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La philosophie des sciences

La boule de plasma est une application aussi inoffensive que spectaculaire des lois de l'électromagnétisme.

Les dérives (I)

Si la recherche est le seul but de la vie de quelques scientifiques, ils doivent également se méfier du conformisme, du poids de la tradition et de toute forme de ségrégation. L'intolérance, l'abus de pouvoir, le clivage entre science expérimentale et théorique, la logique des pseudosciences, la méthodologie et la terminologie sont autant de facteurs de biais qu'il convient de connaître pour bien délimiter l'action de la science. Or en pratique, on constate que certains scientifiques et généralement les plus hauts gradés n'hésitent pas à user de leurs privilèges pour influencer leurs collègues ou la jeune génération dans le sens qui flatte leur égo plutôt que l'intérêt public.

Embargo et intolérance

La censure, la rétention d'information, le manque d'échanges entre les chercheurs, la méconnaissance des découvertes réalisées par un groupe suffit quelquefois à enrayer un processus de pensée cohérente. Le bruit autour du quasar CTA 102 et d'une discrimination politique en furent les preuves malheureuses et mesquines. On y reviendra à propos de la recherche SETI et de ces soi-disant émissions artificielles extraterrestres.

Pauvre de nous qui songeons à explorer la Galaxie, quand il nous est si difficile de nous entendre pour des idéologies inconciliables. Les colloques internationaux conduisent invariablement à la conviction que seule la liberté de la communauté scientifique, la collaboration internationale et les échanges entre chercheurs sont à la base d'une pensée constructive. Un embargo sur le développement intellectuel des communautés est la négation du discours scientifique et conduit une nation à sa perte.

Une pensée cohérente peut aussi être influencée par des facteurs psychiques inconscients. Si une observation n'est pas clairement corroborée où s'applique à des processus très inhabituels, chacun éprouvera des difficultés pour saisir les fondements de la conception. Ainsi, la physique et la biologie connurent de nombreuses périodes d'incertitudes. Ailleurs, lié à un conformisme social ou une tutelle archaïque, le chercheur peut récuser des observations concordantes et stables qui accentuent le décalage entre la science et la société. Des facteurs arbitraires peuvent ainsi décider du savoir d'une société, comme la négation du libre examen ou un excès d'intolérance qui mènent à l'obscurantisme. Enfin, rappelons que la primauté de la société cléricale sur la société laïque alliée à une peur du pouvoir des livres mena à l'Inquisition !

Si une théorie nouvelle peut ruiner une philosophie ou les assises d'une société, elle sera jugée irrationnelle. Sa déviance de la rationalité sera considérée comme un non-sens face à la norme qui représente la Vérité. Si ces facteurs sont consciemment reconnus par la communauté scientifique, il reste encore à les évacuer. La sagesse et le temps y contribuent et à terme la société libérale surgit, rémunératrice.

Le scientifique fonde sa recherche sur des valeurs morales ou esthétiques (axiologie). Le besoin d'objectivité se trouve renforcé quand il pose l'adéquation de ses lois devant la réalité. Pour peu qu'il précise les conditions de l'expérience, sa théorie se complexifie mais il devra, sous certaines conditions, savoir "arrondir les angles" pour se plier aux faits observés, mais il devra s'opposer à la simplification excessive non seulement du réductionnisme mais également de la modélisation.

Heureusement, grâce à Newton, Maxwell et Einstein, il s'est produit un phénomène de transfert entre les sciences. Nous avons assisté au XVIIe siècle au développement d'une science transdisciplinaire. Des savants de génie sont parvenus à unifier des théories isolées, en particulier grâce au formalisme des mathématiques, et plus insidieusement grâce à une intuition mêlée de philosophie, que celle-ci soit d'inspiration divine ou non.

Les acteurs de la science. A gauche, Dan Carter et Charles Sisk préparant une culture de lysozymes sous forme cristalline qui seront étudiés en microgravité. A droite, Edward O. Wilson et ses célèbres fourmis. Documents NIC/NASA et Rick Friedman

Les théories originales, souvent complexes et approximatives, cachent des éléments essentiels de base qui n'auront de cesse de s'appliquer en de nombreuses circonstances. Pour la plupart des chercheurs, ce flou des théories crée des notions, a priori indépendantes, que d'autres chercheront à refaire et à défaire. Les génies apparaissent ici pour extraire les traits essentiels du savoir et formuler des concepts clairs, efficaces, d'une logique magistrale. Ce principe de simplicité perdure depuis Platon et tous les scientifiques aimeraient lui assurer un bel avenir. Newton et Einstein sont parmi les figures qui influencèrent profondément la science et dont les théories portent leurs ramifications jusque dans les découvertes à venir.

Malheureusement, malgré les règles d'éthique et administratives mise en place dans les académies et autres institutions pour éviter les abus, les scientifiques ne sont pas différents du commun des mortels et parfois certains montrent des faiblesses et des intérêts particuliers, loin du désintéressement qu'ils prétendent défendre en tant que scientifique.

Les mathématiques, l'astronomie et la paléoanthropologie n'échappent pas à ces dérives et peut-être plus que d'autres sciences, la concurrence entre les chercheurs s'avère rude et sans concession au point que certains chercheurs ont abandonné leurs recherches face à l'obstruction harassante de certains de leurs pairs. En paléoanthropologie notamment, le cas de la découverte de Toumaï, notre ancêtre homininé âgé de 7 millions d'années est emblématique des abus et de l'intolérance de certains chercheurs.

1. L'affaire Michel Brunet autour du "fémur de Toumaï"

En 2001, une équipe de chercheurs dirigée par Michel Brunet du laboratoire PALEVOPRIM de l'Université de Poitiers découvrit au Tchad les fossiles d'une nouvelle espèce d'homininé qui fut nommée Sahelanthropus tchadenis ou plus simplement Toumaï. A l'époque, un crâne complet, plusieurs mâchoires inférieures, quelques dents isolées et divers petits fragments furent expédiés en France pour analyse et les résultats furent publiés dans la presse scientifique un an plus tard (cf. "Nature", 418, 11 juillet 2002; 419, 10 octobre 2010; 434, 7 avril 2005).

Comme l'a rappelé le journaliste Ewen Callaway dans la revue "Nature" le 22 janvier 2018, la diaphyse ou partie médiane d'un fémur gauche comptait parmi les ossements découverts le même jour mais les résultats de son étude n'ont jamais été publiés pour la bonne raison que cet os ne comptait pas parmi les fragments analysés en 2001 et 2002. On y reviendra. Finalement, les résultats de l'analyse préliminaire de ce fémur devaient être présentés au cours de la conférence organisée par la Société d'Anthropologie de Paris (SAP) qui s'est tenue à Poitiers du 24 au 26 janvier 2018. Mais l'article des deux auteurs de cette préanalyse, à savoir Roberto Macchiarelli, auteur et paléontologue de l'Université de Poitiers et du Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris et Aude Bergeret, directrice du Musée d'Histoire Naturelle Victor-Brun de Montauban fut rejeté par le comité organisateur de la conférence.

Dans sa lettre de motivation au comité, Macchiarelli disait en résumé : "Nous donnons ici des informations sur l'identification du spécimen TM 266-01-063, un arbre fémoral gauche de 250 mm de long non encore reporté, récolté en 2001 à Toros-Menalla, au Tchad, contextuellement associé au Sahelanthropus hypodigme décrit en 2002.[...] Bien que le dossier disponible est incomplet pour tirer des conclusions fermes, nous postulons que les différences entre TM 266-01-063 et les fémurs partiels BAR 1002'00 et BAR 1003'00 dans leur morphologie externe grossière, la taille et les proportions, le degré d'inclinaison, l'angle diaphysaire- épiphysaire, la forme en coupe transversale (y compris l'indice pilastrique et, probablement, le profil de distribution de l'os cortical évalué au niveau des fractures exposées) les distinguent de O. tugenensis." Autrement dit le fémur appartient à une espèce distincte d'Orrorin qui peut-être celle de Toumaï mais cette confirmation exige une analyse plus approfondie que Macchiarelli souhaitait soumettre aux spécialistes, en vain.

 Comme dans d'autres disciplines (cf. les conférences sur la cosmologie), le comité scientifique est indépendant et décide souverainement du choix des sujets présentés, et à l'occasion de cette conférence il a écarté 6 articles sur les 64 résumés soumis à son approbation dont celui concernant le "fémur de Toumaï" qui est pourtant très attendu depuis des années par la communauté scientifique. Il est vrai que dans l'absolu le comité scientifique de la SAP n'a pas motivé sa décision qui fut espérons-le objective mais on peut se poser la question du parti-pris du comité vu l'embargo du laboratoire PALEVOPRIM sur tout ce qui concerne Toumaï.

Toumaï, Communiqué de Presse, CNRS, 2005

A gauche, le crâne de Toumaï (réf. TM 266-01-060-1). Au centre, les fossiles de Toumaï et d'autres individus rassemblés le jour de leur découverte en 2001. Notez le fémur (réf. TM-266-01-63) qui ne fut analysé que partiellement en 2004 tandis que la photo prise par Alain Beauvilain ne fut publiée dans la presse qu'en 2009. Document CNRS/MPFT et Alain Beauvilain. A droite, reconstruction de Toumaï par Thierry Lombry.

Quoiqu'il en soit, la petite communauté des paléontologues fut choquée et resta médusée face à cette attitude et n'a pas compris cette censure de la part de la SAP qui s'est démarquée par son mépris pour l'intérêt de la communauté internationale et du public envers ce fossile d'homininé extrêmement convoité. Mais ceux qui connaissent la petite histoire et les secrets d'alcôves, savent que derrière ce rejet se cache en réalité une triste affaire d'orgeuil franco-français qui en dit long sur l'éthique de certains scientifiques. En effet, il faut remonter plus d'une décennie en arrière pour comprendre l'attitude peu scientifique de Michel Brunet et indirectement de la SAP.

En 2004 déjà, alors que Brunet avait été critiqué pour ses méthodes à propos d'une affaire de dent, Aude Bergeret qui était alors étudiante en 2e Master montra à Macchiarelli ce fameux os long qui, en tant que seul spécialiste des membres (bras et jambes) et engagé à ce titre par Brunet reconnut immédiatement un fémur d'homininé d'une espèce très rare. Le fossile visiblement d'une grande valeur n'aurait jamais dû quitter le laboratoire de Brunet qui en l'apprenant lors de son retour du Tchad discrédita publiquement Macchiarelli sans le nommer pour ne pas avoir identifié en son temps ce fémur et avoir autorisé une élève à l'analyser (l'os a manqué d'être découpé pour des tests).

Peu après la remarque de Brunet, un encadrant du laboratoire annonça à Bergeret qu'elle devait oublier ce fémur "tu ne l'as jamais vu" et de fait elle se résigna à terminer sa thèse sans revoir les fossiles. Elle en avait heureusement pris quelques photos dont celle présentée ci-dessous à gauche. Depuis cette époque, le fémur est resté enfermé dans le laboratoire PALEVOPRIM à l'Université de Poitiers et malgré des demandes officielles au CNRS, plus personne n'a pu l'examiner, le CNRS se retranchant derrière une réponse standardisée, d'où probablement l'avis négatif de la SAP du fait que le directeur de ce laboratoire a monopolisé le sujet.

Preuve du monopole du PALEVOPRIM sur toute l'information, aujourd'hui aucun chercheur extérieur au laboratoire ne peut consulter les fossiles récoltés lors de cette fameuse expédition et par conséquent seuls les chercheurs membres du laboratoire sont en mesure de réaliser une étude in extenso de l'ensemble des artefacts.

La fameuse diaphyse ou partie médiane du fémur gauche (réf. TM-266-01-63) photographiée en 2004 par Aude Bergeret/MHN en projection antérieure (a), postérieure (b), médiale (c) et latérale (d). Seules les images a et b ont été diffusées en 2009.

Depuis la découverte de Toumaï, Michel Brunet est devenu une star dans sa ville (qui lui a même dédié une rue). Fort de sa réputation et visiblement d'un égo démesuré, Brunet n'eut aucun scrupule à s'opposer à tout qui empiétait sur son champ de recherche, à commencer par Macchiarelli et ensuite Beauvilain, l'auteur de la photo.

En 2001, Beauvilain était responsable de la logistique de la mission franco-tchadienne. Géographe et fin connaisseur du désert tchadien, il était convaincu que sous le sable se trouvaient des fossiles préhumains et il avait invité Michel Brunet en 1992 à y prospecter des fossiles. Beauvilain a toujours déclaré vidéo à l'appui que le fémur se trouvait auprès des autres fossiles à l'heure de sa découverte, c'est-à-dire le 19 juillet 2001 à 7h30 GMT. Or Ahounta Djimdoumalbaye soutient que le fémur fut trouvé dans une autre partie du site et rassemblé avec les autres fragments vers 11h GMT. Interrogé à ce sujet Beauvilain a répondu : "Au Tchad, nous avons mis au jour des milliers d'ossements, qui sont en cours d'étude. Peut-être s'y trouve-t-il des os d'hominidés, mais je ne commente que ce qui a été publié dans une revue scientifique".

En fait, il faut savoir que Beauvilain avait divulgué quelques mois après la découverte quelques informations dans le "Figaro" alors que Brunet les aurait déclarées sous embargo. Sur ce fait, Brunet n'a pas hésité à licencier Beauvilain alors que ce dernier venait de cosigner le premier article publié dans "Nature" en 2002. Forcé de quitter l'Afrique où il résidait depuis vingt ans, Beauvilain qui est également conférencier n'a cessé depuis cette époque de dénigrer dans la presse ou lors de ses conférences le travail de Michel Brunet au profit de ses propres preuves, ceci expliquant peut-être le rejet de la SAP qui n'est que la conséquence de ces querelles fratricides au sein d'un service scientifique censé oeuvrer de manière désintéressée pour l'intérêt commun.

Notons comme il me le précisa que Macchiarelli a plus d'une fois alerté l'Académie et même le CNRS sur le comportement inapproprié de sa hiérarchie à l'Université de Poitiers mais à ce jour ces avertissements sont restés sans suite (mais sachant à travers quelques scandales que certains membres de la direction du CNRS ne se soucient pas toujours de science, mais plutôt de leur propre carrière, ceci peut expliquer cela). De plus, Brunet est à la retraite depuis 2005 et si une action est envisagée ce n'est plus à l'encontre de sa personne mais à l'encontre du directeur actuel du laboratoire PALEVOPRIM. Si l'abus est avéré, en théorie la sanction peut aller jusqu'à la fermeture du laboratoire de recherche.

Verra-t-on un jour la publication d'une étude sur ce fameux fémur et les autres fragments d'os récoltés sur le site de Toumaï ? Lors d'une communication privée tenue en janvier 2018 Macchiarelli m'expliqua pourquoi rien n'avait été publié sur ce sujet : "D'abord parce que Aude [Bergeret] et moi-même avons identifié anatomiquement et taxonomiquement ce spécimen précédemment ignoré, mais nous n'avons pas vraiment entrepris d'effort d'analyse détaillé; en conséquence, bien qu'intéressant (et 100% original), notre dossier est modeste pour mériter une publication professionnelle in extenso connaissant les normes qualitatives généralement élevées exigées dans de tels cas. Ensuite, depuis notre identification, début 2004, nous attendons les résultats de l'étude de l'équipe de recherche de Brunet, qui est supposée finaliser ce travail. Malheureusement, comme vous le savez, ce n'est pas le cas."

Toutefois, en 2017 suite à un colloque du CNRS portant sur les trois homininés Sahelanthropus, Orrorin et Ardipithecus, Macchiarelli publia le résumé d'une réunion (PDF) dans lequel il fournit quelques commentaires sur le contexte et les implications de la découverte. Bien qu'il ne concerne pas spécifiquement ce spécimen, ses propos sont éclairants.

Ceci dit, dans l'état actuel des choses, seuls les membres du laboratoire PALEVOPRIM sont en mesure de faire avancer ce dossier ou de décider de le clôturer, ce qui semble être le cas. Un paléontologue de l'Université de Poitiers très concerné par le sujet me disait à ce propos, "Cce n'est pas un scoop de remarquer qu'ils ne semblent certainement pas très désireux de finaliser leur travail : cela serait-il lié au fait que les caractéristiques du fémur ne correspondent pas à l'histoire construite autour du crâne ?" La question est ouverte. Mais dans tous les cas, les chercheurs pourraient être transparents et simplement dire la vérité.

A lire : L’histoire du fémur de Toumaï, Le Monde, 2018

Une longue suite de polémiques, Le Monde

Chronique de la 'redécouverte' du 'fémur de Toumaï'

En 2018, bien que les protagonistes étaient à quelques années de la retraite ou déjà retraités, l'affaire n'était toujours pas close car la rancune de Brunet est tenace. Il prétendait toujours que Beauvilain "lui a volé les photos" qu'on retrouva dans la presse alors qu'il faisait partie de son équipe ! Mais si on relit bien le contrat signé entre les parties pour la période 2000-2004, il n'y a aucune clause de confidentialité entre les membres de l'équipe ou avec l'Université et tout semble indiquer au contraire que Brunet a outrepassé ses droits. Voilà un triste exemple de la mesquinerie et de l'orgueil d'un chercheur qui finalement nuit à son image tout autant qu'au laboratoire PALEVOPRIM et à l'Université de Poitiers et dessert la science !

Contacté à ce sujet, Lee R. Berger, inventeur de H.sediba et H.naledi disait en janvier 2018 à propos de cet embargo orchestré par Michel Brunet, "Je me demande combien de scientifiques ont survécu. Ce comportement anti-scientifique et anti-partage de données est le produit d'une certaine génération de scientifiques qui semble vouloir soutenir une paléontologie non fondée sur la preuve. "Croyez-moi simplement" n'est plus suffisamment bon. Mais il faudra des scientifiques chevronnés pour prendre position - en tant que commentateurs, arbitres et rédacteurs en chef - pour mettre fin à une pratique ridicule et non scientifique". Bien que frustré par cette situation, Berger conclut avec optimisme à l'intention des chercheurs : "Publiez les fossiles que vous trouvez en temps opportun et publiez les données pertinentes associées aux fossiles."

Le fémur finalement analysé

Suite à ce remue-ménage dans les médias, certains chercheurs ayant travaillé pour le laboratoire PALEVOPRIM de l'Université de Poitiers envisageaient sérieusement de publier les résultats de leurs travaux sans demander l'avis de leur hiérarchie et "malgré les risques, si toutefois il y en a" m'a répondu l'un d'entre eux en janvier 2018. Mais comme nous l'avons expliqué, pour être publié il faut que l'information soit de qualité et pertinente.

Finalement la diaphyse du fémur gauche et les deux ulnae (cubitus) droit et gauche du squelette de Toumaï furent analysés et firent l'objet d'une étude publiée dans la revue "Nature" (en PDF) en 2022 par l'équipe de Franck Guy du PALEVOPRIM de l'Université de Poitiers. Notons que Roberto Macchiarelli et Aude Bergeret précités qui participèrent à la première analyse n'ont pas cosigné cet article.

Les chercheurs sont arrivés à la conclusion que le fémur de Toumaï présente "une bipédie habituelle, et les cubitus conservent la preuve d'un comportement arboricole important. Pris ensemble, ces résultats suggèrent que les hominidés étaient déjà bipèdes vers 7 millions d'années, mais suggèrent également que l'escalade arboricole était probablement une partie importante de leur répertoire locomoteur." On reviendra en détails sur Toumaï.

2. Yves Coppens et la thèse du sphénoïde d'Anne Dambricourt

On retrouva une censure d'un autre ordre, ressemblant cette fois à un véritable "blocus" de l'intelligencia envers la théorie alternative de l'évolution émise par Anne Dambricourt dans sa thèse du sphénoïde que nous évoquerons brièvement.

Même si tout indique que cette théorie ne respecte pas la méthode scientifique, la communauté scientifique doit respecter une déontologie et se comporter loyalement pour ne pas dire respectueusement envers ses pairs. Les paléoanthropologues peuvent discuter avec Dambricourt ou lui exprimer leur désaccord sans pour autant se moquer d'elle.

Or dans le cas d'espèce, le paléoanthropologue Yves Coppens n'a pas hésité à se moquer en public d'Anne Dambricourt et de sa théorie lors d'émissions télévisées, une déontologie très douteuse de la part de l'inventeur de Lucy.

De toute évidence, Coppens imagine que la réputation qu'il s'est forgée en France lui donne le droit de critiquer publiquement ses confrères sans retenue. Une telle attitude est méprisante et indigne de la tolérance dont devraient faire preuve les scientifiques.

3. L'affaire Halton Arp

On assista à une situation tout aussi choquante en astronomie. En 1983, l'astronome américain Halton Arp (1927-2013) alors à Caltech publia dans l'"Astrophysical Journal" plusieurs articles concernant des amas compacts de galaxies dont les membres semblaient en interactions avec des quasars distants d'au moins un milliard d'années-lumière ! Parmi les objets de son "Atlas of peculiar galaxies", le couple suscitant le plus de controverses est formé par la galaxie NGC 4319 et le quasar Mrk 205 (cf. cette photo). L'effet Doppler du quasar est 12 fois supérieur à celui de la galaxie avec laquelle il semble relier par un pont de matière !

Pour expliquer ce phénomène paradoxal Arp suggéra que les quasars étaient situés beaucoup plus près qu'on l'imaginait, contredisant sans pouvoir le démontrer toutes les observations faites jusqu'à alors. Un virulent débat s'en suivit dans la communauté des astronomes. Finalement, Arp perdit ses crédits de recherches et rencontra ultérieurement beaucoup de difficultés pour publier ses travaux. Ces incidents suscitèrent sa démission de Caltech. Frustré d'être incompris par les chercheurs américains, il quitta les États-Unis et retrouva un poste à l'Institut Max-Planck en Allemagne.

Aujourd'hui, la majorité des astronomes défendent toujours l'interprétation cosmologique : le décalage Doppler est imputé à l'expansion de l'Univers; plus le redshift augmente, plus les objets sont éloignés. Indépendamment des effets gravitationnels et autres influences locales, ce mouvement apparent (vitesse comobile) suit la constante de Hubble, actuellement estimée entre ~68 et 74 km/s/Mpc selon les "chandelles standards" ou les paramètres cosmologiques utilisés.

L'esprit d'ouverture

L'astronome Edwin L. Turner de l'Université de Princeton publia en 1992 une lettre ouverte sur Internet[1], expliquant objectivement l'impression que ressentaient certains professionnels devant la mise à l'écart de l'un d'entre eux, prenant le cas de Geoffrey Burbidge (1925-2010), l'un des rares défenseurs de la théorie de l'état "quasi stationnaire" (HBN) de l'Univers qui fut notamment critiqué par P.J. Peebles et ses collègues.

Edwin L. Turner en 1992. Doc Princeton University.

Turner écrit : "G.Burbidge accuse la communauté des scientifiques de malhonnêteté intellectuelle. Si cette attitude est fondamentalement correcte, alors il reste peu de chose à faire pour poursuivre une discussion rationnelle (la communauté est en train de dire "nous pensons pour vous; ne nous embrouillez pas avec des faits"). Je ne vois aucun moyen de contourner cette attitude, si ce n'est en étant personnellement aussi honnête et objectif que possible. Cependant, je pense aussi que c'est inexact. En fait, si le modèle [cosmologique] standard est faux, il ne devrait pas y avoir d'autre manière de gaspiller la vie d'un professionnel qu'en le défendant et pas de meilleure manière de faire avancer la science qu'en l'abandonnant.

En d'autres termes il existe une manière de provoquer l'objectivité raisonnable (imparfaite).

[Mais] on peut facilement trouver des contre-exemples. Si la communauté essaye désespérément d'ignorer les preuves qui vont à l'encontre de la théorie du Big Bang, alors il sera par exemple aujourd'hui plus difficile d'obtenir du temps d'observation pour mesurer l'abondance du béryllium dans les étoiles de Population II. Au lieu de cela, il y a [une méthode] beaucoup plus simple; la communauté [agit] d'une manière beaucoup plus [tendancieuse] qu'elle ne le fait avec ses idées préconçues".

Plus nuancé et moins affirmatif, l'astronome Tom Van Flandern (†2009) de l'Institut Meta Research de Washington - connu pour ses idées anticonformistes - lui répondit : "Il y a des personnes dont les points de vue intellectuels sont situés aux deux extrêmes de la philosophie des sciences, rendant la recherche de la vérité beaucoup plus difficile qu'elle ne pourrait être. Le gaspillage d'une vie professionnelle est d'autant plus révoltant quand il concerne le représentant d'un point de vue minoritaire [face auquel] il est tellement facile de rationaliser des réponses émotives ou ad hominem qui témoignent d'un manque de substance des idées que l'on défend.

La plainte de Arp concernant la suppression de son temps d'observation télescopique, le fait d'avoir été privé de ses fonds de recherches et de devoir attendre deux ans avant d'être publié dans The Astrophysical Journal, sont les symptômes de ce problème.

A consulter : Les cosmologies alternatives

Tom Van Flandern de l'Institut Meta Research et l'ouvrage anticonformiste sur l'astrophysique qu'il publia en 1993. Documents EarthChangesTV et Amazon.

Les éditeurs de journaux, qui sont également les majors Anglais et les référés ont écrit : "Si je connais le nom de l'auteur, je n'ai pas besoin de vérifier les citations". Cette réflexion retire beaucoup au plaisir que l'on ressent à faire de la recherche. Il est évident qu'il existe dans la "communauté" des individus intellectuellement malhonnêtes, mais beaucoup d'autres ont l'esprit ouvert et répondent aux arguments raisonnables. Personnellement je ne décrirais pas l'attitude de la communauté comme un tout "intellectuellement malhonnête". Mais je peux constater qu'elle est la victime d'une pression intérieure excessive. Nous observons des exemples chaque jour de telle pression agir au sein de notre groupe […].

Geoffrey Burbidge (1925-2010). Document NOAO/AURA/NSF.

Mais l'idéal n'est pas la réalité. La réalité, c'est lorsque Geof Burbidge pose une question lors d'un meeting de l'AAS, sous-entendant que les quasars ne sont pas situés à leur distance cosmologique, et qu'il est accueilli par des railleries de dérision. La réalité [ce sont] les droits acquis, les remarques ad hominem, le manque de support envers la recherche promise, et une bataille de tous les jours juste pour écouter des arguments raisonnables. La réalité c'est le fait qu'aucun éditeur académique ne publiera un livre qui est critiqué par un large courant de pensée en raison de son anti-conformisme. Il est beaucoup plus difficile d'apprécier une nouvelle idée que d'avoir une grande audience. Si la nouvelle idée apparaît comme extraordinaire, son inventeur peut très bien se passer de crédibilité.

Je ne crois pas que ce soit trop demander aux chercheurs de mentionner que leurs résultats peuvent avoir d'autres interprétations dans d'autres modèles.

Si un auteur juge qu'aucune autre théorie n'est viable, ça ne me dérange pas. Mais si l'auteur pose les interprétations alternatives sur le papier, et qu'il est forcé de les rejeter à cause de référés hostiles ou d'éditeurs découragés, c'est un tout autre sujet.

Lisez mes remarques comme un appel à des niveaux de consciences alternatifs. Il apparaît clairement dans vos remarques que vous ne souhaitez que cela, dans la mesure où la décision réside entre vos mains. Mais tout le monde ne ressent pas cela".

Si Berger, Arp, Burbidge, Turner et Van Flandern sont déçus par l'attitude intolérante de certains scientifiques, le temps est leur seul complice. Espérons qu'à l'avenir de nouvelles analyses et découvertes permettront de résoudre les questions en suspens.

Prochain chapitre

Clivage entre théorie et pratique

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[1] Newsgroup sci.astro, à l'époque accessible via les réseaux Usenet et Compuserve.


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