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En hommage à Newton
Le premier scientifique (I) Le 4 janvier 1643 du calendrier grégorien (ou le 25 décembre 1642 du calendrier julien en usage en Angleterre) naquit Isaac Newton dans le manoir de Woolsthorpe près de Grantham, Lincolnshire, en Angleterre. Arrêtons-nous un instant car l'homme mérite toute notre attention et notre respect. C'est également une bonne occasion de rassembler dans cet article les plus beaux portraits de Newton, certains très rarement publiés, et autant que possible dans leur version originale car des centaines de photogravures, de copies et de dessins en ont été tirés depuis plus de deux siècles. L'enfance de Newton Les premières années de la vie d'Isaac Newton ne sont pas très heureuses. Newton n'est pas né dans de très bonnes conditions ni dans la haute société. Il naquit avant terme dans des conditions d'insalubrités extrêmes et n'a pas connu son père qui s'appellait également Isaac Newton mais qui mourut le 6 octobre 1642. Son père n'avait pas reçu d'éducation et ne savait même pas écrire son nom. Survivant de peu à une mort précoce, le petit Isaac vivra trois ans avec sa mère Hannah Ayscough, puis elle se remariera, confiant la garde du petit Isaac à ses grand-parents. Newton en tiendra toujours rancune à sa mère et à son beau-père envers lesquels il sera très amer. Probablement suite à cette succession d'évènements malheureux, mais aussi certainement par nature, Newton restera toujours un homme réservé. Ses professeurs à l'école primaire le considéraient comme un élève très pauvre et malchanceux. Ses bulletins scolaires le décrivent comme passif et inattentif, "idle and inattentive". Il n'en faisait pas moins des blagues à ses copains en mettant par exemple une épingle dans le chapeau de John Keys. On rapporte également qu'il appréciait les jeunes filles et leur confectionnait des meubles de poupée et eut semble-t-il un peu plus tard une amourette avec Miss Storer (qui deviendra Mrs Vincent), mais ce fut sa seule relation amoureuse de toute sa vie. Newton se réfugia très tôt dans la mécanique et la lecture. Déjà jeune adolescent, il bricola à ses heures, construisant un moulin à vent fonctionnel capable de moudre du blé et du maïs grâce au travail d'une souris qu'il appelait son meunier, il fabriqua une horloge à eau, un cadran solaire, une lanterne en papier gaufré et repliable pour s'éclairer sur le chemin de l'école ainsi qu'une "boîte-à-savon" qui pouvait supporter son poids et qu'il faisait avancer en actionnant une manivelle. Plus tard, vers 1664, il fit les croquis d'une machine à mouvement perpétuel tirant avantage d'un possible "flux de courant gravitationnel" puis une autre fonctionnant grâce à un flux magnétique. Il inventa également une voiture "à réaction" actionnée par de la vapeur mais il ne construisit aucune de ces inventions. Vers 1658, ses grands-parents le retirent de l’école car sa mère le réclame pour l'aider à la ferme. Non seulement il doit cotoyer ceux-là même qui l'ont rejeté, mais il a horreur de ce genre de travail et "promet de devenir le pire fermier d’Angleterre." Il voulait aller au Collège (l'université) mais il n'avait pas assez d'argent pour s'y inscrire. A voir : A Visit to Isaac Newton's Home, Arbor Scientific See inside Sir Isaac Newton's house - Woolsthorpe Manor, Walking with Hafren Woolsthorpe Manor House Tour - Home of Sir Isaac Newton, Callies's Diaries
A la mort de son beau-père, Newton ira à l'école libre de Grammar School à Grantham, mieux connue sous le nom de King's School. Cette institution reçut d'autres élèves célèbres parmi lesquels le philosophe Henry More, le poète Colley Cibber, le mathématicien John Newcome et J.W. Wand, l'évêque de Londres de 1945 à 1956. Se plaignant de sa condition, l'oncle d'Isaac Newton sera sensible à la détresse du jeune homme et l’inscrira en 1660 au célèbre Trinity College de l'Université de Cambridge. Sa mère refusant de payer son minerval (elle en avait les ressources), Newton reçut une bourse et exprima l'intention de devenir avocat (law degree) pour défendre les intérêts des pauvres gens. C'est là qu'il étudia la philosophie de Descartes, Gassendi, Hobbes et tout particulièrement Boyle ainsi que les théories de Kepler et de Galilée.
Hormis Newton, ce Collège forma des élèves qui deviendront célèbres parmi lesquels le mathématicien John Dee (1527-1608) qui préfaça la version anglaise des "Eléments" d'Euclide, le naturaliste Francis Bacon (1561-1626), Charles Babbage (1791-1871), le physicien James Clerk Maxwell (1831-1879), le physicien et prix Nobel 1904 Lord Rayleigh (1842-1919), le physicien Niels Bohr (1885-1962) ou encore le philosophe Ludwig Wittgenstein (1889-1951). Comme tous les étudiants boursiers, Newton devait accomplir des tâches domestiques et sera enrolé au niveau le plus bas, servant de valet à ses camarades de classe. Il se nourrit même des reliefs de leurs repas. Mais en contrepartie il aurait tout fait pour avoir l'opportunité d'étudier. Toutefois, même au Collège il restera incompris et ne parviendra pas à obtenir son diplôme. Ainsi qu'en témoignent ses notes, toujours passionné d'astronomie et de mathématiques, Newton restait persuadé qu'un jour il deviendrait un mathématicien célèbre. Il s'était donné un objectif, même une raison de vivre, restait à trouver la voie qui y mènerait. En 1664, Newton passa un examen afin d'obtenir une bourse et se réinscrire au Trinity College. Il l'obtint mais fut contraint de reviser sérieusement ses connaissances en géométrie et en maths. Laissons temporairement de côté les détails de son parcours académique, nous y reviendrons plus tard dans le contexte de ses expériences, son génie demandant un peu de temps pour s'épanouir. Profil d'un génie Quels sont les profils physique et psychologique de Newton ? D'après les différents portraits réalisés après la publication de ses "Principia", de la correspondance et des notes que nous possédons de Newton, une constante apparaît. Emprunt de charisme du fait de sa célébrité précoce, l'homme est très intelligent et obstiné, il lie peu amitié, et est narcissique. Il est d'un caractère doux, n'aime pas s'impliquer dans des querelles, face auxquelles il préfère souvent se dérober, mais peut devenir furieux si on lui vole ses idées ou si on le traite de menteur. Dans ce cas là un ami peut se transformer en ennemi juré et Newton ne le lâchera plus jusqu'à la victoire. C'est ce qui arrivera au cours de ses relations avec Leibniz, Hooke et Descartes.
Newton vivait avec son temps. Comme il était de coutume au XVIIe siècle, il portait tantôt une simple chemise tantôt costume et jabot. Il portait également une perruque en public et plus souvent encore lorsqu'il sera élevé au titre de Sir. L'homme a de la prestance, il est élégant et on le respecte beaucoup pour ses découvertes. Physiquement, d'après les portraits que nous possédons ainsi que de son masque mortuaire, Newton présente un visage oval, que l'on dit idéal, et bien équilibré. Il est peu marqué par les rides d'expression et les années (voir la galerie des portraits en page 5). Newton a de grands yeux vifs mais un regard sombre, parfois sévère et peu expressif que l'on dirait ailleurs, parfois sur la défensive ou encore très fier de son prestige. Ses cheveux sont châtains clairs, longs et ondulés et lui tombent sur les épaules jusqu'à un âge avancé. Ils s'éclairciront et deviendront blanc en vieillissant. Il présente un nez aquilin long et fin, une bouche fine et un menton arrondi, le type caucasien. Intègre, toujours prêt à dialoguer, travailleur acharné et sans doute excessif, compétent, rigoureux et perfectionniste, c'est un personnage d'une rare valeur. Mais il est réservé, il flatte rarement son entourage et remercie peu les actions de ses amis à son égard. Involontairement, il donne l'image d'un homme prétentieux ou détaché de ses relations sociales qui eut très tôt conscience de son intelligence et de sa célébrité. Tout à la fois rationnel et irrationnel, touchant tant à la science qu'aux pseudo-sciences, face à Newton nous sommes en présence d'un personnage contradictoire, du moins si nous l'analysons dans un cadre scientifique contemporain. D'après les textes qu'il nous légua, il a mené toute sa vie des recherches en mathématiques, en mécanique céleste, en optique, mais également en alchimie et en théologie. Connaissant trop bien l'air de son temps, il prit cependant soin de ne rien divulguer qui puisse le faire passer pour un hérétique durant sa vie. Ses seuls ennuis seront dû à son acharnement à revendiquer la paternité de ses découvertes. Situation bien naturelle mais qui l'opposera au célèbre Robert Hooke, Secrétaire de la Royal Society des années durant. Le sens de la méthode Newton est considéré comme le mythe du premier scientifique qui s’abandonne face à la science, au point de lui sacrifier sa vie privée et de passer l'essentiel de sa vie dans sa chambre, son laboratoire ou au bureau.
Dans l'Angleterre du XVIIIe siècle, Newton apparaît comme le symbole même du savant, à l'image du libre penseur français cher à Voltaire. Il symbolise aussi toute la "foi du théoricien" dans le sens où Newton est aussi le dernier savant qui ait pu concilier science et religion. Les historiens des sciences s'accordent pour considérer que Newton était avant tout préoccupé par la question du pourquoi du cosmos... et par le mystère de la Sainte Trinité. Son ami le théologien Clarcke sera son porte-parole officiel mais à l'instant de son dernier souffle en 1727, il refusa cependant de recevoir les derniers sacrements. Comme chacun le sait, Newton doit sa réputation aux "Principia", les 3 volumes intitulés "Philosophiae Naturalis Principia Mathematica" (Principia - Principes mathématiques de la philosophie naturelle) un recueil de ses principaux travaux qu'il publia en 1686 à 44 ans et dont il publiera trois éditions corrigées. Cette oeuvre est le point d'encrage de la physique moderne. Newton rejette définitivement la séparation du monde sublunaire du monde supralunaire comme les dénomment les philosophes Aristotéliciens et considère que tous les objets de l'univers sont de même nature. Une véritable révolution intellectuelle ! François Arago définit Isaac Newton comme "le plus grand génie de tous les temps et tous les pays." Dans une lettre à l'abbé d'Olivet, Voltaire le considéra comme "le plus grand homme qui ait jamais été, mais le plus grand, de façon que les géants de l'Antiquité sont auprès de lui des enfants qui jouent à la fossette...." Newton fut un génie parmi les génies car malgré le fait qu'il fut plongé dans la pensée aristotélicienne, il vit la réalité par-delà "l'harmonie divine" et les théories de son temps. Avec la fameuse histoire de la pomme - qu'il faut considérer comme une allégorie de ses thèses - Newton développa ses principales thèses scientifiques, notamment en optique et en mécanique céleste tout en effectuant de nombreuses recherches en mathématiques et sur la nature de la gravitation. Newton était un homme apprécié, dont la clarté des méthodes convainquirent les plus sceptiques philosophes. Le marquis de L'Hôpital considéra même son livre comme "un puits de science." Il faut dire que tous les ouvrages publiés jusqu’alors étaient écrits dans un style fort différent, y compris ceux de Descartes. Les propos de Bruno ou les découvertes de Galilée par exemple sont illustrées sous la forme de dialogues entre différents personnages dont les arguments visent à démontrer ou à ridiculiser ses adversaires. Les pensées de Platon sont enchâssées dans des paraboles dont l’essentiel réside dans la rhétorique. Newton instaure un nouveau style : impersonnel, sobre et objectif, il décrit ses expériences et ses résultats qui visent à démontrer la véracité de ses concepts. Ce langage est toujours utilisé de nos jours; c’est celui de la science.
Ainsi qu'en témoigne son curriculum vitae, du côté social Newton occupa une place aussi dominante que l'Angleterre qui, à cette époque régnait sur les mers. Son ascension ne fut pas tant liée à ses Principia dont la lecture restait difficile mais bien au fait - bien compréhensible - de sa réputation. Une phrase résume tout l'idéal de Newton. Comme il le dira plus tard dans son traité sur l'"Optique" : " la marche de la nature est très simple et toujours conforme à elle-même". Aussi, pour le rationnel ce ne sera pas Newton qui fera scandale, mais le fait qu'il soit parvenu à édicter des lois générales. Pour le théologien, c'est le fait qu'un esprit humain ait put déchiffrer le "livre du monde". Quoi qu'il en soit, Newton restera la figure même du déterminisme classique, le mathématicien et astronome capable d'observer et de calculer le passé et le futur de n'importe quel évènement de l'Univers. Rendons hommage à ce personnage illustre en nous remémorant quelques étapes clés de son parcours scientifique hors du commun au travers des quelque mille documents qu'il nous légua. Quelques livres de référence vous sont proposés en fin de dernière page. Prochain chapitre
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