêtée, et cela ne signifie pas encore que les victimes seront indemnisées...

En attendant, si l'espoir fait vivre dit-on, la radioactivité tue. A force d'espérer en vain, bientôt toutes les victimes contaminées auront disparu. Ce n'est pas 30 ans ou un siècle plus tard qu'un gouvernement doit reconnaître ses erreurs, mais tout de suite s'il veut garder sa crédibilité et la confiance de sa population.

En 2009, le gouvernement français avait promis d'indemniser "le plus grand nombre possible de vétérans" victimes des essais nucléaires, ce qui représente un millier de personnes. Le mur du silence semblait s'effriter et un début d'espoir redonnait le sourire aux victimes ou leur ayant-droit Mais rien n'est venu.

2010, la loi Morin

Depuis 2010, la loi Morin reconnaît l'existence de victimes des essais nucléaires français en Algérie et en Polynésie. Bien que l'utilisation de la population locale comme "cobayes" n'est pas avérée, des militaires ont effectué des opérations en milieu contaminé ou les tests qu'ils avaient en charge ont contaminé la population. Les personnes victimes d'une contamination ou irradiées par les retombées des essais nucléaires ont donc la possibilité de recevoir une indemnisation si elles répondaient aux critères cliniques définis dans le décret 2014-1049 relatifs aux maladies radio-induites.

Parmi les clauses, une victime pourrait être indemnisée à la condition qu'elle ait développé l'un des 23 cancers associés à une exposition aux rayonnements, comme le cancer de la thyroïde. Autrement dit, si la loi ne reconnaît pas que les essais nucléaires ont causé un préjudice, elle établit une "présomption de causalité" avec les cancers.

Malgré cette loi Morin, seule une vingtaine de victimes, soit environ 2% des demandeurs, ont obtenu gain de cause. En 2014, seule une trentaine de Polynésiens furent indemnisés alors qu'ils sont des milliers à souffrir dans leurs chairs ! Bien entendu, entre-temps beaucoup de personnes irradiées sont décédées. En 2017, l'État français indemnisa 12 vétérans comme l'explique "La Dépêche de Tahiti" (17 mars 2017). Notons que pour 9 d'entre eux, le Ministère de la Défense avait interjeté appel et dans 3 autres cas, les juges avaient annulé les décisions de première instance et enjoint au ministère public de présenter des propositions d’indemnisations.

Ce manque de reconnaissance des victimes s'explique par le rôle de censeur joué par le Comité permanent d'indemnisation des victimes des essais nucléaires français (CIVEN). En effet, si le CIVEN constatait que l'irradiation d'une victime contribuait à un risque "négligeable" de provoquer son cancer par rapport à d'autres facteurs équivalent (tels que le tabagisme), le plaignant n'avait droit à aucune indemnisation. Ceci explique pourquoi le comité rejeta 97% soit 1008 des 1039 demandes d'indemnisation formulées entre 2010 et 2017.

En 2017, sur les 6000 travailleurs qui résidaient sur les atolls de Mururoa et Fantagaufa à l'époque des essais nucléaires françaises, un email du ministère ds Armées considérait qu'un tiers du personnel soit 2000 vétérans, "sont ou seront atteints d'un cancer radio-induit". Cet émail précise que le montant des indemnisations "se chiffreraient alors à [...]100 millions d'euros". Contacté par des journalistes, le ministère des Armées prétend ne jamais avoir produit cette estimation.

Le législateur français a finalement rejeté l'argument de l'exposition négligeable et modifié en 2018 la loi Morin afin que seules les personnes exposées à une dose de plus de 1 mSv de rayonnement (l'équivalent de 10 radiographies pulmonaires) puissent prétendre à une indemnisation.

Selon le CIVEN, au 25 mai 2018 soit 8 ans après l'entrée en force de la loi Morin, 1310 demandes d'indemnisation avaient été déposées dont 1092 émanant de Français de Métropole, 44 d'Algériens et 169 de Polynésiens (beaucoup de Polynésiens n'ont pas rempli le formulaire car ils sont mal informés, souvent illetrés ou ont encore honte d'en parler). A cette date, seules 130 indemnisations avaient été versées et 75 expertises étaient en cours. Autrement dit, seuls 6% des dossiers ont été examinés et/ou approuvés ! Cela veut dire que les souffrances de milliers de personnes ayant vécu sous ou nées après les essais nucléaires français ne seront jamais reconnues !

Depuis, la norme de détermination de l'exposition au fall-out radioactif est basée sur un ensemble d'estimations faites pour chaque essai nucléaire par le CEA en 2005 et 2006. A l'époque, les autorités françaises avait approuvé près de la moitié des demandes d'indemnisation. Mais vu les conditions à remplir pour être indemnisés, on estime que les Polynésiens victimes des fall-out se comptent en réalité par milliers qui ne seront probablement jamais reconnus par l'Etat français.

2021, TOXIQUE

Une nouvelle étude sur les essais nucléaires français fut publiée sur le serveur "arXiv" le 9 mars 2021 et fit l'objet d'un livre au titre révélateur : "TOXIQUE". Cette étude est le fruit d'une collaboration entre des journalistes d'investigation de l'ONG française "Disclose", le collectif "Interprt" comprenant des chercheurs, des architectes et des concepteurs spatiaux affilié à l'Université norvégienne des sciences et de la technologie (NTNU) qui s'intéressent aux questions environnementales et des chercheurs du programme "Science & Global Security" de l'Université de Princeton.

Ce collectif analysa pendant deux ans environ 2000 pages de documents déclassifiés en 2013 par le ministère de la Défense surnommés les "Moruroa Files". Ils ont découvert que pendant 30 ans les tests nucléaires français en atmosphère ont exposé 90% des 125000 personnes vivant en Polynésie française à des retombées radioactives supérieures au maximum légal, soit environ 10 fois plus de personnes que le gouvernement français le prétend sur base d'estimations ! C'est ce qu'on appelle jeter "une bombe dans la marre" qui va embarrasser le gouvernement français... Voyons cette étude en détails.

Les journalistes de Disclose ont notamment déclaré que "2000 vétérans de la campagne nucléaire en Polynésie française" sont ou seront atteints de cancers.

Les auteurs affirment également que l'enquête "a pu réévaluer la dose reçue au niveau de la thyroïde par les habitants des [îles] Gambier, de Tureia et de Tahiti au cours des six essais nucléaires considérés comme les plus contaminants de l'histoire du Centre d'expérimentation du Pacifique. Résultat : nos estimations sont entre deux et dix fois supérieures à celles réalisées par le Commissariat à l'Energie Atomique en 2006".

Les auteurs affirment clairement que "la France sous-estime depuis quinze ans l'impact des essais nucléaires sur la santé des Polynésiens. Une erreur qui a pour conséquence le rejet massif des demandes de réparation".

Le rapport publié par le Ministère de la Santé de Polynésie en 2020 confirme également pour la première fois la présence d’un "cluster de cancers thyroïdiens" aux îles Gambier.

Pour expliquer la différence d'un facteur 10 entre leurs calculs et ceux du CEA, les experts mettent en avant des interprétations différentes des données. Par exemple, le CEA a reconnu que le premier test "Aldébaran" de 1966 avait exposé les résidents des îles Gambier à des niveaux de retombées relativement élevés. Mais les expositions réelles étaient probablement encore plus élevées. En effet, bien que le CEA ait noté que de l'eau de pluie contaminée est tombée sur l'île, il n'a pas tenu compte du fait que de nombreux résidents ont probablement bu l'eau contaminée, collectée dans des citernes domestiques, pendant plusieurs jours. Les scientifiques du CEA ont constaté "que la population locale ne buvait que de l’eau de rivière mais pas d’eau de pluie". Mais ailleurs, elle nota que "de nombreux habitants de cet archipel consommaient aussi de l'eau de pluie". Dans ces conditions, les résultats des prélèvements seront forcément différents.

Plus important encore, les documents suggèrent que le seul test "Centaure" de 1974 de 4 kt exposa toute la population de Tahiti - 87500 personnes à l'époque - aux retombées radioactives. Les prévisions météorologiques prévoyaient que les vents devraient entraîner le fall-out vers le nord. En fait, le vent souffla du secteur est, transportant le panache directement au-dessus de Tahiti. Une nouvelle simulation présentée ci-dessous, basée sur les données des documents, montre comment le fall-out radioactif survola Tahiti. A l'époque, le CEA estima que les habitants de l'île avaient reçu une dose d'environ 0.6 mSv.

 A voir : Fall-out de l'essai nucléaire "Centaure" du 17 juillet 1974

A gauche, le test nucléaire "Aldébaran" de 28 kt du 2 juillet 1966. A droite, le test nucléaire "Centaure" de 4 kt du 17 juillet 1974. Tous deux furent réalisés à Mururoa mais le fall-out contamina les habitants des autres îles qui furent exposés à une dose dépassant le seuil maximal annuel autorisé pour la population. Les autorités françaises n'ont pas jugé bon de les informer et considérait encore en 2017 qu'ils avaient reçu une dose négligeable de radiation pour laquelle même les personnes ayant contracté un cancer ne reçurent aucune indemnité. Il semble que le prestige de la France ne s'embarrasse pas de protéger la santé de ses citoyens !

Selon les experts, pour le seul test "Centaure", "d'après nos calculs fondés sur une réévaluation scientifique de la contamination en Polynésie française, environ 110000 personnes ont été exposées à la radioactivité, soit la quasi-totalité de la population des archipels à l'époque. Nous avons exploité les données diffusées par le Service mixte de sécurité radiologique (SMSR) à l’époque du tir. Les mêmes qui ont servi au CEA pour ses réévaluations de doses publiées dans une étude de 2006, la référence en la matière. Mais d'après notre expertise, les estimations du CEA concernant les dépôts au sol ont été sous-estimées de plus de 40%."

Selon une évaluation publiée par l'AIEA en 2000, les habitants de Tahiti furent exposés à une dose effective totale de 0.8 mSv dans l'année suivant le test "Centaure". Mais d'autres essais dont "Aldébaran", "Encélade" et "Phoebé" occasionnèrent des expositions bien plus importantes comme le montre le tableau ci-dessous.

Les chercheurs soutiennent que le CEA a sous-estimé la quantité totale de rayonnement qui s'est accumulée dans le sol pendant plusieurs jours, n'a pas tenu compte des rayonnements persistants dans les légumes consommés plus tard et, contrairement à son analyse d'autres tests, n'a inclus aucune incertitude dans ses chiffres. La prise en compte de ces facteurs et l'inclusion d'une incertitude de 25% sur le dépôt au sol suggèrent que toute la population de Tahiti aurait reçu une dose supérieure à 1 mSv, soit environ deux fois plus que l'estimation du CEA.

Rappelons que 1 mSv est à peu près ce qu'une personne vivant en Polynésie pourrait recevoir en un an de sources naturelles telles que les rayons cosmiques. C'est aussi le seuil international accepté de facto pour déterminer si une personne a été exposée à des radiations. Cela signifie que pendant les essais nucléaires français, la population des îles alentours reçut en une seule fois la dose de radiation qu'elle reçoit normalement en un an. Mais dans le cas de retombées radioactives, il est plus difficile de déterminer quelle quantité de rayonnement est réellement absorbée par le corps et y reste durablement (toute la vie). Puisqu'il y a un risque pour la santé, par précaution, il aurait fallut que le législateur tienne compte d'un seuil d'exposition plus faible durant les essais nucléaires et surtout, que les autorités locales informent la population lorsqu'elle risquait d'être contaminée par des retombées radioactives.

Doses effectives locales (mSv) reçues par les personnes les plus exposées dans la première année suivant les essais atmosphériques français (dose maximale annuelle tolérée pour le public = 1 mSv)

Date, nom de l'essai

Lieu

Externe

Inhalation

Ingestion

Total

2.7.1966, Aldébaran

Îles Gambier

3.4

0.18

1.9

5.5

2.7.1967, Arcturus

Turéia

0.7

0.023

0.17

0.9

12.6.1971, Encélade

Turéia

0.9

0.003

0.43

1.3

8.8.1971, Phoebé

Îles Gambier

0.9

0.002

0.24

1.2

17.7.1974, Centaure

Tahiti (Mahina)

0.6

0.08

0.06

0.8

Données extraites du rapport de l'AIEA, 2000

Or les résultats du CEA servent de référence au CIVEN pour étudier les dossiers des plaignants. Selon les enquêteurs, à ce jour (2021), seuls 63 personnes ont été indemnisées. Toutefois, ce nombre est deux fois inférieur à celui déclaré par le CIVEN en 2018 (130 indemnisations + les cas en cours d'examen). Qui faut-il croire ? Peu importe, car dans cette affaire, quelque 3000 vétérans et civils attendent réparation depuis un demi-siècle !

Les documents déclassifiés montrent également que le gouvernement français a régulièrement omis d'avertir les Polynésiens des risques de radiation. Selon les chercheurs, lors du test "Centaure", les autorités auraient pu avertir les Tahitiens des retombées imminentes 2 jours à l'avance, mais ne l'ont pas jugé utile. Comme on dit dans ces cas là "Tout le monde savait sauf les principaux intéressés, les Polynésiens". 

Quant aux autres grandes puissances, Russes, Américains, Chinois, Britanniques et Australiens regardaient les explosions... à distance de sécurité, entre 6000 et 15000 km de là ! On se demanderait presque pourquoi. Mais eux non plus n'ont pas eu de scrupules à contaminer leurs troupes !

En résumé, selon cette nouvelle analyse, la plupart des Polynésiens français furent exposés au-delà du seuil d'exposition reconnu pour être indemnisé. Le problème est qu'aujourd'hui il est difficile de prouver le niveau d'exposition remontant à plus de 50 ans, autrement qu'en se basant sur des documents d'archives visiblement biaisés ou erronés. Mais il est possible de se baser sur des données statistiques, les seules que comprennent les épidémiologistes et les autorités.

Selon les auteurs, dans l'hypothèse d'un taux de cancer de 2000 cas par an (pour 100000 habitants soit une incidence de 0.2% par an), environ 10000 plaignants seraient éligibles rétroactivement et le total des indemnisations représentent environ 700 millions d'euros. Par comparaison, les traitements des cancers coûteraient environ 24 millions d'euros par an à la France. Reste à voir si le gouvernement français fera la même analyse (ce dont on peut franchement douter).

Ceci dit, les auteurs de l'étude proposent que la France supprime la norme d'exposition et indemnise toute personne ayant vécu en Polynésie durant la période des essais nucléaires et ayant développé un cancer. Mais le président Macron l'a refusé. Autrement dit, la France ne reconnaît toujours pas sa faute dans le handicap des Polynésiens contaminés dans leurs chairs.

Voilà la véritable image d'un gouvernement démocratique soi-disant humaniste, préoccupé par le développement des qualités humaines comme l'égalité, l'honnêteté, la moralité, sans même parler de la sécurité de ses citoyens et du droits des citoyens lésés à la réparation... 

Le but des ONG et des défenseurs des personnes irradiées par les explosions nucléaires est à présent d'obliger les gouvernements à réaliser des études épidémiologiques et bien sûr à reconnaitre leur faute.

La radioactivité des puits souterrains

Aujourd'hui, si vous passez par Mururoa, on vous refuse encore l'accès à certaines zones du lagon en raison de la radioactivité résiduelle. Ces sites ne sont en principe jamais visités par les touristes mais uniquement par des scientifiques.

En 1984 par exemple, les autorités françaises interdirent à la mission Atkinson de prélever des échantillons de sédiment au fond du lagon (environ -155 m), reconnaissant qu'"il y avait de 10 à 20 kg de plutonium aux fonds du lagon" ! Parlaient-ils des puits creusés à 1180 m de profondeur utilisés pour les tirs souterrains et contenant chacun 3.7 kg de plutonium, la source d'information de l'Assemblée Nationale ne le précise pas mais on peut en douter quand Atkinson parle de sédiment. L'AIEA confirme d'ailleurs qu'il s'agit de dépôts de plutonium sur la couche de sédiments. Que fait-il là, on l'ignore encore.

Les plages de Mururoa ont été reconquises par les touristes vers 1998 après le démantelement des installations militaires, contrôle et fixation de la radioactivité résiduelle. Mais un risque potentiel subsiste : la dissémination des radioisotopes dans l'eau de mer s'accumule dans la faune et la flore marine. Document Pacific-Promotion.

Deux explications sont envisageables. Soit ce plutonium provient de résidus de fission non consommés durant les explosions antérieures de bombes au plutonium, bien qu'en théorie la réaction s'emballe et consomme toute la matière fissile, soit il provient de l'activation d'uranium-238 en plutonium (c'est la réaction qui se produit dans les centrales), mais cette réaction dépend du flux de neutrons qui est directement lié à la puissance de la bombe, et génère généralement des éléments plus lourds que le plutonium..

Quoiqu'il en soit, aujourd'hui rien n'a changé. Ce plutonium-239 et 240 est localement prisonnié des roches tout comme le césium-137 et le strontium-90 mais du fait que les deux atolls sont poreux et présentent certaines failles au sens propre comme au figuré, ils ne constituent pas des sites idéaux pour enfouir et fixer à jamais des déchets nucléaires. Il existe également une tête de puits creusée à 1180 m de profondeur au fond duquel se trouve des déchets nucléaires qui est restée ouverte sur l'océan. Des particules radiotoxiques peuvent en théorie se disséminer lentement dans l'eau et leur présence justifie bien entendu le maintien d'une surveillance à très long terme. Et ce n'est pas une surveillance de quelques jours : la période ou demi-vie du plutonium-239 est de 24110 ans, c'est-à-dire qu'il faudra attendre 241100 ans pour que sa radioactivité soit divisée par 1000 !

Bien que la profondeur de l'eau participe à diluer les retombées radioactives, quand on sait que les poissons pélagiques accumulent facilement les toxines et entrent donc naturellement dans la chaîne alimentaire, à petite dose, même moins de 0.01 mS par an comme c'est le cas actuellement, la radioactivité résiduelle de ces isotopes va s'accumuler dans l'environnement. Bien sûr en l'espace de dix ans, la lente dissémination de la radioactivité dans l'eau restera faible, l'équivalent de la dose reçue par une radiographie aux rayons X. Cela dit, en enfouissant ses déchets radioactifs dans l'un des beaux atolls du monde, le gouvernement français a offert un beau cadeau empoisonné aux touristes et à nos descendants !

Aujourd'hui les différents puits sous-marins sont surveillés. Depuis 1998 la direction militaire du CEA assure une surveillance radiologique et géomécanique des deux atolls grâce au système Telsit et prélève chaque année des échantillons d'eau, de faune et de flore qui sont analysés.

Comme sur les pontons de Mururoa où le plutonium risquant de contaminer l'environnement a été emprisonné dans du bitume, en principe, au fond du lagon sous plusieurs dizaines de mètres d'eau et prisonnier des roches, comme le champ magnétique figé dans la lave, la radioactivité du plutonium et des autres radioisotopes est fixée et risque peu de contaminer les plongeurs ou la population. Mais quoique dise le gouvernement et les agences effectuant les contrôles, le risque n'est pas nul puisque le site n'est pas entièrement étanche; non seulement il s'agit de métaux lourds radiotoxiques mais ils ont une chance de se retrouver un jour ou l'autre dans l'eau de mer. Même si le risque est négligeable aujourd'hui, dans un siècle la faune et la flore pourraient avoir accumulé une dose supérieure à 1 mSv (cf. les unités de mesures), équivalente à la radioactivité naturelle (elle est de 2.4 mSv par an et par personne en France). Bien sûr ce n'est pas inquiétant en soi, mais il faut continuer à surveiller le site.

Selon une étude très sérieuse conduite par l'AIEA en 1996 à laquelle participèrent de nombreuses scientifiques étrangers, aujourd'hui la population de Mururoa et Fangataufa est exposée à une radioactivité résiduelle qui ne dépasse pas 0.01 mSv par an, un niveau 200 fois inférieur à la radioactivité naturelle, ce qui a permit à cet atoll de redevenir une île touristique après 30 ans d'enfer.

Les experts de l'AIEA concluent donc sereinement qu’"aucune mesure corrective n’est nécessaire sur les atolls pour des raisons de protection radiologique, que ce soit maintenant ou à l’avenir", conseillant même de suspendre le programme de surveillance, ce que la France a tout de même refusé de faire. Elle a au moins appris une leçon.

Radioactivité à Bikini

L'atoll de Bikini est l'un des atolls des îles Marshall qui acquit son indépendance en 1990. Entre 1946 et 1958, les Etats-Unis y ont conduit 67 expériences nucléaires dont 23 explosions de bombes A et H en atmosphère, la plus célèbre étant le test Bravo de 15 MT durant l'opération Castle Romeo le 26 mars 1954 (cf. les photos). Il s'agissait de la plus puissante bombe H américaine.

Encore aujourd'hui, plus de 60 ans après la fin des essais, la radioactivité est mesurable dans les aliments, si bien que les autorités ont interdit à la population de les consommer. Mais évidemment, les animaux ne le savent pas. Les crabes par exemple sont contaminés car ils mangent des noix de coco contaminées !

Pire, il semble que certains animaux aient subi des mutations génétiques. Ainsi certaines requins ont perdu l'aileron qu'ils portaient au milieu du dos. On ne peut pas certifier qu'il s'agit d'une mutation génétique liée aux essais nucléaires, mais la coïncidence fait réfléchir...

Radioactivité au 14C dans les abysses

Malgré les annonces rassurantes des autorités françaises, selon une étude publiée par l'équipe du géochimiste Niang Wang de l'Académie des Sciences de Guangzhou en Chine dans les "Geophysical Research Letters" en 2017, la contamination radioactive au fond des océans est loin d'être nulle, notamment dans plusieurs fosses océaniques où les concentrations de carbone 14 représentent de véritables "'bombes" pour la chaîne alimentaire.

Le premier amphipode supergéant (Alicella gigantea) de 24 cm remonté de la fosse des Tonga à 6250 m de profondeur en 2013 par la JAMSTEC. Document Ronnie N. Glud.

Selon les chercheurs, les relevés ont montré que les concentrations de carbone 14 sont bien supérieures à celles de la matière organique retrouvée aux mêmes profondeurs. Ainsi les muscles des amphipodes (des crustacés mesurant généralement entre 1.5 et 9 cm de longueur) vivant à plus de 7000 m de profondeur, y compris dans la fosse des Mariannes plongeant à 10994 m de profondeur près de l'île de Guam, contient des teneurs en 14C variant entre 10 ±2‰ et 65 ±2‰.

Selon Wang, "Bien que la circulation océanique prenne des centaines d’années pour amener de l’eau contenant une bombe [de carbone 14] dans la fosse la plus profonde, la chaîne alimentaire y parvient beaucoup plus rapidement. Il existe une très forte interaction entre la surface et le fond, en termes de systèmes biologiques, et les activités humaines peuvent affecter les biosystèmes jusqu’à 11000 mètres de profondeur. Nous devons donc faire attention à nos comportements futurs."

Les chercheurs ont également observé que les amphipodes s'étaient adaptés à cet environnement : "ces résultats préliminaires suggèrent que les amphipodes hadaux - ceux vivant à plus de 6000 m de profondeur - ont un faible taux de renouvellement [cellulaire] et une longue durée de vie supérieure à 10 ans, ce qui est 4 fois plus long que celle des amphipodes des eaux peu profondes. Ces caractéristiques semblent être le résultat de l'évolution des amphipodes dans l'environnement extrême des abysses."

Notons dans le cadre du programme HADES (Hadal Ecosystem Studie), en 2012, l'équipe de Jeffrey Drazen découvrit à 5000 m de profondeur dans la fosse de Kermadec située au nord de la Nouvelle Zélande, un amphipode blanc-crème aussi grand qu'un homard : 28 cm de longueur ! L'année suivante la JAMSTEC découvrit un spécimen de 24 cm dans la fosse des Tonga (cf. ABC).

En résumé, ces crustacés ont absorbé des radioisotopes produits par les explosions nucléaires. S'ils ne s'en portent apparemment pas plus mal et s'y sont même adaptés, on constate que les polluants atteignent facilement les abysses.

Pour plus d'informations

Sur ce site

Les effets des explosions nucléaires

Les explosions nucléaires en images

Mesure de la radioactivité et protection civile

Pour ou contre l'énergie nucléaire ?

Sur Internet

Moruroa Files, Disclose/Interprt/Science & Global Security, 2021

Rapport sur les conséquences sanitaires des essais nucléaires français dans le Pacifique, Ministère de la Santé de Polynésie, 2020

Que sont devenus Moruroa et Fangataufa ?, AIEA, 2000

La Dépêche de Tahiti (17 mars 2017)

Données sur les essais nucléaires français, OBSARM

CEA-DAM

Les essais nucléaires à Mururoa et Fangataufa, CEA

Rapport de l'OPECST sur les essais nucléaires (rapport N°207, 2001-2002), Sénat français

Rapport N° 179 (dont rapports Tazieff et Atkinson) sur la gestion des déchets nucléaires de haute activité

Le rapport N° 3571 de l'Assemblée Nationale sur les incidences environnementales, 2001

Association des Vétérans des Essais Nucléaires (AVEN)

Moruroa e tatou

Poisoned Pacific: The legacy of French nuclear testing, The Bulletin of Atomic Scientists

Pacific-Promotion

DOE

AIEA

Livres

Mururoa & Fangataufa – Les atolls de l’atome, Bernard Dumortier, Marines Eds, 2004

Radioactivity in the Environment, Vlado Valkovic, Elsevier Science Ltd, 2000

Nuclear testing : Mechanical, lumino-thermal and electromagnetic effects (The atolls of Mururoa and Fangataufa), CEA et al., 2000

Mururoa Fangataufa - Etat des lieux des sites d'expérimentations nucléaires français, Daniel Pardon, 1999

Les atolls de Mururoa et de Fangataufa, Dunod, 1997

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