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La théorie des supercordes

Document BBC-One.

La leçon de dame Nature

Dans leur quête d'une meilleure compréhension des phénomènes et donc des lois de la nature, les théoriciens ont remarqué qu'en unifiant les lois les plus générales, ils obtenaient toujours une théorie encore plus élégante, c'est-à-dire plus complète et expliquant mieux la nature des phénomènes que leurs différentes théories éparses.

Seul désavantage de ces généralisations, leur expression mathématique est plus complexe qu'une simple loi, ce qui rebute certains chercheurs idéalistes qui croient que la nature est fondamentalement simple et se décrit en quelques formules.

La théorie des supercordes (en fait il existe plusieurs versions) forme aujourd'hui le cadre d'une nouvelle physique encore balbutiante. Par ses conséquences et le fait qu'elle unit des théories majeures de la physique, elle mérite certainement notre attention. De quoi s'agit-il ?[1]

SUSY, une élégante supersymétrie

Pour décrire l'union des quatre interactions fondamentales, certains physiciens préfèrent remplacer les théories de symétrie, qui ne tiennent pas compte de la gravité, par des théories de supersymétrie. Elles tiennent compte de la gravitation mais elles sont plus contraignantes car elles imposent d'associer à chaque boson de spin entier un fermion de spin demi-entier. Problème, rien ne prouve que ces derniers existent et rien ne permet plus de différencier les deux types de particules en raison de la supersymétrie.

L'univers des particules élémentaires

Quelle théorie pourrait unir toutes ces particules ?

Quarks (3 couleurs et 6 saveurs)

18

Familles d’électrons

3

Familles de neutrinos

3

Leur antiparticule

24

Gluons

8

Photon

1

Bosons de l’interaction faible

3

Particule de Higgs Z°

1

Solution du puzzle :

- Les particules sont composites (ce qui n’a pas encore été démontré)

- Les particules sont en nombre infini : c’est la solution proposée par la théorie des supercordes.

Selon Geoffrey Chew, inventeur de la théorie du "bootstrap", la supercorde serait un objet géométrique à une seule dimension spatiale immergé dans un espace-temps d’ordre supérieur dit "millefeuilles" (manifold). 484 porteurs d’interactions sont compactifiés ainsi que 6 dimensions excédentaires. Reste un espace-temps à 4 dimensions conforme à la réalité. Conforme ou non à la réalité, il est encore trop tôt pour le dire.

Les théories de supercordes dont la théorie M ne décrivent pas seulement les modes vibratoires des différentes particules et leurs interactions, électrofaible ou forte sous l'emprise des relations d'incertitudes, mais également la gravitation à haute énergie avec toute les certitudes qui la qualifie, un pas de plus vers la quantification de la gravitation.

Cette théorie nécessite une nouvelle terminologie. Les contreparties supersymétriques des particules sont dénommées “superparticules” ou “sparticules” et reçoivent des noms différents selon les modèles. Les partenaires supersymétriques des fermions reçoivent une terminaison en “-ino”, qui n’est pas toujours flatteuse (wino par exemple signifie poivrot en argot américain) : photino, gravitino, wino (avec “s” au pluriel). Les bosons vecteurs entre les fermions reçoivent le préfixe “s-” : sélectron, squark. Leur spin est différent de 1/2 : 1/2 pour l’électron, 0 pour le sélectron; 2 pour le graviton, 3/2 pour le gravitino, etc.

La supersymétrie unificatrice

Heinz R.Pagels pense que la supersymétrie pourrait unifier la physique des particules comme l’illustre le schéma ci-dessous. A l’origine, l’Univers était régi par les lois d’une “Théorie Totalement Unifiée” (TUT) ou Théorie de Tout (TOE). Lorsque l’expansion refroidit l’Univers sous la température de Planck (1032 K), une cascade de brisures de symétries spontanées se sont produites, chaque entraînant la séparation d'une interaction et de son ou ses vecteurs (bosons).

A gauche, les particules conventionnelles (R = +1) et les théories qui les décrivent, GUT, le modèle de Weinberg-Salam SU(2)xU(1), la CDQ et l’EDQ. Toutes auraient leur contrepartie à droite (R = -1), dans laquelle le monde se réfléchit dans un “supermiroir”. Les physiciens considèrent toutefois que les superparticules du monde de droite sont trop massives pour se former dans la génération actuelle des accélérateurs. Document adapté de "Science".

Avant d'en venir aux supercordes et à la théorie M, les concepts les plus avancés en matière de supersymétrie, examinons la théorie de Grande Unification la plus ancienne, considérée aujourd'hui comme un cas d'école, le modèle 5D de Kaluza-Klein. Ce modèle a fortement influencé les nouvelles théories de supersymétrie.

Leçon de supergravité : le modèle de Kaluza-Klein

Plutôt que d'imposer à Susy une invariance globale de supersymétrie comme l'impose la physique quantique, on peut agir localement sur un point de l'espace-temps dans le respect des principes de localité de la théorie de la relativité. Les opérations de supersymétries qui en découlent permettent de retrouver des équations qui ressemblent à la théorie de... la gravitation.

La supergravité fut introduite en 1919 par l'Allemand Théodore Kaluza. Elle unit dans une seule formule la gravitation et l'électromagnétisme. Au départ ,on reprochait à Kaluza[2] le fait que sa théorie n'était pas quantifiée et de plus se référait à 5 dimensions, ce qui était loin d'être démontré (et ne l'est toujours pas). En 1926, les physiciens Oskar Klein[3] et H.Mandel parvinrent indépendamment l'un de l'autre à lui donner une formulation quantique.

Théodore Kaluza vers 1940.

Leur théorie deviendra le modèle Kaluza-Klein à 5D. Dans cette théorie, l’unité fondamentale de la charge électrique e est liée à la circonférence d’un cercle de Kaluza-Klein :

l = 1/e √ (64p3G)

G étant la constante de la gravitation.

Cette longueur l = 2.3 x 10-28 m

Cette théorie à l’avantage de quantifier la charge de l’électron. Seul contrepoint, pour observer des phénomènes à cette échelle, l’énergie requise est phénoménale, de l’ordre de 1019 GeV. Aussi, cette cinquième dimension nous concerne peu dans la vie ordinaire. Cette quantification signifie que les particules chargées doivent également avoir une masse 1019 fois supérieure à celle du proton.

Selon Oskar Klein, un point classique de l’espace tridimensionnel devient en 5D la section d'une corde, un cercle dans la 4e dimension. Nous ne le voyons pas et cela n’a aucune conséquence car son rayon est à l’échelle de Planck, de l’ordre 10-33 cm.

L’avantage du concept de corde est de représenter les particules comme les modes de vibration des cordes et de supprimer du même coup le problème des infinis puisque la corde ne peut vibrer que sur certains modes.

L’univers 5D de Kaluza-Klein

Un point de l’espace tridimensionnel devient un cercle dans un univers à 4 dimensions spatiales, plus exactement la section d'une corde à une seule dimension spatiale. Les vibrations de la corde donneraient naissance aux particules.

La compactification

Comme de toutes les théories supersymétriques, la théorie de Kaluza-Klein 5D est encombrée par 3+d dimensions d'espace au départ et nous devons trouver un mécanisme pour expliquer la structure naturellement tridimensionnelle de notre univers. L'un des mécanismes envisagé par les théoriciens s'appelle la "compactification"[4]. Elle autorise l'enroulement des dimensions excédentaires à l'instar d'une feuille de papier que l'on roulerait pour former un cylindre à l'échelle de Planck, 1020 fois plus petit que la taille d’un proton (10-13 cm) ! La compactification obéit à la relation :

M(4) x S(d)

avec M(4), l’espace-temps à quatre dimensions

S(d), un espace compactifié à d dimensions

La difficulté de ces théories est de savoir pourquoi l’Univers privilégia le mode M (4) x S(d) dimensions car toutes autre solution est possible, par exemple M(6) x S(d-2) ou M (4+d), y compris l'effet tunnel qui permet à l'univers de passer spontanément d’une forme à une autre. La probabilité G que cet effet tunnel se produise dépend entre autre chose d’une constante c et de l’échelle de temps t considérée, chaque valeur étant déterminée par des détails dynamiques de la théorie :

avec lp, la longueur de Planck, soit 1.6 x 10-33 cm

c, une constante comprise entre 1 et 100

t, l’échelle de temps comprise entre 1 et 10 fois le temps de Planck[5].

Si c et t sont judicieusement choisis, nous avons toutes les raisons de croire que le mode M(4) x S(d) subsistera durant un multiple de l’âge de l’univers visible. Mais pour des valeurs différentes de c et t, l’Univers peut sauter aléatoirement dans une autre forme. Il va sans dire que tous les corps, depuis l’échelle microscopique jusqu’aux plus grandes structures cosmiques seraient perturbés et anéantis quasi instantanément. Heureusement, ce saut dans une autre dimension a toutes les “chances” de se produire aléatoirement.

Les superimmersions fondamentales

Classiques

Supersymétriques

Mc(3)   Ì   Mm(4)

Mc(4)   Ì   Mm(6)

 Mc(6)   Ì   Mm(10)

 Mc(3)   Ì   Mm(11)

Mc(4)S(d)

Mc(6)S(2)

Mc(4)S(7)

Avec Mc(n) l’espace-temps à n dimensions

Mm(d) l’espace-temps millefeuille à d dimensions, n < d

S(d) l’espace compactifié à d dimensions

Les modèles classiques acceptent des transformations invariantes locales, il s’agit des superparticules. A Ì B se lit A est inclus dans B. Le troisième modèle supersymétrique fait appel au concept de “sept-sphère” du modèle Kaluza-Klein.

Cela dit, pour certains physiciens la théorie de Kaluza-Klein, même modifié, n'est qu'une curiosité mathématique. Mais d'aucun considèrent que Kaluza et Klein nous ont mis sur une voie royale. En effet, "l'astuce" de faire appel à une 5e dimension, comme à celle de la 4e dimension dans le cas de la relativité, permet de mieux appréhender la réalité et de résoudre bien des problèmes "pathologiques" de la théorie des particules élémentaires et de relativité générale qui restent l'une en prise avec des infinis, l'autre avec des singularités.

De la supergravité aux supercordes

Pour résoudre les difficultés conceptuelles des théories de Grande Unification et certaines interprétations de la physique quantique pour ne citer que les univers multiples et la perte de cohérence dans une singularité, les physiciens ont dû imaginer un autre concept.

En 1984, Brian Greene et John Schwartz postulèrent l’existence d’une seule entité fondamentale d'ordre supérieur, la corde, étendue dans un espace supersymétrique, devenant une "supercorde". L’avantage de ce concept est de représenter les particules comme les modes de vibration de cordes et de supprimer du même coup le problème des infinis puisque la corde ne peut vibrer que sur certains modes. Cette idée rendit la supergravité obsolète.

Il s'avéra que le concept de cordes comprenait 5 théories de supercordes mais qui n'étaient finalement que des cas particuliers de la théorie M à 11 dimensions d'espace-temps.

La suite de cette passionnante aventure est décrite dans mon livre :

Poursuivez votre lecture dans le livre

Un siècle de Physique

1 - La Physique Quantique

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Pour plus d'informations

Sur ce site

L'Univers à 11 dimensions

L'harmonie des supercordes

Les cordes cosmiques

Sur Internet

The Elusive Theory of Everything, Stephen Hawking et Leonard Mlodinow, Scientific American, 2010 (le dernier article de vulgarisation signé S.Hawking)

Le syndrome de la supercorde (PDF), N.Nakanishi, Courrier CERN, juillet/août 1986, p24

La théorie des cordes (par Brian Greene), YouTube

La théorie des cordes (par Michio Kaku), YouTube

La gravitation quantique (IN2P3, Collège de France)

Particules et champs (IAP)

Le site web d'Edward Witten, IAS

Le site web de Michio Kaku

Le site web de Stephen Hawking

The Second String Revolution, John H.Schwarz, Caltech

Superstrings, Brian Greene, Cornell/LASSP

Kaluza-Klein Theories, Sabine Hossenfelder

The Kaluza-Klein theory

The Official String Theory website, Caltech

Strings, John M.Pierre, MIT

Google Scholar et arXiv.

Livres

L'Écume de l'espace-temps, Jean-Pierre Luminet, Odile Jacob, 2020

Supercordes et autres ficelles : Voyage au coeur de la physique, Carlos Calle et al., Dunod, 2004

Supersymétrie, Gordon Kane, Le Pommier, 2003

L'Univers dans une coquille de noix, Stephen Hawking, Odile Jacob, 2002/2009

L'univers élégant, Brian Greene, Robert Laffont, 2000; Folio essais, 2005

The Road To Reality: a complete guide to the laws of the universe, Roger Penrose, Alfred Knopf, 2004

Our Superstring Universe, L.E.Lewis, iUniverse, 2003

Hyperspace: Our Final Frontier, John Gribbin, TLC/BBC, 2001

Quantum fields and strings, P. Deligne, Masson (ou Amer Mathematical Society), 1999

La Quatrième dimension : Voyage dans les dimensions supérieures, Thomas Banchoff, Pour la Science, 1996

Hyperspace: A Scientific Odyssey through the 10th Dimension, Michio Kaku, Anchor Books, 1995

Strings, Conformal Fields, and M-Theory, M.Kaku, Springer-Verlag, 1991

The Superstring store.

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[1] Cet article est un résumé condensé du chapitre consacré au même sujet publié dans mon livre sur la physique quantique.

[2] M.Perry, Nature, 320, 1986, p679 - T.Kaluza, Sitzungsberichte der köninglichen Preussische Akademie der Wissenschaften zu Berlin, 1921, p966.

[3] O.Klein, Zeitschrift für Physik, 37, 1926, p895. - P.Bergmann, Physics Today, march 1979, p44 - E.Witten, Nuclear Physics, B,186, 1981, p412.

[4] Travaux de P.Freund (1982), J.Demaret et consorts (1985) in Nuclear Physics.

[5] Le temps de Planck est le temps pris par la lumière pour parcourir la longueur de Planck, soit 5.3 x 10-44 sec.


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