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La physique quantique

Illustration d'un fermion de Majorana flottant à la surface d'une mer de Fermi. Cette particule est identique à sa propre antiparticule. Document Alexey Drjahlov/CC-BY-SA.

La découverte du fermion de Majorana (II)

Dans la foulée des prédictions faites par Dirac à propos de l'antimatière et des particules neutres, faisons un bon temporel jusqu'en 2014. Cette année là, le physicien Ali Yazdani de l'Université de Princeton et son équipe réalisèrent une expérience de superconductivité dans le cadre de recherches sur les qubits destinés aux ordinateurs quantiques. C'est en étudiant les propriétés d'un élément ferromagnétique qu'ils découvrirent une particule neutre qui était sa propre antiparticule, ce qu'on appelle un fermion de Majorana. Mais dans cette expérience les signaux mesurés étaient "liés" à un endroit particulier et ne se déplaçaient pas. Il était donc difficile de savoir dans quelle mesure d'autres effets affectaient ou non les signaux que les chercheurs avaient enregistrés. Il fallait donc affiner cette expérience afin de réduire cette marge d'erreur.

Puis en 2017, une équipe de physiciens dirigée par Jing Xia de l'Université de Californie à Irvine proche de Los Angeles et Kang Wang de l'UCLA annonça dans la revue "Science" avoir découvert la première preuve de l'existence du fermion de Majorana. Cette particule fut découverte au cours d'une série d'expériences conduites en laboratoire en collaboration avec l'équipe de Zhang Shoucheng de l'Université de Stanford qui découvrit le fermion de Majorana.

Selon Zhang, cette découverte "conclut l'une des recherches les plus intensives en physique fondamentale qui dura exactement 80 ans !" En effet, en 1937 le physicien théoricien italien Ettore Majorana (1906-1959) avait prédit qu’il existait des particules électriquement neutres et de moment dipolaire nul indiscernables de leur antiparticule. La découverte de particules sans charge comme le neutron puis le neutrino mit les physiciens sur une piste mais ce n'était pas les bons candidats (quoique le neutrino reste toujours un candidat potentiel). Cette fois, la prise était la bonne !

Le fermion de Majorana est appelé par les physiciens un fermion "chiral" car il se déplace dans une seule direction, un peu comme un tire-bouchon se visse toujours dans le même sens, et plus étonnant, dans un espace à 2 dimensions spatiales (contre 3 dans la physique classique); c'est un anyon.

Premières observations

Comment le fermion de Majorana fut-il découvert ? En 2001, le physicien Alexei Kitaev alors chez Microsoft Research et aujourd'hui au Caltech imagina un système relativement simple pour créer des fermions de Majorana dans des nanofils quantiques. Mais de l'avis de ses confrères, ce projet était irréaliste. En effet, Kitaev proposa d'utiliser un type de supraconductivité spécifique qui n'existait pas dans la nature. Par conséquent, d'autres physiciens ont rapidement cherché des mécanismes pouvant imiter le dispositif de Kitaev en laboratoire en combinant des matériaux existants.

En 2007, Liang Fu parmi d'autres chercheurs réalisa que les fermions de Majorana pourraient non seulement être observés mais également créés en laboratoire sur des isolants supraconducteurs topologiques, technique très sophistiquée qui exploite l'effet Hall quantique fractionnaire ou FQHE.

Ce que les scientifiques cherchaient c'est ce qu'on appelle des "quasi-particules", c'est-à-dire des signaux ou des excitations semblables à celles de particules qui résultent du comportement collectif des électrons dans des matériaux supraconducteurs (l'électricité produite par les électrons présentant 100% d'efficacité). Le processus qui donne lieu à ces quasi-particules s'apparente à la façon dont l'énergie se transforme en particules virtuelles qui redeviennnent de l'énergie dans le vide quantique (cf. E = mc2). Bien que les quasi-particules ne sont pas identiques aux particules "réelles", celle qu'on trouve dans la nature ou en labo, sur le plan physique elles seraient néanmoins considérées comme de véritables fermions de Majorana.

A gauche, en 2014 les chercheurs du laboratoire Yazdani de l''Université de Princeton ont utilisé un microscope à balayage et effet tunnel pour observer la structure atomique d'un nanofil de fer épais d'un atome fixé sur un film de plomb. La partie agrandie de l'image représente la probabilité quantique du nanofil de contenir un fermion de Majorana. La particule est située à l'extrémité du fil, ce qui correspond aux prédictions. Mais dans cette expérience, la quasi-particule est liée au support et ne se déplace pas. A droite, les physiciens décrivent l'électron par son niveau d'énergie, sa quantité de mouvement ou impulsion et son spin. Un électron peut occuper un niveau d'énergie possible tandis qu'un niveau inoccupé est appelé un trou d'électron. Un état électronique spécial appelé fermion de Majorana est représenté par la somme d'un électron et d'un trou qui se déplacent librement. Liang Fu du MIT a prédit que cet état particulier devrait exister à des températures proches du zéro absolu (0 K) dans une classe de matériaux supraconducteurs. L'électron et le trou ont le même spin (indiqué par des flèches pointant vers le bas), une caractéristique des fermions de Majorana qui en outre ne portent pas de charge, leur moment dipolaire est nul et sont donc indiscernables de leur antiparticule. Documents Yazdani Lab/U.Princeton et MIT.

Depuis les années 2012-2014, les physiciens des universités MacDonald, d'Austin, de Princeton et de Delft parmi d'autres avaient déjà observé la quasi-particule de Majorana mais n'étaient pas encore parvenu à la créer intentionnellement (ou la détruire). En effet, créer cette particule élusive de manière contrôlée est une tâche difficile. D'une part, le fermion de Majorana ne peut exister que dans un matériau supraconducteur spécial placé dans un champ magnétique, ce qui pose un défi puisque les champs magnétiques ont tendance à détruire les supraconducteurs. Quant au matériau supraconducteur, il doit présenter un flux très ordonné d'électrons au risque de détruire l'expérience. Il faut donc trouver un mécanisme pour synchroniser tous les électrons. De plus, de part sa nature un aimant perturbe généralement le flux ordonné des électrons, comme une grosse pierre interfère avec la synchronicité d'une eau coulant régulièrement.

Comme leurs collègues de Princeton, d'Austin ou de Delft, les scientifiques de l'Université de Stanford sont parvenus à réaliser quelques expériences impliquant des nanofils supraconducteurs et ont relevé des signatures prometteuses pouvant être celles du fermion de Majorana. Mais les signaux étaient ceux de quasi-particules liées, qui ne se déplaçaient pas. Ces expériences n'étaient donc pas concluantes non plus.

Le Dr Zhang Shoucheng de l'Université de Stanford (vers 2017). Document SLAC.

Dans les dernières expériences menées à UCLA et à l'UC-Irvine, l'équipe de Zhang a fabriqué un système hybride comprenant un film mince d'isolant topologique magnétique, le fameux isolant quantique anormal de Hall (QAHI), recouvert d'un film supraconducteur dans lequel fut envoyé un courant électrique, l'ensemble étant placé à l'intérieur d'une chambre à vide réfrigérée.

Comme un fil conducteur classique, l'isolant topologique ne conduit le courant que le long de sa surface ou de ses bords, mais pas à travers son épaisseur (au milieu). Autrement dit, les électrons se déplacent uniquement le long des deux bords de la surface du matériau et sans résistance. En ajoutant une petite quantité de matériau magnétique, les chercheurs ont forcé les électrons à se déplacer dans un sens le long d'un bord de la surface et dans l'autre sens le long du bord opposé. Ensuite, les chercheurs ont balayé un aimant sur le sandwitch supraconducteur ainsi formé. Cela ralentit le flux d'électrons, l'arrêta et il changea de sens. Ces changements se déroulaient par étapes brusques, comme l'intervalle entre les marches d'un escalier.

Comme l'explique Zhang, "à certains moments de ce cycle, des quasi-particules de Majorana ont émergé, apparaissant par paires hors de la couche supraconductrice et se déplaçant le long des bords de l'isolant topologique, tout comme les électrons. Un membre de chaque paire fut dévié hors de la trajectoire, ce qui permit aux chercheurs de mesurer facilement le flux des quasi-particules individuelles qui continuaient à se propager. Comme les électrons, ils ralentissaient, s'arrêtaient et changeaient de direction - mais par étapes moitié moins importantes que les électrons. Ces demi-mesures étaient la preuve que les scientifiques recherchaient".

Les quasi-particules qui furent observées sont essentiellement des excitations dans un matériau qui se comporte comme des particules de Majorana. Mais ce ne sont pas des particules élémentaires et elles sont fabriquées de manière ad hoc dans un matériau spécialement préparé. Selon le physicien Giorgio Gratta qui participa à la conception et à la planification de l'expérience EXO-200 à l'Université de Stanford qui vise à étudier la double décroissance bêta du neutrino afin de vérifier s'il est ou non sa propre antiparticule (comme le fait l'expérience CUORE en Europe), "si ces fermions de Majorana ont bien été observés en laboratoire, il est très improbable qu'ils apparaissent dans l'univers, mais qui sommes-nous pour le certifier ? D'un autre côté, les neutrinos sont partout, et si l'on découvre qu'elles sont des particules de Majorana, nous montrerons que la nature a non seulement rendu possible ce type de particules mais, en fait, elle en a littéralement rempli l'univers".

La particule d'ange

Bien que la recherche de ce fameux fermion de Majorana semble théorique, elle pourrait avoir des débouchés concrets dans la construction des ordinateurs quantiques dits topologiques. En effet, ces particules ne sont pas sensibles au bruit de l'environnement, ce qui constitue toujours un obstacle au développement de ces ordinateurs très spéciaux. Puisque chaque fermion de Majorana est en fait une demi-particule élémentaire, un seul qubit d'information pourrait être stocké dans deux fermions de Majorana physiquement séparés, diminuant ainsi le risque qu'un évènement puisse les perturber tous les deux et leur faire perdre l'information qu'ils portent. Comme le disent les informaticiens, ce type de système est "fault-tolerant" (tolérant aux pannes) et donc capable de fonctionner en mode dit dégradé sans erreur ni panne.

Zhang a proposé de nommer le fermion chiral de Majorana la "particule d'ange", en référence au bestseller "Anges et Démons" (2000) de Dan Brown (l'auteur du "Da Vinci Code") dans lequel les Illuminati complotent contre le Vatican et planifient de faire exploser une bombe dont la puissance provient de l'annihilation matière-antimatière. Contrairement au livre, précisa Zhang, "dans le monde quantique du fermion de Majorana, il n'y a que des anges - pas de démons".

A voir : Search and Discovery of the Majorana Fermion, Stanford, 2017

Quantum Computation possible with Majorana Fermions, 2013

A gauche, le dispositif électronique utilisé par les physiciens pour détecter le signal des fermions de Majorana. Le tube gris au centre est le nanofil de l'épaisseur d'un atome et la zone verte est le film mince d'aluminium supraconducteur. A droite, le même dispositif simulé en 3D. La particule verte est l'électron qui va permettre de détecter le fermion de Majorana en orange. Consulter également la vidéo de 2013 ci-dessus. Documents Hao Zhang/QuTech et Kavli Institute/T.U.Delft.

Nouvelle expérience à Delft

En 2018, le physicien Hao Zhang de l'Université de Delft et ses collègues dont Leo Kouwenhoven ont annoncé dans la revue "Nature" avoir réalisé une nouvelle expérience autour du fermion de Majorana et obtenu une mesure précise et sans évoque de la présence de la quasi-particule dans des nanofils semiconducteurs à base d'antimoniure d'indium (InSb) recouverts d'une coque supraconductrice en aluminium. Le pic de polarisation à zéro (la signature du fermion de Majorana près du zéro absolu) observé présentait un niveau d'énergie de 2e2/h (équivalent à e2/πħ avec ħ=h/2π), une valeur beaucoup plus importante que les niveaux atteints lors des expériences précédentes et resta constant malgré les paramètres changeants tels que le champ magnétique et le couplage de l'effet tunnel. L'évènement est resté stable malgré sa dépendance de la température.

Les auteurs confirmèrent que "l'observation d'un plateau de conductance quantifié soutient fortement l'existence de modes zéro de Majorana dans le système, ouvrant ainsi la voie à de futures expériences de tressage qui pourraient conduire à un calcul quantique topologique".

Et les progrès continuent.

Pour plus d'informations

Le mystère des neutrinos manquants résolu (sur ce site)

L'ordinateur quantique (sur ce site)

Focus on Majorana Fermions in Condensed Matter (liste d'articles), New Journal of Physics

Neutrino Detectors and Sources (PDF), Steve Boyd/U.Warwick, 2020

Quantized Majorana conductance, Hao Zhang et al., Nature, 2018

Dans les coulisses de l’ordinateur quantique topologique, Bernard Ourghanlian, Microsoft France, 2017

Spotting the spin of the Majorana fermion under the microscope, U.Princeton, 2017

Researchers propose a new method for verifying the existence of Majorana fermions, Denis Paiste, MIT, Phys.org, 2016

New Superconductor Could Pave Way to Practical Quantum Computers, U.Texas, 2016

Three-dimensional Majorana fermions in chiral superconductors, Liang Fu et al., Science Advances, 2016

Majorana fermion: Physicists observe elusive particle that is its own antiparticle, Yazdani Lab/U.Princeton, Phys.org, 2014

Signatures of Majorana Fermions in Hybrid Superconductor-Semiconductor Nanowire Devices, Leo Kouwenhoven et al., Science, 2012

A solid case for Majorana fermions, Nature, 2012

Superconducting proximity effect and Majorana fermions at the surface of a topological insulator (arXiv), Liang Fu et C.L. Kane, 2007

Unpaired Majorana fermions in quantum wires (arXiv), Alexei Kitaev, 2001.

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