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Origines des lueurs nocturnes

Lueurs nocturnes rouges et vertes qui sont en fait des ondes de gravité luminescentes photographiées au Tibet le 27 avril 2014 par Jeff Dai avec un APN Canon EOS 6D. Pose de 47 s à 3200 ISO.

Introduction

Les astronomes amateurs observant le ciel depuis des sites plongés dans l'obscurité ainsi que les astronomes travaillant dans les hauts-lieux de l'astronomie comme au Pic-du-Midi ou à l'observatoire de l'ESO au Chili constatent que même par ciel clair et limpide (avec très peu d'humidité dans l'air), en l'absence de toute lumière artificielle, de la Lune et de la Voie Lactée, le ciel est parfois envahi d'une faible lueur ressemblant à une brume qui en de rares occasions apparaît faiblement colorée (rouge, orange, verte) comme on le voit à droite. Ce phénomène est appelé la "lumière du ciel nocturne" que les Anglo-saxons appellent "airglow". D'où proviennent ces mystérieuses lueurs colorées et que sont-elles ?

Si on exclut la lumière générée par la présence de la Lune, de la Voie Lactée et des aurores, la brillance naturelle du ciel est constituée de 3 composantes :

- La lumière du ciel nocturne également appelée lueur nocturne pour 65% qui fait l'objet de cet article

- La lumière zodiacale pour 27%

- La lumière diffusée par les étoiles pour 7%.

Notons que la lumière générée par les météores, les bolides, le gegenschein, les satellites artificiels et les avions n'est pas reprise dans ce bilan.

Autrement dit, le fond du ciel nocturne n'est jamais noir et près des deux-tiers de sa brillance ou luminance proviennent de sources qui ne sont ni des étoiles ni des poussières. Pourtant, les analyses en infrarouge ont démontré qu'il n'existe pas d'autres composantes dans le système solaire capable de générer une quelconque brillance du fond du ciel. A fortiori, les astres plus lointains ne génèrent aucun effet sensible. Or parfois, le ciel nocturne est envahi de lueurs colorées franchement brillantes sur les photos qui empêchent de photographier certains secteurs du ciel dans de bonnes conditions.

Observations historiques

L'historien romain Pline l'Ancien (23-79 de notre ère) mentionnait déjà les lueurs nocturnes qui n'ont rien à voir avec la pollution lumineuse ou la lumière zodiacale. Selon Pline : "le phénomène communément appelé le "soleil nocturne", c'est-à-dire une lumière émanant du ciel durant la nuit, fut observé durant le consulat de C. Caecilius et Cn. Papirius (~113 avant notre ère), et à de nombreuses autres occasions sous l'aspect de jour pendant la nuit."

Les journaux européens et la littérature scientifique rapportèrent également l'observation de ces lueurs en 1783, 1908 et 1916. Ces comptes-rendus décrivent les mêmes phénomènes à travers les siècles de manière cohérente. Toutefois, depuis ces observations, ces lueurs semblaient avoir disparu car personne n'en observa ou ne rédigea d'article à leur sujet; ces phénomènes étaient soit rares soit très localisés.

Ensuite, entre 1933 et 1938, l'astronome américain Vesto Slipher (re)découvrit les lueurs nocturnes, ce qu'il appela un éclair ou "flash auroral", c'est-à-dire une brève émission bleue-verte induite par l'azote N2+ à 391.4, 427.8 nm et quelques autres raies au moment où le Soleil éclaire les couches situées au-dessus de 90 km d'altitude. En 1936, H.Garrigue au Pic-du-Midi observa à son tour pendant le crépuscule une variation rapide de la raie rouge à 630 nm de l'oxygène [OI] et en 1937, R.Bernard observa un phénomène similaire sur le doublet D jaune du sodium [Na I] à 589.0/589.6 nm, deux raies qui apparaissent effectivement souvent dans les lueurs crépusculaires et signalées pour la première fois en 1929. On y reviendra.

Expériences

A défaut d'observer régulièrement les lueurs nocturnes (ou diurnes), l'armée américaine réalisa quelques expériences en faisant exploser divers gaz dans l'atmosphère. Dans leur livre collectif "Geophysics III" (1976, pp.101-102), J.L. Al'Pert et ses collègues évoquent l'étude des lueurs nocturnes en 1946, 1960 et 1970, en particulier celles de Daniel Barbier (1907-1975) qui consacra sa vie à l'étude de ce phénomène.

L'un des projets les plus connus est "Firefly" réalisé à la base d'Eglin en Floride en 1960. Les expériences consistaient à lancer dans la haute atmosphère (123-500 km d'altitude) des mélanges contenant 10 kg d'oxyde d'aluminium finement divisé, du nitrate de césium (30 moles), des gaz inertes (par ex. 300 moles de CO) et des explosifs afin de créer un plasma à 3500 K et observer l'évolution du nuage (les fameux "nuages de sodium" ou de césium) et sa couleur en fonction de sa composition et de la densité de l'atmosphère.

Lors de ces expériences, en 2 secondes le nuage formait un cercle de 2 km de diamètre et sa coloration disparaissait après 10 secondes, laissant un cercle blanc dans lequel un trou central atteignant 6 km de diamètre se formait entre 30 et 300 secondes. Si le nuage se formait à haute altitude (au moins 140 km), suite à la diffusion plus rapide, aucun trou ne se formait. La lueur restait visible pendant quelques minutes, ce type de nuage présentant une vitesse de diffusion de 4 km/s.

Ces expériences ont montré que ces nuages étaient perturbés par les atomes neutres d'oxygène [OI] présents dans l'atmosphère, surtout lorsqu'on éjectait un gaz alcalin (Na+K) au crépuscule dans la partie encore éclairée par le Soleil. Il fallait attendre 3 heures après l'éjection du gaz pour que les spectres du fond du ciel reprennent un profil normal.

En 1970, H.M. Sullivan étudia les lueurs rouges produites par la raie du lithium à 670.8 nm et mis en évidence une variation saisonnière très voisine de celle du doublet D du sodium ainsi qu'une corrélation avec l'activité des météores. On y reviendra.

Enfin, l'équipe de H.A. Wilson (1938) et de V.A. Bailey (1946) ont conduit des tests pour mesurer l'effet des ondes radioélectriques sur les lueurs nocturnes au moyen d'antennes rayonnant une puissance de 500 kW. Wilson pensa même porter la puissance d'émission à 2 MW, espérant que cette résonance aurait été en mesure... d'éclairer les routes sur une surface de 10000 km2 ! En effet, son équipe estima que l'éclairement atteindrait 0.22 lux soit l'équivalent de la Pleine Lune au zénith, la luminance du ciel étant alors de 50 cd/m2. Mais cette expérience un peu folle n'a jamais été réalisée.

En revanche, en mai 1970 les expérience de W.F. Utlaut réalisées à Boulder ont montré que si la température électronique augmente de 30%, l'intensité des lueurs augmente également entre 40 et 110% en infrarouge à 1270 nm pendant la période de fonctionnement de l'émetteur. En revanche, la lueur à 630 nm décroît pendant la même période.

Panorama du ciel du mont Paranal au Chili et des VLT et AT photographiés en 2014 par Babak Tafreshi/ESO.

Certaines nuits, le ciel est envahi de lueurs rouges et vertes mais seules les plus brillantes sont visibles à l'oeil nu.

Nouvelles observations

Entre 1991 et 2005, dans le cadre des missions d'études de la haute atmosphère depuis l'espace, l'instrument WINDII (Wind Imaging Interferometer) du satellite UARS de la NASA enregistra des lueurs nocturnes mais les chercheurs ignoraient leur origine.

Ensuite, il y eut l'avènement des APN dont le capteur photosensible très performant permet d'enregistrer en une seconde des phénomènes évanescents invisibles à l'oeil nu et même d'enregistrer leur couleur. C'était exactement le genre d'appareil qu'il fallait pour photographier ou filmer les lueurs nocturnes. Ainsi, à partir des années ~2010, de plus en plus de photos panoramiques du ciel prises par des amateurs présentaient des lueurs ou des bandes rougeâtres, généralement en dessous de 45° d'élévation mais certaines envahissaient le ciel. Le phénomène suscita alors l'intérêt des scientifiques car ces lueurs pouvaient potentiellement géner le travail des astronomes.

Aspect des lueurs nocturnes

Les lueurs nocturnes sont évidemment plus visibles que les lueurs diurnes car elles ressortent plus, elles sont plus contrastées par rapport au fond du ciel mais dans l'absolu les lueurs diurnes sont plus lumineuses en raison de l'effet plus intense du rayonnement solaire. Ces lueurs peuvent être aussi denses que de la brume ou des bandes nuageuses éparses à la différence qu'elles ne sont pas de même nature et sont situées dans la haute atmosphère, au-dessus de 80 km d'altitude. On peut les comparer au voile lumineux que produit la pleine Lune sur l'aspect général du ciel, quoique les lueurs sont plus pâles.

Comme les aurores, mais d'une luminance beaucoup plus faible, elles sont relativement transparentes car on peut observer les étoiles et les zones brillantes de la Voie Lactée à travers mais les plus brillantes voilent tout de même les étoiles les plus faibles et les régions pâles de la Voie Lactée. Sur les photographies elles sont toujours colorées (bleues, jaunes, vertes, oranges ou rouges) et plus ou moins lumineuses. La plupart forment des bandes soit de couleur uniforme soit multicolores. Mais à la différence des aurores qui évoluent en l'espace de quelques secondes et ondulent, les lueurs nocturnes semblent statiques pendant quelques minutes, comme suspendues dans l'air, bien qu'elles se déplacent et se transforment lentement en cours de la nuit. De quoi s'agit-il ?

Document NASA/GSFC adapté par l'auteur.

Deux explications

1. La chimiluminescence de l'atmosphère

Ce qu'on appelle la "lumière du ciel" a plusieurs origines. Selon une première théorie, ces lueurs seraient d'origine solaire et vues du sol elles proviennent donc indirectement de l'atmosphère terrestre. Nous savons que le Soleil bombarde constamment l'atmosphère terrestre de rayonnements et de particules par le biais du vent solaire. La lumière ultraviolette solaire détruit les molécules d'oxygène et d'azote durant la journée, ce qui déclenche une chaîne complexe de réactions chimiques qui créent notamment de nouvelles molécules, comme l'ozone.

Quand la nuit tombe, certaines de ces molécules contribuent à d'autres réactions et collisions, faisant passer les atomes ou les molécules dans un état excité où ils émettent de la lumière. Ce phénomène est connu sous le nom de chimiluminescence et nous le connaissons surtout à travers la flamme du gaz butane par exemple et des gadgets comme les bâtons lumineux et autre Luminol. En astronomie, le résultat est visible dans le ciel nocture sous la forme d'une faible lueur sans teinte qu'on appelle la lumière du ciel nocturne.

Concernant les réactions photochimiques, au-dessus de 100 km d'altitude, dans la thermosphère, les molécules sont dissociées en atomes par le rayonnement solaire UV extrême (UVE). Cette réaction chimique produit une émission lumineuse à certaines longueurs d'ondes comme on le voit ci-dessus. Ces états excités sont transitoires et selon les éléments, ne durent qu'entre une seconde et environ deux minutes. Les émissions lumineuses individuelles sont très faibles mais elles sont compensées par une abondance d'atomes en haute altitude percutés par les photons UVE. Après cette réaction l'atome ou la molécule revient dans un état électronique plus stable, de plus faible énergie et n'émet plus aucune lumière. Ce phénomène peut se répéter à chaque collision et durer des heures.

Spectre du Soleil comparé à une simulation du spectre d'émission des lueurs nocturnes.

Notons que le Cerro Paranal où sont installés les télescopes VLT, VST et VISTA est situé sous l'Anomalie de l'Atlantique Sud (SAA). Ici, le champ magnétique qui protège la Terre et empêche les particules énergétiques d'atteindre sa surface est plus proche du sol et plus faible, ce qui permet à davantage de particules solaires de frapper l'atmosphère. Cette anomalie pourrait expliquer pourquoi les lueurs nocturnes sont plus brillantes et apparaissent plus souvent dans le désert d'Atacama (à Cerro Paranal ou à Las Campanas) qu'en d'autres lieux.

Les expériences scientifiques conduites dans les années 1960-1970 ont démontré l'existence à 106 km d'altitude d'oxygène atomique et d'azote atomique sources de lueurs rouges, jaunes et vertes qui ont notamment permis de calculer la vitesse et la direction du vent ainsi que la densité de l'air à cette altitude, affinant les modèles météorologiques.

La lueur nocturne rouge a longtemps posé problème aux chercheurs car elle résulte de plusieurs réactions. Elle est principalement produite par l'excitation de l'oxygène moléculaire (O2) présent vers 95-100 km d'altitude, par l'oxygène atomique présent jusqu'à environ 300 km d'altitude c'est-à-dire à l'altitude de l'ionosphère ainsi que par les radicaux de l'hydroxyle (OH). La demi-vie de la lumière rouge émise par l'oxygène est très longue, de l'ordre de 110 secondes. Au-dessus de 150 km d'altitude, les collisions atomiques sont si rares que les atomes excités ont le temps de dissiper leur énergie.

Il existe également des lueurs brillant principalement dans le proche infrarouge induites par l'interaction de la molécule d'hydroxyle (OH) avec l'ozone et par l'état d'excitation 1Δg de la molécule d'oxygène (O2). Ces lueurs émettent à 1270 et 1580 nm.

Notons que la bande à 1270 nm est fortement réabsorbée par l'oxygène de l'atmosphère et donc principalement visible en haute altitude (depuis des ballons) et l'émission est plus intense au crépuscule qu'à l'aube.

Lueurs nocturnes photographiées en 2014 depuis l'observatoire radioastronomique Karl Jansky (ex VLA) au Nouveau Mexique par Knate Myers au moyen d'un Nikon D610. Pose de 25 s à 4000 ISO.

Sur le plan chimique, les états vibratoires et rotationnels des radicaux OH excités émettent une lumière dans une fine couche atmosphérique de 6 à 10 km d'épaisseur située vers 86-87 km d'altitude. Les émissions de l'oxygène moléculaire et de l'hydroxyle forment des bandes de vibration-rotation dites de Meinel (1950) périodiques car les transitions impliquent des changements dans le niveau d'énergie de vibration combiné à de petits changements de l'énergie de rotation. L'excitation de la source OH obéit à la réaction de Bates-Nicolet entre les molécules d'ozone et les atomes d'hydrogène. La lueur émise par l'OH est limitée en haute altitude par la chute de la concentration d'ozone et des collisions moins fréquentes suite à la chute de la pression atmosphérique. Le bilan de ces deux processus crée une fine couche où apparaît la lueur émise par l'OH.

La lueur verte de l'oxygène [OI] à 557.7 nm est émise par l'oxygène moléculaire situé un peu plus bas, vers 80-100 km d'altitude mais elle peut apparaître jusqu'à 160 km d'altitude. Elle a fait l'objet d'une étude approfondie (32000 observations) par le satellite ISI-2. Cette émission résulte d'une réaction complexe.

Dès 1948, J. et M. Dufay ont suggéré que l'excitation de la raie verte était le résultat d'un effet de fluorescence sous l'influence d'un rayonnement solaire IR à 297.2 nm. Mais étant arrêté par l'atmosphère terrestre lorsque le Soleil est très bas en dessous de l'horizon, l'effet lumineux cesse avant la fin du crépuscule astronomique. D'autres observations ont noté que l'effet est saisonnier (plus intense en automne et en hiver mais également visible d'avril à octobre) et se combine avec un effet de latitude, les basses latitudes favorisant l'observation au crépuscule, principalement des lueurs vertes et rouges.

On sait aujourd'hui que sur la face éclairée de la Terre, sous l'effet du rayonnement UVE le dioxyde de carbone (CO2) présent en haute altitude libère ses atomes d'oxygène. Ces atomes sont ensuite transportés par la circulation atmosphérique sub-solaire et anti-solaire vers la face obscure de la Terre où ils migrent de la haute vers la basse atmosphère (la mésosphère) où ils se recombinent pour former de l'oxygène moléculaire en émettant une lumière verte.

Il existe également une raie verte à 519.9 nm produite par l'azote atomique. Découverte par G.Courtes en 1950, il s'agit d'une lueur diurne qu'on observe surtout lorsque le Soleil se situe à au moins 12° au-dessus de l'horizon ainsi qu'au crépuscule et disparaît la nuit. Elle est plus faible le matin et moins fréquente en hiver en raison de la faible élévation du Soleil au-dessus de l'horizon.

Notons qu'en 2007 la sonde spatiale Venus Express découvrit un processus identique dans l'atmosphère de Vénus. Il est plus intense car son atmosphère est plus dense et contient énormement de gaz carbonique se transformant en oxygène.

L'oxygène neutre [OI] émet également une raie orange à 630 nm qu'on peut confondre sur les photos (car visuellement on les discerne à peine) avec la lueur jaune émise par la double raie D du sodium atomique [Na I] à 589.0-589.6 nm présent dans la couche située vers 92 km d'altitude. Le sodium provient de la désintégration et de la vaporisation des météores qui généralement explosent et se volatilisent avant d'atteindre les basses couches de l'atmosphère. Elle apparaît donc principalement lorsqu'il y a des essaims de météores.

Une faible lueur bleue est émise entre 400-500 nm qui peut également être émise par les molécules d'oxygène. Etant faible, elle apparaît surtout sur les photographies à longues poses. Appelée "bandes de Slipher", cette lueur dure peu de temps (d'où le terme de "auroral flash" utilisé par Slipher) et est plus rare que les lueurs rouges et jaunes. Son intensité est liée à l'activité géomagnétique et dépend d'une résonance optique avec les molécules d'azote (N2+) créées par le rayonnement UVE solaire (sous 91 nm). La bande du N2+ qui produit des lueurs jaunes-vertes est émise principalement entre 90-125 km d'altitude mais s'étend entre 235 et 350 km d'altitude, avec une altitude minimale de 70 km.

Enfin, comme évoqué plus haut, il existe une lueur rouge produite par la raie du lithium à 670.8 nm qui à l'instar du doublet du sodium est également corrélée avec les essaims de météores. Selon Sullivan, elle se manifeste entre 95 km d'altitude au printemps et 90 km en automne.

Toutes ces lueurs nocturnes (et diurnes) peuvent apparaître en même temps et s'étendre horizontalement sur plus de 1000 km et donc être observées simultanément depuis plusieurs pays limitrophes.

A voir : Airglow, ESO, 2015

A lire : Airglow formation - Airglow observations (ARISE)

Les lueurs jaunes, vertes et rouges observées dans la haute atmosphère et l'ionosphère depuis la station ISS respectivement le 16 oct 2014 et le 18 mai 2015. La couche verte se situe à 95 km d'altitude. Leur couleur est  naturelle et n'est pas le résultat d'une correction arbitraire des couleurs. Documents NASA et NASA/Terry Virts.

Les vidéos en time-lapse montrent que ces lueurs forment des ondes stationnaires au-dessus des couches nuageuses troposphériques. Comme on le voit ci-dessus, ces couches lumineuses sont bien visibles depuis la station ISS et marquent très bien la mésopause ou limite inférieure de la thermosphère vers 90-100 km d'altitude.

Vues du sol, par un effet de perspective, ces lueurs forment des bandes parallèles plus ou moins incurvées ou des bandes radiales à travers le ciel mais en réalité ces ondes forment des fronts parallèles et parfois des cercles concentriques (cf. les images prises par le satellite CIMSS) comme les vagues dans l'eau.

2. La dynamique de l'atmosphère

Spectaculaires lueurs nocturnes oranges (raie [OI] à 630 nm ou [Na I] à 589.0-589.6 nm) photographiées à Las Campanas, dans le désert d'Atacama, au Chili, au-dessus des deux télescopes Magellan de 6.5 m le 10 mai 2018 par Yuri Beletsky.

Selon une autre théorie complémentaire de la première, ces lueurs seraient liées à la dynamique de l'atmosphère. Dans une étude publiée en 2017 dans la revue "Geophysical Research Letters" (vol. 44, 11) les géophysiciens Gordon G. Sheperd et Youg-Min Cho de l'Université de York à Toronto et leurs collègues ont analysé deux ans de données de WINDII à la recherche d'éventuelles corrélations entre ces lueurs nocturnes et d'autres phénomènes. Après avoir écarté les météores et les aurores qui ont leurs propres signatures, ils ont identifié 11 évènements où WINDII détecta simultanément un pic dans la brillance du ciel nocturne. Deux parmi ces phénomènes ont fait l'objet de leur publication et concernent des variations locales des ondes atmosphériques.

On sait depuis quelques années que les lueurs nocturnes ou la lumière du ciel nocturne peut prendre la forme d'ondes atmosphériques et en particulier d'ondes de gravité comme on le voit sur les photos ci-jointes qui sont les traces visibles des oscillations de l'air comme des ondes se forment quand on jette un caillou dans l'eau.

Les ondes atmosphériques sont des perturbations qui naissent près de la surface de la Terre et se propagent vers le haut jusqu'à la mésosphère, surtout lors de mauvaises conditions météos (forts courants ascendants, etc.). Ces perturbations peuvent se former dans de multiples circonstances : suite au déplacement des masses d'air qui génèrent des variations de la pression en surface, de la hauteur du géopotentiel (des variations locales de la gravité), de la température ou de la vitesse du vent qui à défaut de se propager engendrent des ondes stationnaires. On a même observé un cas d'ondes atmosphériques apparues suite à un tsunami. On ignore si les tremblements de terre ou les éruptions volcaniques peuvent avoir un impact sur les lueurs nocturnes mais cela semble possible. On y reviendra.

Les données satellitaires indiquent que ces ondes atmosphériques ont une dimension variant entre l'échelle planétaire comme les ondes de Rossby et les ondes sonores qui subsistent quelques minutes. Leur période sont des harmoniques du cycle solaire (24 heures, 12 heures, 8 heures, etc.,) ce qu'on appelle les marées atmosphériques. Les plus grandes ondes encerclent la Terre et sont influencées par la circulation atmosphérique générale.

Les lueurs nocturnes sont donc la manifestation visible des ondes générées par des couches alternées de pression atmosphérique notamment, celle-ci pouvant augmenter avec l'altitude alors que l'air se raréfie. Sheperd et Cho ont trouvé une corrélation entre les lueurs nocturnes et l'apparition d'ondes atmosphériques en altitude. Ces ondes sont de trois types : les ondes longitudinales qui s'étendent autour de la Terre à certaines latitudes, les ondes planétaires et les ondes de marées non migrantes. Si les chercheurs observent une onde autour de la Terre, elle est appelée "onde 1". S'il y a deux ondes, elle est appelée "onde 2", etc. Grâce à WINDII, Sheperd et Cho ont étudié ces phénomènes jusqu'à "onde 4". En se propageant, ces différentes ondes peuvent s'aligner et se superposer. Parfois les quatre ondes 1 à 4 forment des pics d'oscillations qui coïncident avec des lueurs nocturnes brillantes qui peuvent persister plusieurs nuits en certains endroits.

Lueurs nocturnes photographiées en 2014 depuis le Parc National de Grand Teton dans le Wyoming par Royce Bair. avec un Canon EOS 5D Mark III. Pose de 25 s à 6400 ISO.

Que représente la brillance de ces lueurs nocturnes ? L'intensité de ces lueurs est mesurée en candela/m2 dans le Système International mais les scientifiques utilisent généralement le rayleigh (R) du système CGS. Un rayleigh correspond à l'émission de 1 million de photons par seconde mesurée sur une colonne de 1 cm x 1 cm s'étendant verticalement sur toute la couche de la lueur. Les lueurs nocturnes faibles ont une intensité de 10 à 50 R et sont invisibles à l'oeil nu. On considère qu'à 400 R une lueur nocturne est brillante. Par comparaison, une aurore polaire très pâle de type ou de classe I représente 1000 R, la classe II de 10000 R, la classe III de 100000 R et la classe IV atteint 1 million de rayleigh. Une lueur nocturne brillante est donc généralement moins lumineuse qu'une aurore de classe I mais est déjà 10 fois plus brillante que le fond du ciel normal et c'est vraisemblablement ce phénomène de lueur nocturne qu'ont relaté les observateurs tout au long de l'Histoire.

Ce que l'on sait moins c'est que les volcans en éruption peuvent également produire des ondes de choc qui laissent des empreintes sous forme d'ondes concentriques dans les couches nuageuses comme on a pu l'observer par satellite durant l'éruption du Calbuco en 2015. Si a priori nous n'avons pas encore observé ce phénomène en corrélation avec des lueurs nocturnes (aucun observatoire n'est installé à côté d'un volcan actif sauf des installations amateurs!), des observations par satellite ont montré que des ondes atmosphériques se propageaient dans la mésosphère. Sachant que les éruptions explosives des volcans gris dont les stratovolcans peuvent projeter des cendres jusqu'à 50 km d'altitude, c'est-à-dire jusqu'à la stratopause, il est possible que leurs ondes de choc puissent affecter les lueurs jaunes ou vertes situées au-delà de cette limite. Bien que la littérature scientifique n'en parle pas, c'est un sujet méconnu qui est la portée des photographes amateurs. Autant savoir. Notons que la technique de photographie qui exige une calibration des photos peut tirer avantage du protocole utilisé pour mesurer la pollution lumineuse. On y reviendra.

Le prochain défi des chercheurs est de modéliser les convergences de ces ondes et de voir quels peuvent être les effets des autres types d'ondes atmosphériques, un sujet complexe qui peut les occuper toute leur vie.

Fréquence et observations

Selon les statistiques, les lueurs nocturnes apparaissent une fois par an dans un endroit précis et en moyenne 7% des nuits soit environ 2 fois par mois quelque part sur Terre. Pendant ces périodes, les lueurs nocturnes sont visibles à l'oeil nu mais leur couleur n'est pas toujours perceptible. On en déduit que la plupart du temps (plus de 300 nuits par an), le ciel est exempt de lueurs (cf. cette photo prise au Pic-du-Midi par Nicolas Bourgeois) mais parfois le ciel est envahi de bandes rougeâtres ou verdâtres voire combinant plusieurs couleurs.

Ces lueurs suivent le cycle solaire et naissent sur la face éclairée de la Terre où elles sont très brillantes et peuvent en théorie porter des ombres mais que la luminosité du Soleil nous empêche de voir. La nuit, ces lueurs faiblissent et n'atteignent heureusement plus qu'un millième de leur brillance diurne, sauf en de rares occasions où elles brillent comme des aurores de classe II et attirent l'attention des photographes.

Lueurs nocturnes photographiées en 2016 depuis le mont Pico aux Açores en direction du nord-ouest et de l'île de Faial par Michel Claro.

Les lueurs ne sont pas toujours uniformes et peuvent former des bandes ou se morceller en quelques minutes. Ces ondes se propagent de la basse atmosphère vers les altitudes supérieures en fonction des paramètres météos (densité, température et composition) et vont donc affecter la densité comme l'aspect des lueurs nocturnes.

L'étendue, la couleur et l'éclat de ces lueurs nocturnes varient dans le temps et dans l'espace. Ainsi, la lueur rouge est souvent la plus lumineuse en début de nuit et devient très faible vers ou après minuit. Comme nous l'avons évoqué, si vous observez ces lueurs, sachez qu'elles peuvent persister quelques jours puis disparaîtront mais elles réapparaîtront probablement dans une quinzaine de jours. Selon Sheperd, si vous les surveillez régulièrement, il serait possible de prévoir leur pic de brillance et donc d'anticiper leur apparition.

Si on comprend aujourd'hui l'origine de ces lueurs nocturnes, pourquoi en voit-on a priori de plus de plus sur les photos panoramiques du ciel et notamment celles prises depuis les sites de l'ESO au Chili depuis 2010 ? Ces lueurs sont-elles devenues plus fréquentes ? Seraient-elles liées à des changements climatiques à l'échelle planétaire ?

Si ces questions restent ouvertes, deux facteurs contribuent à rendre ces lueurs plus nombreuses : la qualité des APN et l'activité du Soleil.

Comme nous l'avons expliqué, le rapide développement des APN au tournant du millénaire a permis à tout un chacun de prendre des photos de scènes très pâles, y compris de nuit, d'une qualité inimaginable à la fin du XXe siècle. Les lueurs nocturnes en particulier sont souvent photographiées à haute sensibilité (entre 3200 et 6400 ISO) durant quelques dizaines de secondes avec des APN réflex ou hybrides de dernière génération et souvent de milieu ou haut de gamme, ce qui facilite leur enregistrement dans de bonnes conditions, des paramètres difficiles à réunir avant l'ère de l'imagerie numérique.

Le deuxième facteur est lié à l'activité solaire. Puisque les lueurs nocturnes sont générées par des rayonnements ultraviolets émis par le Soleil et sachant que certaines sont corrélées avec les ondes atmosphériques, des changements dans l'activité solaire peuvent avoir un fort impact sur l'atmosphère terrestre et indirectement sur l'éclat de ces lueurs. Le Soleil alterne entre des périodes calmes et actives tous les 11 ans et connut un pic d'activité en 2012 et 2014 (cf. le cycle solaire). Il semblerait que ce soit la principale raison de l'augmentation de la fréquence des lueurs nocturnes à cette époque. Le cycle récent d'activité solaire intense et l'évolution de la photographie numérique dont les capteurs sont très sensibles aux faibles lumières expliquent qu'on ait enregistré plus souvent ce phénomène. On peut donc s'attendre à observer moins de lueurs nocturnes vers le minimum du cycle solaire comme ce fut le cas en 2019-2020.

Ces lueurs nocturnes ont beau être magnifiques et très photogéniques, elles peuvent déplaire aux photographes amateurs de beaux paysages non pollués d'aucune manière, aux astrophotographes passant leurs nuits à essayer de photographier le ciel nocturne et peuvent surtout nuire aux observations scientifiques. Certaines lueurs peuvent par exemple créer un bruit de fond sur les images proches infrarouges ou en spectroscopie[1] dont il faut tenir compte et d'autant plus lorsque ces lueurs évoluent entre les prises de vues, modifiant les bases de référence.

Bref, même dans les coins les plus sombres de la planète, y compris en Australie ou dans les réserves de ciel obscur de l'IDA le ciel n'est jamais totalement noir ! Heureusement, la faible sensibilité de nos yeux s'accomode très bien de ces lueurs qui passent souvent inaperçues.

Missions spatiales

Les scientifiques ont lancé plusieurs satellites en orbite autour de la Terre dont l'une des missions consistait ou consiste à analyser la haute atmosphère pour mieux comprendre la formation des lueurs nocturnes. Parmi ces satellites citons UARS précité (opérationnel entre 1991-2005 à 600 km d'altitude), TIMED (opérationnel depuis 2002 entre 60-180 km d'altitude) et ICON (Ionospheric Connection Explorer) de la NASA lancé en 2018 et placé à 560 km d'altitude. Sa mission consiste à étudier la haute atmosphère de la Terre dont la ceinture de plasma équatoriale, les lueurs nocturnes et l'environnement spatial afin de caractériser les forces qui agissent sur la géomagnétosphère et mieux comprendre les perturbations à l'origine des interférences et des pannes dans les systèmes de communications spatiales et le réseau GPS. On y reviendra dans l'article consacré aux défaillances des satellites.

Pour plus d'informations

La pollution lumineuse (sur ce site)

Choisir un site d'observation astronomique (sur ce site)

Les défaillances des satellites (sur ce site)

UARS (satellite), NASA

ICON (satellite), U.Berkeley

TIMED (satellite), EO Portal

Mesospheric airglow waves, CIMSS blog, 2013

How to Use Airglow Measurements in Atmospheric Wave Activity Studies (PDF), Mike J.Taylor et al., 2011

Retour aux Sciences du ciel


[1] Cf. les images en proche infrarouge prises par le télescope VISTA. Pour la spectroscopie, lire D.Barber, "Origin of Upper-Atmosphere Lithium Atoms responsible for the New Twilight Airglow at 6708 A", Nature, 183, p384, 1959 (en PDF).


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