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Une cinquième interaction fondamentale ?

Une hypothèse

En 1986, à l'époque où les physiciens installaient les premiers interféromètres pour détecter des ondes gravitationnelles, au cours d'une expérience relative à la gravitation, Ephraim Fischbach de l'Université de Purdue et ses collègues découvrirent une anomalie qui pouvait s'interpréter comme l'effet d'une nouvelle interaction similaire à la gravité qui fut aussi aussitôt appelée la "cinquième force". Leur analyse fut publiée dans les "Physical Review Letters" qui n'est tout de même pas la moins sérieuse des revues (la différence avec la "Physical Review" est que la première permet de publier plus rapidement de brefs rapports sur la physique fondamentale).

Pour commémorer le 10e anniversaire de cette découverte, Fischbach remit cette hypothèse sur la table dans un nouvel article publié en 1996, une manière de rappeler le problème à la communauté scientifique.

Au cours de cette expérience, les chercheurs ont soigneusement réexaminé les résultats de l'expérience d'Eötvös, Pekár et Fekete, au cours de laquelle ils avaient comparé les accélérations de divers matériaux soumis à la gravité terrestre. Les chercheurs ont découvert que les données d'Eötvös sont sensibles à la composition des matériaux utilisés et que leurs résultats supportent l'existence d'un couplage dans une gamme intermédiaire de nombre baryonique ou d'hypercharge (la combinaison de l'ispospin et de la saveur des quarks) de l'interaction forte.

Concrètement, selon Fishbach, dans les modèles les plus simples, cette hypothétique "cinquième force" résulterait de l'échange d'un nouveau boson ultra-léger qui se couplerait à la matière ordinaire avec une force comparable à la gravité. De nombreuses théories de la physique à l'échelle de Planck prédisent l'existence d'un tel champs bosonique dont l'effet modifie l'expression de l'énergie d'interaction V(r) entre deux masses m1 et m2 selon la relation :

où G est la fameuse constante de la gravitation pour une distance r → ∞. Les constantes α et λ caractérisent la force de la nouvelle interaction (par rapport à la gravité) et la portée de la nouvelle force. Vous trouverez plus de détails dans les articles de Fishbach.

Un spectromètre à électron-positron qui aurait permis à des chercheurs de l'Académie des Science de Hongrie de découvrir en 2015 un nouveau boson supportant l'existence hypothétique d'une cinquième interaction.

Puis, en 2015 le physicien Attila Krasznahorkay de l'Académie Hongroise des Sciences et ses collègues rapportèrent avoir détecté grâce au spectromètre à électron-positron présenté ci-dessus une anomalie significative au cours d'une expérience de collision entre des protons et du lithium-7. Cette réaction crée des isotopes instables de béryllium-8 qui décroissent ensuite en paires d'électrons-positrons.

Techniquement, cette particule est un boson X protophobique, c'est-à-dire un boson vecteur qui n'interagit pas avec les protons (ce n'est pas un photon de matière sombre) mais qui intervient dans la réaction de décroissance suivante :

8Be* 8Be X qui ensuite décroit en X → e+e-.

Selon le modèle Standard, au cours de cette expérience les physiciens auraient dû constater que le nombre de paires observées diminue au fur et à mesure que l'angle séparant la trajectoire de l'électron et du positron augmente. Or en reportant dans un diagramme le nombre de paires en fonction de l'angle, les chercheurs ont constaté que sous un angle d'environ 140º, le nombre d'émissions de paires accusa un" bosse" (un bump) avant de décroître sous des angles plus élevés. Selon Krasznahorkay, cette "bosse" est une preuve significative qu'une fraction infime des noyaux de béryllium-8 instables ont perdu leur énergie excédentaire sous la forme d'une nouvelle particule, un boson X, qui se désintégra ensuite en une paire électron-positron. Les chercheurs ont déterminé que cette particule qui serait un nouveau boson de jauge présente une masse de repos ultra-légère de ~16.7 MeV soit ~34 fois la masse de repos de l'électron.

L'article qui fut publié sur le serveur arXiv fut pratiquement ignoré par la communauté scientifique au point que le journaliste scientifique Edwin Carlidge l'évoqua dans la revue "Nature" en mai 2016.

Comme par hasard, dans un article publié en août 2016 dans les "Physical Review Letters" (en PDF sur arXiv) soit 30 ans après la première expérience de l'équipe de Fischbach, un groupe de physiciens théoriciens américains dirigé par Jonathan Feng de l'Université de Californie à Irvine analysa les résultats de l'équipe hongroise et montra que l'anomalie n'était pas en contradiction avec les expériences antérieures et conclut que ce boson renforçait l'hypothèse qu'il existerait une cinquième force.

L'expérience Muon g-2

Le 23 mars 2021, le CERN annonça dans un communiqué (cf. aussi l'article publié sur arXiv) un "nouveau résultat intriguant de l'expérience LHCb". Les résultats "renforcent les indices d'une violation de l'universalité de la saveur des leptons". Autrement dit, les physiciens ont découvert des indices qui pourraient indiquer l'existence d'une nouvelle particule et d'une cinquième interaction fondamentale. Tout cela bien sûr, au conditionnel.

Les chercheurs ont comparé deux types de désintégration des baryons en leptons. La première concerne l'électron, la deuxième le muon, une particule élémentaire similaire à l'électron, mais environ 200 fois plus massive (105.65 MeV/c2 contre 0.511 MeV/c2). Les réactions font intervenir des baryons b (des baryons contenant au moins un quark b) dans lesquels le quark b se transforme en un quark s avec l'émission soit d'un électron et d'un positon, soit d'un muon et d'un antimuon.

L'électron et le muon sont des leptons (comme le tau et les neutrinos et leurs antiparticules) et présentent des saveurs leptoniques. Selon le modèle Standard, les désintégrations impliquant différentes saveurs de leptons devraient se produire avec la même probabilité, une propriété appelée l'universalité de la saveur des leptons, qui est généralement mesurée par le rapport entre les probabilités de désintégration. Dans le modèle Standard de la physique des particules, ce rapport devrait être très proche de 1. Autrement dit, les quarks b doivent se désintégrer aussi souvent en muons qu'en électrons.

Or les nouveaux résultats dévient de l'unité, avec un intervalle de confiance (écart-type) de 3.1σ, soit 1 chance sur 1000 (une probabilité d'environ 0.1%) qu'il s'agisse de l'effet du hasard.

Selon Chris Parkes de l'Université de Manchester et porte-parole du LHCb, "Si une violation de l'universalité de la saveur des leptons devait être confirmée, cela impliquerait un nouveau processus physique, comme l'existence de nouvelles particules ou interactions fondamentales. D'autres études sur des processus connexes sont en cours à l'aide des données LHCb existantes. Nous sommes impatients de voir si elles renforcent les indices intrigants des résultats actuels".

En parallèle, le 7 avril 2021 le Fermilab publia un communiqué titrant : "Les premiers résultats de l'expérience Muon g-2 du Fermilab renforcent les preuves d'une nouvelle physique". Cette découverte est la dernière d'une série de résultats prometteurs d'expériences réalisées par une équipe internationale de quelque 200 scientifiques de 35 institutions de sept pays.

Comme son nom l'indique, l'expérience Muon g-2 étudie le comportement des muons. Elle consiste à envoyer des anti-muons dans un anneau de 14 m de diamètre puis à leur appliquer un champ magnétique afin de mesurer leur précession. Selon les lois actuelles de la physique du modèle Standard des particules, le moment magnétique, g-2 en abrégé, des muons devrait osciller à une certaine fréquence. Or, après avoir mesuré pendant près de 3 ans le déplacement de plus de 8 milliards de muons, les chercheurs ont découvert que les muons oscillaient à un rythme plus rapide que prévu.

La valeur théorique du facteur g du muon vaut 2.00233183620(86) selon le modèle Standard (cf. M.Hoferichter et al., 2020) et l'anomalie du moment magnétique vaut 0.00116591810(43) (l'incertitude est entre parenthèse). Les résultats combinés de la nouvelle expérience réalisée par les laboratoires du Fermilab et de Brookhaven (BNL) donnent un facteur g = 2.00233184122(82) et une anomalie du moment magnétique de 0.00116592061(41). La différence de 4.2σ pourrait être provoquée par une nouvelle force. Mais à part influencer les muons, on ignore les effets de cette interaction hypothétique.

Selon le physicien Mark Lancaster de l'Université de Manchester et responsable britannique de l'expérience : "Nous avons constaté que l'interaction des muons n'est pas en accord avec le modèle Standard".

Selon les chercheurs, il y a 1 chance sur 40000 (une probabilité de 0.025% , ce qui correspond à un intervalle de confiance de 4.2σ) que le résultat soit une coïncidence. Mais il faudrait atteindre 5σ pour revendiquer une découverte, ce qui représente une chance sur 3.5 millions qu'il s'agisse de l'effet du hasard.

Les processus fondamentaux contribuant à la désintégration des mésons B+ en K+ selon le modèle Standard (gauche) et un hypothétique nouveau modèle (droite). A gauche, un méson B+ constitué de quarks anti-b et u se désintègre en un méson K+ constitué des quarks anti-s et u ainsi que deux leptons chargés l+ et l-. La contribution implique les bosons électrofaibles γ, W+ et Z°. A droite, une éventuelle nouvelle contribution physique à la désintégration comprend un leptoquark hypothétique (LQ) qui, contrairement aux bosons électrofaibles, pourrait interagir avec les différents types de leptons. Document CERN/Collaboration LHCb  (2021).

Comme expliqué plus haut, il est possible que cette force soit associée à une particule encore inconnue. Selon les dernières études fondées sur le modèle de Pati-Salam - la GUT fondée sur le groupe de Lie SU(5) - il pourrait s'agir d'un leptoquark ou d'un boson Z' (Z-prime).

A présent le Fermilab comme le CERN vont tenter de confirmer l'existence de cette particule ou de cette cinquième force que Ben Allanach de l'Université de Cambridge appelle déjà la "force de saveur", la "troisième hyperforce familiale" ou, plus prosaïquement "B moins L2". Mais cela nécessitera plus de données et donc plus de mesures afin de prouver que ces effets sont bien réels.

A ce jour, aucune équipe de physiciens n'a officiellement annoncé la découverte de cette hypothétique particule ou de cette cinquième interaction fondamentale (cf. les découvertes récentes).

Le côté obscur de la cinquième force

La nature de la matière sombre

Si Feng valida l'expérience hongroise évoquant une cinquième force, en 2018 il proposa également avec ses collègues une nouvelle expérience appelée FRASER (Forward Search Experiment) pour les détecteurs ATLAS et CMS du LHC qui permettrait de détecter les tout aussi élusifs "photons noirs" (ou sombres) d'une masse estimée entre 10-500 MeV qui représenteraient l'une des composantes hypothétiques de cet Univers invisible qui nous entoure.

Pour sa part, l'astronome postdoctorant Lijing Shao de l'Institut Max Planck de Radioastronomie (MPIfR) et ses collègues estimaient dans un article publié en 2018 dans les "Physical Review Letters" (en PDF sur arXiv) que les étoile à neutrons et les pulsars seraient des candidates toutes désignées "pour interagir avec la matière sombre" et pourraient nous permettre de mieux comprendre ce qu'elle représente et nous mettre sur la piste de cette hypothétique cinquième force.

Les chercheurs ont proposé un test expérimental sur le pulsar binaire PSR J171300747 et si possible sur d'autres pulsars binaires situés à moins de 33 années-lumière (10 pc) du centre de la Voie Lactée afin de mieux contraindre les modèles actuels et prédire les valeurs de couplage entre la matière sombre et le modèle Standard.

S'il s'avère que cette cinquième force existe, elle sera appréciée et très applaudie par les théoriciens (cf. cet article publié dans la revue "Science" en 2015) et les cosmologistes défenseurs de la théorie de la matière sombre (ou noire) qui prétendent depuis des années que le modèle Standard est incapable d'expliquer la nature de cette substance invisible qui constitue environ 26.8% de l'Univers (auxquels s'ajoutent les 68.3% d'énergie sombre) et représente une masse six fois plus importante que la matière visible (qui ne représente que 4.9% de la densité d'énergie totale de l'Univers constituée des particules du modèle Standard matérialisées par les étoiles, les planètes et les galaxies).

Dans ce cas, il n'y aurait même plus besoin d'inventer des particules "supersymétriques" qui seraient associées aux particules ordinaires pour expliquer cette masse "manquante". L'enjeu de cette découverte est donc aussi important pour les physiciens que pour les cosmologistes ou les astrophysiciens.

Résultat négatif concernant l'énergie sombre

En 2019, l'équipe d'Edmund J. Copeland de l'Université de Nottingham publia dans les "Physical Review Letters" les résultats d'une expérience de laboratoire conduite à l'Imperial College de Londres testant toute une série de théories associant l'énergie sombre à une éventuelle cinquième force.

Le postulat était que la cinquième force est comparativement plus faible que la gravité lorsqu'il y a plus de matière alentour (l'inverse de la gravité). Cela signifierait que cette cinquième force est intense dans un vide semblable à l'espace mais faible lorsqu'il y a beaucoup de matière alentour. Par conséquent, des expériences utilisant deux poids importants ne permettraient pas de mesurer cette force qui serait trop faible pour être détectée. En revanche, en théorie on pourrait détecter cette force lors d'une interaction avec un seul atome.

Principe de l'expérience. Les parois de la chambre à vide sont en Z. La courbe rouge continue représente le champ scalaire : petit en Z, il s’élève jusqu'à ϕbg au centre de la chambre à vide. La courbe bleue pointillée représente la bille en position 1 ou 2 qui perturbe ϕ et génère un gradient ∇ϕ. Les atomes situés au centre de la chambre ont une accélération aϕ proportionnelle à ∇ϕ vers la bille que l'on mesure par interférométrie atomique. Document E.J.Copeland et al. (2019).

Les chercheurs ont donc décidé de faire l'expérience avec un poids massif et un poids réduit à un seul atome, où la force devrait être observée si elle existait. L'équipe utilisa un interféromètre atomique (ou boussole quantique) pour vérifier s'il existait des interactions supplémentaires pouvant constituer la cinquième force agissant sur cet atome. Une bille d'aluminium de 19 mm de rayon fut placée dans une chambre à vide (densité résiduelle de 9.6x10-10 mbar de dihydrogène) dans laquelle ont laissa tomber des atomes en chute libre.

La théorie est la suivante : s'il existe une cinquième force agissant entre la bille et l'atome, le trajet de l'atome doit légèrement s'écarter au passage de la bille, ce qui modifiera la trajectoire de l'atome en chute libre. Résultat : aucune déviation anormale ne fut observée. L'équipe conclut qu'elle ne trouva aucune preuve.

La fin du modèle Standard ?

Ces résultats font dire à certains physiciens qu'il faut envisager une nouvelle physique pour ne pas dire une physique "exotique" et que ces découvertes signent la fin du modèle Standard. Vrai ou faux ? Peut-être bien, peut-être pas. En effet, les recherches se déroulent actuellement et l'Histoire de la physique fondamentale n'est pas encore écrite.

En réalisant des millions de mesures dans les collisionneurs de particules, il faut s'attendre à ce que certaines d'entre elles s'écartent des prédictions du modèle Standard. De plus, on ne peut jamais totalement écarter la possibilité qu'il y ait un biais dans l'expérience qui n'a pas été correctement identifié, indépendamment du fait que le résultat ait été vérifié de manière extrêmement rigoureuse. Pour éviter ce piège, les physiciens n'ont pas d'autres choix que de compter sur l'effet de la moyenne statistique en rassemblant plus de données afin de lisser les erreurs. C'est l'une des raisons pour laquelle le LHCb a fait l'objet d'une mise à niveau majeure pour augmenter considérablement le taux de collisions qu'il peut enregistrer. On parle ici de millions de mesures et de milliards de paramètres, c'est-à-dire des térabytes de données à enregistrer et analyser. Des centaines de physiciens ne sont pas de trop pour réaliser ce travail de fourmi.

Même si l'anomalie persiste, elle ne sera validée que lorsqu'une équipe indépendante réalisera le même type d'expérience et obtiendra le même résultat avec une précision de 5σ. Pour cela des chercheurs travaillant avec le Tevatron aux Etats-Unis, XTEL en Allemagne et l'expérience Belle II au Japon sont en train de réaliser des mesures similaires. Ces expériences peuvent durer plusieurs années voire même plus d'une décennie.

Une possibilité intéressante est que les physiciens pourraient détecter une ou plusieurs nouvelles particules responsables de cette "anomalie" constatée dans les expériences actuelles.

Qu'est-ce que cela pourrait concrètement signifier pour l'avenir de la physique fondamentale ? Si les futures expériences confirment l'existence de nouvelles particules élementaires, alors ce sera la percée scientifique à laquelle les physiciens aspirent depuis des décennies.

Ils auront enfin vu une partie du paysage plus large qui s'étend au-delà du modèle Standard, ce qui pourrait finalement permettre de résoudre un certain nombre de mystères en suspens. Ceux-ci incluent la nature de la matière sombre ou la nature du boson de Higgs. Cela pourrait même aider les théoriciens à unifier les particules et les interactions fondamentales sans obligatoirement devoir recourir à des dimensions excédentaires. Ou, peut-être mieux encore, cela pourrait mettre les physiciens sur la voie d'une nouvelle vision du monde quantique.

Les résultats de ces expériences représentent donc potentiellement un enjeu majeur pour la physique fondamentale et notre compréhension de la réalité. De telles résultats ne se produisant pas très souvent, on comprend que tous les physiciens des particules soient excités à l'idée de participer à une éventuelle découverte majeure. La "chasse" à ces nouvelles particules est donc ouverte, la première équipe la découvrant marquant l'Histoire de la physique d'une pierre blanche et son inventeur gratifié du prix Nobel de Physique.

Mais nous devons aussi rester prudents et humbles. Des critiques extraordinaires exigent des preuves extraordinaires. Seuls le temps et un travail minutieux, difficile et acharné nous diront si nous avons enfin vu la première lueur du monde qui se cache au-delà notre compréhension actuelle de la physique des particules.

Affaire à suivre.

Pour plus d'informations

Sur ce site

Les interactions entre particules (sur ce site)

Caractéristiques des principales particules (sur ce site).

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