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Réflexions sur la photographie astronomique à haute résolution

par Jean Dragesco

La haute résolution et l'amateur (II)

En quoi tout cela peut-il nous intéresser ? se dira l'amateur, abasourdi par tout ce déploiement de technologie de pointe. C'est dans le but de le rassurer, et de lui prouver qu'il peut et doit être directement concerner par la haute résolution que nous allons aborder un tout autre aspect de ce problème. Car on peut envisager l'astrophotographie à haute résolution non pas dans l'absolu mais par rapport à un instrument donné.

Faire de la haute résolution équivaut à essayer d'obtenir une résolution photographique aussi proche que possible des limites théoriques de l'instrument utilisé.

Selon cette définition, une photographie dont la finesse atteint 1", réalisée avec un télescope de 150 mm d'ouverture sera bien davantage un document à haute résolution qu'une autre atteignant 0.6" mais obtenue avec un télescope de 500 mm ! Suivant cette interprétation, la haute résolution est à la portée de tout le monde. Il s'agit tout simplement d'essayer d'atteindre les limites des possibilités d'un instrument donné, à force d'adresse, d'expérience et de persévérance. Les clichés repris ci-dessous sont là pour en témoigner. 

Saturne au C14

Deux images de Saturne réalisées avec un télescope Schmidt-Cassegrain Celestron C14 de 356 mm f/11 équipé d'un appareil numérique. La différence est bien marquée, pourtant les deux amateurs ont utilisé le même type de télescope ! Qu'est-ce qui peut donc les différencier ? L'image de gauche que nous devons à Eric Ng a été acquise au moyen d'une Powermate 5x et d'un APN Nikon Coolpix 950, zoom 3x (afocal). C'est le résultat de l'empilement de 7 images couleurs traitées avec un masque flou. Voici en revanche le très bon résultat qu'il a obtenu en 2003 avec un 317 mm f/6 en empilant 1300 images enregistrées avec la même webcam. L'image de droite fut réalisée le 2 juin 2017 par Paul Haese est le résultat de l'empilement 1800 images individuelles enregistées chacune sous filtre R, G et B avec une caméra CCD ZWO 174MM complétée par un traitement d'image adéquat sous AS!2, Astra Image 2.5 Max et Photoshop. De plus l'OTA de son C14 était ventilé et refroidi. Beaucoup d'amateurs se contenteraient de la première image, mais elle est la portée de tout le monde ou presque avec ce type d'instrument. L'image de droite par contre n'est pas à la portée de tout le monde car outre le fait de profiter d'une faible turbulence jamais prévisible, elle nécessite un important travail de prise de vue et de traitement d'image et à ce titre mérite de figurer en tête de liste des palmarès. C'est évidemment ce second résultat que vous devez rechercher, remis bien sûr à votre échelle instrumentale.

Aussi une photographie ne peut-elle être jugée qu'en fonction de l'instrument utilisé. C'est pourquoi il est intéressant de participer aux concours d'astrophotographie dont le but est de couronner le meilleur document, compte tenu des moyens mis en jeu. Ce n'est pas nécessairement la plus belle photographie qui doit l'emporter mais celle qui se rapproche le plus de la résolution de l'instrument utilisé. C'est pourquoi, bien souvent, des clichés apparemment modestes recueillent tous les suffrages, chaque fois qu'ils présentent de vrais prodiges d'adresse.

L'amateur peu fortuné a même un avantage certain sur le possesseur d'un grand instrument : une faible ouverture sera toujours moins sensible à la turbulence atmosphérique comme nous l'expliquerons un peu plus loin.

(TL) Pour cette raison, Jean Dragesco, lauréat en 1982 de la meilleure photo lunaire organisé par la British Astronomical Association (BAA) conseille à ceux qui voudraient participer à un concours de photographie astronomique de laisser de côté leur gros instruments et d'essayer plutôt d'atteindre les limites du plus petit qu'ils possèdent. A l'inverse, il est également légitime de vouloir utiliser l'instrument le plus puissant (ou le plus rapide en terme de rapport focal) lorsque les conditions de travail sont idéales (ciel clair, très faible turbulence, pas de lumières artificielles ni lueurs nocturnes, pas de poussière dans l'air, etc).

Les nuits réellement utilisables, même avec un petit instrument, restent si peu fréquentes que les organisateurs d'un tel concours devraient laisser beaucoup de temps aux candidats s'ils veulent être équitables.

La vallée des Alpes au C14

Deux photographies de la vallée des Alpes prises avec un Celestron C14. Malgré l'ouverture identique des télescopes et la grande qualité de ces deux images, la résolution n'est pas identique et dépend à la fois des conditions de prise de vue (rapport focal, mise au point, turbulence, niveau de bruit, exposition) et du traitement d'image (nombre d'images individuelles et éventuelles biais et noires combinées, correction du gamma, etc). A gauche, l'image prise par Mario Weigand avec une caméra CCD DMK 31AF03, à droite celle réalisée par Richard Bosman avec une caméra CCD Basler acA1300.

Quelques conseils pratiques

La haute résolution est désormais à la portée de tous mais les difficultés sont considérables. L'obtention d'un cliché, à la limite des possibilités instrumentales, reste une tâche des plus ardues. Elle doit en effet s'allier divers facteurs qu'il n'est pas toujours possible de maîtriser tout au long d'une séance d'astrophotographie :

- La turbulence

- La monture équatoriale

- La précision de l'entraînement

- L'optique

- Du détecteur photosensible (APN, caméra CCD ou film et son traitement)

La turbulence

Bien entendu la plus grande difficulté provient de l'atmosphère, la turbulence étant sévèrement limitative (au point que, dans certains sites particulièrement mauvais, toute tentative de photographie à haute résolution reste pratiquement illusoire). Il est donc indispensable de savoir juger la turbulence locale, de connaître ses fluctuations et d'évaluer l'ouverture limite qu'il est inutile de dépasser.

Effet de la turbulence sur l'aspect d'une étoile. Document K.Takana.

Dans un site quelconque on ne peut guère espérer une résolution photographique maximale dépassant 1.5" à 2" pour des images brutes quel que soit l'instrument utilisé. Lorsque j'habitais Orcines, précise Jean Dragesco, je n'ai même pas essayé de réaliser des photographies planétaires sachant d'avance que c'était inutile; en trois ans de séjour je n'ai connu aucune soirée réellement favorable !

Ce n'est qu'après une longue pratique des observations visuelles, à l'oculaire, qu'on devient capable de juger de l'incidence d'une turbulence donnée sur la définition photographique. Pour le débutant une bonne pratique consiste à observer la Lune avec un oculaire puissant réticulé. Un détail fin (cratelet minuscule, pic central) sera suivi de près, par rapport à la croisée du réticule. Le plus souvent on s'apercevra que le détail en question se déplace sans cesse autour d'une position moyenne. Etant donné que le temps d'exposition normal oscille autour de la seconde, il devient facile d'évaluer le flou qui sera obtenu : si en une seconde le détail observé se déplace de plus de 2" d'arc, il est inutile de tenter de le photographier.

En fait, même dans un site relativement favorable, on ne compte guère plus de 5 à 6 nuits par an permettant la photographie à haute résolution avec un télescope de 200 mm.

A moins de procéder à une vraie étude de site et de s'installer dans un emplacement particulièrement favorable (comme l'a fait notre ami G.Viscardy à Saint Martin de Peille, France), il est inutile d'espérer réussir des photos à haute résolution (0.6") sur film ordinaire avec un instrument de 400 mm et plus.

(TL) Bien sûr ceci n'est valable que pour la photographie traditionnelle, sur film argentique. Aujourd'hui les caméras CCD et autres APN modifient totalement la donne et ce qui semblait impossible en 1920 ou même en 1990 est aujourd'hui réalisable car la un capteur CCD est environ 20000 fois plus sensible qu'une émulsion argentique. Ainsi, une lunette apochromatique de 155 mm d'ouverture par exemple équipée d'une caméra CCD peut atteindre après calibration, traitement et empilement d'images une résolution de 0.05" ! Ceci dit, s'il y a trop de turbulences cela ne sert à rien de perdre son temps à essayer de photographier dans ces conditions. Nous le soulignerons encore dans l'article consacré au choix d'un site astronomique.

La couleur en haute résolution planétaire

Images réalisées par Maurizio DiSciullo avec un télescope newtonien Excelsior Optics de 258 mm, caméra CCD Starlight Xpress HX-516, empilement RGB traité avec MaxIm DL. Les images de Mars et Saturne sont trois fois plus agrandies que celle de Jupiter.

Images réalisées par Jacques-André Régnier avec un Celestron NexStar 5 de 127 mm, webcam Philips Vesta Pro, Empilement RRGB (Mars) et LRGB de 500 à 2200 images individuelles.

La turbulence reste donc le facteur limitatif principal. Ce n'est que lorsque ce facteur a été maîtrisé qu'il devient important d'analyser les autres facteurs qui interviennent lorsqu'il s'agit d'obtenir des résultats de qualité.

La monture équatoriale

Il reste néanmoins vrai, même à l'heure des appareils photos numériques que le grand handicap des amateurs vient de l'insuffisance des montures de grand commerce : stabilité et qualité de l'entraînement. Bien sûr avec un équatorial quelque peu déficient on peut, en faisant très attention, en utilisant un obturateur de tube (à la place de l'obturateur de l'appareil photo) et en exécutant un grand nombre de photos, obtenir parfois quelques négatifs de qualité. Ceux qui veulent s'adonner réellement à la photographie à haute résolution devront tout mettre en oeuvre pour réaliser une monture aussi stable que possible : un berceau surdimensionné constitue la solution optimale. Certaines petites lunettes du commerce sont pratiquement inutilisables pour ce genre de photographie.

Performances des petites optiques

Deux images réalisées avec un instrument de 125 mm d'ouverture équipé d'une caméra CCD SBIG ST-7. A gauche, la galaxie NGC 253. Il s'agit d'un empilement LRGB exposé  82 minutes au total au foyer d'un C5 par Kunihiko Okano. A droite, la radiosource NGC 5128, alias Centaurus A photographiée avec une lunette Astro-Physics de 125 mm, 1 heure d'exposition par Rick Bright.

(TL) L'avantage revient une fois encore à un instrument court et trapu qui, même léger, garde une certaine stabilité, par exemple les télescopes catadioptriques (Schmidt-Cassegrain, Maksutov-Cassegrain, Simak, Ritchey-Chrétien, etc). Mais les instruments de grande diffusion (Celestron, Meade et autre Vixen) n'ont pas la prétention de rivaliser avec la qualité des optiques construites à la pièce ou par de petites sociétés presque artisanales. Etant donné les contraintes budgétaires et l'étroitesse du marché, là ou un maître-opticien ne peut consacrer que 8 heures par jour à élaborer une surface optique, ailleurs un artisan pourra consacrer trois fois plus de temps pour réduire les aberrations ou les rejeter loin en dehors de l'axe. Bien sûr le prix des deux instruments s'en ressentira, mais la qualité a un prix.

Prochain chapitre

La précision de l'entraînement

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