Contacter l'auteur / Contact the author

Recherche dans ce site / Search in this site

Le mystère des neutrinos manquants résolu

Histoire de la résolution d'un mystère vieux de 40 ans

Depuis les années 1960, on savait théoriquement que les neutrinos solaires sont produits au cours de quatre réactions dans la chaîne pp (pp-ν, pep-ν, 7Be-ν et 8Be-ν) avec une énergie maximale d'environ 400 keV sauf pour la désintégration du 8B où elle dépasse 10 MeV, et par trois désintégrations dites β+ dans le cycle CNO (ν15O, ν13N et ν17F) où ils présentent une énergie entre 1-2 MeV.

Mais depuis cette époque, la question du "mystère des neutrinos manquants" restait ouverte. En effet, au seuil de l'an 2000 les neutrinos émis par le Soleil (chaînes pep, pp, 7Be, 8B et cycle CNO) semblaient moitié moins nombreux que les calculs le prédisaient. On ignorait encore leur masse précise mais ils étaient répartis "au moins" disait-on à l'époque en trois familles ou saveurs (neutrino électronique νe, neutrino muonique νμ et neutrino tauonique ντ) aux propriétés similaires.

Les physiciens savaient également qu’à chaque seconde environ 100 milliards de neutrinos traversent chaque centimètre carré de notre corps dont 1% sont issus du seul cycle CNO ! A quelques virgules près lourdes de sens, les neutrinos pourraient donc peser de tout leur (faible) poids dans l'évolution de l'Univers. Toutefois, avec le temps cette hypothèse a pour ainsi dire perdu de son poids.

Simulateur embarqué

 

Nombre d'impacts de neutrinos sur chaque mm2 de votre corps à chaque seconde

En 2001, on a finalement compris où sont passés les neutrinos solaires manquants. Mais il fallut 40 ans de recherches dont voici un résumé des principales étapes de cette découverte fondamentale.

Tout commença en 1964 lorsque le physicien et chimiste américain Raymond Davis (1914-2006) du BNL et l'astrophysicien américain John N. Bahcall (1934-2005) de l'Institut d'Etudes Avancées de Princeton proposèrent une expérience pour déterminer si la fusion de l'hydrogène dans le coeur du Soleil était la seule source de sa lumière telle que déduite de l'équation de fusion suivante extraite de la chaîne proton-électron-proton :

Chaque réaction de fusion de l'hydrogène (protons) en hélium produit 2 positrons et 2 neutrinos électroniques et libère énormément d'énergie à l'origine du rayonnement du Soleil. Mais les neutrinos qui s'échappent quasi instantanément du Soleil ne participent pas à sa chaleur ou à sa lumière car ils n'ont pas de charge électrique et interfèrent donc très peu avec la matière. Les neutrinos peuvent ainsi présenter une énergie élevée alors que le Soleil émet peu d'énergie et inversement être peu énergiques alors que le Soleil génère beaucoup de chaleur.

Les expériences neutrino

Le neutrino est uniquement sensible à l’interaction faible et peut traverser la Terre entière des milliers de fois sans subir la moindre interaction électromagnétique ou forte, raison pour laquelle sa détection et en corollaire la détermination de sa masse est rendue très difficile.

Les physiciens se sont donc dit qu'il leur fallait une certaine quantité de matière, plusieurs milliards de milliards de milliards d'atomes pour espérer voir l'une de ces particules évanescentes entrer en collision avec l'un ou l'autre noyau atomique.

En 1946, le physicien Bruno Pontecorvo avait proposé la méthode de détection radiochimique des neutrinos suivante :

Sur base de cette réaction, l'expérience Homestake fut proposée par Davis et Bahcall. Elle consistait à calculer le nombre d'isotopes d'argon (37Ar) produits par les neutrinos solaires au contact d'un vaste réservoir (15 m de long sur 6 m de diamètre) contenant 40000 litres d'un composé organique à base de chlorine (C2Cl4 ou tétrachloroéthylène qui est un solvant volatil utilisé pour le nettoyage à sec et cancérogène). Selon les simulations, la réaction devait produire quelques atomes d'argon par mois.

Afin que les instruments soient à l'abri des parasites engendrés par l'impact des rayons cosmiques, le détecteur fut installé à 1480 m de profondeur au fond de la mine d'or de Homestake à Lead, dans le Sud Dakota dont l'activité minière ne cessera qu'en 2001.

Raymond Davis (gauche) et John Bahcall (droite) portant leur tenue de protection photographiés en 1967 près du réservoir de 40000 litres de chlorine (15x6 m) installé dans la mine d'or souterraine de Homestake, dans le Sud Dakota, USA. Document Raymond Davis, Jr. et John Bahcall.

Les premiers résultats de l'expérience furent annoncés en 1968. Les chercheurs n'avaient détecté qu'un tiers des isotopes d'argon prédits. Cette anomalie sera connue comme "le problème des neutrinos solaires".

On évoqua trois explications possibles. D'abord une erreur de calcul : soit le modèle était faux soit le calcul du taux d'atomes d'argon produit était incorrect. Ensuite, l'expérience n'était peut-être pas appropriée. Enfin, la plus audacieuse mais la moins discutée était que les physiciens ne comprenaient peut-être pas comment les neutrinos de propageaient sur des distances astronomiques., ce qui n'était pas tout à fait faux.

Pendant plus de 20 ans, Bahcall et d'autres chercheurs ont affiné et vérifié les modèles, la qualité des données fut améliorée et les prédictions sont devenues plus précises mais aucune erreur significative n'est apparue dans les modèles ou les calculs. De son côté, Ray a amélioré la sensibilité de l'expérience et ajouté de nouveaux tests pour être certain de ne pas manquer quelques neutrinos mais ici non plus aucune erreur significative n'a été trouvée. Il subsitait toujours une différence notable entre les prédictions et l'expérience.

Restait la troisième explication : était-ce une nouvelle physique ? En 1969 déjà, Bruno Pontecorvo et Vladimir Gribov qui étudiaient chacun les neutrinos depuis quelques années avaient émis l'idée que les neutrinos se comportaient différemment de ce qu'assumaient les physiciens. A l'époque, très peu de physiciens prirent cette idée au sérieux mais les preuves appuyant cette hypothèse se sont accumulées au fil du temps.

Finalement, les physiciens ont développé un autre type d'expérience. Ils ont proposé de construire dans plusieurs mines souterraines désaffectées d'immenses cuves remplies d'eau pur dont les parois sont bardées de détecteurs amplificateurs d'images. Si un neutrino traverse cette piscine plus rapidement que la lumière dans ce milieu et produit une réaction avec un quark, l'élément constitutif du noyau atomique, le neutrino produit un électron ou un muon qui est éjecté à une vitesse supérieure à celle de la lumière dans l’eau en émettant un cône de lumière bleue appelé l'effet Cherenkov. Cet anneau est émis dans une direction bien précise, déterminée par l'énergie cinétique de la particule. Ce rayonnement est ensuite détecté, amplifié et mesuré dans les 3 dimensions.

Le premier grand évènement de ce type fut détecté au cours de l'explosion de la supernova Sanduleak alias SN 1987A en 1987. Le modèle de l'époque n'expliquait pas le bilan total de la réaction. En revanche, si les différents neutrinos avaient une masse, ne fut-ce que faible, le modèle devenait cohérent. Mais il fallut encore patienter quelques décennies pour le prouver.

En 1989, soit 21 ans après les résultats de la première expérience sur les neutrinos, une équipe de chercheurs américano-japonaise publia un article suggérant que nous étions près de résoudre le problème des neutrinos solaires. Le nouveau groupe appelé Kamiokande dirigé par Masatoshi Koshiba (prix Nobel de Physique en 2002) et Yoji Totsuka utilisa un grand détecteur constitué d'une piscine d'eau pure pour mesurer le taux avec lequel les électrons contenus dans l'eau diffusaient les neutrinos solaires de haute énergie par effet Cherenkov. Bien que le système de détection était très sensible, il ne pouvait détecter que les neutrinos de haute énergie produits par les rares réactions nucléaires impliquant la décroissance du noyau de bore (8B) dans le cycle pep de production de l'énergie solaire (l'expérience originelle de Davis était sensible au même type ou saveur de neutrinos).

Kamiokande confirma que le nombre d'évènements neutrinos observé état inférieur à celui prédit par le modèle théorique du Soleil et par les manuels décrivant les neutrinos. La différence était toutefois moins importante que celle observée avec le détecteur à chlorine de Ray Davis.

De nouvelles expériences furent réalisées dans les décennies suivantes dont GALLEX en Italie, SAGE en Russie et Kamiokande au Japon. Plus récemment, on installa l'expérience IceCube au pôle Sud, l'Observatoire de Sudbury (SNO) au Canada, Super-Kamiokande au Japon exploitant un double réservoir (interne et externe) de 50000 tonnes d'eau pure et Borexino à Gran Sasso en Italie qui dispose de 280 tonnes de scintillateur liquide.

L'expérience de décroissance des neutrinos permet d'observer des anneaux de Cherenkov, seule signature de leur passage et d'en déduire les propriétés des neutrinos à l'origine de ce phénomène extrêmement rare. Document Shinji Ohsuka adapté par l'auteur.

Toutes ces détecteurs de dimension monumentale permirent d'obtenir des mesures très précises des paramètres des neutrinos de haute énergie et confirmèrent le déficit originel découvert dans les expériences de Homestake et Kamiokande. Tant les neutrinos de haute que de faible énergies étaient manquants, bien que dans des proportions différentes.

Tous les résultats des expériences neutrinos indiquaient que quelque chose devait se produire entre l'émission des neutrinos par le Soleil (ou les supernovae) et leur détection sur Terre : les neutrinos devaient changer d'état au cours de leur propagation, seule explication pouvant expliquer leur disparition soudaine dans le bilan énergétique total de ces réactions.

En 1990, le physicien Hans Bethe, l'un des pères de la théorie du Big Bang et de l'article B2FH, et John Bahcall proposèrent une nouvelle physique des neutrinos, différente de celle enseignée dans les manuels de physique de l'époque afin de reconcilier les résultats du Homestake de Davis avec ceux de Kamiokande.

De nouvelles preuves montrèrent également que les modèles prédictifs solaires étaient fiables. Ainsi en 1997 on mesura la vitesse du son à travers le Soleil grâce aux fluctuations périodiques observées dans sa lumière libérée à hauteur de la photosphère. Les vitesses mesurées correspondaient à 0.1% près aux courbes de vitesses du son calculées sur base du modèle théorique du Soleil. Ces mesures suggérèrent aux astrophysiciens que leur modèle du Soleil était si précis qu'il prédisait correctement le nombre de neutrinos solaires. Si l'erreur n'était ni dans le modèle de comparaison ni dans les données, alors la seule erreur possible était une nouvelle fois la troisième hypothèse envisagée précédemment, la mauvaise interprétation de la nature réelle des neutrinos.

En 1996, les Japonais inaugurèrent Super-Kamiokande, un détecteur de neutrinos cent fois plus sensible que les détecteurs existants. Les découvertes sont immédiatement apparues. En effet, lors de la conférence Neutrinos 98 qui s’est tenue à Takayama, au Japon, l'équipe américano-japonaise annonça qu’elle avait découvert que le neutrino avait une masse. Elle estimait la masse du νe < 4 eV, soit un cent millième de la masse de l’électron, la particule la plus légère.

Les données solaires recueillies par Till Kirsten et John N. Bahcall en 1999 et les données atmosphériques recueillies par Yoji Totsuka en 2001 suggèrent que la masse du neutrino tauonique oscille entre 0.05 et 0.1 eV, entre 0.001 et 0.01 eV pour le neutrino muonique, tandis que la masse du neutrino électronique serait < 0.086 eV.

Du fait qu'on observe un facteur deux de déficit en neutrinos atmosphériques muoniques avec une dépendance de l'angle au zénith, suggère que leur différence de masse est très faible, de l'ordre de 0.01 eV/c2. Ceci tend à confirmer que la masse minimale du neutrino serait d'environ 0.1 eV, ce qui signifie, compte tenu de leur abondance, qu'ils contribuent au moins autant que les étoiles brillantes à la densité de matière !

Telle était la situation à la fin du XXe siècle. Cette fois les physiciens avaient accumulé suffisamment d'indices démontrant qu'il fallait absolument trouver une meilleure théorie pour résoudre le problème des neutrinos manquants.

A gauche et au centre, la reconstruction informatique des anneaux de Cherenkov générés par des muons détectés par les tubes photomultiplicateurs recouvrant les parois du détecteur de neutrinos de Super-Kamiokande. A droite, la cuve de Kamiokande I lors de sa construction en 1983 et à moitié remplie d'eau. Documents Tomasz Barszczak et Kamiokande/U.Tokyo.

Le 18 juin 2001, une équipe internationale de chercheurs anglo-saxons du SNO annonça officiellement qu'elle avait résolu le mystère des neutrinos solaires. L'équipe dirigée par Arthur McDonald publia les premiers résultats de l'expérience SNO basée sur un détecteur quasi sphérique de 22 m de diamètre et 34 m de hauteur contenant 1000 tonnes d'eau lourde (D2O) installé dans la mine de nickel de Sudbury avec lequel ils ont pu étudier les neutrinos solaires de haute énergie d'une autre manière que Kamiokande et Super-Kamiokande, en enregistrant uniquement les neutrinos électroniques.

Une nouvelle fois, le SNO ne détecta qu'environ 1/3 des neutrinos prédits par le modèle décrivant l'intérieur du Soleil. Super-Kamiokande qui est également principalement sensible aux neutrinos électroniques mais qui peut aussi détecter les autres types de neutrinos n'observa que la moitié des neutrinos espérés.

Si le modèle Standard des particules élémentaires était correct, SNO et Super-Kamiokande auraient dû détecter la même fraction de neutrinos électroniques. Le modèle Standard est donc faux.

A partir des données du SNO et de Super-Kamiokande, les chercheurs ont calculé le nombre total de neutrinos solaires tous types confondus (électronique, muonique et tauonique) ainsi que le nombre des seuls neutrinos électroniques et ont trouvé une valeur en accord avec le modèle théorique du Soleil : les neutrinos électroniques constituent environ 1/3 du nombre total de neutrinos. L'explication se trouve dans donc dans cette différence entre le nombre total de neutrinos et le nombre des seuls neutrinos électroniques : les neutrinos manquants existent bien mais sous des formes muonique et tauonique plus difficiles à détecter. Ce résultat exceptionnel fut annoncé en juin 2001.

Les oscillations des neutrinos

Le fait que les neutrinos oscillent entre trois saveurs signifient qu'il ont une masse. Cette découverte fut confirmée par de nouvelles expériences. L'hypothèse entrevue précédemment était donc correcte : la plupart des neutrinos émis par le Soleil sont d'abord produits sous forme de neutrinos électroniques puis se transforment en neutrinos muoniques et tauoniques à mesure qu'ils voyagent dans l'espace pour aboutir sur Terre.

Ces résultats révolutionnaires furent vérifiés indépendamment par l'expérience américano-japonaise KamLAND (dont le réservoir de 13 m de diamètre contient 1000 tonnes de scintillateur liquide entouré par un cylindre de 3200 tonnes d'eau contenant les détecteurs Cherenkov) qui étudia, non pas les neutrinos solaires mais les antineutrinos émis par les réacteurs nucléaires japonais et des pays limitrophes. L'équipe de chercheurs dirigée par Atsuto Suzuki de Sendai au Japon observa un déficit d'antineutrinos dans les réacteurs nucléaires. Ce déficit était prévu par le modèle solaire ainsi qu'un autre modèle du comportement des neutrinos, ce qui expliquait pourquoi les calculs et les mesures antérieurs semblaient en désaccord. Les mesures de KamLAND ont significativement amélioré nos connaissances des paramètres caractérisant les neutrinos.

La solution du mystère des neutrinos manquants est qu'en fait les neutrinos ne manquent pas à l'appel; ils ont simplement changé de forme et de ce fait n'ont pas été détectés par les expériences Homestake, GALLEX et SAGE ni pas la première expérience du SNO. Le manque de sensibilité des détecteurs aux neutrinos muoniques et tauoniques expliquent pourquoi ces expériences ont suggéré que la plupart des neutrinos solaires étaient manquants.

D'un autre côté, les expériences faites avec de l'eau pure à Kamiokande et plus tard avec de l'eau lourde au SNO étaient plus sensibles aux neutrinos muoniques et tauoniques, ce qui expliquent les plus grandes différences vis-à-vis des prédictions.

Les trois familles de neutrinos

Saveur

du neutrino

Masse

Charge

électrique

Spin

νe

νμ

ντ

< 0.8 eV/c2

0.001 - 0.01 eV/c2

0.05 - 0.1 eV/c2

0

0

0

½

½

½

En conclusion, Pontecorvo et Gribov étaient sur la bonne voie en 1969. Les neutrinos de basse énergie se transforment en neutrinos muoniques ou tauoniques et vice versa en se propageant dans l'espace. Le nombre de changements de saveur ou oscillations dépend de l'énergie du neutrino. Aux plus hauts niveaux d'énergies, le mécanisme d'oscillation est accentué par les interactions avec les électrons présents dans l'enveloppe du Soleil ou dans la Terre. Cette idée fut proposée pour la première fois par Lincoln Wolfenstein (1978), Stas Mikheyev et Alexei Smirnov (1985). Ainsi, plus il y a de matière plus les oscillations des neutrinos sont importantes entre les différentes saveurs.

On sait aujourd'hui pourquoi il existe 3 familles ou saveurs de neutrinos : c’est parce qu’ils ont une masse et se propagent dans une superposition d’états et de phases distinctes qu'ils peuvent se transformer dans un mélange variable de νe et νμ. Mais une fois piégé on ne détecte plus qu'une seule saveur.

En 2018, une équipe internationale de physiciens comprenant des chercheurs de l'Université du Massachusetts à Amherst (UMAss), d'Italie, d'Allemagne, de Russie et de Pologne est parvenue pour la première fois à obtenir la signature complète du spectre des neutrinos émis par le Soleil grâce à l'instrument Borexino.

Réestimation de la masse de repos du νe

En 2019, les physiciens de la Collaboration KATRIN annoncèrent que la masse de repos du νe < 1.1 eV/c² (cf. Collaboration KATRIN, 2019) tout en sachant qu'il s'agit d'une limite supérieure et que la particule est certainement plus légère. En 2022, ils annoncèrent que la masse de repos du νe < 0.8 eV/c² (cf. Collaboration KATRIN, 2022). Mais ce sont encore des résultats intermédiaires qui seront affinés vers 2024 lorsque toutes les données seront analysées. Les physiciens espèrent montrer que la masse de repos du νe < 0.2 eV/c², soit inférieure à 2.5 x 10-37 kg. Pour rappel, on obtient cette équivalence entre énergie et masse à partir de l'équation d'Einstein, E = mc² (où E/c² = m, donc 1 eV/c² = 1.72661921 x 10-36 kg).

L'asymétrie des neutrinos

Les oscillations des neutrinos soulèvent la question de l'asymétrie entre matière et antimatière. En effet, au cours de la conférence sur la Physique des Hautes Energies (ICHEP) qui s'est tenue à Chicago le 6 août 2016 dont voici la présentation et dont un compte-renu fut publié dans la revue "Nature", les physiciens japonais travaillant sur l'expérience T2K (Tokai To Kamioka) ont expliqué qu'un faisceau de neutrinos oscille plus vite qu'un faisceau d'antineutrinos. Au lieu de détecter 24 neutrinos électroniques et 7 antineutrinos électroniques ils ont détecté 32 neutrinos électroniques (25% de plus par rapport à une symétrique) et 4 antineutrinos électroniques (-43% par rapport à la symétrie). Or il n'y avait qu'une probabilité de 5% (2σ) que le nombre de neutrinos et d'antineutrinos soit identique et donc que les réactions soient symétriques. Il existerait donc bien une asymétrie entre matière et antimatière.

A gauche, schéma de l'expérience T2K. A droite, un exemple de détection des neutrinos au niveau de l'un des détecteurs éloigné de Super-Kamiokande. Documents CERN/T2K.

Toutefois, d'un point de vue scientifique, cette preuve n'est pas suffisante car pour qu'elle ait une valeur statistique, la probabilité d'erreur doit être inférieure à 0.4% (3σ) pour que les physiciens puissent raisonnablement déclarer qu'il y a une violation de symétrie par les neutrinos. Mais ce n'est pas suffisant pour annoncer une découverte. La certitude statistique exige une probabilité d'erreur < 0.00003% ou 5σ, ce qui est impossible à atteindre avec les détecteurs actuels de neutrinos.

L'expérience CUORE : le neutrino serait-il sa propre antiparticule ?

Entre 2013 et 2015, les physiciens ont mis au point l'expérience CUORE (Cryogenic Underground Observatory for Rare Events). Il s'agit d'un détecteur bolométrique cryogénique (cryostat) installé dans un tunnel de Gran Sasso en Italie. Son but est de détecter des doubles décroissances bêta sans neutrinos (cf. cet article sur arXiv). En deux mots, il s'agit d'une désintégration atomique d'un isotope stable qui produit normalement deux électrons (particules bêta) et deux antineutrinos.

Une expérience similaire appelée EXO-200 a lieu actuellement à l'Université de Stanford, aux États-Unis.

Selon une théorie énoncée en 1937 par le physicien italien Ettore Majorana (1906-1959), il existerait des particules neutres qui sont leur propre antiparticule. On leur donna le nom de fermion de Majorana en son hommage. Les premières traces de ces quasi-particules (l'expérience fut réalisée en laboratoire) furent découvertes en 2017. Le neutrino pourrait bien compter parmi ces particules. Dans ce cas, il y a une faible probabilité que les deux antineutrinos se transforment en un antineutrino et un neutrino et s'annihilent à l'intérieur même de l'isotope, ne libérant que des électrons d'une énergie d'environ 2.5 MeV. L'absence de courant neutre signifierait que le neutrino serait sa propre antiparticule. CQFD.

A gauche, vue d'en dessous des 19 tours du cryostat de l'expérience CUORE installée dans le tunnel de Gan Sasso en Italie. A droite, L'expérience d'Ali Yazdani réalisée en 2014 révéla la structure atomique du fil de fer posé sur une surface de plomb. La partie agrandie de l'image représente la probabilité que le fil métallique contienne un fermion de Majorana. Notons que l'image indique la position de la particule à l'extrémité du fil, ce qui correspond aux prédictions. Documents Collaboration CUORE et Ali Yazdani Lab.

Pour vérifier cette théorie, après deux mois de collecte de données et d'analyse, en 2018 C.Alduino de l'UCLA et les quelque 200 chercheurs internationaux qui collaborent à l'expérience CUORE ont annoncé dans les "Physical Review Letters" avoir détecté une violation de la double décroissance bêta de 988 cristaux de dioxyde de tellure (TeO2). Sur base de ces résultats, ils estiment que la double décroissance se produit tout au plus une fois tous les 10 septillions d'années (1025 ans). Vu le grand nombre d'atomes impliqué dans cette expérience, les chercheurs prédisent qu'ils devraient détecter au moins 5 nouvelles désintégrations au cours des 5 prochaines années et, espèrent-ils, autant d'émissions bêta à 2.5 MeV.

Si la prédiction se vérifie, elle prouverait que le neutrino est sa propre antiparticule, ce qui aura des implications en physique et en cosmologie et expliquerait notamment le déficit d'antimatière par rapport à la matière.

En revanche, si les chercheurs ne détectent pas d'émission à 2.5 MeV d'ici 10 ou 15 ans, cela signifiera probablement que le neutrino n'est pas sa propre antiparticule. Affaire à suivre.

A voir : Le neutrino, cet inconnu, Ecole Polytechnique, 2015

Les neutrinos, la promesse d’une nouvelle physique, Ecole Polytechnique, 2016

Ettore Majorana et Bruno Pontecorvo : mystères et neutrinos, CEA

En guide de conclusion

Les physiciens des expériences T2K et NOvA ont étudié les modes d'oscillations des antineutrinos afin de comparer les résultats aux données existantes et y déceler une éventuelle symétrie. Les premiers résultats significatifs furent publiés en 2020 et 2022. Ensuite, en fonction des résultats et sachant la précision requise, les physiciens pourront envisager de construire une nouvelle génération de détecteurs beaucoup plus sensibles.

Reste un problème majeur : le modèle Standard de la physique des particules assume que les neutrinos n'ont pas de masse. Pour que les oscillations se produisent, certains neutrinos doivent avoir une masse. Pour cette raison et beaucoup d'autres (dont le rayon du proton qui n'est pas conforme à la théorie) il faut donc réviser le modèle Standard. Cela a conduit les physiciens à explorer des voies nouvelles comme par exemple à vérifier si le neutrino ne serait pas un fermion de Majorana, à faire appel aux axions qui permettraient par ailleurs de résoudre d'autres énigmes de la physique, ou encore au concept de supersymétrie, à la théorie des cordes et autre gravité quantique à boucles.

Vu le grand effort intellectuel qu'exigent ces théories et leurs vérifications expérimentales et le peu de relations qu'elles ont avec notre quotidien (mais le faut-il ?), il n'est pas évident que ces théories rallient tous les physiciens mais ces voies semblent très prometteuses tant dans le domaine de l'infiniment petit de la physique subatomique que de l'infiniment grand de la cosmologie. On y reviendra en physique quantique.

Pour plus d'informations

Sur ce site

La physique quantique

Antimatière, neutrino et fermion de Majorana

Introduction à l'astrophysique solaire

Le cycle proton-proton

Expériences neutrino

Borexino

CUORE

GALLEX

Homestake

IceCube

IMB

KamLAND

KATRIN

SAGE

Observatoire de Sudbury (SNO)

Super-Kamiokande

T2K

Livre

A la recherche des neutrinos, Antoine Kouchner, Dunod/Quai des Sciences, 2018

The History of the Neutrino, IN2P3, 2018

T2K presents first CP violation search result, T2K Collaboration, 2016

Solar Neutrinos (with a tribute to John. N. Bahcall), E. Lisi et al., 2006.

Retour au Soleil

Retour à la Physique Quantique


Back to:

HOME

Copyright & FAQ