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Le principe anthropique

Les constantes de couplage (II)

Un autre argument en faveur du principe anthropique concerne la précision des grandeurs des constantes de couplage. A l'heure actuelle, il existe une bonne dizaine de constantes, certaines étant fondamentales d'autres spécifiques : "c" la vitesse de la lumière, "G" la constante de la gravitation, "h" la constante de Planck, "k" la constante de Boltzmann, "" la constante de Dirac (constante de Planck réduite, h/2π), etc. Ces valeurs sont connues avec une très grande précision et n'ont probablement pas varié depuis la naissance de l'Univers, au facteur d'échelle près.

Constante

Symbole

Valeur (SI)

Vitesse de la lumière

c

299792458 m/s

Constante de Planck

h

6.63 x 10-34 kg/m2/s (ou J.s)

Charge électrique du proton

e

1.6 x 10-19 coulomb

Masse au repos du proton

mp

1.67 x 10-27 kg

Masse au repos de l'électron

me

9.11 x 10-31 kg

Constante de la gravitation

G

6.67 x 10-11 m3/kg/s2

Constante de l'interaction forte

gs

6.88 x 10-13 (J.m)½

Constante de l'interaction faible

GF

1.43 x 10-62 J.m3

Constante de Coulomb (électromagn.)

kc

8.99 x 109 kg.m3/A2/s4

Nous avons noté que si la densité critique de l'Univers avait été un tant soi peu différente, l'Univers n'aurait jamais évolué jusqu'à l'état actuel. Une seconde après le Big Bang l'Univers était déjà en équilibre, l'écart avec le seuil critique était de 10-15.

Si l'Univers est tel qu'il est aujourd'hui c'est justement parce que les constantes de couplage qui mesurent l’influence des différentes interactions ont été ajustées avec une précision telle, que l'on peut réellement se demander quel mystère se cache sous cette précision d'horloger.

Hubert Reeves[14] comme de nombreux astrophysiciens ont démontré qu'à l'époque de la genèse de l'Univers, la moindre déviance des constantes de couplage des valeurs nominales aurait provoqué l'instabilité des nucléons et aurait condamné l'évolution cosmique.

Interaction

Constante de couplage

Valeur

Forte

α = gs2/c

15

Electromagnétique

α = kce2/c

7.3 x 10-3 = ~1/137

Faible°

αw = GFme2c/3

3.05 x 10-12

Gravitationnelle

αG = Gmp2/c

5.9 x 10-39

° Dans d'autres modèles, l'interaction nucléaire faible entre protons (constante de Fermi) αw = GFmp2c/3 ≈ 10-5.

Prenons par exemple l'attraction gravitationnelle. Si sa constante de couplage αG était trop faible, le processus d'agglomération protostellaire ne se serait jamais produit. Le phénomène de contradiction des nuages interstellaires aurait été ralenti et aurait empêché l'amorçage des réactions thermonucléaires de fusion. Au mieux, selon Brandon Carter, l'univers serait peuplé d'étoiles qui dispenseraient toute leur énergie par radiation et dépourvues de système planétaire. La matière se serait diluée.

Si la constante de couplage gravitationnelle avait été plus forte, selon B.J. Carr et Martin Rees, les réactions nucléaires se seraient emballées bien trop rapidement, ne laissant pas le temps à la matière de se créer. Tout le combustible nucléaire aurait été brûlé en quelques milliers d'années. Au mieux, l'univers serait peuplé d'étoiles convectives, c'est-à-dire d'astres similaires aux étoiles naines rouges où la convection à tendance à rendre l'étoile homogène; impossible de voir apparaître une structure en pelure d'oignon qui caractérise la fin de la vie des étoiles. Pas de supernova et donc pas de synthèse des éléments lourds qui permirent l'édification du vivant. La valeur de la constante de couplage gravitationnelle a donc eu un impact non négligeable sur l'existence de la vie en rendant à la fois possible l'existence des systèmes planétaires et la répartition des éléments lourds dans tout l'univers.

Tout aussi pertinent, si on exprime les masses et les tailles des systèmes qui peuplent l'univers à l'aide de certaines constantes de couplages, on constate par exemple que si la constante de la gravitation était un million de fois plus élevée, la masse des étoiles et des planète diminueraient d'un facteur un milliard et le taille d'un facteur mille.

Système

Masse

(en unités de mp)

Taille (en unités de

rayon de l'atome)

Proton

1

α3

Atome

1

1

Etre humain

(α/αG)3/4

(α/αG)1/4

Planète

(α/αG)3/2

(α/αG)1/2

Etoile

1/αG3/2

αG1/2

Galaxie

α4/αG2

α3/αG

Univers visible

1/(α2αG2)

α/αG

Il en est de même pour l’interaction électromagnétique, α. Si sa constante de couplage était 1% supérieure, les structures moléculaires seraient plus rigides ce qui diminuerait leur faculté d'adaptation, les liaisons interatomiques deviendraient impossible. Il n'y aurait pas de réactions chimiques, les atomes resteraient isolés et refuseraient de céder ou de partager leurs électrons. Iosif L. Rozental a démontré que si on multipliait la charge de l'électron par 3, la constante de couplage électromagnétique serait multipliée par 9. Dès lors, les hélions (noyaux d'hélium-4 ou particules alpha) ne se seraient jamais formés. Or cet élément joue un rôle clé dans la construction des éléments lourds dont le carbone qui forme les briques du vivant.

Si la force électromagnétique était plus faible, les molécules seraient trop instables et se briseraient au moindre choc, à la moindre variation de température ou de pression. Les molécules de la vie n'auraient jamais pu subsister dans les tumultes de la création. De plus, si la charge de l'électron était divisée par 3, la force électrique qui maintient sa cohésion autour du noyau serait trop faible et ne pourrait plus garantir l'existence d'atomes neutres. La constante α doit donc présenter une valeur bien précise pour rendre possible les réactions chimiques.

Idem pour la force de cohésion atomique, l’interaction forte, αs. Un écart de quelques pourcents de sa constante de couplage suffit à contrecarrer la formation des éléments. Trop forte, les protons se combineraient pour former des couples, l'hydrogène serait brûlé à un rythme effréné, explosant en réactions thermonucléaires et l'univers contiendrait beaucoup d'éléments lourds et très stables, mais pas de carbone, indispensables aux molécules de la vie. En fonction de la valeur de la constante de couplage, le cycle du carbone transformerait directement cet élément en oxygène ou en un autre élément, empêchant l'échafaudage de la chimie organique. Trop faible, la cohésion atomique aurait empêché la fusion de l'hydrogène. Le noyau des proto-étoiles n'aurait jamais transformé l'hydrogène en deutérium et en hélium. L'univers ne contiendrait que l'hydrogène, sans avoir pu fabriquer les briques nécessaires à l'élaboration du monde vivant. Il n'y aurait pas eu de carbone, pas d'eau, pas de chaînes moléculaires, pas d'acides aminés. Le monde serait terne, aucune étoile ne scintillerait dans le ciel.

Enfin, la constante de structure fine de l'interaction faible, αw. Trop élevée, la désintégration bêta (des neutrons) aurait été trop importante et détruit tous les neutrons avant même que les noyaux aient pu se former. Plus étonnant, αw coïncide quasiment avec l'intensité de la constante de la gravitation :

αw ~ αG1/4

Cette coïncidence a pour conséquence de permettre l'évolution des étoiles, en particulier d'aboutir au stade de supernova grâce à l'interaction des neutrinos sur la matière. En effet, si la constante de couplage de l'interaction faible avait été trop petite, il y aurait autant de neutrons que de protons. Ils auraient formé de l'hélium au détriment de l'hydrogène. Sans un réglage précis entre la nucléosynthèse primordiale qui détermina l'abondance de l'hélium dans l'univers et la nucléosynthèse stellaire qui produit les éléments lourds, nous n'existerions pas. Des travaux[15] visant à connaître la marge de manoeuvre de dame Nature ont démontré que αw ne pouvait dépasser 5x10-18 par an.

Les valeurs des constantes de couplage ont donc été réglées avec une précision qui peut atteindre 10-40 ! Ces conditions particulières donnèrent naissance à l'Univers tel que nous l'observons, en particulier à l'évolution qui aboutit au développement d'une vie complexe sur Terre.

Autour de Robert Dicke, chef de file des adeptes du principe anthropique fort, plusieurs chercheurs ont affirmé depuis 1961 que nous existons parce que les conditions initiales le permirent. A la question de savoir pourquoi l'Univers est-il isotrope ?, C.Collins et S.Hawking[16] répondirent en 1973, "parce que nous sommes là". Pour ces deux chercheurs il n'existe qu'un seul Univers, le nôtre, car c'est notre présence qui imposa les conditions initiales. Néanmoins, depuis cette époque Hawking a changé d'avis et a finalement considéré que l'Univers s'était édifié seul selon les lois des probabilités et donc sans prédestination comme l'imaginent les croyants persuadés que Dieu y est pour quelque chose.

La constante cosmologique

Le degré de précision des différentes constantes[17] est stupéfiant mais il devient extraordinaire pour l’énergie du vide, la fameuse constante cosmologique Λ introduite par Cowie et Sakharov comme facteur correctif dans le modèle inflationnaire. Bien que la densité d’énergie du vide soit impossible à calculer, elle n’a pu augmenter à l’infini.

Nous savons qu’à l’échelle de Planck, environ 10-33 cm, sa contribution dans l’énergie des fluctuations quantiques du champs gravitationnel a été fixée avec une précision qui atteint une partie dans 10120. En mesurant la vitesse d’expansion actuelle de l’univers, il s’avère que si la précision de la constante cosmologique était différente de 1:10120, l’émergence de la vie aurait été impossible.

Pour que l’homme prenne toute la mesure de ce facteur, il fallait nécessairement que toutes les contributions de l’énergie du vide projetée dans le monde réel soient compensées par des “trous” d’énergie négative, la moyenne finissant par s’annuler. Si l’énergie totale du vide n’était pas quasi nulle, en fonction de sa valeur l’univers aurait déclenché un cycle infernal d’expansion et de contraction avant même que les molécules aient pu s’assembler en chaînes prébiotiques ou l’univers se serait détendu si rapidement qu’aucune galaxie ou étoile n’aurait pu se former.

Pour les physiciens, il est impossible d’expliquer pourquoi les différentes contributions de l’énergie du vide ont été fixée avec une telle précision, même dans le cadre hypothétique d’une théorie des champs unifiée. Dans sa quête des lois fondamentales de la nature, Steven Weinberg considère que l’énergie du vide fait appel à des constantes arbitraires ajustées de telle façon à ce que son énergie totale soit suffisamment faible pour permettre l’éclosion de la vie. Il résout ces problèmes en supposant que “la vie ou la conscience ne joue aucun rôle particulier dans les lois de la nature ou dans les conditions initiales. Il se peut que ce que nous appelons les constantes de la nature varient d’une région à l’autre de l’univers [...]". Si c’est le cas, il ne serait pas surprenant que la vie soit possible dans d’autres régions de l’univers, quoique probablement pas dans la plupart”. Il tempère et relativise toutefois son impression en précisant que “si des êtres vivants ont évolué au point de mesurer les constantes de la nature, ils trouveront toujours que ces constantes ont des valeurs particulières permettant l’existence de la vie”. Il répond à son tour à l’objection de Pagels qui considère le principe anthropique comme un principe anthropocentrique.

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Un univers multidimensionnel

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[14] H.Reeves et al., Astronomy and Astrophysics, 243, 1991, p1.

[15] A.Shlyakhter, Nature, 264, 1976, p340.

[16] C.Collins et S.Hawking, "Black holes" (The event horizon), Ed.de Witt, 1973; The Astrophysical Journal, 180, 1973, p317.

[17] Les mesures des constantes universelles sont publiées dans le fichier de CODATA dont la dernière mise à jour date de 2014.


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