Pourquoi les étoiles
ne brillent-elles pas durant la journée ?
Comme
souvent sur les forums Internet, à la question d'un amateur
qui se demande "pourquoi les
étoiles ne brillent-elles pas durant la journée ?", il ne suffit pas
répondre "parce qu'il y a du Soleil, mon vieux...... !"
J'ai personnellement cherché la réponse au
"pourquoi" de ce phénomène, comment pouvait-on
l'expliquer, mais pour y parvenir
j'ai dû changer de paradigme comme l'aurait dit le philosophe
des sciences Thomas Kuhn.
L'oeil
et le CCD
Partant
d'une idée exprimée par John A. Blackwell sur le forum SAA
à propos d'une question que j'avais posée à propos des caméras CCD
couleur, c'est en lisant des commentaires techniques sur ces
accessoires que j'ai trouvé la réponse, en particulier en
réinterprétant le concept de signal/bruit et de quelle manière ce
rapport déterminait l'image résultante d'un objet céleste, qu'il
s'agisse d'une étoile ou d'un objet du ciel profond.
En
résumé la capacité d'observer une étoile durant la journée est
liée à la sensibilité de l'oeil et du degré
d'influence de la lumière parasite présente dans l'environnement de l'observateur.
Ce qui, à première vue, peut être considéré comme un
"filtre" induit par la dispersion de la lumière dans
l'atmosphère peut être traduit par le "bruit" généré par le
fond du ciel, en l'occurrence la présence de la lumière intense du
Soleil. Comment expliquer ce phénomène en termes techniques et
mathématiques et le relier au rapport signal/bruit ? Voici une
explication.
Par
le passé je fus photographe professionnel et utilisateur de
techniques de traitement d'images pour améliorer mes photographies
noir et blanc et couleurs (y compris les photographies
astronomiques) car mes professeurs m'avaient toujours dit (au moins
au début) : "s'il te plaît, corrige cette balance de couleurs,
réduit cette dominance, fait ressortir les détails dans cette zone
lumineuse",... j'ai appris la leçon ! J'ai donc appris à
utiliser des masques flous, des négatifs en sandwiches, etc pour
atteindre cet objectif. A présent les choses ont changé. Je suis
devenu informaticien, mon intérêt pour l'astrophotographie demeure
mais le problème est devenu plus technique. Nous utilisons des
ordinateurs, des amplificateurs d'images, des détecteurs CCD et
nous essayons en permanence de réduire leurs "défauts
quantiques" afin d'obtenir de bonnes images, dont les couleurs
sont bien équilibrées, saturées, présentant le moins de bruit
possible... Bref, c'est un véritable défi !
Je parle de CCD car nous pouvons comparer l'oeil humain à un détecteur CCD.
Ainsi que vous le savez ces deux objets détectent la lumière et sont capables
de traiter de manière continue (et sans ambiguïté) un signal discret,
analogique. Le détecteur CCD transforme les photons sous forme digitale (les
électrons sont convertis en chiffres binaires) que nous pouvons facilement
manipuler sur un ordinateur, étant donné que les deux systèmes
"parlent" le même langage.
Les
yeux des astronomes |

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Pour
comprendre pourquoi les étoiles ne sont pas visibles
durant la journée, il est intéressant de comparer
l'oeil humain à un détecteur électronique comme le
CCD. Consulter le texte pour les explications |
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La
sensibilité de notre oeil, comme celle d'un détecteur CCD dépend, outre de
ses caractéristiques, de la manière dont nous (le cerveau ou le logiciel
d'acquisition d'image) traitons les "bruits" présents dans le signal
brut original.
Ainsi
que nous l'avons expliqué dans le chapitre consacré aux caméras
CCD, ces "bruits" peuvent être constitués des bruits
de lecture (des parasites introduits durant la conversion A/D), le
courant d'obscurité et le biais provoqués par l'agitation des
électrons (la température) et le bruit de fond émis par les
sources naturelles et artificielles (raies d'émission
atmosphériques, lumière de la Lune, pollution lumineuse...).
L'oeil n'est pas un appareil électronique mais il profite des
propriétés électromagnétiques des électrons quand il doit
transmettre ses informations au cerveau à travers le nerf optique.
Maintenant quelle est la relation entre l'oeil et le capteur CCD en
cette matière ?
Je
ne suis pas neuro-physicien (les yeux ne sont "que" des extensions du
cerveau), pas plus que cybernéticien, mais les "bruits de lecture" et
le "courant d'obscurité" se réduisent probablement à peu de choses
dans nos yeux (le cerveau). Sans
stimulus, nous ne percevons aucun signal visuel et nous sommes comme aveugle...
Mais quelle que soit leur forme, si ces signaux existent vous comprendrez
rapidement en lisant la suite que leur contribution est négligeable.
Reste
le "bruit de fond". La nuit il n'est surement pas
négligeable même si nous supprimons les avions de ligne et autres
jets qui traversent le firmament. Ce bruit peut se manifester sous
la forme d'un rayon cosmique venant frapper nos cellules
rétiniennes ou nerveuses. A ces rares occasions nous pouvoir voir
un flash de lumière dans nos yeux comme une nova qui explose un
bref instant dans la nuit. Mais il se manifeste surtout à travers
la clarté du fond du ciel (les atomes atmosphériques excités qui
émettent de la lumière) et la pollution lumineuse qui limitent
notre capacité à distinguer les faibles objets (dans les villes le
signal et le bruit peuvent être de même intensité, nous offrant
peu de chance d'observer les étoiles)
Pour
être complet nous devons ajouter le facteur météo. Mais si les conditions
d'observations (turbulence et transparence) sont favorables, le signal source
(planète, lune, étoile, galaxies) est plus intense que le bruit. Cette
explication utilisant le langage de tous les jours nous permet de comprendre
pourquoi nous pouvons observer les étoiles durant la nuit; les
"bruits" de toute nature ont des intensités beaucoup plus faibles que
les signaux qui tombent des étoiles..
Mais
qu'en est-il durant la journée ?
Les
maths et la physique
En
essayant de trouver une étoile en plein jour il faut bien
reconnaître que les conditions sont complètement différentes et
opposées aux conditions de nuit. A première vue, on peut à
présent dire que le Soleil et la brillance du ciel ajoutent
énormément de "bruits" au signal de l'étoile, et qu'il
ne s'agit pas d'un simple "filtre" que nous pourrions
soustraire des images brutes. Oui, c'est bien l'explication !
Maintenant expliquons là en termes mathématiques.
Imaginons
une expérience de pensée (avec des valeurs fictives arrondies pour la démonstration)
dans laquelle
nous désirons observer une étoile en plein jour. La lumière du
Soleil, celle potentielle de l'étoile et les bruits de toutes
natures frappent les cellules sensitives de nos yeux à un taux de
10000 photons par seconde par cellule. Cette valeur représente le
signal source sans discrimination de celui émis par l'étoile.
Rappelons également que le champ de vision de nos yeux couvre
environ 120°, ce qui potentiellement permet d'englober un vaste
champ de la voûte céleste et beaucoup de lumière, ajoutant
probablement un facteur de brillance que nous confirmerons plus tard.
Un tel signal
est une entité complexe, constituée de trains d'ondes de photons,
des quanta d'énergie auquels nous pouvons appliquer les lois de la physique
quantique. Le bruit est considéré comme un quantum aléatoire
selon cette théorie. A l'image des caméras CCD, le bruit total (B)
présent dans le signal que nous cherchons à l'oeil nu représente
une incertitude quantique ou déviation standard vis-à-vis de la
brillance moyenne. Son expression est définie comme la racine
carrée des sommes des carrés des values de bruits individuels (oops !) :
B
=
Ö (
bruit12 + bruit22 +...)
<Equation 1>
Que devient à présent le signal de
l'étoile ? Comparée à une mesure effectuée de nuit sur cette étoile en
particulier, nous savons, après intégration, que dans la lumière incidente
reçue durant la journée, l'oeil capture disons 50 photons venant de
l'étoile. Nous savons que le signal stellaire est défini comme étant le
signal d'entrée soustraction faite de celui du Soleil et de la contribution des
autres bruits. Tout étant une question d'événements quantiques, la
contribution de tous les bruits (équation 1) produit :
Ö10000, soit 100
photons par cellule visuelle.
Maintenant,
sachant qu'il y a 50 photons stellaires mélangés à 9950 autres
photons émis par la combinaison de la lumière du Soleil, du ciel
et des autres sources de pollutions lumineuses dispersées dans le
champ de vision, nous pouvons déterminer quelle est la puissance du
signal de l'étoile, autrement dit le rapport signal/bruit ou S/B.
En appliquant nos relations à l'étoile, nous trouvons un rapport
S/B = 50/100, soit 0.5. Que représente ce nombre ?

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Ci-dessus,
simulation d'étoiles de magnitudes croissantes offrant un
rapport signal/bruit entre 2:1 et 16:1. Ci-dessous la même
simulation testée sur une nébuleuse artificielle. Doc Kazuyuki
Tanaka. |

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Dans
cet exemple 0.5 signifie que la magnitude de l'étoile (ou sa
brillance) ne peut pas être estimée avec une précision meilleure
que 1/0.5, soit un facteur 2 !, une valeur 10 fois inférieure au
seuil de détection acceptable d'un détecteur CCD (dont le rapport
S/B peut atteindre 20 ou plus par pixel, suffisant pour détecter
une étoile de 20e magnitude par sec d'arc carré), mais notre oeil
n'est pas exactement un capteur CCD dans la mesure où les cellules
de la rétine sont incapables d'accumuler la lumière ! Cette valeur
de 0.5 signifie également que l'éclat de l'étoile est noyé dans
la brillance du ciel qui réduit considérablement le rapport
signal/bruit de l'étoile que nous essayons d'observer en pleine
journée. Présentée sur un écran vidéo, l'image de notre étoile
est à peine visible dans la lumière du jour, nous donnant
l'impression de regarder un vieil écran de TV plein de parasites.
Maintenant nous pouvons résoudre notre problème d'essayer d'observer cette
étoile en présence du Soleil. Comment procéder ? Simplement en augmentant le
rapport S/B de l'étoile. Comment ? Si nous réduisons notre champ de vision en
utilisant par exemple un télescope de longue focale ou un long tube offrant un
champ réel d'environ 10' ou inférieur, nous réduisons drastiquement la
contribution du bruit d'un facteur 10 ou supérieur et augmentons de ce fait le
rapport S/B de l'étoile. En utilisant cette construction, le rapport S/B de
l'étoile est augmenté au détriment de la brillance de l'arrière-plan qui est
devenu beaucoup plus sombre. Sur notre moniteur de contrôle l'image est devenue
beaucoup plus douce, l'étoile apparaît maintenant comme un petit point
brillant baigné dans un halo bleu-gris, typique d'un signal déviant faiblement
de la moyenne ou, exprimé en d'autres mots, offrant une incertitude S/B plus
petite.
Grâce
à cette construction
de l'esprit, nous avons réduit les contributions des bruits dans le rapport S/B
de l'étoile à 50/Ö1000
à la place de 50/Ö10000,
soit une valeur de 15 à la place de 0.5. Grâce à cet
"échantillonnage" 30 fois supérieur nous sommes théoriquement en
mesure de discriminer beaucoup plus facilement le signal de l'étoile et donc
d'observer quelques étoiles durant la journée et d'estimer leur magnitude avec
une précision de 1/15 soit environ 7% de magnitude au lieu d'un facteur 2 !
Conclusion
Avec
des mots empruntés au monde des CCD on peut dire qu'au départ l'image de notre
étoile était "sous-échantillonnée" et ne pouvait pas être
détectée par notre détecteur visuel (l'oeil). Pour augmenter la lisibilité
de l'échantillonnage et discriminer notre étoile dans la lumière du
jour, nous avons dû augmenter la longueur focale de notre
"télescope" afin d'obtenir une image à plus grande échelle. Mais la
comparaison s'arrête ici car nous ne pouvons pas utiliser à propos de l'oeil
des termes comme réducteur focal ou binning (combinaison de pixels) pour
atteindre notre objectif, comme nous le ferions en utilisant une caméra CCD.
Mais je n'ai jamais dit pour autant que nous ne pouvions pas soustraire la
brillance du ciel de notre image pour augmenter le signal de l'étoile capturé
avec une caméra CCD et traiter cette information dans un logiciel de traitement
d'images. N'interprétez pas mes mots…
Merci
aux maths !
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