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Jupiter, le Maître des dieux

Photo PIA21376

Jupiter et sa Grande Tache Rouge photographiés le 11 décembre 2016 par la sonde spatiale Juno à 458800 km de distance. Document NASA/JPL.

La Grande Tache Rouge (III)

La Grande Tache Rouge (l'acronyme GRS anglais pour Great Red Spot) de Jupiter parfois surnommée "l'oeil jovien" fut officiellement découverte (consignée dans les annales) le 5 septembre 1831 à 8h56 GMT par l'astronome allemand Samuel Heinrich Schwabe (1789-1875). Ce jour là, la GRS se trouvait à 21° à l'ouest du méridien central (cf. ce tableau compilé par Denning en 1899). En parallèle, Schwabe observa le Soleil et au bout de 17 ans d'observations, en 1843 il découvrit l'existence du cycle solaire qu'il estima à environ 10 ans.

Selon le relevé établi en 1899 par l'astronome amateur britannique William F. Denning (1848-1931), la cavité de la GRS et par conséquent la GRS fut observée 67 fois jusqu'en 1878 (cf. MNRAS, W.F. Denning, 1899 et en PDF). A partir de 1878, la GRS fut observée de manière systématique par divers astronomes.

Très consciencieux et méthodique, Denning fut le premier observateur à évaluer la période de rotation de la GRS autour de la planète qui passa de 9h 55m 33.3s en 1831 à 9h 55m 41.5s en 1899. De nos jours, sa période moyenne de rotation est de 9h 55m 42s.

Denning fut un astronome amateur réputé qui reçut la reconnaissance des astronomes professionnels par la qualité de son travail. Il découvrit deux comètes et Nova Cygni 1920. Il fut élu à la Royal Astronomical Society (1877) puis fut membre de la British Astronomical Association (1891) où il dirigea la section des comètes (1891-1893). Il publia 1179 articles dans des revues académiques prestigieuses dont "Nature" et les "MNRAS".

Parmi les astronomes ayant observé la GRS, citons le Révérend britannique et astronome amateur Thomas W. Webb (1807-1885, à ne pas confondre avec James Webb) qui en fit des croquis présentés ci-dessous à droite réalisés à l'oculaire d'un télescope de 205 mm de diamètre dont le miroir était argenté et de 18 m de focale, capable de grossir entre 300 et 500x.

La plupart des dessins d'époque ayant été réalisés avec de petits télescopes amateurs captant donc peu de lumière et de couleurs, on note déjà qu'en ces temps là la GRS était plus allongée que de nos jours, elle était également pâle offrant une surface de faible contraste que beaucoup d'observateurs ont représenté sous la forme d'une tache ovale blanche. Seuls de rares dessins la montrent orangée (1881) ou grise (1889) et un peu plus claire que les bandes équatoriales. Vu les détails de ces dessins, on imagine que la planète fut observée avec un télescope de 200 à 300 mm de diamètre (cf. ces dessins réalisés de nos jours avec des télescope de 150 mm, 250 mm et de 300 à 410 mm de diamètre).

A gauche, Jupiter et la cavité de la GRS (la grande cavité ovale blanche dans le haut du dessin) dessiné par Heinrich Schwabe (il n'est pas daté mais fut probablement réalisé entre 1831 et 1856). Au centre, un dessin réalisé par Thomas Gwyn Elger en novembre 1881. Document BAA. A droite, une photo couleur prise à l'Observatoire de Lick en 1891. Ci-dessous à gauche, un dessin réalisé le 10 juillet 1899 présenté dans un livre publié en allemand en 1903 intitulé "Weltall et Menschheit". Il fait partie d'une planche contenant 4 dessins. A droite, des dessins de Jupiter réalisés par le Révérend Thomas W. Webb au foyer d'un télescope de 205 mm de diamètre dont le croquis 28 affiche la GRS dans l'hémisphère sud et passant au méridien. La date de ces dessins n'est pas indiquée mais ils furent probablement réalisés vers 1875-1882.

Observations antérieures

Une grande tache sombre probablement de la taille de la Terre fut découverte plus d'un siècle auparavant mais une nouvelle étude détaillée publiée en 2024 indique qu'il ne s'agit pas de la GRS (cf. A.Sánchez-Lavega et al., 2024).

Le mathématicien et astronome anglais Robert Hooke observa une tache sombre sur Jupiter en 1664. Il fut longtemps crédité comme le découvreur de la Grande Tache Rouge[2].

Quelques années plus tard, l'astronome français d'origine italienne Jean-Dominique Cassini observa également une tache sombre en transit devant Jupiter. Selon le "Journal des sçavans" (Jds) du 21 mars 1672, "M.Cassini aprés avoir fait quantité d'obfervation de cette Tache pendant l'efté de l'année 1665, trouva que le periode de la revolution apparente eft de neuf heures & 56 minutes" (Jds, p69). Le Journal précise que Cassini "continua de l'obferver jufqu'au commencement de 1672" (Jds, p69). Mais ce n'est qu'à partir du 19 janvier 1672 qu'il la dessina comme illustré ci-dessous. Nous possédons également un autre dessin de Cassini daté de 1691.

Cette tache fut appelée la "Tache Permanente" (ou Permanent Spot, PS) et fut observée entre 1665 et 1713. Selon Agustín Sánchez-Lavega, la longueur de la PS était 2 à 3 fois plus petite que celle de la GRS en 1879, ce qui représente une longueur de 2 à 3" seulement mais tout de même équivalent à la taille de la Terre vue à cette distance. Ensuite plus personne ne la mentionne ni ne la dessine (ni Messier en 1769, ni Herschel en 1778 ou Schroeder entre 1785-1786). Selon les auteurs, il serait étonnant que si la PS avait été observée, personne ne l'ait consignée. On peut donc supposer qu'elle se dissipa dans les tumultes de l'atmosphère de Jupiter comme toutes les formations nuageuses de ce type.

 Ci-dessus à gauche, simulation de Jupiter telle qu'aurait pu l'observer Galilée avec sa lunette de 51 mm d'ouverture à f/26 à 40x équipée d'une lentille simple présentant une aberration chromatique. On distingue les deux bandes équatoriales et des zones plus sombres aux latitudes élevées et très clairement les quatres satellites galiléens. Document T.Lombry. A droite, les dessins de Jupiter réalisés par Galilée vers 1610 montrant l'évolution des quatre "lunes Médicéennes". Galilée a noté l'aplatissement du disque et les bandes sombres mais aucune tache sombre. Document Museo Galileo. Ci-dessous à gauche, l'un des rares dessins de Jupiter réalisé par Cassini. Il fut publié dans le "Journal des sçavans" du 21 mars 1672, p70. Au centre, un autre dessin plus détaillé réalisé par Cassini en 1691. Selon plusieurs études, la tache sombre représentée connue sous le nom de "Tache Permanente" (Permanent Spot ou PS) n'est pas la Grande Tache Rouge (GRS) mais un vortex temporaire qui disparut après 1713. Il semble que la GRS ne soit apparue qu'au XIXe siècle..

Pour rappel, Galilée observa Jupiter en 1610 mais n'a jamais noté une quelconque tache sombre ni de Grande Tache Rouge. Si ces taches sombres existaient à son époque, Galilée aurait-il pu les voir ?

Galilée utilisa de très petites lunettes astronomiques de sa fabrication, la plus petite ayant un objectif de 31 mm de diamètre mais diaphrammé à 25 mm ainsi qu'un modèle de 51 mm de diamètre et 1330 mm de focale (f/26) équipé d'un oculaire divergeant de -95 mm de focale. Cette lunette grossissait 14x et offrait un champ apparent de 15'. Plus tard, il fabriqua un oculaire de -33 mm offrant un grossissement de 40x.

Le pouvoir séparateur théorique de cette lunette de 51 mm de diamètre était de 2.8", soit équivalent à celui d'un téléobjectif de 135 mm (diamètre 52 mm). Les premières photos de Jupiter prises entre 1879 et 1890 montrent que la GRS s'étendait sur 20 à 25% du disque en longitude soit ~9". La PS était 2 à 3 fois plus petite soit ~3" de diamètre. En théorie, Galilée aurait donc pu voir ces deux formations si elles existaient. Mais en pratique, ces taches étant plus pâles que les bandes sombres et moins contrastées, au grossissement de 40x ces taches ne seraient probablement pas visibles (voir l'image simulée de Jupiter ci-dessus à gauche) ou peut-être juste discernables à la limite de la vision détournée ou décalée. S'il y avait une grande tache grise en plein milieu de la partie sud du disque de Jupiter, Galilée aurait pu la voir mais ne l'aurait sans doute pas distinguée ni interprétée comme telle car il n'était pas "préparé" pour cette découverte fortuite. Car ce n'était pas Jupiter en tant que telle qui intéressait Galilée mais la découverte de ses satellites qui retenait toute son attention.

Si la GRS fut effectivement observée à partir de 1831, dans ce cas ce n'est pas une formation permanente mais un phénomène temporaire qui existe depuis environ deux siècles et qui aujourd'hui est en train de rétrécir et de se dissiper très lentement (voir plus bas).

Origine de la GRS

La Grande Tache Rouge est une zone de haute pression (elle accuse un mouvement anti-horloger dans laquelle les courants s'élèvent) qui se situe entre la Ceinture Equatoriale Sud (SEB) et la Zone Tropicale Sud (STrZ) entre 20 et 30° de latitude sud. Des formations similaires mais plus petites et également temporaires ont également été observées sur Saturne (taches jaune claire) et Neptune (tache sombre).

Très bien délimitée, avec une cavité creusée dans la partie nord, la Grande Tache Rouge présente une structure spiralée dont la période de rotation (sur elle-même) est de 4.5 jours terrestres). Il s'agit d'une formation relativement stable mais qui dérive irrégulièrement, sans suivre la circulation générale.

Comment la Grande Tache Rouge (GRS) s'est-elle formée ? Celui qui aura la réponse à cette énigme aura toute la considération de la communauté des astronomes car on ignore actuellement la réponse.

Depuis le temps qu'elle existe, la majorité des spécialistes estiment que la GRS est une formation purement météorologique. Mais la manière dont elle s'est formée et comment elle s'est maintenue au fil des siècles sont encore des mystères.

Selon une théorie, des simulations ont montré qu'une source de chaleur peut se développer dans les profondeurs de Jupiter, engendrant un "défaut" persistant, une dislocation dans les couches laminaires qui présentent normalement une augmentation régulière de la température et de la densité avec la profondeur. On suppose que la matière s'est trouvée dans une phase de transition propice au développement de structures complexes combinées à des courants ascendants qui pourraient être à l'origine de la Grande Tache Rouge. C'est l'analogue atmosphérique de ce qui passe dans les volcans lorsque des conduits concentrent le flux de chaleur venu des profondeurs. En tenant compte de l'effet de la gravité, les modèles indiquent qu'une convection née en profondeur peut se frayer un chemin jusqu'à la surface et les nuages supérieurs de Jupiter.

Selon une autre théorie qui peut être combinée à la précédente, la GRS serait le résultat de la stabilisation d’une hétérogénéité dans un milieu chaotique. En effet, un mélange hors équilibre comme une perturbation convective ou un vortex peut-être stable ainsi que l'ont démontré quantités d’expériences avec des fluides plus ou moins visqueux. Si le flux est continu et la forme persistante, à l’instar de ce qui se produit dans l'atmosphère jovienne, la réaction devient autocatalytique et le système s'engage dans un cycle autoreproductif, autrement dit la chaleur et les courants atmosphériques entretiennent localement la Grande Tache Rouge qui se trouve dans un régime stable.

Selon des analyses effectuées par John Rogers à partir des anciennes photographies (de l'Observatoire Lowell de 1908, Pic-du-Midi de 1941 et HST en 2007 notamment), la GRS se serait formée par la contraction d'une supercellule anticyclonique présente dans la zone STrZ qui s'est assombrie sur 30-60° de longitude (soit 3-4 fois la taille actuelle de la GRS). Comme on le voit ci-dessus, cette hypothèse a été renforcée en 2007 par l'observation de perturbations dans la STrZ sous forme de cellules fermées émanant de matière brune s'écoulant de la SEB, ce qu'on appelle des STrD ou Perturbations Tropicales Sud (South Tropical Disturbances).

A gauche, une image composite de Jupiter photographié en couleurs naturelles par la sonde spatiale Cassini le 29 décembre 2000 à 10 millions de kilomètres de distance. C'est l'image la plus détaillée obtenue à ce jour. La résolution atteint 60 km/pixel. Au centre et à droite, images de la Grande Tache Rouge prises par la Junocam de la sonde spatiale Juno lors de son 7e périjove à 9000 km de distance le 11 juillet 2017. Documents NASA/JPL/SSI, NASA/SwRI/MSSS/Gerald Eichstädt/Justin Cowart et NASA-JPL/SwRI/MSSS/Ted Stryk.

En parallèle, d'autres hypothèses ont été proposées. Avant la collision de la comète Shoemaker-Levy 9 avec Jupiter en juillet 1994, on pensait que la GRS s'était formée à la jonction de deux courants horizontaux de sens contraire, comme cela peut expliquer les nombreux petits vortex (WOS) qui apparaissent ci et là, à la limite des zones claires et des ceintures sombres. Mais étant donné que la collision de Shoemaker-Levy 9 avec Jupiter provoqua d'énormes tâches de plus de mille kilomètres de diamètre dans l'atmosphère jovienne et subsistèrent près d'un an, il est également possible qu'une comète plus grosse ait percuté la planète géante dans un lointain passé. La Grande Tache Rouge serait la principale cicatrice de cette explosion, en fait la seule formation stable dans ce milieu turbulent. Mais a priori la GRS est une structure permanente alors que les impacts cométaires sont des formations temporaires. On en déduit que la formation de la Grande Tache Rouge serait différente et peut-être d'origine interne.

De plus, des taches furent observées sur d'autres planètes dont Neptune, où elles ont tendance à traverser l'atmosphère de la planète et à disparaître en quelques années seulement. Ces études comparées aident les scientifiques non seulement à en savoir plus sur les planètes individuelles, mais aussi à tirer des conclusions sur la physique sous-jacente qui entretient ces grandes formations nuageuses.

Mais pourquoi la Grande Tache Rouge ne se désagrège-t-elle pas ? L'analyse des images de Jupiter après la collision avec Shoemaker-Levy 9 montra que certaines zones d’impacts, parfois aussi vastes que la Terre se sont transformées en taches pourpres mais toutes ont disparu au bout d'un an, dissipées dans la circulation générale.

Une première ébauche de solution fut proposée en 1978 par le mathématicien et astronome Philip Marcus de l'Université de Berkeley et professeur de dynamique des fluides. Son modèle mathématique copié de la dynamique jovienne montre qu'un mouvement centrifuge peut transformer des flux initialement chaotiques en structures stables à grande échelle. Des vérifications avec des fluides dans le laboratoire de l'Université d'Austin confirmèrent ces simulations numériques. A partir d'une atmosphère calme contenant un vortex important, la mise en rotation du système déclencha un effet centrifuge entretenu. Alors que l'énergie se propagea autour de la grande tache qui resta en équilibre, elle provoqua la formation de petits vortex mais qui ne purent se maintenir lorsque les courants furent portés à 300 km/h. Ils s'étirèrent et se transformèrent en filaments échancrés, semblables aux nodosités et festons joviens. Entretenue par l'énergie du système, la position et la structure de la grande tache ne subirent pas d'altération et persistèrent au fil des rotations.

A gauche, image de la Grande Tache Rouge de Jupiter obtenue par la sonde spatiale Juno de la NASA révélant la complexité de sa météorologie. Les mouvements des nuages sont indiqués par les flèches jaunes : (A) cumulus convectifs; (B) ondes de gravité; (C) vortex internes; (D) noyau turbulent; (E) grandes ondes. Au centre et à droite, reconstruction tridimensionnelle de la Grande Tache Rouge sous MathLab par Cooper et Cowan pour le JPL. Documents Grupo Ciencias Planetarias UPV/EHU/NASA/SwRI et G.R.J. Cooper et D.R. Cowan (2003).

Cette expérience confirma qu'un système chaotique pouvait créer à certains seuils critiques de son évolution des structures totalement stables. Au lieu de disperser la matière, le système conserva un comportement déterminé, corroboré par l'observation de la nature. Les retombées des études sur les turbulences et le chaos devinrent si importantes que l'on parle aujourd'hui de la science du chaos ou science du désordre.

Plus récemment, en 2017 des expériences réalisées par le géophysicien Jonathan Aurnou de l'UCLA et ses collègues du CNRS à Marseille avec des fluides soumis à des régimes turbulents suggèrent que de puissants courants jets peuvent persister durant plusieurs siècles. Cette théorie complétée par le modèle de Marcus doit encore être modélisée en tenant compte des dernières données récoltées par la sonde spatiale Juno et notamment les données concernant la vitesse des vents et la composition de Jupiter en profondeur.

Température de la GRS

Les mesures effectuées par les sondes spatiales Voyager 1 et 2 ont révélé que la Grande Tache Rouge était plus froide de 2° par rapport aux zones claires avoisinantes (-146°C). Elle doit donc émerger à quelque 8 km au-dessus des zones nuageuses claires. La situation est toutefois très différente en haute altitude.

La haute atmosphère de Jupiter se réchauffe au-dessus de la Grande Tache Rouge. On pense que le phénomène est lié à la chaleur engendrée par la collision des ondes de gravité et acoustiques remontant des profondeurs. Document T.Lombry

Dans une étude publiée en 2016 dans la revue "Nature", James O’Donoghue de l'Université de Boston et ses collègues ont montré que la température dans la haute atmosphère de Jupiter est comparable à celle qu'on observe sur Terre alors que Jupiter est 5 fois plus éloigné du Soleil.

Pour expliquer cette augmentation de la température, les chercheurs ont utilisé le télescope infrarouge IRTF de la NASA installé à Hawaii et découvert que la température est beaucoup plus élevée au-dessus de la Grande Tache Rouge. Ainsi, à 800 km au-dessus des bandes nuageuses alors que la température moyenne est de 927°C (dans un milieu très raréfié), au-dessus de la GRS la température atteint 1327°C. Mesurée en infrarouge à 3.455 microns, l'énergie dissipée au-dessus de la GRS atteint 10-5.5 W/m2 soit 3.2x10-6 W/m2 contre 10-6 W/m2 aux alentours; la Grande Tache Rouge rayonne donc 3 fois plus d'énergie que la région qui l'entoure.

Sur Terre c'est le Soleil qui réchauffe l'atmosphère au point que celle-ci atteint 2500°C à 400 km d'altitude où gravite la station spatiale ISS (mais la chaleur ne se ressent pas car c'est pratiquement le vide à cette altitude). Sur Jupiter, à défaut d'un Soleil très puissant, c'est la Grande Tache Rouge qui réchaufferait l'atmosphère supérieure. Comment ? Selon O'Donoghue, la GRS produit deux types d'ondes turbulentes en interactions  : des ondes de gravité (les mêmes qui sur Terre forment des nuages ondulants) et des ondes acoustiques.

Comme sur Terre, les ondes de gravité se déplacent verticalement à travers l'atmosphère et sont générées soit par des orages soulevant l'air stable en altitude soit par des montagnes forçant l'air à s'élever sur leurs flancs. Les ondes acoustiques sont des  compressions d'air qui se déplacent. La chaleur détectée à 800 km au-dessus de la GRS serait le résultat de la combinaison de ces deux types d'ondes qui entreraient en collision comme les ondes dans l'océan. Sur Terre, un effet similaire a déjà été observé dans les Andes et pourrait également se produire sur d'autres planètes comme Vénus ou sur des lunes comme Titan.

Profondeur de la GRS

Si la théorie de la convection est exacte, à quelle profondeur se trouveraient les "racines" de la Grande Tache Rouge ? Il faut plonger dans l'atmosphère de Jupiter jusqu'à trouver une profondeur où l'intensité de la turbulence et la pression sont suffisamment élevées pour créer un germe d'hétérogénéité persistant. Selon les modèles, nous savons que des conditions infernales règnent à plus de 1000 km de profondeur (> 2000°C, pression > 5000 bars). Dans un milieu aussi turbulent qui l'est encore plus dans les grandes profondeurs, les échanges de chaleur d'une région à l'autre génèrent des vents extrêmement violents accompagnés de variations importantes de pression. Combinés à l'effet de la force de Coriolis, ces phénomènes locaux peuvent accumuler beaucoup d'énergie et former de véritables tempêtes à l'échelle de Jupiter, c'est-à-dire des vortex de plusieurs milliers de kilomètres de diamètre qui pourraient ensuite remonter vers la surface.

Ceci dit, il paraît impossible que les "racines" de la GRS soient ancrées très profondément, comme par exemple au niveau de la couche d'hydrogène métallique située à 25000 km de profondeur comme certains l'ont proposé. En effet, considérant tous les échanges thermiques, les zones de cisaillements et la variation de densité aux différentes profondeurs, une telle structure ne pourrait pas se maintenir bien longtemps sur une aussi grande distance. Toutefois, jusqu'à la mission Juno nous manquions de données pour tester cette théorie.

En juillet 2017, la sonde spatiale Juno de la NASA survola la Grande Tache Rouge à 9000 km de distance et grâce à son radiomètre micro-onde (MWR), elle a pu mesurer la température de l'atmosphère aussi profondément qu'elle pouvait grâce à 6 canaux différents, chacun étant accordé sur une fréquence particulière (le canal 1 est accordé sur une longueur d'onde plus longue que le canal 6) et donc adapté à une profondeur spécifique.

A voir : Fly into the Great Red Spot of Jupiter with NASA’s Juno Mission, NASA

A gauche, coupe verticale de la GRS jusqu'à 350 km de profondeur obtenue à partir des données du radiomètre micro-onde de la sonde spatiale Juno en 2017. A droite, la Grande Tache Rouge photographiée par la sonde spatiale Juno le 10 juillet 2017. Voici une animation (GIF de 6 MB) des images prises à cette date. Documents NASA/JPL-Caltech/SwRI adapté par l'auteur et NASA/JPL-Caletch.SwRI/MSSS/ Gerard Eichstadt/Justin Cowart.

Comme on le voit sur la coupe verticale présentée ci-dessus à gauche, Andrew Ingersoll de Caltech et ses collègues du SwRI ont découvert que le gaz situé sous la GRS devenait plus chaud à mesure que la profondeur augmentait et qu'il existait une zone chaude sous la GRS jusqu'à 350 km de profondeur. Autrement dit, les racines de la GRS plongent 50 à 100 fois plus profondément que les courants océaniques terrestres les plus profonds.

Le fait que la Grande Tache Rouge soit plus chaude en profondeur qu'au sommet des nuages pourrait expliquer la vitesse élevée des vents tempétueux qui soufflent à environ 120 m/s soit 432 km/h dans la GRS. En effet, l'air chaud moins dense s'élève, offrant l'effet d'une cheminée naturelle pour la chaleur interne qui fournit l'énergie nécessaire au développement de cette formation permanente.

Couleur de la GRS

L'origine de la couleur de la Grande Tache Rouge reste largement débattue. Plusieurs explications ont été proposées. Pour certains biochimistes, sa couleur rouge-orangée proviendrait de la décomposition par photolyse de la phosphine (PH3) en phosphore rouge. Reste à déterminer si l'abondance de ces éléments est compatible avec les observations.

Une autre explication, avancée voici plusieurs décennies par Cyril Ponnamperuma (1923-1994) de l'Université de Maryland tient compte de la synthèse des polymères nitriles (C≡N) à partir de l'expérience de Miller, dont on retrouve les composants sur Jupiter. On y reviendra en bioastronomie.

A gauche, Jupiter avec l'ombre du satellite Europe en transit photographié le 7 décembre 2000 par la sonde spatiale Cassini en route vers Saturne. A cette époque la Grande Tache Rouge (GRS) mesurait 18000 km. Il s'agit du compositage de 4 photos dont le planisphère a été projecté sur un globe pour rendre l'effet de perspective. La résolution est d'environ 144 km/pixel. Document NASA/JPL/U.Az./ESA. Au centre, une image prise par Damian Peach le 18 mars 2016 avec un télescope Celestron C11 EdgeHD. La GRS mesurait 16800 km de longueur. A droite, une photo RGB prise par le HST le 5 janvier 2024 dans les bandes Ca II (395 nm), O III (502 nm) et O I (631 nm). La GRS mesurait 16350 km de longueur.

A leur tour, le physicien Kevin Baines de l'équipe scientifique de Cassini au JPL ainsi que Tom Momary et Bob Carlson alors au JPL ont étudié la question à partir des données transmises par la sonde Cassini en décembre 2000 et les ont comparées aux résultats d'expériences chimiques en laboratoire. Ils ont bombardé un mélange contenant les deux principaux gaz qu'on retrouve au sommet de l'atmosphère de Jupiter, l'ammoniac (NH3) et l'acétylène (C2H2) avec de la lumière ultraviolette de 214 nm reproduisant l'énergie solaire. Les résultats de leur analyse publiés dans la revue "Icarus" indiquent que la photolyse a formé une matière orange composée d'azo (R-N=N-R'), diazo (R2C=N2) et d'azine aliphatique (RR'C=N-N=CRR') dont la couleur correspondait aux observations de Cassini.

Selon Baines, leur modèle suggère que la GRS présente une couleur fade en dessous de la couche colorée orange. En effet, sur Jupiter les vents de tempête transportent les particules glacées d'ammoniac dans la haute atmosphère, les exposant à la lumière solaire. Du fait que ces vortex sont en rotation comme les ouragans sur Terre mais en sens contraire, les particules d'ammoniac ne peuvent s'échapper. Cela crée une coloration orangée permanente au sommet de l'anticyclone formée par la Grande Tache Rouge.

Notons que les petites taches blanches (les WOS qui ont tout de même la taille de la Terre) virent parfois à l'orange (voir plus bas) probablement pour la même raison. Ceci dit, Saturne contient les mêmes éléments (ammoniac, phosphine, acétylène, etc.) mais ne présente pratiquement aucune tache orange. Peut-être que la vitesse très élevée des vents (3 fois plus élevée que sur Jupiter) empêche la formation ou la persistance de ces composés organiques colorés.

Changement de taille de la GRS

De forme elliptique, la GRS s'étend de nos jours sur 16350 à 18000 km de longueur et 12000 km en latitude; cet anticyclone est donc presque deux fois plus grand que la Terre mais cela n'a pas toujours été le cas.

Si sa position en latitude a peu varié au cours du temps, en revanche sa longueur a fortement changé. Selon les analyses effectuées par John Rogers dans son livre "The Giant Planet Jupiter" (CUP, 2009), en sur basant sur les dessins de Cassini, la GRS était plus petite au XVIIe siècle et se déplaçait également moins rapidement qu'aujourd'hui. Sur base des photographies, on peut estimer que la GRS atteignit 41038 km de longueur à la fin du XIXe siècle et pouvait donc aisément contenir trois fois la Terre. En 1973, lors du survol de la sonde spatiale Pioneer 10, la GRS mesurait 25000 km de longueur. En 1979-1980, lors du survol des sondes spatiales Voyager 1 et 2, la GRS mesurait 23335 km (ci-dessous au centre) qui se réduisirent à 18000 km en 2000 lors du passage de la sonde Cassini. Puis à partir de 2012, son rétrécissement s'accéléra avec un taux de l'ordre de 930 km par an pour atteindre 16496 km de longueur en 2014 (cf. la photo en 1re page) pour remonter à 16800 km le 18 mars 2016 (cf. les photos amateurs en 1re page) comme le confirma l'astronome amateur Damian Peach mais seulement 16350 km fin 2023 début 2024 (cf. la photo prise par le HST ci-dessus).

A voir : Animation de la Grande Tache Rouge et des turbulences (GIF de 52 MB)

A gauche, évolution de la taille de la Grande Tache Rouge (GRS) entre 1890 et 2014. Sa longueur a  diminué de 60% en 125 ans (41038 km à la fin du XIXe siècle à 16496 km en 2014 pour remonter ensuite à 16800 km en 2016). L'échancrure juste au nord, dans la partie sud de la SEB est apparue vers 2007 et la bande s'est brisée vers 2009. Documents Obs.Lick (1890, la GRS mesurait 35000 km dont voici une autre photo en couleur prise en 1891), "Astronomie" de Rudaux (1948), "Planètes et Satellites" de Guérin (Pic-du-Midi, 1964) et Damian Peach (C11, 2014, la GRS mesurait 16500 km). Montage de T.Lombry. Au centre, une image prise le 4 mars 1979 par Voyager 1 et retraitée en 2011 par Björn Jónsson (cf. APOD). La résolution est de 18 km /pixel. L'animation ci-dessus se réfère à cette image. A droite, une image en couleurs accentuées combinant les images en UV et IR à 756 nm prises le 26 juin 1996 par la sonde Galileo. L'image a également été traitée par Björn Jónsson. Documents NASA/JPL. D'autres images sont disponibles sur le site Ciclops

La longueur de la GRS a tellement diminué que certains astrophysiciens prédisent qu'elle va bientôt disparaître. Sur le plan météorologique, la GRS pourrait encore rétrécir longitudinalement et devenir circulaire dans les prochaines années. Ensuite, si elle rétrécit encore et prend une forme elliptique dans le sens vertical, elle ne pourra plus se maintenair en raison des forts courants atmosphériques et elle finira par se disloquer comme les autres petites taches sombres et les WOS temporaires. Cette échéance n'est toutefois pas prévue avant quelques décennies et cette prévision reste à confirmer.

Pourquoi la GRS change-t-elle de taille ? Dans un article publié dans la revue "Icarus" en 2024, l'équipe de Caleb W. Keaveney des universités de Caroline du Nord à Raleigh et de Yale a étudié l'influence des tempêtes plus petites et transitoires sur la Grande Tache Rouge et aurait trouvé une explication.

Les chercheurs ont réalisé une série de simulations 3D de la GRS en utilisant le modèle EPIC (Explicit Planetary Isentropic-Coordinate), un modèle atmosphérique planétaire développé dans les années 1990 par Timothy Dowling de l'Université de Louisville et coauteur de cet article. Certaines de ces simulations ont simulé des interactions entre la GRS et de petites tempêtes (vortex) de fréquence et d'intensité variables, tandis qu'un autre ensemble de simulations de contrôle laissa de côté les petites tempêtes. La comparaison des simulations suggère que la présence d'autres tempêtes a renforcé la Grande Tache Rouge, provoquant son élargissement.

Selon Keaveney, "Nous avons découvert grâce à des simulations numériques qu'en alimentant la Grande Tache Rouge avec un régime de tempêtes plus petites, comme cela se produit sur Jupiter, nous pouvions moduler sa taille."

Les chercheurs ont en partie basé leur modélisation sur des systèmes de haute pression de longue durée observés dans l'atmosphère terrestre. Ces systèmes, appelés les "dômes de chaleur" ou "blocs", se produisent régulièrement dans les courants jets d'ouest qui circulent aux latitudes moyennes de la Terre et jouent un rôle majeur dans les évènements météorologiques extrêmes tels que les vagues de chaleur et les sécheresses. La durée de ces dômes de chaleur dépend des interactions avec des mécanismes météorologiques plus petits et transitoires, notamment les tourbillons de haute pression et les anticyclones.

Selon Keaveney, "Notre étude a des implications convaincantes pour les évènements météorologiques sur Terre. On a démontré que les interactions avec les systèmes météorologiques voisins soutiennent et amplifient les dômes de chaleur, ce qui motiva notre hypothèse selon laquelle des interactions similaires sur Jupiter pourraient entretenir la Grande Tache Rouge. En validant cette hypothèse, nous apportons un soutien supplémentaire à cette compréhension des dômes de chaleur sur Terre."

Des modélisations supplémentaires devraient permettre aux auteurs d'affiner leurs découvertes et peut-être de faire la lumière sur l'origine de la Grande Tache Rouge.

Changement de la vitesse de rotation de la GRS

En analysant les "storm reports" (les rapports de tempête) basés sur les données du Télescope Spatial Hubble (HST), le planétologue Michael H. Wong de l'Université de Berkeley (UCB) et ses collègues ont constaté que la vitesse moyenne des vents dans la GRS augmenta jusqu'à 8% entre 2009 et 2020. En revanche, les vents circulant près du centre de la GRS se déplacent beaucoup plus lentement comme illustré ci-dessous. Cette découverte fit l'objet d'un article publié dans les "Geophysical Research Letters" en 2021.

En analysant les images prises par le Télescope Spatial Hubble de la NASA de 2009 à 2020, les chercheurs ont découvert que la vitesse moyenne des vents juste à l'intérieur des limites de la Grande Tache Rouge avait augmenté jusqu'à 8% entre 2009 et 2020 et atteignaient 637 km/h. En revanche, les vents situés près de la région la plus interne de la GRS se déplacent beaucoup plus lentement. Document M.H. Wong et al. (2021) adapté par l'auteur.

Selon Wong, "Nous constatons que la vitesse moyenne du vent dans la Grande Tache Rouge a légèrement augmenté au cours de la dernière décennie. Nous avons un exemple où notre analyse de la carte des vents en deux dimensions révéla des changements brusques en 2017 lorsqu'il y avait une tempête de convection majeure à proximité."

Selon Amy Simon du centre Goddard de la NASA et coauteur de cette étude, le changement de vitesse du vent s'élève à environ 2.6 km/h par année terrestre. "Nous parlons d'un si petit changement que si nous n'avions pas onze ans de données de Hubble, nous ne saurions pas que cela s'est produit. Avec Hubble, nous avons la précision dont nous avons besoin pour repérer une tendance."

La résolution angulaire du HST est de 0.05". Les plus petits détails que le HST a pu observer dans la GRS mesurent 169 km de diamètre. En 2019 et 2020, on releva à l'intérieur des limites de la GRS des vents moyens de près de 150 m/s soit 540 km/h et même de 177 m/s soit 637 km/h en 2017. Par rapport à un cyclone F5 sur Terre, la vitesse moyenne des vents est 2.3 fois plus élevée sur Jupiter et les rafales de vents soufflent presque deux fois plus forts ! Mais la taille et la nature de la planète géante qui ne présente aucun obstacle aux vents se prêtent aussi à ce type de phénomène démesuré.

Les profils des vents zonaux (bleu) superposés à ceux de la Grande Tache Rouge (rouge) relevés grâce à la caméra WFC3 à grand champ du HST. A droite, les flèches indiquent les plages de latitude de la ceinture équatoriale sud (SEB), de la zone tropicale sud (STrZ) et de la ceinture tempérée sud (STB). Les couleurs ont été accentuées. Document M. H. Wong et al. (2021).

Que signifie cette augmentation de la vitesse des vents ? N'ayant pas une vue de la base de la GRS, le HST n'a pas accès à tout ce qui se trouve sous le sommet de la formation qui n'est donc pas mesurable. Par conséquent, l'origine de ce changement est difficile à déterminer. 

Seule des études comparatives avec Saturne et Uranus ainsi que les données du radiomètre micro-onde de la sonde spatiale Juno peuvent éventuellement aider les planétologues à comprendre ce phénomène. Mais idéalement, il faudrait lancer des sondes météos dans la GRS pour analyser ses paramètres et suivre son évolution. Actuellement, malgré toutes les modélisations, prédire l'évolution de la Grande Tache Rouge n'est pas encore envisageable.

Les taches blanches ovales (WOS)

En dépouillant les observations passées, on a découvert une tache ovale blanche (WOS) sous la Grande Tache Rouge qui s'était formé vers 1930. Il s'agit également d'une formation anticyclonique. D'autres WOS petites et grandes apparaissent également de temps en temps et se dissipent au bout de quelques mois ou quelques années. Certaines alimentent la Grande Tache Rouge. Les grandes WOS ont la taille de la Terre avec une longueur variant entre 8000 km et 12000 km.

La région sud de Jupiter photographiée par Voyager 1 en 1979. La WOS DE fusionna avec BC en 1998 puis fusionna avec FA en mars 2000 pour donner BA. Ces WOS sont plus grandes que la Terre. Document NASA/JPL adapté par l'auteur.

La persistance de ces formations s'explique en partie par le fait qu'à l'inverse de la Terre, elles ne passent pas au-dessus de la mer et des reliefs qui modifient leur état. Le froid persistant et la taille gigantesque des formations expliquent aussi le fait que l'énergie se dissipe très lentement. Toutefois, les WOS sont éphémères alors que la Grande Tache Rouge est fixée dans l'hémisphère sud depuis plusieurs siècles.

Entre 1939 et 1950, trois WOS appelées BC, DE et FA sont progressivement apparues comme on le voit ci-dessus. Après 60 ans d'existence, les WOS BC et DE ont fusionné pour donner BE en 1998 qui fusionna avec FA en mars 2000 pour donner naissance à la WOS BA comme on le voit ci-dessous à gauche. BA est toujours visible aujourd'hui.

A gauche, fusion des WOS BC et DE en 1998 photographiée depuis le Pic-du-Midi (2 images du haut) et la fusion de BE avec FA en mars 2000 pour donner BA photographiée grâce au télescope Spatial Hubble. Ces WOS mesurent entre 8000-12000 km. A droite, illustration artistique du rendez-vous de la sonde spatiale Juno avec Jupiter en 2016 montrant la Grande Tache Rouge associée dans sa partie sud avec la WOS BA. Dessin basé sur des photographies prises par la sonde Voyager 1 en 1979. Documents CNRS/NASA/JPL et T.Lombry.

Quant à la couleur des taches ovales, on sait aujourd'hui que les WOS peuvent changer de couleur au fil du temps. En effet, en 2006 l'astronome amateur Christophe Go remarqua que la WOS BA était devenue orange qui lui valut d'être surnommée la "Tache rouge junior". Ce phénomène n'avait pas été anticipé par les professionnels. Et pour cause, ce changement de couleur reste inexpliqué.

Ces zones de haute pression passent d'une couleur blanc-bleuté en début de vie à une coloration orange, brune ou rouge après plusieurs mois voire plusieurs années d'existence comme on le voit ci-dessous.

Pourquoi ces taches changent-elles de couleur ? On sait d'expérience que la GRS peut présenter une couleur plus vive quand elle absorbe une petite WOS par exemple comme ce fut le cas en 2014 où elle prit une couleur rouge brique mais nous ignorons comment la GRS et les WOS changent de couleur. Il est probable que le phénomène soit lié à des injections de matière organique (peut-être des nitriles et autres tholines) provenant soit d'altitude où la matière est irradiée par les UV soit des profondeurs où la matière est activée par l'énergie interne (chaleur et éclair).

Ci-dessus à gauche, la première apparition de la petite tache rouge "junior" sur Jupiter enregistrée en lumière bleue et rouge par le Télescope Spatial Hubble le 8 avril 2006. Il s'agit de l'ancienne WOS BA qui est devenue orange ! Au centre et à droite, aspect général de la Grande Tache Rouge (GRS qui mesurait à cette époque environ 22500 km de longueur), de la WOS BA transformée en tache rouge "junior" (en dessous) et d'une troisième tache rouge "baby" (à gauche de la GRS) le 23 mai 2008. Noter la couleur orange de la petite tache rouge "baby" qui est devenue blanc-crème en passant devant la Grande Tache Rouge et s'est ensuite diluée dans la circulation générale. Ci-dessous, la Tache rouge "junior" observée par le Télescope Spatial Hubble le 19 janvier 2015. Documents Hubble Site 2006, Hubble Site 2008 et NASA/ESA/STScI.

L'activité électrique de Jupiter

L'activité radioélectrique de Jupiter est surprenante. En 1955, les astronomes B.Burke et K.Franklin d'un observatoire proche de Washington cherchaient à compléter la carte radioélectrique du ciel, lorsqu'ils détectèrent de fortes émissions sur 22.2 MHz et des sursauts d'une période d'une seconde sur 20 MHz. Ils les attribuèrent tout d'abord à des interférences d'origines terrestres. Durant les mois qui suivirent les astronomes insistèrent, s'étonnant que la source se déplaçait sur le fond étoilé selon une trajectoire qui semblait être celle de Jupiter. Ce dernier se montra ainsi comme l'une des radiosources les plus puissantes du ciel.

Les longueurs d'ondes les plus courtes, inférieures à 2.54 cm (11.8 GHz) proviennent des nuages supérieurs de Jupiter et indiquent une température de -104°C, proche des températures obtenues par les mesures dans l'infrarouge. Celles qui sont donc un peu plus longues ne pouvaient provenir que de l'atmosphère, où les nuages devaient atteindre un degré d'échauffement absurde pour les émettre aussi fort. Les analyses radioélectriques ont montré que jusqu'à 70 cm de longueur d'onde, le rayonnement est d'origine thermique et provient de l'agitation des molécules dans l'atmosphère supérieure. Les ondes comprises entre 0.7 m et 670 m ne sont plus d'origine thermique, mais sont constituées de particules issues du vent solaire qui sont prises au piège d'un gigantesque champ magnétique sur lequel nous reviendrons.

Ces émissions sont générées par des électrons spiralant dans un puissant champ magnétique, induisant un effet synchrotron. Elles parviennent aux radiotélescopes sous forme d'éclats ou de tempêtes. Dans la bande décamétrique (5 à 40 MHz) les éclats durent de quelques microsecondes à quelques secondes. Les tempêtes étant composées de milliers d'éclats, elles peuvent durer jusqu'à 2 heures, à l'instar de l'activité solaire. Un seul éclat d'une seconde libère autant d'énergie que celle enregistrée par 100 milliards d'éclairs terrestres ! Au cours d'une tempête, ces éclats se suivent les uns sur les autres sur un rythme saccadé, donnant à Jupiter une voix qui doit porter bien au-delà du système solaire.

Les plus grosses planètes ont ainsi une signature radioélectrique particulière, différente de celle des étoiles ou des galaxies, à la base d'une technique de radioastronomie qui permet de sonder l'Univers à la recherche d'exoplanètes.

A l'audition, ces sons font penser à une troupe marchant au pas, à des vagues déferlants sur une plage ou encore à une respiration, lors des périodes d'accalmie de son activité.

Frederick Scarf de la société américaine TRW et expert des plasmas a obtenu de surprenants enregistrements, où des notes délicates et cristallines, que d'autres interprètent comme des gazouillis d'oiseaux, se mêlent à des sonorités profondes, des sifflements suraigus, pour se combiner en motifs complexes, envoûtants pour certains initiés. D'ici il n'y a plus qu'un pas à franchir pour concrétiser tous ces sons en symphonie céleste comme le fit Herschel et plus récemment le compositeur japonais Isao Tomita (1932-2016) ou la physicienne Fiorella Terenzi.

A écouter : La musique de Jupiter

Découverte de possibles sprites

Au cours de sa mission d'exploration de Jupiter, durant l'été 2019 la sonde spatiale Juno enregistra des images d'aurores grâce à son spectrographe d'imagerie ultraviolet (UVS). En traitant ces images, Rohini Giles de l'équipe de recherche de la mission Juno a découvert dans un secteur de la planète un flash UV brillant supposé ne pas s'y trouver. En y regardant de près, les chercheurs ont découvert ce qui semble être un phénomène lumineux transitoire similaire aux TLE qu'on observe sur Terre au-dessus de certaines cellules orageuses jusqu'à plus de 100 km d'altitude.

Selon Giles, "Nous sommes ensuite allés chercher toutes les données que nous avons prises pendant les quatre ans de la mission et nous avons trouvé un total de 11 flashs, tous avec des propriétés très similaires." Chacun de ces flashs dura ~1.4 milliseconde, certains étant plus lumineux que d'autres. Les chercheurs estiment que la source d'émission se situe à 260 km au-dessus du niveau 1 mb (situé au milieu des trois principales couches nuageuses), c'est-à-dire dans la stratosphère, très au-dessus de la couche nuageuse supérieure (cf. ce schéma). Cette découverte fit l'objet d'un article publié dans le "Journal of Geophysical Research" le 27 octobre 2020.

Selon Giles, sur Jupiter les couleurs des TLE sont également distinctives : "Sur Terre, les sprites et les elfes apparaissent de couleur rougeâtre en raison de leur interaction avec l'azote dans la haute atmosphère. Mais sur Jupiter, la haute atmosphère se compose principalement d'hydrogène, donc ils seraient probablement bleus ou roses" comme illustré ci-dessous à droite.

A gauche, une photo (ISS044-E-45553) prise depuis la station ISS le 10 août 2015 d'un sprite (en rouge) s'élevant à une centaine de kilomètres au-dessus de cellules orageuses se développant au Missouri ou en Illinois à plus de 2200 km de distance. La grande zone brillante sur la droite est Dallas, au Texas. Le flash rouge est tellement rapide qu'il est invisible à l'oeil nu mais apparaît sur les photos ou les vidéos. Au centre, cartographie des mesures du spectrographe ultraviolet de la sonde spatiale Juno au cours d'une seule rotation autour de Jupiter le 10 avril 2020 (PJ26). L'échelle de couleur indique le comptage des photons UV. Le cercle jaune indique un flash lumineux pouvant être un sprite. Le trait s'étend sur 1° dans le ciel. Au total, 11 phénomènes similaires furent enregistrés en 4 ans. A droite, illustration d'un sprite tel qu'il pourrait apparaître sur Jupiter. Documents NASA/EO, R.Giles et al. (2020) et NASA/JPL-Caltech/SwRI.

Sur Jupiter, la difficulté est de détecter ces flashs sans les confondre avec des éclairs. Sur Terre, il est assez facile de les distinguer par la couleur (il existe des rouges et des bleus) soit à partir du sol soit depuis un avion situé à une centaine de kilomètre ou davantage d'une cellule orageuse qui se profile à l'horizon. Sur Jupiter, la méthode équivalente serait de photographier son limbe où l'on peut apercevoir de profil les couches supérieures de son atmosphère et espérer enregistrer un sprite bleu ou rose s'en échapper. Mais on ignore où ils se manifestent. Le plus simple consiste encore à utiliser l'instrument UVS à grand champ et à mitrailler le globe de Jupiter jusqu'à ce qu'il enregistre un TLE.

Actuellement, Juno est incapable de confirmer si ces TLE ont été engendrés par la foudre car le mécanisme de détection de la foudre de la sonde spatiale se trouve de l'autre côté du vaisseau spatial par rapport à l'instrument UVS. Les chercheurs vont donc continuer à rechercher des signes plus révélateurs de sprites et autres elfes. Selon Giles, "Maintenant que nous savons ce que nous recherchons, il sera plus facile de les trouver sur Jupiter et sur d'autres planètes. Et comparer les sprites et les elfes de Jupiter avec ceux ici sur Terre nous aidera à mieux comprendre l'activité électrique dans les atmosphères planétaires."

Structure du champ magnétique

Les radioastronomes ont remarqué que les ondes métriques comprises entre 3 et 15 m sont modulées par la position du satellite Io sur son orbite. Cette hypothèse confirme l'observation faite par Biggs en 1964. Il existe effectivement un tore de particules qui relie le satellite Io aux régions polaires de Jupiter. Ces gaz sont issus des éruptions volcaniques d’Io à raison d’une tonne par seconde et se déversent sur Jupiter en provoquant des aurores polaires. L'analyse des images prises par le Télescope Spatial Hubble confirme que ces aurores polaires ressemblent à celles qui apparaissent sur Terre dans les régions circumpolaires.

Comme la Terre, Jupiter s'entoure d'un champ magnétique, mais son niveau d'énergie est 200000 fois plus intense. Document Pearson Education Inc. adapté par l'auteur.

A grande échelle, les données enregistrées par les sondes spatiales dont Juno en 2017 ont permis de confirmer les hypothèses des radioastronomes. Comme on le voit ci-dessous, à l'image de celui de la Terre, le champ magnétique de Jupiter forme une immense structure toroïdale asymétrique. Ce champ magnétique est de type bipolaire avec une inversion de polarité : l'aiguille de notre boussole indiquerait le Sud, avec une inclinaison d'environ 11° par rapport à l'axe de rotation de la planète. Cette inclinaison crée une oscillation du flux magnétique, donnant au champ de force une période de rotation qui correspond au Système III que nous avons introduit en première page.

Ce champ magnétique semble engendré par le noyau et les mouvements de la matière dans les profondeurs de Jupiter, comme c'est le cas pour la Terre. Son dipôle magnétique vaut 1.5x1020 Tm3 ou 20000 DE (20000x celui de la Terre), ce qui est 33 fois supérieur à celui de Saturne. Le centre de ce dipôle est décalé de 700 km vers le nord, dont l'intensité maximale atteint 14.8 gauss au pôle Nord et 4.2 gauss à l'équateur, soit plus de huit fois supérieur au champ magnétique terrestre. C'est le champ magnétique le plus puissant du système solaire après celui du Soleil.

Ce champ magnétique comprend plusieurs composantes importantes :

- L'onde ou arc de choc est la plus éloignée de Jupiter. Elle se situe à l'endroit où le vent solaire soufflant à plus de 415 km/s (1.5 millions de km/h) rebondit sur la magnétosheath qui sépare l'espace interplanétaire de la magnétopause jovienne tel un flot violent soulevé par l'étrave d'un navire.

- La magnétopause est une zone de plasma d'environ 10.5 millions de kilomètres de rayon soit 150 rayons joviens, contenant des particules presque totalement ionisées et des éléments neutres. Cette magnétopause est écrasée en direction du Soleil, compressée sur une vingtaine de rayons joviens tandis qu'elle s'étire à l'opposer du Soleil pour former une queue magnétique très longue, qui s'étend sur plus d'un milliard de kilomètres, au-delà de l'orbite de Saturne ! Cette extension s'explique par la vitesse de rotation du champ magnétique, créant une force telle que les particules attirées par Jupiter sont repoussées de plus en plus loin de la planète.

La magnétopause est la limite externe de la magnétosphère dont la structure se divise en 4 principales régions :

- La magnétosphère externe qui s'étend jusqu'aux limites de la magnétopause. Elle peut s'étendre pendant de rares instants jusqu'à 100 rayons joviens en direction du Soleil, ce qui est révélateur de la pression intense que peut exercer ce rayonnement corpusculaire. Les grandes ondes radioélectriques jusque 670 m ou 440 kHz sont émises par ce champ magnétique externe.

- La magnétosphère moyenne qui s'étend entre 20 et 60 rayons joviens. Elle forme un feuillet de courant très fin et de faible énergie (10-12 Gauss) autour de Jupiter.

- La magnétosphère interne qui s'étend jusqu'à environ 20 rayons joviens, où le champ magnétique de Jupiter influence le vent solaire. Elle contient les zones que l'on assimile aux ceintures Van Allen sur Terre. Divisée en deux parties, ce sont les endroits qui présentent le rayonnement le plus intense, jusqu'à 4 millions de particules par seconde et par centimètre cube aux environs de 200000 km au-dessus des nuages, 10000 fois l'intensité que l'on mesure autour de la Terre !

Cette magnétosphère interne se comporte de façon analogue à la magnétosphère terrestre, mais elle est perturbée par les satellites Europe (orbitant à ~10 rayons joviens) et Ganymède (~15 rayons joviens) qui gravitent dans cette zone.

- Les ceintures de radiations se divisent en deux composantes : une ceinture externe et une ceinture interne. Selon les relevés de la sonde Galileo, ces ceintures sont beaucoup plus étendues que les ceintures de Van Allen terrestres et 10 fois plus intenses.

La  ceinture externe s'étend sur 7 rayons joviens. C'est dans cette zone que gravite Io (à 6 rayons joviens) qui subit non seulement les forces de marée de Jupiter mais également son intense rayonnement corspusculaire.

A gauche, illustration de la ceinture interne de radiations de Jupiter (en orange clair) où l'énergie des particules est la plus élevée et même mortelle pour un être humain. A droite, la dimension apparente de la magnétosphère de Jupiter si elle était visible à l'oeil nu et comparée à la Lune. Documents NASA/JPL et T.Lombry.

Les ondes décamétriques proviennent de particules situées dans cette ceinture de radiations et à l'image de la planète, elles ne restent pas immobiles. A intervalles irréguliers, elles plongent en vastes essaims jusqu'à la partie supérieure de l'atmosphère où elles s'arrêtent brusquement, libérant une partie de leur énergie sous forme d'ondes électriques. Cet effet est appelé le "dumping". Jupiter émet aussi des rayons cosmiques qui furent attribués un temps à une émission de la Galaxie, tant ils étaient énergiques !

Plus près de Jupiter, à une distance d'environ 70000 km de la surface soit 1 rayon jovien, la sonde spatiale Pioneer 10 détecta une ceinture interne de radiations où le niveau des radiations atteint 1000 fois le seuil de tolérance de l'organisme humain (la dose létale vaut 500 rads) ! Deux des 340 photographies prises à ce moment là ne sont jamais parvenues au Jet Propulsion Laboratory (JPL).

C'est pour éviter tout risque de panne qu'en 2016 la NASA décida de faire passer la sonde spatiale Juno soit en-dehors des ceintures de radiations soit en dessous, si bien que Juno survola Jupiter au périastre à seulement 5000 km des couches nuageuses.

- L'ionosphère est la région la plus proche de la planète. Elle est formée de 5 couches électrisées situées entre le niveau 1 mb qui correspond au sommet des ceintures colorées et environ 3000 km d'altitude. Elle sont à l'origine des émissions entre 1 et 15 m de longueur d'onde (300-20 MHz).

A partir de ces chiffres, on en déduit que si la magnétosphère de Jupiter était visible à l'oeil nu, comme on le voit ci-dessus à droite, vue depuis la Terre elle s'étendrait sur plus de 41' soit 1.4 fois le diamètre apparent de la Lune !

Les aurores

Grâce au Télescope Spatial Hubble, en décembre 2000 on découvrit des aurores autour du pôle Nord de Jupiter. Ces lumières détiennent des indices sur la composition du champ magnétique de Jupiter et sur son fonctionnement. Mais leurs propriétés ont rapidement intrigué les astrophysiciens.

D'abord, à l'inverse des aurores terrestres qui sont transitoires et ne se produisent que lorsque l'activité solaire est intense, les aurores de Jupiter sont permanentes et ont une intensité variable. De plus, comme nous l'avons expliqué (voir page 2), suite à une excitation du champ magnétique de Jupiter par les particules émises par le Soleil, les aurores de Jupiter sont capables de chauffer les régions polaires à plus de 700°C, une chaleur qui est redistribuée par des vents globaux tout autour de la planète.

Une aurore photographiée par le Télescope Spatial Hubble en UV en décembre 2000 superposée à une image optique. Les aurores sont 100 fois plus intenses et 100 plus vastes que sur Terre. Document NASA/ESA/STScI/ J.Nichols/U.Leicester.

Ensuite, selon une étude publiée dans la revue "Science Advances" en 2021 par Binzheng Zhang du Département des sciences de la Terre de l'Université de Hong Kong et ses collègues, les aurores polaires de Jupiter et de la Terre présentent des topologies magnétosphériques très différentes.

Les chercheurs ont développé un modèle magnétohydrodynamique global de la magnétosphère de Jupiter qui pour la première fois apporte des indices en faveur d'une théorie jusqu'ici controversée proposée en 2010. 

A l'époque, Peter Delamere, coauteur de cette nouvelle étude et spécialiste en physique spatiale à l'Institut géophysique de l'Université d'Alaska à Fairbanks avait proposé avec son collègue Fran Bagenal de l'Université du Colorado à Boulder que les pôles de Jupiter sont enveloppés dans des lignes de champ magnétique fermées plutôt que des lignes ouvertes, comme c'est le cas de la plupart des autres planètes y compris la Terre. Rappelons que les lignes ouvertes sont celles qui émanent d'une planète puis s'étendent dans l'espace au lieu de se reconnecter avec une région correspondante dans l'hémisphère opposé.

Sur Terre par exemple, une aurore apparaît sur des lignes de champ magnétiques fermées autour d'une zone appelée l'ovale aurorale. Elle forme un anneau aux latitudes élevées à proximité de chaque extrémité de l'axe magnétique de la Terre. Etant donné que l'axe de rotation de la Terre est incliné, l'ovale aurole est décalée vers le Canada et les Etats-Unis et s'étend entre les latitudes de 50 et 60° alors qu'il descend rarement en-dessous de 70° en Europe et 80° en Sibérie orientale (cf. cette carte en ligne).

Sur Terre, à l'intérieur de cet anneau et comme sur d'autres planètes du système solaire, au-dessus de la calotte polaire se trouve une région vide ne présentant aucune activité aurorale. Dans cette région les lignes de champ magnétique sont ouvertes et sortent de la Terre sans reconnexion, raison pour laquelle les aurores y apparaissent très rarement. C'est un phénomène similaire à un circuit électrique incomplet et ouvert qui ne permet pas d'allumer la lumière. Or, sur Jupiter on observe des aurores au-dessus de la calotte polaire, ce qui a dérouté les scientifiques.

Le problème est que jusqu'à présent les chercheurs étaient tellement influencés par leurs connaissances des champs magnétiques terrestres qu'ils les ont appliquées telles quelles à Jupiter.

En envoyant la sonde spatiale Juno explorer Jupiter en 2016, les astronomes espéraient pouvoir résoudre le désaccord entre les scientifiques sur la configuration des lignes du champ magnétique autour du pôle de Jupiter, mais il n'a pas été résolu.

Delamere et ses collègues se sont donc tournés vers la modélisation informatique pour tenter de résoudre la question. Comme illustré ci-dessous, leurs recherches ont révélé que la région polaire de Jupiter est magnétiquement largement fermée avec une seule petite zone de flux ouvert en forme de croissant qui ne représente qu'environ 9% de la région de la calotte polaire. Le reste, situé un peu plus bas en latitude, est actif avec des aurores, signifiant que les lignes de champ magnétique sont fermées.

A voir : Hubble Tracks Bright Auroras on Jupiter, NASA,

A gauche, en rose clair, la localisation des courants à l'origine de la formation des aurores de Jupiter. Au centre et à droite, projections polaires des aurores UV photographiées autour du pôle du Nord de Jupiter et de la Terre. En (A), l'image acquise par la sonde spatiale Juno grâce à son spectrographe UV le 19 mai 2017 à 04:21:56. En (B), l'image d'une aurore terrestre acquise par la caméra UV grand champ (WIC) du satellite IMAGE le 14 janvier 2001 à 05:00:55 TU. Documents JAXA et B.Zhang et al. (2021).

Selon les auteurs, "des simulations globales à haute résolution montrent que le taux de reconnexion à l'interface entre les champs magnétiques interplanétaire et jovien est trop lent pour générer une calotte polaire magnétique ouverte, semblable à la Terre à l'échelle de temps de la rotation planétaire. Il n'existe qu'une petite zone en forme de croissant, région dans laquelle le flux magnétique est interconnecté avec le champ magnétique interplanétaire. La majeure partie de la calotte polaire jovienne est enveloppée dans un flux magnétique hélicoïdal qui se ferme à l'intérieur de la planète, se prolonge dans la magnétosphère externe et s'empile près de son flanc du côté éclairé où la rotation différentielle rapide du plasma étire les lignes de champ vers le Soleil."

En résumé, Jupiter possède une topologie magnétique inhabituelle et unique avec un mélange de lignes ouvertes et fermées dans ses calottes polaires.

Selon Delamare, "Je ne pense pas que quiconque dans la communauté aurait pu imaginer cette solution. Pourtant, cette simulation l'a produite. Pour moi, il s'agit d'un changement de paradigme majeur dans la façon dont nous comprenons les magnétosphères."

Cette découverte soulève de nombreuses questions sur la façon dont le vent solaire interagit avec la magnétosphère de Jupiter et influence sa dynamique. La calotte polaire aurorale de Jupiter pourrait par exemple être le résultat du taux de rotation de Jupiter 2.4 fois plus élevé que celui de la Terre et de la taille gigantesque de sa magnétosphère. Ces deux facteurs réduisent l'impact du vent solaire, ce qui signifie que les lignes de champ magnétique de la calotte polaire risquent moins d'être déchirées et former des lignes ouvertes.

Simulations des distributions du flux magnétique ouvert de la calotte polaire Nord de Jupiter. En (A) les distributions moyennées sur les 21 au 23e jours de simulation. A droite, les distributions instantanées aux temps diurnes 21.2 (B), 21.4 (C), 21.6 (D) et 21.8 (E). La région de flux ouverte est représentée en vert. Notez la petite zone en forme de croissant au-dessus de la calotte poilaire, une topologie tout à fait inhabituelle. Les flux de courants magnétiques alignés vers le haut (ou vers le bas) sont affichés en rouge (ou gris). Le flux magnétique ouvert total est exprimé en gigaweber (GWb). Document et B.Zhang et al. (2021).

On sait également que la lune Io est liée électrodynamiquement à Jupiter, un phénomène également unique dans le système solaire. Ce phénomène fait qu'Io est constamment dépouillé de ses ions lourds par Jupiter. Reste à savoir dans quelle mesure Io affecterait les lignes magnétiques à l'intérieur de la calotte polaire de Jupiter.

On en saura plus sur ce phénomène et bien d'autres lorsque la topologie de la magnétosphère de Jupiter sera connue avec précision.

Nous verrons à propos des satellites, qu'en 2023 des astronomes ont découvert des aurores dans l'atmosphère (toute relative) des quatre satellites galiléens : Io, Ganymède, Europe et Callisto.

Prochain chapitre

Les anneaux et les satellites de Jupiter

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[2] Lire A. Sánchez-Lavega, Bulletin de la Société Astronomique de France, 99, p375, 1985 et G.Hunt/P.Moore, Jupiter, p10, Royal Astronomical Society, 1981.


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