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La théorie de la Relativité

La relativité générale : des exemples concrets

L'effet "seeing-is-believing" (VI)

Parmi les effets provoqués par la gravitation, il faut également citer deux effets surprenant provoqués par les trous noirs : la déformation des images, simulée pour la première fois par Jean-Pierre Luminet et ses collègues de l'Observatoire de Paris et l'effet "seeing-is-believing" ou effet saint-Thomas découvert par l'astrophysicien Marek A.Abramowicz de l'Université de Göteborg.

Près d'un trou noir, comme près de tout corps massif et compact, nous assistons à une déviation des rayons lumineux mais dont l'effet est ici amplifié. En théorie on observe non seulement l'ensemble du disque d'accrétion qui entoure la singularité - y compris la partie arrière cachée par celle-ci - mais également une partie de la face inférieure du disque dans une image secondaire indirecte tellement la courbure de l'espace-temps est prononcée[38].

Aspect d'un trou noir en rotation entouré d'un disque d'accrétion dont l'image est déformée suite à l'influence de la gravitation sur la lumière. Dessin de l'auteur adapté d'une illustration de J.-P.Luminet/CNRS.

Par ailleurs, le champ gravitationnel du trou noir provoque comme nous venons de l'expliquer un "rougissement gravitationnel" qui affaiblit son éclat. Mais puisque le trou noir est en rotation à une vitesse relativiste, sur l'effet du rougissement gravitationnel se superpose un effet Doppler ordinaire qui est très amplifié sur la partie du disque qui avance vers l'observateur et très affaibli sur la partie qui s'en éloigne. Si le disque d'accrétion tourne dans le sens horloger, l'addition des deux effets se traduit par un fort affaiblissement sur la partie gauche du disque alors que sur la partie droite les deux effets se neutralisent, le disque gardant un éclat plus ou moins normal. L'article et les illustrations suivantes décrivent ce phénomène.

A lire : Visualisation réaliste d'un trou noir et le film Interstellar, K.Thorne et al., 2016

Gravitational lensing by spinning black holes in astrophysics, and in the movie Interstellar

A gauche, simulation du trou noir supermassif " Gargantua" extraites du film "Interstellar" de Christopher Nolan (2014) et basé sur les conseils du physicien théoricien Kip Thorne. Ce trou noir est en rotation dans le sens anti-horloger ou prograde et vu de profil, légèrement au-dessus du plan du disque d'accrétion. En raison des effets optiques induits par l'intense champ gravitationnel qui courbe les rayons lumineux (en apparence) et déforme l'image, la partie arrière du disque apparaît au-dessus du trou noir et sa face inférieure apparaît sous le trou noir, d'où la formation de cet épais anneau lumineux qui encercle le fin liséré de la sphère de photons ou gloire. A droite, simulation des effets optiques et gravitationnels sur le disque d'accrétion d'un trou noir supermassif en rotation vu 10° au-dessus du plan du disque. Documents Paramount Pictures/Warner Bros Pictures et Chris Reynolds.

Le second phénomène mis en évidence par M.Abramowicz bouleverse l'idée que l'on se fait de la force centrifuge[39]. Dans les années 1970 des travaux d'Abramowicz et Jean-Pierre Lasota mirent déjà en évidence le fait qu'autour d'un trou noir, tous les objets mis en orbite ressentaient la même force d'attraction, quelle que soit leur vitesse. Mais cette solution ne s'accordait pas avec le sens commun. Nous savons par expérience que la force centrifuge doit varier en fonction de la vitesse orbitale. Chacun se doute que s'il est assis à califourchon sur un objet statique ou un boulet de canon mis en orbite, il devrait ressentir la force centrifuge de manière différente.

Mais après vérifications les formules relativistes étaient exactes. Toutefois, l'idée qu'un rayon lumineux en orbite circulaire puisse apparaître droit aux yeux d'un observateur attaché au rayon de lumière était tellement paradoxale que le problème sera oublié durant près de 10 ans.

En 1985, à l'Observatoire de Paris, Brandon Carter (connu pour ses idées concernant le principe anthropique) suggéra à Abramowicz de reconsidérer ses formules avec la plus grande attention car l'effet de "seeing-is-believing" devait en théorie s'appliquer à tous les champs gravitationnels, qu'il s'agisse du Soleil ou d'un trou noir. Des travaux ultérieurs conduits sous la direction de Donald Lynden-Bell de l'Université de Cambridge (celui qui confirma l'existence du Grand Attracteur en 1988) démontrèrent que des nuages de gaz orbitant autour d'un trou noir présentaient un moment angulaire ou une force centrifuge dirigée vers l'intérieur de la trajectoire, et non pas vers l'extérieur comme on pouvait s'y attendre.

En effet, jusqu'alors les astrophysiciens expliquaient la rigidité des disques d'accrétion par l'effet de la force centrifuge, à condition qu'elle soit dirigée vers l'extérieur du nuage de gaz. Aussi, les astrophysiciens relativistes ne pouvaient pas expliquer pourquoi ces forces centrifuges étaient dirigées vers l'intérieur de la trajectoire près d'un trou noir.

A voir : How Time Becomes Space Inside a Black Hole, PBS

Pourquoi les lignes d'univers sont inversées quand on franchit la limite statique d'un trou noir,

le temps à l'extérieur devenant l'espace à l'intérieur du trou noir ?

Sous l'emprise d'un trou noir

A quelques encablures du rayon gravitationnel d'un trou noir de Kerr, au-delà de l'horizon externe, les rayons lumineux (ici symbolisés par le tube rouge chamarré) survolent la singularité en suivant des géodésiques dont l'angle de courbure est très marqué et qui peut-être supérieur à 45°.

Si un observateur hypothétique se place à 0.6 fois le rayon de Schwarzschild (~2/3 rs) et appelé la "dernière orbite circulaire stable" ou ISCO pour "Innermost Stable Circular Orbit", il constaterait qu'à cette distance la lumière est prisonnière de la singularité et tourne en cercle autour d'elle à une distance constante. Si l'observateur était attaché au rayon lumineux, il constaterait qu'à cette distance la lumière semble se propager en ligne droite !

Distance : 15 rs

Distance : 1.1 rs

Distance : 0.01 rs

Distance : rs (tangente)

Pour simplifier les calculs, les chercheurs imaginèrent une méthode extrinsèque, en assimilant ces effets dynamiques à des mesures de géométrie, en particulier par le biais de l'optique géométrique dont les principes se rapprochent de la cartographie et ses transformations conformes.

Au bout de quelques années Abramowicz trouva l'explication tant attendue. Il considéra que dans l'environnement d'un trou noir l'espace est renversé : la notion d'"extérieur" ordinaire s'oppose à la notion d'extérieur dans le référentiel des rayons lumineux. Dans de telles conditions, notre logique se fourvoie. Abramowicz[40] s'explique : "Dans une telle situation, le moment angulaire est transporté vers l'extérieur, comme il se doit, mais cet "extérieur" doit être compris dans le sens de l'optique géométrique. Dans une situation familière loin d'un trou noir, la direction extérieure de la géométrie conventionnelle s'accorde avec celle définie par l'optique géométrique. Plus près du trou noir ces deux directions sont opposées, et donc le moment angulaire est transporté vers l'intérieur en respectant la géométrique conventionnelle, ce qui semble être paradoxal ".

L’emprise des rayons lumineux

(1) A bonne distance du trou noir de Kerr, au-delà de 2/3 du rayon de Schwarzschild (2/3 rs), la force centrifuge est orientée vers l'extérieure de la trajectoire. Si nous sommes placés à la droite du trou noir, en apposant nos mains sur le tube souple (en vert) attaché au rayon de lumière, on sent bien que sa courbure est dirigée vers la gauche, vers le centre. Le gyroscope installé dans le tube subit une précession identique à la force qu'il subit. Dans le tube, l'image est normale, il semble survoler le trou noir, son axe central est situé dans l'espace.

(2) A la distance de 2/3 rs, il n'y a plus de force centrifuge. Celle-ci est équilibrée par la force d'attraction du trou noir. A cette distance le gyroscope ne présente aucun phénomène de précession, il reste droit. L'axe central du tube est situé juste sur l'horizon externe.

(3) Passé l'horizon, sous 2/3 rs il est encore plus paradoxal de constater que les effets centrifuges s'inversent. Le tube souple attaché au rayon de lumière ne tourne pas vers le coeur du trou noir, mais du côté opposé, vers la droite. Son axe central ne survole donc plus le trou noir mais en quelque sorte l'espace. L'observateur ressent bien une force centrifuge opposée au centre de courbure du tube et dirigée vers la gauche, vers le trou noir, qui est confirmée par la précession du gyroscope. Mais paradoxalement, cette fois le sens de cette force est inversé. Il faut vraiment le voir pour le croire !

Dessins T.Lombry adapté de Scientific American, March 1993.

Comprenez-vous bien ce qu’Abramowicz a découvert ? A bonne distance du trou noir de Kerr, la force centrifuge est orientée vers l'extérieure de la trajectoire. Si nous sommes placé à la droite du trou noir, en apposant nos mains sur le tube souple attaché au rayon de lumière, on sent bien que sa courbure est dirigée vers la gauche, vers le centre. Le gyroscope installé dans le tube subit une précession identique à la force qu'il subit.

Si rs représente le rayon de Schwarzschild, à la distance de 2/3 rs, il n'y a plus de force centrifuge. Celle-ci est équilibrée par la force d'attraction du trou noir. A cette distance le gyroscope ne présente aucun phénomène de précession, il reste droit. Passé l'horizon, il encore plus paradoxal de constater que les effets centrifuges s'inversent. Le tube souple attaché au rayon de lumière ne tourne pas vers le coeur du trou noir, mais du côté opposé, vers la droite. L'observateur ressent bien une force centrifuge opposée au centre de courbure du tube et dirigée vers la gauche, vers le trou noir, qui est confirmée par la précession du gyroscope. Mais paradoxalement, cette fois le sens de cette force est inversé. Il faut vraiment le voir pour le croire !

Prochain chapitre

Des singularités visibles

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[38] Consulter le dossier consacré à l'astrophysique (L'aventurier du trou noir) - J-P.Luminet, "Les trous noirs", op.cit, p162.

[39] J.Chandrasekhar, Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, 167, 1974, p63 - M.A.Abramowicz, Acta Physica Pol., B5, 1974, p327 - M.A.Abramowicz, Acta Astronomica, 30, 1980, p35 - M.A.Abramowicz et J-P.Lasota, American Journal of Physics, 54, 1986, p936 - Bruce Allen, Nature, 347, 1990, p615 - M.Abramowicz, Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, 245, 1990, p720 - M.Abramowicz, Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, 256, 1992, p710.

[40] M.Abramowicz, Scientific American, March 1993, p30, op.cit


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