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Les astéroïdes Le projet Spacewatch (V) Ainsi que nous l'avons expliqué dans l'article consacrée aux Histoires d'impacts, le risque de collision avec un NEO est un risque potentiel qu'il ne faut certainement pas négliger. Il suffit de se rappeler les impacts survenus durant le XXe siècle pour se rappeler que ce risque est bien réel, l'impact avec un corps céleste pouvant dévaster des centaines de kilomètres carrés en une fraction de seconde. Pour l'heure ces impacts se sont produits dans des régions heureusement inhabitées ou n'occasionnèrent que des dégâts matériels et des blessures indirectes superficielles comme à Tchéliabinsk. Parmi les NEO qui traverseront l'orbite terrestre dans les 300 prochaines années une attention toute particulière est portée sur la région opposée au Soleil où leur brillance est suffisante pour qu'on puisse les détecter près du périhélie avec de petits télescopes et se préparer suffisamment tôt pour planifier une action.
Sur papier la méthode de surveillance est relativement simple mais étant donné la faible magnitude de ces astres et l'inaccessibilité de la zone du ciel où brille le Soleil, cette veille permanente exige des techniques sophistiquées. En rapportant les coordonnées successivent des NEO dans un système géocentrique on peut facilement estimer la distribution des objets potentiellement dangereux et la fréquence de leurs apparitions près de la Terre. On sait par exemple que la plupart des astéroïdes, à l'instar des grands prédateurs, effectuent plusieurs "survols" rapprochés avant de fondre sur leur proie, la Terre. Ainsi un NEO dont on est certain qu'il suit une orbite de collision avec la Terre nous frôlera environ 3 fois à une distance inférieure à 2 rayons terrestres avant l'impact. De telles rencontres tendent à dévier le vecteur vitesse de l'objet suite à l'effet gravitationnel sans affecter sa vitesse relative par rapport à la Terre, rendant sa direction d'approche tout à fait aléatoire. Pour un Aten, le rythme est différent et nous devrions observer au moins une rencontre rapprochée avant que son orbite ne se rétrécice sous 1 UA. Si l'astéroïde approche lentement à 12 km/s, plus de deux fois inférieure à celle de la Terre sur son orbite, l'objet pourra apparaître de n'importe quelle direction et nous surprendre. A l'inverse, si sa vitesse relative est supérieure à celle de la Terre, en vertu des lois de Kepler il suivra nécessairement une orbite hyperbolique autour du Soleil. Notre avantage est de pouvoir déterminer l'angle d'approche du NEO (θ dans le graphe présenté ci-dessus à droite) en fonction de sa vitesse et de celle de la Terre et nous préparer quelques semaines à l'avance. A voir : Palomar tour Grâce à une technologie de pointe le rythme des découvertes s'accélère chaque année. A partir de 1981, dans le cadre du projet Spacewatch de veille spatiale, Tom Gehrels, Robert S. McMillan et leur équipe du Space Science Building de l'Université d'Arizona ont exploité des systèmes de détections automatiques. Cette équipe participa également au programme NEO renommé CNEOS de la NASA en collaboration avec le Lawrence Livermore National Laboratory (LLNL) et plusieurs universités dont le Caltech et l'Université d'Hawaï. Ces professionnels qui font souvent appel à de jeunes chercheurs utilisent actuellement plusieurs télescopes dont le Keck situé sur le sommet du Maunea Kea à Hawaï, le télescope newtonien de 0.9 m de l'Observatoire Steward attaché à l'université. Depuis, d'autres observatoires participent à ce programme de surveillance du ciel dont le Pan-STARRS (Panoramic Survey Telescope and Rapid Response System) de 1.8 m installé sommet de l'Haleakala à Hawaï (voir photo plus bas). D'ores et déjà l'usage de caméras CCD à haute définition permet de photographier et de déduire les positions astrométriques d'environ 70000 astéroïdes chaque année y compris celles de dizaines de NEO et NEA. Jusqu'à présent, en utilisant la photographie traditionnelle à longues poses, il fallait presque un siècle pour détecter les 1700 plus grands astéroïdes et comètes potentiellement dangereux. Le gain atteint un facteur 4000 ! Bien que le Spacewatch ait pour vocation de rechercher tous les NEO ayant plus de 1 km de diamètre, potentiellement dangereux pour la Terre, il peut se venter d'avoir à son actif quelques découvertes spectaculaires tels 1991 VG un objet de 8 m de diamètre ou 1994 XM1 qui ne dépasse pas 10 m de longueur. Tous deux croisent l'orbite de la Terre et ne s'éloignent pas à plus de 3 UA.
En pratique les images des caméras CCD sont comparées numériquement par ordinateur, ce qui permet aujourd'hui de détecter entre 200 et 600 objets chaque jour, pour la plupart des astéroïdes de la Ceinture principale. Parmi ceux-ci on découvre jusqu'à 50 NEO par jour s'approchant un peu trop près de la Terre ! Plus rarement ce programme permet de découvrir un lointain planétésimal (KBO, etc). Mais ainsi que le montre bien l'image ci-dessus, tous les astéroïdes ne brillent pas par leur taille et se distinguent parfois difficilement de l'arrière-plan ou du bruit électronique engendré par les capteurs CCD. Tous les "astéroïdes" n'en sont pas... - 2018 AV2 serait en fait le module lunaire "Snoopy" abandonné par la mission Apollo 10 le 23 mai 1969 ('cf. le journal de vol d'Apollo 10). Sa période héliocentrique est actuellement de 382 jours. Deux faits ont attiré l'attention des astronomes : sa faible inclinaison orbitale ( < 1°) sur l'écliptique et sa faible vitesse, inférieure à 1 km/s par rapport à la vitesse orbitale de la Terre. Les calculs de trajectoires du JPL indiquent que l'objet était à la bonne place en 1969 pour correspondre au module Snoopy. Actuellement 2018 AV2 se trouve à 0.374 UA soit 54.7 millions de km de la Terre et présente une magnitude apparente de +29.5. Ce n'est que le 10 juillet 2027 qu'il se rapprochera à 6.4 millions de km de la Terre soit 16 fois la distance Terre-Lune. - WT1190F est un module lunaire perdu. Il s'agirait de l'étage d'injection trans-lunaire de la mission Lunar Prospector de 1998. Il tomba dans l'océan Indien près de Sri Lanka le 13 novembre 2015. - J002E3 présente un spectre correspondant à celui de la peinture utilisée par la NASA à la fin des années 1960. Il s'agissait d'un booster du 3e étage d'Apollo 12. - 2013 QW1 s'avéra être le booster de l'étage supérieur de la mission Chang'e 2 chinoise. Appel aux amateurs Depuis la découverte des objets Aten et de quelques astéroïdes par les amateurs, il n'est pas impossible que des amateurs surprennent de nouveaux astéroïdes dans l'orbite terrestre. La section "Remote and minor planets" de l'ALPO, l'Association of Lunar and Planetary Observers, encourage les amateurs à pratiquer cette recherche depuis 1981, d'autant plus que les moyens techniques (caméra CCD, sonde de guidage, console GoTo, etc) sont à la portée des astrophotographes. Si des astronomes professionnels ont parfois découvert des astéroïdes y compris à titre privé (P.Lowell, F.Whipple, E.Hubble), de nombreux amateurs peuvent également revendiquer la paternité de certains astéroïdes pour citer Christophe Demeautis (14141 Demeautis) en France, Matt Dawson (2006 KX37 et 248750 Asteroidday) au Luxembourg, Matthias Busch et Albert Heller de l'Observatoire de Starkenburg en Allemagne. Parmi les plus actifs, citons Dennis Di Cicco (3841 Dicicco) aux États-Unis qui a découvert 59 astéroïdes et Paulo R. Holvorcem au Brésil qui a découvert ou est co-découvreur d'une centaine d'astéroïdes (cf. la liste) et fut le premier amateur à photographier A/2017 U1 Oumuamua, le fameux visiteur provenant a priori de l'espace interstellaire. En raison de leur contribution en astrophotographie, Pierre Bourge (13678 Bourge), Thierry Legault (19458 Legault) ou Damian Peach (26732 Damianpeach) ont également vu leur nom associé à celui d'un astéroïde. A consulter : Nombre d'astéroïdes découverts par inventeur ou instrument (2012)
Les moyens photographiques ne doivent pas nécessairement être importants. Voici à titre indicatif, la magnitude limite photographique atteinte par différents télescopes équipés d'une caméra CCD :
A ce jour 33 astéroïdes mesurent plus de 200 km de diamètre et sont visibles dans des télescopes de 10 cm d’ouverture tels des étoiles errantes, dont la magnitude est inférieure à 12. Quelque 1800 astéroïdes ont plus de 3 km de diamètre tandis que le plus petit que nous connaissons, mis à part les NEO et NEA, s'appelle Athor et mesure à peine 200 m. Vous pouvez obtenir leurs éphémérides sur le site du JPL. A ce propos consulter la page spéciale consacrée à l'estimation du diamètre des astéroïdes en fonction de leur magnitude absolue.
Les chercheurs du LLNL invitent également les amateurs à participer au projet Spacewatch et au Catalina Sky Survey (CSS). La collaboration de toutes les bonnes volontés est la bienvenue sachant que les NEO de 100 m de diamètre se déplaçant lentement (10 km/s) ne seront détectés que deux semaines avant l'impact s'ils approchent de la Terre en opposition solaire. Ils émergeront donc de n'importe quel point du ciel et nécessitent une viligence permanente. Un amateur équipé d'un télescope de 250 mm f/5 pourra photographier les NEO ou NEA jusqu'à la magnitude 19.2 en quelques minutes d'intégration CCD, principalement les objets circulant à faible vitesse à condition de les rechercher assez loin du Soleil, donc au milieu de la nuit. Un instrument de 400 mm f/5 pourra les observer plus près du Soleil. Il faut également savoir qu'à mesure que vous réduisez l'angle géocentrique que forme l'objet avec le Soleil, sa vitesse propre variera comme indiqué dans le tableau ci-dessous. Pour un petit instrument l'idéal est donc de se limiter à un quadrant éloigné entre 90 et 180° du Soleil. A titre de comparaison, un télescope de 0.9 m f/5 atteint la magnitude photographique 22 en quelques dizaines de minutes d'intégration et peut localiser des astéroïdes jusqu'à 25° du Soleil, donc dès le crépuscule ou encore dans les lumières de l'aube si les conditions le permettent. Dans cette région l'astéroïde parcourt moins de 150"/jour. A consulter : Catalina Sky Survey, LPL/U.Az. Liste des astéroïdes récemment découverts par le CSS Eurêka ! Que faire si vous observez un objet suspect
Sedna, Grissom et un nouvel astéroïde sur la même photographie ! Comment découvre-t-on un astéroïde ? Voici une expérience récente vécue par l'astronome canadien Eric J.Allen. Professeur d'astrophysique au département de Physique du Cégep de Trois-Rivières au Québec, durant ses loisirs il pratique également l'astrophotographie en compagnie de quelques amis. Un soir d'automne de 2004, après avoir photographié Toutatis quelques jours auparavant au moyen du télescope Newton-Cassegrain de 410 mm f/4.4 du collège, il voulut cette fois-ci réaliser quelques photographies de Sedna ainsi que du petit astéroïde Grissom qui se trouvait dans les parages, tous deux n'étant séparés que de quelques minutes d'arc seulement l'un de l'autre.
Au petit matin du 13 octobre 2004, entre 1 h et 3 h locale, l'astrophysicien fixa sa caméra CCD SBIG ST-9E au foyer du télescope et photographia le champ concerné de la constellation de la Baleine à raison d'une exposition par minute entre 6h14 et 7h32 TU. Il obtint ainsi une séquence de 94 minutes d'intégration. Il rentra ensuite à son domicile et n'analysa ses photographies que le lendemain. C'est pendant le traitement de ses images qu'il découvrit qu'il avait non seulement enregistré 2161 Grissom ainsi que Sedna à la magnitude 21.1, mais à son insu il avait photographié un nouvel objet de magnitude 18.5 qui n'était pas répertorié dans les catalogues en ligne, tel l'USNO-B1.0 qui recense environ un milliard d'étoiles. L'observatoire du Cégep étant accrédité auprès de l'Union Astronomique Internationale, il signala directement son observation à l'UAI (CBAT) qui lui confirma la nuit suivante qu'il avait en effet découvert un nouvel astéroïde que personne encore, pas même le puissant programme LINEAR de recherche des NEA de la NASA et de l'US Air Force, n'avait encore répertorié ! Il fut baptisé 2004 TM16. Comme il le raconta lui-même, "il va sans dire que mes pieds ne touchaient plus la terre !". C'était son premier astéroïde ! Félicitations ! Eric attendait cet évènement depuis des années. Comme quoi la chance peut vous sourire. Notons que récemment, le 8 décembre 2013, grâce à un télescope de 400 mm f/4.4 équipé d'une caméra CCD, Allen fut le premier à photographier la désintégration de la comète ISON ainsi que le rappelle cette dépêche du Cégep Trois-Rivières. Le Prix Benson Savez-vous qu'un prix récompense les amateurs découvrant des astéroïdes proches de la Terre (NEA) ? En effet, en 1997 lors de la réunion de l'American Astronomical Society, James W.Benson, le fondateur et président de la société Space Development Corporation annonça qu'il récompenserait d'un prix de 500$ les dix prochaines découvertes d'astéroïdes NEA faites par des amateurs, c'est-à-dire des personnes qui ne seraient pas employées comme astronomes professionnels et qui utiliseraient des moyens amateurs. Dans le cadre de ce prix, un astéroïde proche de la Terre est défini comme une planète mineure rocheuse (par opposition aux comètes constituées de glace) dont la distance au Soleil au périhélie ou au point le plus proche de son orbite, est inférieure à 1 UA. A consulter : Hunting Asteroids From Your Backyard, D.Di Cicco Astéroïdes ayant reçu le nom d'une Star du Rock & Roll Actuellement l'amateur le plus primé est l'Américain Roy Tucker de Tucson, AZ, qui gagna... trois fois le prix Benson en 1987, 1998 et 1999 en découvrant respectivement les NEA 1997 MW1, 1998 FG1 et 1998 HE3 avec un télescope Schmidt-Cassegrain Celestron C14 de 350 mm d'ouverture équipé d'une caméra CCD installé à demeure sous une coupole. Vu la quantité d'astéroïdes qu'il reste à découvrir, si vous disposez d'un télescope d'au moins 200 mm d'ouverture et d'une caméra CCD vous avez toutes les chances d'être le prochain lauréat. Il vous faut seulement un ciel dégagé, de la patience et beaucoup de persévérance... Si ce défi vous intéresse, consultez l'article Eureka!, munissez-vous d'un bon logiciel d'astrométrie et prenez contact avec l'ALPO pour obtenir plus d'informations. Bonne chance ! Dernier chapitre
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