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La physique quantique L’antimatière (I) En 1925, le physicien et philosophe autrichien Erwin Schrödinger découvrit une formule décrivant l'évolution dans le temps d'une particule massive, formule quantique qui portera son nom, mais qui ne tenait pas compte de la théorie de la relativité et qui s'appliquait donc uniquement aux particules se propageant à faible vitesse. La fonction d'onde se caractérise par deux variables : sa position r au temps t. La fonction d'onde n'est valable que si l'énergie totale E de cette particule se définit par sa quantité de mouvement p (ou impulsion, sa vitesse multipliée par sa masse), dans les limites ou le rapport v/c est très petit, on peut écrire l'approximation suivante :
La relation de Louis de Broglie (λ = h/p) découverte un an plus tôt peut alors subir une deuxième lecture. La longueur d'onde d'une particule étant inversement proportionnelle à son énergie, si nous voulons sonder les soubassements de la matière, il est nécessaire de fournir des énergies toujours plus élevées à mesure que la longueur d'onde diminue, d'où la construction d'accélérateurs de particules toujours plus puissants. En 1928, le physicien anglais Paul Dirac proposera une équation relativiste équivalente (théorie de l'électrodynamique quantique, EDQ) qu'il déduira de la formule quantique de Nicholson-Bohr et de l'équation d'équivalence d'Einstein, E = mc². Si la vitesse de la particule est élevée, l'approximation précédente devient : E² = m²c4 + p²c² Si v = 0, E = ±√m² Mais l'équation de Dirac cache une subtilité. Si la masse de la particule est négative, l'équation est tout de même vérifiée. Cela signifie qu'une particule peut présenter un état d'énergie négatif. Le passage de l'état excité au niveau fondamental laisse apparaître une transition d'énergie valant 2m, un saut de +m à -m. Cette discontinuité est absurde en physique classique. Mais rétorque sa variante quantique, ce comportement est tout à fait normal ! Dirac considéra que rien n'empêchait une particule de sauter cette barrière d'énergie pour se retrouver dans un état négatif. Mais si le phénomène existait, pourquoi toutes les particules - et en particulier les électrons - ne tombaient-ils pas vers les énergies les plus basses qui tendent vers moins l'infini ? Pour expliquer ce phénomène, Dirac conclut que les états d'énergie négatifs étaient tous saturés de particules virtuelles. Si ces particules virtuelles recevaient une énergie 2m (en émettant des photons), elles basculeraient dans la réalité en laissant un "trou" négatif dans le monde virtuel. Ce déséquilibre serait considéré comme un surplus d'énergie positive. Dirac crut d'abord qu'il s'agissait du proton, seule particule positive connue à l'époque, mais elle devait avoir la même masse que l'électron. Cette charge positive nouvellement crée sera appelée positron ou antiélectron. Ainsi naquit l'antimatière[13] à la plus grande joie des auteurs de science-fiction. Bien que très déroutante, sa théorie sera confirmée au Caltech en décembre 1932 par les physiciens Carl Anderson et Patrick Blackett qui détectèrent le positron dans les rayons cosmiques. Depuis, la quasi totalité des particules ont trouvé leur opposé y compris les particules neutres[14]. On reviendra sur le sujet à propos de L'asymétrie CP ou le privilège de la matière. Enfin, nous verrons page suivante qu'en 2017 les physiciens ont découvert en laboratoire une particule neutre qui présente la double caractéristique de la matière et de l'antimatière, c'est le fermion de Majorana dont l'existence fut prédite... en 1937. Mais avant de la décrire, l'Histoire de la physique a encore beaucoup de choses à nous dire. Convertir la lumière en matière et antimatière Les réactions thermonucléaires qui se produisent au coeur du Soleil (cf. la nucléosynthèse) et dans les centrales nucléaires montrent qu'on peut convertir de la matière en énergie. Des expériences réalisées dans les collisionneurs de particules montrent également que la collision d'une paire d'élecron-positron peut créer un photon. Inversement, les équations d'états de la matière et de l'énergie étant intercheangeables (cf. l'équation d'Einstein E=mc2), on sait qu'en théorie à partir d'une source importante d'énergie on peut créer de la matière et de l'antimatière.
Dans beaucoup d'expériences réalisées dans les collisionneurs de particules, on observe que des photons virtuels donnent naissance à des paires de particules-antiparticules, notamment des électrons-positrons. Mais jusqu'à présent, les physiciens n'étaient pas parvenus à les créer à partir de photons. Dans un article publié dans les "Physical Review Letters" en 2021, des chercheurs de la Collaboration STAR du BNL ont analysé les résultats de 6085 collisions de paires d'électrons-positrons produites à 200 GeV dans le RHIC (Relativistic Heavy Ion Collider). Pour la première fois dans l'histoire de la physique, les physiciens ont confirmé que la collision entre photons de très haute énergie peut créer de la matière et de l'antimatière. De plus, la réaction se produit en une seule étape. Pour rappel, en 1934 les physiciens Gregory Breit et John A. Wheeler firent l'hypothèse qu'il était possible que "la collision de deux quanta de lumière crée des paires d'électrons-positrons". Mais à l'époque, la technologie permettant de confirmer leur hypothèse n'existait pas. Il fallut patienter plus de 86 ans pour enfin confirmer leur hypothèse. Pour réaliser leur expérience, les chercheurs du BNL ont utilisé deux ions d'or chargés positivement qu'ils ont accélérés dans une boucle magnétique jusqu'à ce qu'ils atteignent 99.995% de la vitesse de la lumière. Ils les placèrent ensuite sur une trajectoire de quasi collision pendant qu'ils portaient un champ électromagnétique. De cette manière, au cours de l'interaction, des photons γ virtuels sont émis et ce champ permet de créer un photon, le quantum de lumière. La réaction que l'on cherche à produite est la suivante : γ γ → e- e+ Les chercheurs ont ainsi pu créer deux nuages de photons suffisamment intenses et portant suffisamment d'énergie se déplaçant en sens opposé. Lorsque les champs magnétiques des deux ions se sont frôlés sans entrer en collision, les deux champs photoniques ont interagi et des paires de particules-antiparticules (e-, e+) ont été créées à partir de la diffusion de la lumière par la lumière. L'interaction entre les nuages de protons entourant les ions répondait exactement aux caractéristiques du processus prédit par Breit et Wheeler. Créer de l'antimatière à partir d'impulsions laser Comme le confirma la Collaboration STAR en 2021 (voir ci-dessus), à partir de photons gamma, de la lumière au sens large, on peut créer de la matière et de l'antimatière. Cette fois, dans un article publié dans la revue "Nature Communications Physics" en 2021, Yutong He de l'Université de Californie à San Diego (UCSD) et ses collègues ont montré comment les physiciens peuvent créer de l'antimatière à partir d'impulsions laser gamma.
Pour parvenir à ce résultat, les physiciens ont utilisé le processus Breit-Wheeler précité dans lequel une paire d'électron-positron est créée à partir de la collision de deux photons. Mais il est extrêmement difficile à réaliser expérimentalement. La probabilité que cela se produise lorsque deux photons entrent en collision est très faible. Il faut des photons de très haute énergie, des rayons gamma, et beaucoup de photons pour maximiser les chances d'observation. Les physiciens n'ont pas encore la capacité de construire un laser à rayons gamma, de sorte que le processus de Breit-Wheeler photon-photon reste actuellement expérimentalement inachevé. Mais l'équipe de Yutong He a proposé une solution alternative qui, selon leurs simulations, pourrait réellement fonctionner. Il se compose d'un bloc de plastique dans lequel a été sculpté un motif de canaux entrecroisés à l'échelle micrométrique. Un puissant laser placé de chaque côté du bloc tire des impulsions sur cette cible. Selon Alexey V. Arefiev de l'UCSD et coauteur de cet article, selon la simulation, la double frappe laser devrait être capable de générer jusqu'à 100000 fois plus de positrons que la frappe d'un seul laser. Dans un communiqué publié par le laboratoire de recherche Helmholtz-Zentrum Dresden-Rossendorf (HZDR) en Allemagne, le physicien Toma Toncian déclara que "Lorsque les impulsions laser pénètrent dans l'échantillon, chacune d'elles accélère un nuage d'électrons extrêmement rapides. Ces deux nuages d'électrons se précipitent alors l'un vers l'autre avec toute leur force, interagissant avec le laser se propageant dans la direction opposée". La collision qui en résulte est si énergique qu'elle produit un nuage de photons gamma. Ces photons gamma devraient entrer en collision les uns avec les autres pour produire des paires d'électrons-positrons, conformément à la théorie de la relativité générale d'Einstein. À l'aide d'une simulation informatique complexe, les chercheurs ont testé leur modèle et ont constaté qu'il devrait fonctionner, même en utilisant des lasers moins puissants que les propositions précédentes. Plus intéressant encore, ce processus devrait générer de puissants champs magnétiques qui collimatent les positrons (plutôt que les électrons) sous forme de faisceaux ou jets fortement accélérés. À une distance de seulement 50 microns, les chercheurs ont découvert que l'accélération devrait augmenter l'énergie des particules jusqu'à 1 GeV. Non seulement la collimation et l'accélération du faisceau de positrons amélioreraient le taux de détection des particules, mais elles présentent une forte similitude avec les puissants jets de particules collimatés émis par les pulsars, des étoiles à neutrons en rotation rapide fortement magnétisées. En effet, selon les astrophysiciens, les émissions des pulsars peuvent produire de grandes quantités de photons gamma qui se matérialisent ensuite rapidement sous forme de paires de haute énergie. Les chercheurs pensent que les processus qui se déroulent à proximité de ces étoiles compactes pourraient former des nuages de rayonnement gamma, similaires à l'expérience qu'ils proposent. Selon Arefiev, "De tels processus sont susceptibles de se dérouler, entre autres, dans la magnétosphère des pulsars. Avec notre nouveau concept, de tels phénomènes pourraient être simulés en laboratoire, au moins dans une certaine mesure, ce qui nous permettrait ensuite de mieux les comprendre". Cependant, il y a peu d'endroits dans le monde où l'expérience pourrait être réalisée. La plus appropriée serait l'installation laser ELI-NP (Extreme Light Infrastructure Nuclear Physics) installée en Roumanie avec le support de l'Union européenne. Elle dispose de deux lasers de puissance capables de tirer simultanément sur une cible, comme le demande l'expérience. Des tests préliminaires avec des tirs à rayons X avec l'accélérateur linéaire du XFEL européen installé en Allemagne et géré par DESY devraient révéler si un champ magnétique est généré ou non, comme prédit par les simulations. Les chercheurs espèrent que leur expérience pourra ensuite être réalisée avec des lasers à impulsions courtes et des faisceaux de rayons gamma. Principe d’exclusion et statistique de Fermi-Dirac Après la découverte de l'antimatière, Wolfgang Pauli[15] se pencha sur les propriétés de la matière ou du rayonnement. La question était de savoir pourquoi la lumière pouvait se mélanger à un autre faisceau lumineux ou vibrer en cohérence alors qu’il était impossible de fusionner deux blocs de matière.
En 1935, Pauli énonça le "principe d'exclusion". Pour empêcher expliqua-t-il, deux fermions (toutes les particules sauf les bosons) d'occuper le même état d'énergie, ceux-ci ne peuvent avoir la même combinaison des quatre nombres quantiques pris 2 à 2, qu'il s'agisse du niveau d'énergie, du spin, du moment angulaire, etc. Si cela pouvait se produire, les électrons des différentes couches "chuteraient" sur le noyau et deviendraient indiscernables; c'est la statistique de Fermi-Dirac. C’est l’action de ce principe et la structure du noyau qui donne sa consistance à la matière. Cette loi est toujours valide et dans le cas contraire les propriétés de la matière ou du rayonnement sont altérés. Seuls les bosons vecteurs, tel le photon et les particules vibrants en cohérence (les paires d'électrons) n'obéissent pas à ce principe; c'est la statistique Bose-Einstein. C'est la raison pour laquelle deux faisceaux de lumière peuvent se superposer alors que deux verres ne peuvent que s’entrechoquer. Nous en reparlerons à propos des superfluides[16].
Les années trente resteront une période féconde. Les Etats-Unis construisirent leurs premiers accélérateurs de particules (Cockroft en 1930 et Lawrence en 1931), deux outils de recherches indispensables qui permirent aux physiciens d'étudier systématiquement "in vitro" les propriétés des noyaux atomiques. En bombardant des noyaux avec des particules animées d'une grande vitesse - une grande énergie - ceux-ci pouvaient se transmuter ou se briser en provoquant la dispersion de leurs constituants. Les physiciens devaient alors tenter de traduire en termes mathématiques les traces qu'ils observaient. En 1951, John Cockroft et Ernest Walton du laboratoire de Cavendish reçurent le prix Nobel pour leurs recherches en physique. Ce travail d'alchimie est loin d'être achevé. En 1932, Knoll et Ruska inventèrent le premier microscope électronique, remplaçant la source lumineuse par un flux d'électrons. En diminuant la longueur d'onde du rayonnement, l'image devint de plus en plus nette, ce qui leur permit de sonder la matière jusqu'à voir des structures de la longueur d'onde du faisceau d'électrons (0.1 nm pour les rayons X par exemple)[17]. Il s'agissait des premières applications de la physique quantique. Comme nous venons de l'expliquer, aujourd'hui le XFEL européen peut être utilisé comme canon à rayons X mais également comme microscope électronique grâce à de puissants flashes de rayons X afin de sonder la matière jusqu'au niveau atomique. Les applications concernent principalement la physique nucléaire mais également la biochimie et la nanotechnologie. Le neutron Depuis les années 1920, l'explication de Bothe et Becker concernant la radiation émise par le béryllium était incomplète. Intrigué par ce phénomène, le couple Joliot-Curie réputé pour ses travaux sur la radioactivité refit les expériences des deux Allemands de façon systématique. Quelques années plus tard, en bombardant une feuille de béryllium, des particules non chargées furent émises[19] : 4He + 9Be → 12C + n Ces particules (n) n'étaient en effet ni attirées par un champ magnétique ni par un champ électrique. En plaçant un bloc de paraffine composé d'hydrocarbures en face de la feuille, le couple français découvrit que ce rayonnement était capable d'éjecter des noyaux d'hydrogène. Mais eux non plus n'imagineront pas qu'une particule aussi massive que le proton était à l'origine de ce phénomène. Mis au courant de leurs travaux, l'Anglais James Chadwick avait pratiquement prédit les propriétés du neutron sous ces effets dynamiques variés avant de lire le résultat des expériences du couple Joliot-Curie.
Chadwick démontra en 1932 que le neutron était légèrement plus massif que le proton (0.14%) ce qui expliquait une grande partie de ses propriétés. Il confirmait ainsi l'hypothèse du neutron émise douze ans plus tôt par Rutherford. Les physiciens considérèrent alors que le noyau de l'atome était constitué uniquement de protons et de neutrons. Cette année verra encore Dirac établir son équation relativiste du mouvement des particules. Finalement, en 1936 grâce aux travaux d'Einstein, Enrico Fermi et Bruno Pontecorvo découvrirent qu'il était possible de désintégrer des noyaux en les bombardant avec des neutrons lents, des neutrons dits "thermiques". C'est ainsi que Otto Hahn et Fritz Strassmann obtinrent la fission de l'uranium en 1938. En contrôlant la réaction en chaîne qui se produisit dans le noyau, les physiciens trouvèrent un procédé pour utiliser l'énergie nucléaire. En 1942, Fermi construisit sa première "pile" à uranium et 3 ans plus tard, poussé par les militaires, Robert J. Oppenheimer rassembla plus de 2000 personnes à Los Alamos et mit au point la première bombe atomique. La rumeur rapporte que plus tard il regretta avoir observé les atomes. On ne le serait pas moins. Lorsqu'en 1948 parut l'article d'Alpher, Bethe et Gamow sur le rayonnement des étoiles, les astrophysiciens disposaient de tout l'arsenal tant théorique qu'expérimental pour réaliser la nucléosynthèse qui donnait naissance aux étoiles. A consulter : Les explosions nucléaires A propos des étoiles, nous savons que le Soleil émet quantité de rayonnements électromagnétiques et corpusculaires. Parmi ces derniers, il y a le neutrino. De quoi s'agit-il ? En analysant le bilan énergétique de la désintégration radioactive avec émission de rayonnement β (des électrons), en 1932 Wolfgang Pauli nota qu'il était incomplet et ne satisfaisait pas la théorie quantique de Bohr; une certaine quantité d'énergie nucléaire n'était pas toujours emportée par l'électron. Qu'était donc devenue l'énergie manquante ? Pauli suggéra que l'énergie de désintégration pouvait être partagée entre l'électron et une nouvelle particule sans masse et sans charge qu'il appellera le neutrino, signifiant "petit neutron". Malheureusement, on apprit plus tard que le neutrino est une particule neutre. Il est touché par l'interaction faible mais il peut traverser des centaines de kilomètres de roche (voir bas de page) sans subir la moindre interaction électromagnétique ou forte, raison pour laquelle sa détection et la détermination de sa masse sont rendues très difficiles. Cette hypothèse sera incorporée dans la théorie des interactions faibles par Enrico Fermi en 1932[18]. Mais en prédisant l'existence du neutrino, Pauli venait de formuler une équation que n'appréciaient guère les physiciens. Cette particule demeurait "invisible" et les physiciens attendront vingt ans avant de la détecter. Le neutrino fut découvert en 1952 par les physiciens américains Frederick Reines et Clyde Cowan de Los Alamos. Nous savions depuis 1943, grâce aux travaux du physicien japonais Shoichi Sakata sur les rayons cosmiques et les mésons, qu'il pouvait exister plusieurs espèces de neutrinos : le neutrino électronique νe et le neutrino muonique νμ. Depuis, nous avons ajouté une troisième famille, le neutrino tauonique ντ. Puisque le νe ou le νμ réagit avec le quark down d'un noyau d'hydrogène ou d'oxygène, les physiciens jamais à court d'idées ont imaginé enregistrer leur signature dans d'immenses cuves d'eau très pure sur les parois desquelles seraient placés des amplificateurs d'images. Ainsi lors dune réaction avec un quark d'un proton ou d'un neutron, le neutrino produit un électron ou un muon qui est éjecté à une vitesse supérieure à celle de la lumière dans l'eau. L'évènement apparaît sous la forme étonnante d’un cône de lumière bleue, c’est l'effet Cherenkov (ou Cerenkov) illustré ci-dessous. A lire : The Reines-Cowan Experiments - Detecting the Poltergeist (PDF), LANL
Pour être complet, rappelons que les neutrinos qui arrivent sur Terre ont deux origines. La première est le Soleil (neutrinos de 1-10 MeV), où ils se forment au cours des réactions thermonucléaires se déroulant dans le noyau. Il existe plusieurs réactions productrices de neutrinos : la chaîne pp, les réactions Béryllium-7 (7Be), pep et Boron-8 (8B) ainsi que la désintégration bêta (cette réaction se produit lorsqu'un neutron d'un noyau atomique instable se transforme en proton. Au cours de cette réaction, un électron et un antineutrino sont éjectés du noyau). La seconde source est extrasolaire, c'est-à-dire qu'ils proviennent des étoiles, notamment des supernovae (cf. SN 1987A, 7-40 MeV) et des autres galaxies, jusqu'au confins de l'univers. En effet, la distribution des neutrinos les plus énergétiques (> 1 TeV) est isotrope, ce qui prouve que leur origine n'est ni solaire ni galactique, mais bien extragalactique. Ces sources extragalactiques sont les quasars (y compris les AGN et les Blazars), les trous noirs et les GRB. On estime que 65 à 100 milliards de neutrinos solaires percutent chaque cm2 de notre corps chaque seconde. Ce n'est plus une pluie qui s'abat, c'est un déluge permanent ! Mais le nombre de photons est encore dix fois supérieur ! Précisons que chaque centimètre cube de l'univers contient également environ 300 neutrinos issus du Big Bang, ce qui signifie que notre corps contient à chaque instant quelque 20 millions de neutrinos primordiaux. Notre corps émet également quelques milliers de neutrinos chaque seconde ainsi que des particules radioactives qui représentent environ 10% de la radioactivité naturelle moyenne[20].
On sait aujourd’hui pourquoi il existe 3 familles ou saveurs de neutrinos : c'est parce qu’ils ont une masse et se propagent dans une superposition d'états et de phases distinctes qu'ils peuvent se transformer dans un mélange variable de νe et νμ. Mais une fois piégé on ne détecte plus qu’une seule saveur. Cela conduisit à une autre découverte. L'équipe américano-japonaise découvrit qu'il y avait un important déficit de νμ rapport aux νe de l’ordre de 1.2 νμ pour 1 νe. Or les νμ atmosphériques, c'est-à-dire les neutrinos piégés à 10 km d'altitude, sont deux fois plus abondants que les νe. Ils en déduisirent que les νμ s'étaient transformés en ντ. Ce déficit apportait la preuve que les νμ s'étaient transformés et que dès lors ils avaient une masse ! La découverte des oscillations et de la masse des neutrinos est capitale car elle a des conséquences en cosmologie, sur l'avenir de l'Univers. En effet, vu leur nombre, la masse des neutrinos peut forcer l'Univers à se replier sur lui-même à long terme, annonçant le Big Crunch. On estime que la masse critique de l'Univers ne peut pas dépasser la somme des masses des trois saveurs de neutrinos, soit ~40 eV/c². Aujourd'hui, il s'avère que la masse moyenne du neutrino est de l'ordre de 0.1 eV/c² soit, en vertu de la relation d'équivalence entre masse et énergie (E/c² = m) ~1.78 x 10-37 kg. Son impact sur l'avenir de l'Univers serait donc du même ordre de grandeur que la contribution de la matière contenue dans les étoiles, soit 5%, donc relativement faible. Revers de la médaille, les expériences de décroissance IMB installée dans une mine de sel à Cleveland aux Etats-Unis, GALLEX installée dans les Abruzes françaises, SAGE installé en Russie ou le détecteur SNO de Sudbury au Canada n'enregistrent chacune qu'un seul anneau de Cherenkov chaque jour depuis le début de leur expérience. C’est la seule trace quotidienne des neutrinos ! C'est pourquoi en 1996 les Japonais ont inauguré Super-Kamiokande, un détecteur de neutrinos cent fois plus sensible que les détecteurs existants. Les découvertes sont immédiatement apparues. En effet, lors de la conférence Neutrinos 98 qui s'est tenue à Takayama, au Japon, une équipe américano-japonaise annonça qu'elle avait découvert que le neutrino avait une masse. Les chercheurs estimaient la masse de repos du νe < 4 eV/c², soit un cent millième de la masse de l'électron, la particule la plus légère. Aujourd'hui, grâce à l'expérience KATRIN (KArlsruhe TRItium Neutrino) installée en Allemagne dont l'objectif est de déterminer la masse du neutrino électronique à partir du bilan de la désintégration bêta d'atomes dans des molécules de tritium, les physiciens ont estimé la masse de repos du νe < 0.8 eV/c² (cf. Collaboration KATRIN, 2022). Ils estiment pouvoir réduire cette limite supérieure d'un facteur 4 lorsque toutes les données seront analysées en 2024. Cette mesure sera certainement encore affinée après 2025, lorsque l'expérience KATRIN disposera d'un nouveau détecteur. A voir : Le neutrino, cet inconnu, Ecole Polytechnique, 2015
Notons que depuis 2015, grâce à l'expérience CUORE, les physiciens espèrent démontrer expérimentalement que le neutrino est sa propre antiparticule, c'est-à-dire un fermion de Majorana (voir page suivante), ce qui expliquerait le déficit d'antimatière par rapport à la matière. Mais le pari n'est pas encore gagné. On y reviendra dans l'article intitulé Le mystère des neutrinos manquants résolu. En astronomie neutrino, en 2013 l'IceCube détecta la première source extragalactique de neutrinos dont deux évènements supérieurs à 1 PeV. Au total, 28 évènements furent détectés entre mai 2010 et mai 2012. Mais la source de cette émission n'a pas été localisée car le système manquait encore de précision (cf. U.Wisc). En 2017, pour la première fois les scientifiques ont prouvé expérimentalement que les neutrinos très énergétiques (au moins 1 PeV ou 1015 eV) interagissaient avec la matière, conformément au modèle Standard. Ainsi, les chercheurs de la Collaboration IceCube ont découvert que les neutrinos ne pouvaient pas traverser le globe terrestre de part en part car ils étaient absorbés par la matière. On y reviendra lorsque nous décrirons la structure interne de la Terre. En 2018, les chercheurs de la collaboration IceCube et du satellite Fermi-LAT notamment annoncèrent avoir découvert pour la première fois une émission simultanée de neutrinos cosmiques de haute énergie (~290 TeV), de rayons X et gamma provenant d'un quasar, le blazar TXS 0506+056, renforçant l'intérêt de cette discipline. Puis, en 2019 l'équipe de Robert Stein de DESY détecta un neutrino issu d'un TDE (une perturbation par effet de marée) qui marque la destruction d'une étoile par le trou noir supermassif de 30 millions de M situé au coeur de la galaxie 2MASX J20570298+1412165 située à 700 millions d'années-lumière dans la constellation du Dauphin.
L'évènement nommé AT2019dsg fut détecté le 9 avril 2019 par le Zwicky Transient Facility (ZTF), une caméra CCD robotique de 606 mégapixels offrant un champ de 47° carrés installée sur le télescope Schmidt Samuel Oschin de 1.22 m (48") du Mont Palomar. La ZTF est capable de scanner plus de 3750° carrés par heure jusqu'à la magnitude 20.5. Six mois plus tard, le 1er octobre 2019, l'IceCube enregistra un neutrino extrêmement énergétique provenant de la même direction que le TDE. Il aurait été émis lors d'une éruption ayant produit un jet relativiste dans un AGN (cf. R.Stein et al., 2020; W.Winter et C.Lunardini, 2020; R.Stein et al., 2021). Puis, en 2022 l'astrophysicien Simeon Reusch de DESY et ses collègues dont Robert Stein précité ont annoncé la détection d'un neutrino extragalactique au cours de l'évènement ICE200530A alias AT20190fdr. Selon les chercheurs, ce neutrino proviendrait d'un TDE qui se serait produit dans une galaxie de Seyfert de type 1 à raies étroites (NLS1), c'est-à-dire un AGN (cf. S.Reusch et al., 2022 et en PDF). Mais d'autres indices suggèrent qu'il fut émis par une supernova de Type IIn superlumineuse (cf. T.Pitik et al., 2022). Pour ne pas alourdir cet article, on reviendra sur les SNe IIn et on expliquera comment les supernovae produisent des neutrinos. Concernant le lien avec un TDE, à ce jour les astrophysiciens ignorent de quelle manière un TDE pourrait émettre des neutrinos. Il existe toutefois un scénario possible. Un jet de particules projeté loin du trou noir pourrait accélérer les protons qui pourraient interagir avec le rayonnement environnant pour produire des neutrinos rapides. Mais pour cela, les chercheurs ont besoin de plus de données et donc de détecter d'autres neutrinos d'origine galactique ou extragalactique. La détection d'autres TDE autour de Sgr A* et l'apparition de nouvelles supernovae pourraient y contribuer. Dans tous les cas, c'est la deuxième fois qu'on parvient à remonter jusqu'à la source d'émission d'un neutrino ultra-énergétique, ce qui encourage les chercheurs à persévérer. Enfin, il existe un projet européen d'observatoire de neutrinos appelé KM3Net (Cubic Kilometre Neutrino Telescope). Il s'agit d'un détecteur sous-marin mesurant 1 km3 qui devrait être construit au milieu de la mer Méditerranée. La première pierre fut posée en 2013 mais à ce jour il n'est que partiellement financé. Deuxième partie La découverte du fermion de Majorana
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