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En hommage à Newton

Newton avant 1700.

Collection Babson.

La physique de Newton (II)

Pour Newton, on peut dire que tout commença au Trinity College et certainement en 1663 lorsqu'il acheta un traité d'astrologie judiciaire (prophétique) à la foire de Sturbridge mais auquel il ne comprit pas grand chose. Il se rendit compte qu'il lui manquait les bases de la géométrie. Il s'empressa alors d'acheter une édition anglaise des "Eléments" d'Euclide. Ecrit 1900 ans plus tôt, il était toujours considéré comme un "best seller" et placé en bonne place sur la devanture des librairies spécialisées, auprès de la "Géométrie" de Descartes. La version la plus courante était celle écrite en anglais par Isaac  Barrow publiée en 1650 et réimprimée par la suite.

Newton rapporta les "Eléments" chez lui et se mit à lire quelques pages pour retrouver les théorèmes et les figures dont il avait besoin pour comprendre l'ouvrage d'astrologie. Il avait à peine 21 ans et tout ce qu'il lut lui parut évident. Il mit finalement l'ouvrage de côté, au fond de sa bibliothèque, signalant dans ses notes que c'était "un livre insignifiant"... Mais rétrospectivement, on apprit qu'en fait il avait essentiellement lu l'index et quelques pages sans vraiment se plonger dans l'oeuvre... On y reviendra. Puis il acheta l'ouvrage de Descartes, le lut seul et le trouva cette fois... plutôt compliqué !

En fait, l'ouvrage était trop difficile pour lui, l'obligeant à lire 3 ou 4 pages à la fois, et plusieurs fois, pour essayer d'y comprendre quelque chose. Il termina l'ouvrage mais n'en tira aucun enseignement. Il y avait de quoi. Bien que Descartes était mort en 1649, ses idées étaient encore passablement nouvelles. Il fut par exemple le premier à utiliser des graphiques (le système cartésien de coordonnées) pour représenter des fonctions et créa le lien entre l'algèbre et la géométrie. C'est suite à cette constatation que Newton décida d'étudier les mathématiques à l'université, lui qui n'avait jamais vraiment été passionné par l'arithmétique à l'école.

Ainsi que nous l'avons dit, en 1664 il obtint une bourse pour le Trinity College de Cambridge. Il est élu étudiant bien que son professeur de math, Isaac Barrow, ait déclaré que son élève manquait de connaissances concernant l'un des principaux textes de mathématiques, les "Éléments" d'Euclide. Et de fait Newton allait devoir apprendre l'analyse moderne sans avoir acquis les bases de la géométrie classique...

Vexé mais intelligent, cette réflexion poussa Newton à reprendre l'ouvrage qu'il avait méprisé et se remit à l'étudier. Cette fois-ci, plus habile en géométrie, il le trouva moins "insignifiant" qu'il l'avait supposé. Et de fait, les "Eléments" resteront parmi ses livres favoris et l'aideront bien des années plus tard à expliquer au monde la Loi de la gravitation universelle...

A consulter : Les Éléments d'Euclide (vf html 1804)

Les Éléments d'Euclide (vf scannée 1626)

A gauche, la version anglaise des "Éléments" d'Euclide traduite par Isaac Barrow et publiée en 1660 (sa première édition date de 1650 et la première traduction anglaise de 1570) sur vélin souple qu'acheta probablement Newton. Au centre, la plus ancienne version française des "Éléments" revue et augmentée par Jacques Le Roy publiée en 1613. A droite, en 1667, âgé d'à peine 24 ans, Newton en savait déjà plus que ses contemporains en physique et en mathématique. Il meubla ses 18 mois de temps libre forcés en réinventant le monde. Cette illustration est une copie colorisée de la photogravure (cf. Aquarian Gallery) publiée par Selmar Hess en 1894 reproduisant une peinture réalisée par Loudan.

Cette fois on peut dire que Newton maîtrisait l'analyse et les mathématiques. Dans un manuscrit datée du 20 mai 1665, il n'avait que 23 ans, il décrit sa méthode des "fluxions" pour mesurer les variations de vitesse de n'importe quel objet, quelle que soit sa trajectoire. Cette méthode mathématique ne sera connue de ces collègues que trente ans plus tard ! Mais laissons le temps au temps. Nous reviendrons sur la méthode des "fluxions" un peu plus tard, lorsque nous discuterons de la loi de la gravitation.

Quelques mois plus tard, pendant l'été de 1665, la peste bubonique régna à Londres et à Cambridge faisant 75000 victimes, obligeant Newton à se retirer en province, non loin du village de Woolsthorpe. Un grand incendie se produisit l'année suivante près de la Tour de Londres[1], si bien que le jeune Newton passa près de 18 mois en vacances forcées.

Il écrivit dans sa biographie, qu'à cette époque "âgé d'à peine 24 ans, mes capacités d'invention étaient au maximum et je m’intéressais plus aux Mathématiques et à la Philosophie que je ne l’ai jamais fait depuis."

Isolé dans sa chambre, parfois totalement occultée, il avait ramené un carnet de note de 140 pages blanches qu'il commença aussitôt à remplir de commentaires et de formules, réalisant diverses expériences en mécanique, en physique et en (al)chimie, au point que sa grand-mère s'inquiétait de ne jamais le voir prendre l'air. Sa chambre était transformée en cabinet de travail, un comportement que reconnaîtront encore aujourd'hui certains lecteurs sans doute un peu trop solitaires.

Newton profita de ce congé pour résoudre une série de problèmes mécaniques de la vie courante et fit des découvertes essentielles en mathématiques. Il découvrit certaines propriétés de la lumière et s'occupa beaucoup de philosophie et d'alchimie. En fait son génie créateur ne connaîtra plus de répit.

Le spectre de la lumière

Expert en mathématiques et fier de dire qu’il ne faisait jamais d’hypothèses, en 1672 Newton écrivit au Secrétaire de la Royal Society, Henry Oldenburg, un commentaire qui s’avéra prémonitoire : "C’est une découverte (scientifique) qui m’a amené à faire ledit télescope et dont je ne doute pas qu’elle se montrera plus profitable que la communication de cet instrument, étant à mon jugement la plus étrange sinon la plus importante révélation faite à ce jour des opérations de la Nature." Trois semaines plus tard il révéla sa découverte : c’était la théorie de la lumière. En effet, quelques années plus tôt, en 1666, au cours d’une expérience qu’il qualifiera ultérieurement de “cruciale”, le jeune Newton découvrit le spectre de la lumière. Il avait déjà observé les irisations colorées autour de la Lune durant la nuit mais il pensait qu'il s'agissait d'un effet lié à la fatigue de ses yeux, éprouvant parfois de forts maux de tête quand il observait la Lune toute la nuit avec le prototype de télescope qu'il mettait au point.

En 1663, en même temps que l'ouvrage d'astrologie, Newton avait acheté un prisme à la foire de Sturbridge. Délaissant un temps ce livre de géométrie trop difficile pour lui, il s'amusa souvent à faire tourner son prisme dans les rayons du Soleil. C'est durant l'une de ces expériences qu'il découvrit que la lumière blanche se décomposait exactement dans les mêmes couleurs que l'arc-en-ciel et étaient toujours disposées de la même façon.

A lire : La lettre de Newton évoquant sa nouvelle théorie sur la lumière et les couleurs

Philosophical Transactions of the Royal Society, No. 80 (19 Feb. 1671/2), pp. 3075-3087

Newton avait le pressentiment que la réunion des couleurs de l'arc-en-ciel pouvait donner de la lumière blanche. En effet, en modifiant la position du prisme avec précaution, sous certains angles il parvenait même à reproduire le faisceau blanc sans disperser la lumière.

Bien que son expérience sera critiquée par le clergé romain jusqu’au début du XVIIIe siècle pour ses conséquences théologiques, Newton avait la certitude de détenir la démonstration d’une parmi la multitude des influences divines.

Grâce à ses expériences, Newton comprit que la lumière blanche, telle celle qui nous vient du Soleil était composée de plusieurs radiations monochromatiques qu'il imaginait être constituées de particules élémentaires plutôt que d'ondes. L'avenir lui donnera partiellement raison.

En revanche, il ne comprenait pas pourquoi l'image de l'arc-en-ciel n'était pas ronde comme l'ouverture qu'il avait pratiquée dans le rideau occultant la fenêtre. L'image spectrale formait toujours une bande cinq fois plus haute que large.

Prismes : Opitec (acrylique) - Edmund Optics (verre)

Réseaux de diffraction : Edmund Optics - Jeulin - ENASCO

Spectroscopes : Kruess - OPL et Euromex

Refaites l'expérience de Newton ! Peignez les couleurs de l'arc-en-ciel sur un disque (sous forme de secteurs et donc radialement) et fixez-le sur une tige en bois ou en métal terminée par un bout arrondi ou fixez-là sur l'axe d'une petite foreuse ou d'un moteur synchrone avec une vis. Faites-le tourner... vous obtiendrez une couleur blanc-cassé plus ou moins claire selon les nuances. C'est la synthèse additive des couleurs. Vous obtiendrez le même résultat en éclairant une surface blanche avec trois faisceaux lumineux, respectivement bleu, vert et rouge. Documents Bauhaus Shop et UFL.

Newton découvrit également qu'en fonction de la couleur ou de la densité du milieu traversé, l'angle de réfraction de la lumière était différent, la lumière rouge formant un angle moins prononcé que la lumière bleue. C'est alors qu'il comprit pourquoi le spectre formait un rectangle et non pas un cercle et pourquoi il présentait toujours le même rapport. Tout se passait comme si chaque rayon de lumière projetait sa propre image circulaire sur le mur selon son propre angle de réfraction. En se chevauchant, les divers rayons colorés formaient une longue bande arc-en-ciel. Newton n'oublia pas de consigner tous ces détails dans ses notes. Et comme tout mathématicien de génie, il formalisera ses découvertes en inventant les lois de la réfraction de la lumière.

Retour à Cambridge

Au terme de ses vacances forcées, en 1667 Newton retourna enfin au Trinity College de Cambridge et obtint son diplôme de "Maître es Arts". Il sera nommé "Fellow" de l'Université de Cambridge (FUC, l'équivalent de Chargé de recherches en France) un titre que l'on obtient encore aujourd'hui après la licence (maîtrise) dans les pays anglo-saxons qui permet au chercheur de se spécialiser pour préparer l'agrégation et devenir enseignant. Cette fois son destin était scellé, Newton voulait enseigner les mathématiques et poursuivre ses recherches. Par ailleurs cette corporation lui accordait des avantages et des privilèges, ce qui était appréciable.

Arrêtons-nous un instant sur l'histoire de cette prestigieuse université. Les premiers élèves suivirent officiellement les cours académiques dispensés par l'Université de Cambridge en 1209. C'est l'une des plus anciennes universités du monde et l'une des plus grandes du Royaume-Uni.

Aujourd'hui Cambridge doit sa réputation à ses réussites scolaires exceptionnelles reconnues dans le monde entier. L'Université comprend 31 Collèges regroupés par discipline et 15 bibliothèques. Quelques photos sont également présentées dans l'article consacré à Stephen Hawking.

A consulter : Cambridge University Map - Google Map

Ci-dessus, entourant le patio et la fontaine, le King's College avec les Fellow's Buildings de Gibbs (à gauche), l'Ante-Chapelle et la Chapelle (en face) et le Porter's Lodge (Loge du concierge, à droite). Derrière le photographe se trouve le Hall et les Buildings de Wilkins. Document Yugo Ito.

Ci-dessus à gauche, le Trinity College de Cambridge avec la Main Gate (ou Great Gate) et son Great Court. A droite, le King's College côté patio. Documents Dhoxax/Shutterstock et Guias Viajar.

Ci-dessus à gauche, le Corpus Christy College et le New Court. A droite, le St John's College et le New Court. Documents Wikipedia/David Iliff et J.C. Benoist.

L'Université de Cambridge a été classée en 2001 par le "Financial Times" comme étant la meilleure université anglaise, devant l'Université d'Oxford et l'Université de Londres. Dans le monde, elle se situe à la 6e place (2019) et en recul de deux places par rapport à 2016, derrière le MIT, l'Université de Stanford, l'Université d'Harvard, le Caltech et l'Université d'Oxford. Ces universités d'élite sont classées selon leur mérite en fonction de leurs résultats dans six secteurs distincts comprenant la qualité de l'enseignement, la qualité des recherches et l'emploi. Concernant l'astronomie et la physique, les mêmes universités sont classées dans le même ordre comme prodiguant le meilleur enseignement. Notons que la première université française est 50e (PSL) et la première université belge est 81e (KUL).

Ceci dit, les frais de scolarité et le logement à Trinity sont très élevés. Le loyer, les charges, la nourriture et les frais personnels (parking, transport, etc.) représentent entre 8350-9850£/an soit environ 11000 €/an, auxquels il faut ajouter le minerval (fees) qui varie du simple au double selon les spécialisations. Ainsi dans le premier cycle, le minerval varie entre 16000-40000£/an selon les collèges (le plus cher étant celui des vétérinaires). Au total, étudier à Cambridge revient entre 28000-49850£/an soit entre 31200-57300 €/an (2019). Les bourses d'étude sont donc les bienvenues.

Maintenant comme le dirait Newton, back in time. En 1669, au terme de 5 années d'études, soutenu par son professeur Isaac Barrow, Newton fut nommé Professeur Lucasien de mathématiques et obtient la direction de la chaire de mathématiques laissée vacante par Barrow. Newton dirigea cette Faculté jusqu'en 1702, avant d'être nommé directeur de la Royal Society.

A gauche, carte de Cambridge réalisée en 1611 par John Speed. Document Horowitz. A droite, la tenue du Master es Art de Cambridge vers 1800.

Rappelons que "Lucasien" fait référence à son donateur, le Professeur Révérend Henri Lucas. Cette chaire avait été fondée en 1663 et était dirigée par le Professeur Isaac Barrow. Aujourd'hui cette chaire est occupée par Stephen Hawking depuis 1979, ce qui indique le niveau d'érudition de Newton. De nos jours cette Faculté, comme tout "degree" universitaire, est accessible aux élèves désirant produire une thèse de recherche (doctorat de troisième cycle, futur Ph.D).

Habillé de sa toge noire et portant le calot (le "mortarboard") ainsi que la cape d'apparat lors des cérémonies, sans doute assez proche du costume présenté à gauche, typique des Master es Arts de Cambridge, Newton devait être impressionnant, non seulement du fait de sa tenue prestigieuse mais également en raison de sa réputation. Il enseigna aux étudiants mais beaucoup manquèrent ses cours magistraux (ses "lectures"), les trouvant ennuyeux et loin de leurs préoccupations. Newton ne s'en formalisa point et dans ces conditions il retournait travailler dans son laboratoire avec ses prismes et ses lentilles et poursuivit ses études mathématiques.

C'est à cette époque, entre 1666 et 1670 qu'il fonda l'analyse moderne après avoir étudié les tangentes, les fonctions dérivables et leurs dérivées, classé les cubiques et donné leurs tracés exacts. Toutefois ses travaux sur le calcul infinitésimal ne seront publiés qu'en 1711.

Le télescope

C'est durant cette période et donc grâce à l'absence de ses élèves, que Newton trouva le temps de chercher une méthode pour supprimer l'aberration chromatique des lunettes astronomiques dont on peut voit les effets sur l'image stellaire ci-dessous.

N'y parvenant pas réellement en jouant avec un ou deux éléments de lentille, il abandonna totalement ce projet à d'autres et s'orienta vers une solution totalement différente et novatrice utilisant un objectif constitué d'un miroir concave.

A gauche et à droite, l'aberration chromatique d'une lunette astronomique non corrigée vers les courtes et grandes longueurs d'ondes (lunette achromatique). Au centre, une image corrigée (apochromatique). Un télescope (à miroir) permet d'obtenir le même résultat qu'au centre mais apporte également d'autres aberrations (par ex. la coma). Du fait de l'obturation centrale liée à la présence du miroir secondaire et/ou de la lame de fermeture, à diamètre et rapport d'ouverture égaux, l'image manque également de finesse et est moins contrastée que celle produite par une lunette apochromatique. Document Tom Davis/Aries Instruments. Toutefois, même avec un diamètre 6 ou 7 fois supérieur, le télescope de Newton est encore moins cher à fabriquer qu'une lunette apochromatique. Le choix dépend des exigences de l'observateur.

Cette solution avait déjà été envisagée en 1663 par l'Anglais James Gregory dans son "Optica Promota". Gregory eut l'idée d'utiliser deux miroirs concaves paraboliques, mais il ne parvient pas à fabriquer l'instrument (le miroir secondaire concave ne converge pas correctement les rayons).

C'est le Français Laurent Cassegrain qui finalement trouva la solution en 1672 : il plaça un miroir secondaire convexe hyperbolique dans l'axe optique, perça le miroir concave parabolique afin que l'observateur puisse observer l'image dans le prolongement de l'axe optique. On retrouvera le télescope de Gregory présenté ci-dessous dans les salons bourgeois au XVIIIe siècle. Il inspira certainement Newton.

Après pratiquement une année de réflexions et d'efforts, en 1668 Newton inventa le célèbre télescope qui portera désormais son nom et présenté ci-dessous dont une réplique (au centre) est conservée au Whipple Museum de Cambridge.

Ce tout premier télescope de l'histoire disposait d'un miroir concave de 50 mm d'ouverture et de 158 mm de focale mais n'avait que 37 mm de diamètre utile en raison des aberrations en périphérie du champ (voir plus bas). Newton fabriqua trois modèles qu'il utilisa à Cambridge.

Newton fabriqua son miroir à partir de six fines pièces de cuivre et deux d'étain, du bronze, ce que les Anglo-saxons appellent encore le "speculum metal", un alliage permettant de facilement travailler et notamment polir le métal tout en évitant sa corrosion.

Newton polit également la surface optique avec l'une des premières versions de l'outil de polissage. Pour simplifier la construction, il choisit une forme sphérique plutôt que parabolique.

A lire : Répliques du télescope de Newton : le miroir aux alouettes (sur le blog)

Ci-dessus à gauche, le dessin original du télescope de Newton. Au centre, la réplique conservée au musée Whipple de Cambridge. Le modèle original fut construit en 1671 mais le premier modèle date de 1668. Le télescope mesure 50 mm de diamètre mais le miroir ne mesurait que 37 mm de diamètre pour une focale de 137 mm. A droite, une autre réplique. Ci-dessous à gauche, l'intérieur du tube optique d'un télescope de Newton moderne. On voit à l'avant-plan le support du miroir secondaire incliné à 45° qui dirige le faisceau lumineux vers l'oculaire. Au centre, le premier dessin du télescope de Laurent Casserain (dont le miroir principal est percé en son centre) publié dans le "Journal des sçavans" le 25 avril 1672 (l'édition du 15 avril 1672 l'avait déjà décrit, cf. Scientus). A droite, le télescope de James Gregory version XVIIIe siècle. Le concept fut inventé en 1673 par Robert Hooke.

La conception optique de Newton et ce mode de fabrication seront repris cent ans plus tard par William Herschel pour fabriquer son télescope de 1.20 m de diamètre puis par Lord Rosse pour fabriquer son "Leviathan" de 1.83 m de diamètre. Entre-temps, en 1672 le français Laurent Cassegrain proposa une autre conception dans laquelle le miroir principal est percé en son centre afin qu'on puisse observer les astres dans le prolongement de l'axe optique. Robert Hooke s'en inspira en 1673 et devint le télescope grégorien (de James Grégory).

Depuis, nous avons inventé des miroirs en verre spéciaux beaucoup plus stables et faciles à entretenir. Ils sont enduits d'un revêtement réfléchissant, antioxydant et antireflet pour améliorer leurs performances.

Sur le plan technique, le télescope de Newton est muni de deux miroirs dont un petit miroir plan incliné à 45° placé dans le trajet des rayons lumineux. Ce second miroir réfléchit la lumière sur le côté du télescope où Newton avait pratiqué une ouverture dans le carton fort et fixé un oculaire, probablement plan-convexe de 4.5 mm de focale procurant un grossissement de 35x.

Ce dispositif nous rappelle cette réflexion de Cocteau qui disait : "le miroir devrait toujours réfléchir deux fois avant de retourner une image"...

La mise au point s'effectuait en déplaçant le miroir primaire à l'aide d'une visse papillon placée derrière le barillet. De nos jours, certains constucteurs ont conservé ce mode de mise au point, notamment sur les télescopes catadioptriques.

Bluffé par l'invention et reconnaissant les capacités extraordinaires de son collègue, en 1671 son ami Isaac Barrow présenta le télescope aux membres du département pour l'Amélioration des Sciences Naturelles de la Royal Society de Londres. Tellement novateur, le télescope de Newton fut présenté au roi Charles II en 1672. Un peu plus tard les membres de la Royal Society invitèrent Newton à se joindre à eux. On lui demanda de rédiger une thèse et il soumit son fameux rapport sur la composition de la lumière blanche et la fabrication de son télescope.

Dans ce rapport Newton expliqua que son télescope lui permit d'observer les 4 satellites de Jupiter, la Lune et les phases de Vénus, bien que plus difficilement.

Toutefois, le miroir du télescope de Newton donnait des images légèrement floues et plus sombres en dehors de l'axe optique, en périphérie du champ de l'oculaire, en raison de l'aberration de sphéricité. Aussi en 1721, le mathématicien et inventeur John Hadley corrigea ce problème en utilisant un miroir parabolique, une solution qu'avait déjà imaginée James Gregory.

Le bronze n'était pas non plus la matière idéale pour réfléchir la lumière mais Newton ne semble pas avoir eu connaissance des techniques des miroitiers véniciens et français ou en tout cas n'a pas pu les exploiter pour fabriquer son miroir concave.

Ainsi comme tous les miroirs en bronze, cet alliage est lourd, il ne réfléchit que 62 % de la lumière, il s'oxyde rapidement et se ternit, imposant un nouveau polissage, l'alliage se dilate facilement et la résistance (dureté) de sa surface dépend du taux de cuivre et d'étain; s'il y a trop cuivre elle devient fragile et se plie sous l'action du polissage tandis que s'il y a trop d'étain, la surface durcit et risque de se casser.

Ceci étant, son invention allait révolutionner l'astronomie. Tellement génial et facile à construire, portable et léger, le télescope de Newton est toujours fabriqué de nos jours. On y reviendra dans l'article consacré au choix d'un télescope. Même quelques grands télescopes disposent encore d'un foyer de Newton en complément des foyers Cassegrain ou Coudé par exemple.

Le père de la méthode scientifique

Contrairement à la coutume, dans son rapport transmis à la Royal Society, Newton n'expliquait pas ce qu'était réellement la lumière. Il décrivit simplement quelques expériences en consignant sa méthode de travail et ses résultats. Déconcerté par ce style original et le contenu, les membres de la Royal Society furent déçus par son travail, mais ce répit fut de courte durée.

Peinture de Newton réalisée avant 1700 (~55 ans).

Lisible, divisé en paragraphes et clairement exprimé, le rapport de Newton bouscula les conventions. Pour la première fois, un savant osa modifier la méthode de travail des philosophes (les futurs physiciens, chimistes et mathématiciens).

Newton ne cherchait pas à "sauver les phénomènes", à expliquer comment devraient être les choses, que du contraire. Son objectif était de répondre au comment des choses, cherchant dans le cadre formel des équations, les lois qui gouvernent la Nature. Après seulement, il pourrait rechercher le sens de ses Lois, qu’elles appartiennent ou non au monde de la physique, en essayant de répondre au pourquoi des choses.

Ce jeune savant tout juste âgé de 30 ans, prétendait utiliser une "méthode scientifique" : "la meilleure et la plus sûre méthode de philosopher dit-il, semble être, d'abord de s'enquérir avec diligence des propriétés des choses au moyen d'expériences, puis de passer avec beaucoup plus de lenteur aux hypothèses servant à les expliquer."

Ainsi paradoxalement, celui qui contribua à établir le mythe du savant qui ne faisait jamais d'hypothèses (hypotheses non fingo) commença exactement de cette manière son explication du "Système de monde" décrite dans ses Principia et les questions développées dans son Optique.

Mais au XVIIe siècle, les savants, tant laïques que religieux, s'insurgèrent contre les propos irrévérentieux de ce jeune professeur. Heureusement pour Newton, à l'époque encore timide et peu habitué à ces critiques acerbes à son encontre, la Royal Society se sentit en devoir de défendre leur nouveau membre et tenta d'expliquer à ses opposants que Newton ne cherchait à convaincre personne. Pour toute réponse, Newton ne fit que répéter ses expériences et ce qu'il avait observé, prouvant au besoin à ses détracteurs qu'ils se trompaient.

 De mémoire de sociétaire, Newton ne recula jamais et ne changea jamais d'opinion au cours de sa vie. En réalité, s'il était obstiné et restait toujours sur ses positions, on découvrit plus tard qu'il omit parfois sciemment quelques détails, des étapes intermédiaires de ses expériences pouvant expliquer les résultats négatifs de ceux ayant essayé de les reproduire; il préférait en fait taire "certains détails" et proposer une théorie simple en laissant parfois de côté des effets secondaires ou des erreurs instrumentales qu'il jugeait sans importance...

Suite à ces controverses, visiblement dépassé et agacé par l'ampleur de ces querelles, Newton écrivit un peu plus tard à Henry Oldenburg de la Royal Society, qu'en espérant qu'il ne le prendrait pas mal, plus jamais il n'aurait l'intention de soumettre de nouveaux rapports à la Société. Mais heureusement pour nous, Newton était plus préoccupé par ses travaux que par ses menaces écrites sous l'émotion et oublia sa promesse envers la Royal Society, et continua à lui communiquer les résultats de ses travaux. En 1703, à l'âge de 61 ans, Newton sera même élu président de la Royal Society.

Tellement logique et pertinente, cette méthode rationnelle est toujours enseignée plus de 300 ans plus tard. Nos agrégés de sciences apprennent à nos jeunes têtes blondes à rédiger des rapports comme le fit Newton : introduire le sujet, poser l'hypothèse, la thèse, puis développer la démonstration, quod erat demonstrandum (CQFD).

Cette philosophie dirigea toute la vie de Newton, passant la plupart de son temps seul à expérimenter quantité de choses et à remplir des pages de commentaires, de formules, de graphiques et de démonstrations.

Le jeune savant, aidé d'une connaissance des mathématiques et plus généralement de la philosophie beaucoup plus approfondie que ses collègues, voulait non seulement trouver une explication simple et complète des phénomènes naturels, mais il était persuadé que la présence divine se manifestait partout et toujours.

S'il y avait beaucoup d'expériences que Newton pouvait facilement expliquer grâce aux mathématiques, il sera bientôt confronté à un problème bien plus complexe qui le retiendra durant près de 20 ans : l'attraction des corps.

Prochain chapitre

La loi de l'attraction universelle

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[1] Le grand incendie de Londres débuta le 2 septembre 1666 à 1 heure du matin dans une boulangerie de Pudding Lane (l'actuelle Monument Street), un quartier surpeuplé où les maisons étaient en très mauvais état, faites de bois et de torchis qui n'était pas entretenu (le torchis bien entretenu est très résistant au feu mais mal entretenu, le bois devient apparent et la charpente s'enflamme rapidement). L'incendie se propagea rapidement aux autres quartiers jusqu'au entrepôts situés le long de la Tamise qui explosèrent sous l'effet du rayonnement thermique (lorsqu'il y a peu d'oxygène, une flamme ne dépasse pas 430°C mais s'il y a un courant d'air et donc un apport d'oxygène, la température des flammes peut atteindre 1000°C, ce qui s'est produit à Londres). L'incendie dura 4 jours, brûlant 13200 habitations et laissant environ 80000 sans-abris soit 16% de la population. 85% de la City fut détruite. Officiellement, il y eut 8 morts mais en réalité des milliers de Londoniens ont péri faute d'avoir les moyens d'évacuer la ville (on raconte que pendant l'incdendie on loua des charrettes 30000£). On estime que les dégâts se sont élevés à plusieurs milliards de livres. C'est le plus grand incendie que connut l'Europe. Cf. "The Diary of Samuel Pepys", un haut fonctionnaire qui fut témoin de l'indendie qu'il surnomma le "grand feu infini" et de l'épidémie de peste.


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