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Le polymorphisme du monde

Une créature des glaces imaginée par Adolf Schaller.

Vivre dans les glaces (V)

D'emblée précisons qu'il est inutile de s'aventurer en quête d'une forme de vie intelligente sur une planète glacée s'il n'existe pas localement des étendues d'eau liquide. En dessous du point de congélation (-3°C dans de l'eau salée à 3.5% à la pression de 1 bar) l'eau change d'état et est remplacée par de la glace. S'il y avait de la vie juste avant cette glaciation, celle-ci est à présent emprisonnée des glaces et beaucoup périront au cours du processus de congélation qui va détruire leurs tissus cellulaires.

Quelques organismes, insectes, amphibiens et végétaux, peuvent disposer de protections cryogéniques (du glycol par exemple) leur permettant de supporter des périodes de grands froids ou de survivre dans les glaces jusqu'à quelques degrés sous zéro. Ces espèces sont toutefois minoritaires et aucune de celles vivant sur Terre n'est devenue une espèce dominante, pas même durant les périodes glaciaires. Dans tous les cas aucune ne supporte les froids intenses de l'Antarctique où la température peut descendre jusque -90°C.

L'eau de cette planète doit rester liquide et tous les exobiologistes considèrent que la vie est vouée à l'échec si l'eau vient à manquer. Sur le plan physique, lors du changement d'état d'eau en glace, les tissus non protégés se déchirent en raison de l'augmentation du volume de la glace et l'eau ne peut plus assurer son rôle de régulateur thermique.

Chimiquement, sans eau liquide il n'y a pas de solvant pour les composants (bien que d'autres substances peuvent éventuellement jouer ce rôle), aucun transport des molécules clés (enzymes) n'est plus assuré et les réactions chimiques ne sont plus activées.

Nous devons donc imaginer une planète froide mais pas totalement glacée, couverte éventuellement d'immenses calottes polaires comme la Terre en connut durant les glaciations, voire plus vastes encore, mais où l'eau reste liquide quelques mois durant l'année, même sous forme de "pack", d'étendues glacées morcelées ou mieux encore de manière permanente sous la couche gelée en surface. 

Des créatures adaptées aux grands froids nous en connaissons, et des plus imposantes, du tigre des neiges au morse en passant par le manchot empereur, la baleine bleue, sans oublier quantité d'oiseaux, de reptiles, d'insectes et de plantes.

Pour survivre lorsque la température frise le 0°C, la chenille de la tordeuse de la verge d’or qui s’enroule autour des feuilles de chênes et des vignes utilise un antigel à base de 40% de glycérol qui lui permet d’abaisser son point de congélation jusqu’à -38°C. Chez les reptiles, les rainettes et les grenouilles des bois se préparent pour l’hiver en accumulant du glycérol dans des proportions 45 à 90 fois supérieure à celle de l’homme, ce qui leur permet de supporter une température de -8°C. Quant au poisson des glaces il vit sans problème dans l'eau glacée à -3°C. Pour contrecarrer l’absence d’oxygène dans les cellules, ces animaux utilisent le glucose pour produire de l’énergie sous forme d’ATP. Ce processus peut durer une semaine chez la larve du Cynips qui vit sur les feuilles du chêne et jusqu’à trois jours chez la grenouille, le temps que la température remonte.

Sur Terre bon nombre d'animaux hibernent en attendant la belle saison. Cela va des crevettes aux ours en passant par les marmottes. Aucune de ces créatures ne supporte les grands froids et durant leur période de stase elles se calfeutrent toutes dans des grottes, sous la terre ou dans des terriers où la température demeure positive et le sol sec en toutes circonstances.

L'adaptation exemplaire du manchot empereur

Quand ils continuent à vivre sous des températures largement négatives, la plupart des animaux survivent en se protégeant sous une épaisse couche de graisse et une épaisse fourrure ou sous plusieurs couches de plumes qui les isolent du froid. Le manchot empereur qui vit en Antarctique (Aptenodytes forsteri) est un exemple remarquable et peu commun d'adaptation d'un animal aux milieux extrêmes.

Cette figure emblématique de l'Antarctique dispose en complément de son épais plumage et de sa graisse, de systèmes physiologiques de préservation de la chaleur. Mais même ainsi équipés, lorsque les vents catabatiques soufflent directement du Pôle, les manchots doivent s'organiser pour affronter le blizzard qui souffle parfois à 200 km/h par -30°C, donnant l'impression qu'il gèle par -180°C !

A gauche, un couple de manchots empereurs et leur bébé prêts à retourner à la mer au retour du printemps. A droite, quelques manchots empereurs isolés sur un magnifique iceberg bleu. Documents Emperor-penguin.

Après la période d'accouplement et la ponte de l'unique oeuf de chaque couple, pendant que les femelles sont parties se nourrir en mer et que l'hiver s'annonce, les mâles se rassemblent en colonies (rookeries) pouvant atteindre 2500 individus. Pendant plus de 4 mois ils vivent sur leurs réserves et ne mangent que de la neige. Pour supporter les grands froids de l'hiver, ils font des tournantes, ce qu'on appelle "la tortue" afin que tous les individus puissent se réchauffer au centre du groupe où la densité atteint 8 à 10 individus au mètre carré. Serrés les uns contre les autres, ils enfuissent leur tête dans la masse, levant parfois la tête lorsqu'ils entendent un bruit inhabituel. Au cours de cette tournante, chacun à son tour se retrouve un moment ou à un autre en bordure extérieur du groupe où il fait le gros dos face au vent glacé durant quelques minutes. Cette formation en tortue peut durer plusieurs heures.

Au centre de la rookerie la température peut atteindre +15°C. A cet endroit les manchots diminuent leur température corporelle pour économiser leur énergie.

Lorsque finalement les femelles reviennent au printemps, les petits sont nés, les mâles auront perdu la moitié de leur poids et ne pèseront plus que 20 kg. Si leur femelle ne revient pas, ils sont prêts à abandonner leur petit âgé de quelques semaines pour aller s'alimenter. Mais cette espèce peut heureusement compter sur une longévité de 40 ans pour assurer sa pérennité. La survie de la colonie est à ce prix.

Les manchots empereurs symbolisent toute la force vitale et l'adaptation très aboutie des espèces à leur environnement. A eux seuls ils sont bien plus adaptés à l'écosystème Antarctique que l'homme et toutes ses inventions. Ainsi, si le manchot empereur paraît maladroit et comique sur la glace, en fil indienne, durant la pariade ou réunis en rookerie il devient majestueux et même émouvant. En hiver, il supporte une température de -62°C et des vents de 200 km/h, là où l'homme a depuis longtemps disparut de la scène (sous -30°C et des vents de 100 km/h l'homme ne résiste que 2-3 heures puis doit se réfugier au chaud dans un abri). Sous l'eau, le manchot empereur est roi : il peut plonger à 500 m de profondeur et rester 20 minutes en immersion. L'homme ne peut que constater son inadaptation à ces biotopes.

Le climat polaire

Avec l'étude des manchots empereurs on se rend compte que l'adaptation aux grands froids n'est vraiment pas à la portée de n'importe qui, même pas à l'homme, sauf s'il dispose de protections artificielles !

Malgré l'effet désastreux du froid sur toute la chaîne alimentaire, si on considère l'évolution de la Terre on constate que malgré les périodes glaciaires dont certaines ont tout de même duré 100000 ans dont 30000 ans d'un froid très intense (glaciation de Würn du temps de l'homme de Néanderthal), la Terre est parvenue à maintenir un étonnant équilibre thermodynamique. On ne peut pas en dire autant avec l'effet de serre. La vie peut donc parfaitement continuer à se développer durant ces périodes, même si beaucoup d'espèces, les plus faibles, les plus spécialisées et les moins adaptées aux changements climatiques périront.

Document NOAA Photo Library, http://www.photolib.noaa.gov/

Le pack, constitué de banquise morcelée, participe à la dynamique des régions polaires. Constitué d'eau douce, sa fonte augmente le volume des océans.

Penchons-nous justement sur cet aspect climatique. Une planète froide présente plusieurs handicaps. D'une part, dans la zone habitable d'un système planétaire, cela signifie que soit la planète est aux limites des conditions de vie tolérables (en bordure extérieure de la zone habitable, que son noyau s'est refroidit ou qu'elle a perdu une grande partie de son atmosphère) soit que sa couche atmosphérique de dioxyde de carbone a pratiquement disparu au profit de gaz ne participant pas à l'effet de serre, comme l'oxygène.

D'autre part, sur une exoplanète de la taille de la Terre et recouverte comme elle à 71% d'océans, une glaciation majeure (chute moyenne de 15-20°C) abaisse le niveau des océans d'au moins 120 m du fait de la congélation de l'eau douce tandis que les intempéries offrent aux blizzards et aux tempêtes de neige des territoires immenses à conquérir. La majorité des animaux ne peuvent que fuir ou succomber devant ce désastre climatique.

La structure cristalline de la glace et de la neige offrent également un grand pouvoir de réflexion. Pour une exoplanète semblable à la Terre, orbitant autour d'une étoile de classe G2 à 1 U.A, 69% de l'énergie émise par l'étoile dans le spectre visible (300 et 700 nm) est absorbée par l'atmosphère ou atteint le sol. Cela représente environ 342 W/m2. Mais sur cette quantité, 60 à 85% est réfléchie vers l'espace. Son albedo augmente ce qui contribue encore à la refroidir. 

Dans ce monde glacial, en absence de nuages, de forêts et de zones désertiques, moins de 136 W/m2 sont exploitables. Ce bilan énergétique n'est vraiment pas en faveur d'une forme de vie évoluée. Une créature omnivore et aussi dynamique qu'un homme a besoin d'au moins 2000 calories par jour pour survivre. 136 W ne peuvent le satisfaire que durant un peu plus de 8 heures par jour. C'est insuffisant. A moins de laisser à d'autres le soin de transformer l'énergie lumineuse en produits assimilables (sucre, etc) et de récolter tous les fruits riches en énergie préparés par dame Nature, herbes, racines, légumes, fruits, protéines, etc.

Les régions côtières sont au moins 10° plus chaudes que l'intérieur des terres et peuvent même présenter des températures légèrement positives en été à 1.5 UA d'une étoile solaire. La plupart des espèces tenteront donc de survivre en bordure de ces oasis ou à des distances leur permettant d'atteindre les côtes en cas de besoin (jusqu'à 100 km dans le cas des manchots). Mais même ici les intempéries seront abondantes avec des chutes de neige qui dépasseront au moins 50 mm par an, l'équivalent d'au moins 50 cm de neige et le plus souvent plus d'un mètre. Dans l'intérieur des terres le climat polaire sera très dur avec des précipitations de plusieurs mètres de neige, tombant parfois en une seule nuit. La saison hivernale peut persister durant plus de la moitié de l'année et si l'axe de rotation de l'exoplanète est inclinée comme celui de la Terre ou de Mars, elle s'accompagnera d'une nuit permanente durant 6 mois.

Les communautés

Document NOAA Photo Library, http://www.photolib.noaa.gov/

Le morcelement du pack permet à la faune de survivre en ouvrant des passages dans la glace. Au début du printemps il représente toutefois également un danger pour les créatures terrestres qui doivent se retrancher sur les véritables terres fermes.

Les créatures vivants dans ce monde de glace se tiendront en majorité dans les régions côtières et tireront leur subsistance de la mer, car le continent, glacé, est stérile et ne porte aucune vie. A l'inverse, les mers froides seraient excessivement riches. A titre d'exemple, rien que dans l’océan Antarctique il existe plus de 200 espèces de poissons et 1000 espèces de mollusques, sans oublier de grands mammifères.

A l'intérieur des terres, les seuls animaux existants sont soit des animaux amphibies protégés par une épaisse couche de graisse ou une toison laineuse soit des volatiles au plumage très dense ou encore des insectes. Les prédateurs peuvent être des animaux adaptés à courir les plaines couvertes de neige ou pataugeant dans les rivières à la recherche de poissons ou d'algues, soit des animaux marins remontant sur les berges le temps de se reposer et de se reproduire.

Les charognards ne sont pas oubliés. Dans un climat froid, tous les cadavres et animaux engourdis gèlent sur le sol, y compris les oeufs. S'ils sont trop volumineux, cette nourriture est perdue. Comme en Antarctique où le pétrel géant s'attaque à de jeunes manchots vivants, les charognards reviendront avec le dégel harceler les communautés. Appliquant la "loi de la jungle", celle du plus fort, rien ne les arrête pour survivre.

Les créatures polaires vivant essentiellement dans l'eau, car beaucoup plus chaude que les terres, elles peuvent devenir très imposantes et peser plusieurs dizaines de tonnes pour une taille pouvant atteindre 10 mètres de longueur.

Beaucoup d'animaux vivront en harde, en troupeau ou en colonie, une manière de se protéger des prédateurs et des rigueurs du climat. Seuls les prédateurs chasseront occasionnellement en solitaire mais le plus souvent la chasse s'organisera en bande car de loin plus efficace et économe en énergie.

Durant les périodes les plus hostiles certains animaux hiberneront à l'image de nos marmottes et ne se réveilleront qu'avec le redoux, d'autres se réveilleront de temps en temps en quête de nourriture. Durant les périodes d'hibernation ces animaux changeront de métabolisme, faisant par exemple chuter leur température interne de 37 à 5°C pour économiser leurs ressources.

L'essentiel de la flore a également disparu sous les rigueurs du climat. Celle qui survit est tout aussi pauvre que celle nos taïgas ou de l'Antarctique et principalement constituée de formes primitives comme les mousses et les varechs. Quelques fleurs ressemblant à nos perces-neige ou nos Edelweiss survivront dans les régions les plus chaudes et humides. Localement des arbres, mais une variété naine d'une taille réduite à quelques décimètres tout au plus, à l'image de notre saule herbacé pourra s'adapter à cet environnement. On associe ces végétaux aux arbres car ils produisent du bois à l'inverse des plantes et des fleurs. Ils vivront à hauteur du sol pour profiter de la chaleur des rocailles ou du substrat.

La glace recouvrant le sol contiendra beaucoup d'organismes et de graines qui constitueront une riche source de nourriture pour tous les oiseaux et les petits animaux.

Quelques variétés d'algues dans les eaux froides de Bretagne. Document Ifremer.

Finalement, si la planète présente des saisons et dispose d'une lune, après une profonde léthargie durant la période hivernale, où le soleil risque de ne jamais monter au-dessus de l'horizon, l'action éventuelle des marées associée à celle du vent brisera localement le pack, ouvrant la baie à des colonies d'organismes. Ce monde se réveillera quelques mois par an avec le soleil.

N'oublions pas qu'une planète glacée c'est également un astre qui peut ressembler à Mars, Europe ou à une comète (on oublie les planètes naines très éloignées du Soleil où la température au sol avoisine -220°C). Sur Mars ou Europe la température superficielle est largement négative avec une moyenne d'environ -150°C et de -75°C pour le noyau d'une comète comme Halley. Si la survie d'une forme de vie évoluée est pratiquement condamnée sur une comète en raison des éjections régulières de vapeur à 125°C, la vie pourrait se développer sur une planète désertique et glacée.

Ici encore il faut qu'une partie du temps l'eau soit disponible sous forme liquide, soit sous forme de rosée matinale ou au printemps durant la fonte des glaces polaires ce qui implique que ces créatures passeront une partie de leur vie en état d'hibernation pour économiser leurs ressources.

Givre de gaz carbonique sur le site martien d'Utopia Planitia le 9 août 1979. Doc NASA/JPL.

Les ressources naturelles de ce monde étant probablement assez pauvres, si nous extrapolons aux exoplanètes ce que nous observons sur Mars, il ne faut pas s'attendre à y découvrir une faune et une flore similaires à celle que nous rencontrons dans la toundra ou même sur les côtes Antarctique. Il s'agira plus vraisemblablement de colonies de micro-organismes adaptés aux milieux extrêmes, éventuellement de mousses adaptées au climat polaire.

Si l'eau liquide est abondante une partie de l'année, une vie primitive pourrait s'y développer jusqu'au stade des éponges, des algues, des mollusques et peut-être même des vertébrés (poissons, amphibiens, etc) si l'eau reste liquide en profondeur grâce à la chaleur interne dégagée par la planète.

Si nous prenons l'exemple du site martien d'Utopia Planitia dont on voit une image à droite, au petit matin du 9 août 1979 il présentait des traces de givre blanc. Mais il ne s'agissait pas d'eau glacée car l'atmosphère de Mars est trop tenue et principalement composée de gaz carbonique. Ce givre qui s'étendait sur quelques centièmes de millimètres d'épaisseur était constitué de gaz carbonique bien impropre à la consommation.

Idem sur Titan qui, bien que recouvert d'une épaisse atmosphère d'éléments organiques reste un monde inhospitalier, glacial (-180°C au sol) et irrespirable (méthane). Sa glace est constituée de méthane et s'écoule localement dans d'immenses dépressions ou dans les plaines, à l'image de ce qui se produit sur Pluton.

Que peut-on trouver de vivant dans ces conditions ? Vraisemblablement a priori rien sur Pluton. Sur Titan on pourrait peut-être découvrir quelques molécules prébiotiques et au mieux des micro-organismes adaptés aux milieux extrêmes (froid, acide, etc). Si vie il y a, il est probable qu'elle ne survivrait que près des points chauds (évents cryovolcaniques) ou dans le sous-sol quelque peu réchauffé par la chaleur du noyau.

On peut aussi envisager découvrir des formes de vie élémentaires près des geysers de vapeur d'eau ou dans les océans souterrains de la lune Encélade de Saturne. Mais comme les chercheurs du LLNL l'ont montré en 2018, il est possible que cette lune abrite de la glace VII, une phase cristalline inconnue sur Terre qui gèle à haute pression (quelques GPa) en 6 nanosecondes seulement et donc capable de geler tout un océan en quelques heures. Si cette glace existe, elle condamnerait toute forme de vie.

Prochain chapitre

La jungle

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