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Neptune, le dieu de la mer

Les anneaux (II)

Le 22 mai 1984, les astronomes de l'Observatoire de Cerro Tololo observèrent une diminution de l'éclat de l'étoile SAO 186001 à peu de distance du disque de Neptune. Une extinction similaire avait déjà eu lieu en 1981, mais les astronomes attribuèrent cet effet à la présence d'un satellite d'une centaine de kilomètre de diamètre. La courbe de lumière enregistrée à Cerro Tololo variait subitement et fortement, si bien que l'astrophysicien français André Brahic du CEA émit l'hypothèse que Neptune était entourée de plusieurs arcs concentriques de matière. On ne parlait pas encore d'anneau car l'extinction de la lumière n'avait pas été confirmée tout autour de la planète.

Observés par la sonde spatiale Voyager 2 le 26 août 1989, les photographies à longues poses ont confirmé l'existence d'un système composé de 6 anneaux ténus, dont deux se détachent assez nettement à contre jour. Le plus proche se situe à 13250 km au-dessus de la couche nuageuse et présente une largeur de 15 km. Il s’agirait de l’extension intérieure de l’anneau 1989N3R. Les autres anneaux s'étendent jusqu'à 37150 km d'altitude, le plus éloigné ayant une largeur inférieure à 50 km. Leur épaisseur est inconnue de même que leur albedo.

Les anneaux discrets de Neptune. Ci-dessus à gauche, Neptune, son système d'anneaux et 7 satellites photographiés en infrarouge par le JWST en 2022. On voit clairement 4 anneaux et sept satellites. Triton est très brillant car son albedo est de 0.76 (contre 0.69 pour Vénus). Voici la photo sans légendes. A droite, une photographie composite prise par Voyager 2 le 25 août 1989 et traitée par Rolf Wahl Olsen. Le petit satellite est Triton mais il n'a été photographié que 3 jours après le survol de Neptune. Le traitement complet est décrit sur le site de la Planetary Society. Ci-dessous, des photographies prises le 26 août 1989 par Voyager 2 à une distance de 280000 km. A droite, un gros-plan sur les anneaux torsadés. Documents NASA/JPL.

Ces anneaux sont fortement torsadés et noueux, probablement sous l'emprise de satellites gardiens et de corps glacés plus petits qui perturbent leurs mouvements. Comme l'anneau de Jupiter, leur constitution est assez hétérogène, localement constitués de gros blocs de glace mais surtout de fines poussières micrométriques produites par l'impact de météorites sur les satellites proches, raison pour laquelle ils n'ont pas été entièrement détectés depuis la Terre.

Des systèmes d'anneaux entourent toutes les planètes joviennes. Ils sont constitués de blocs indépendants dont l'analyse laisse à penser qu'ils se sont formés après la formation des planètes. Heureusement, les astronomes peuvent établir des comparaisons entre les différents systèmes d'anneaux pour tenter de trouver une explication à leur variété. Reste à savoir pourquoi ces anneaux sont si bien définis et si bien ordonnés.

Des satellites singuliers

Neptune est accompagné d'un cortège de 14 satellites, dont six furent découverts par la sonde spatiale Voyager 2 tandis que les autres furent identifiés sur des images du Télescope Spatial Hubble. Triton et Néréide étaient les seuls connus jusqu'en 1989. La plupart sont relativement proche de la planète.

Triton est le plus curieux des satellites de Neptune. C’est le seul parmi les principaux satellites du système solaire qui présente un mouvement rétrograde; il tourne autour de Neptune dans le sens opposé à celle de la rotation de la planète. Néréide se singularise également par l’orbite la plus excentrique du système solaire avec une distance à Neptune oscillant entre 1.3 et 96 millions de km (e=0.7).

A gauche, une image composite de Neptune vu de Triton réalisée à partir des images transmises par la sonde Voyager 2. Le pôle Sud de Neptune est à gauche. Le relief de Triton est accentué 30 fois et s'élève à environ 1000 m au-dessus de la surface. On aperçoit des terrasses modelées par des phénomènes d'inondations cryovolcaniques. A droite, une illustration artistique du système de Neptune lors du survol de Voyager 2. Triton est à l'avant-plan, Néréide à l'arrière-plan. Documents NASA/JPL/Photojournal et T.Lombry.

Triton

Avec un diamètre de 2705 km, Triton est l'un des rares satellites encore actif avec Io (satellite de Jupiter), Titan et Encélade (satellites de Saturne). Triton dispose d'une atmosphère d'azote mêlée de méthane. Selon Ellis D. Miner du JPL, sa température au sol est l'une des plus froides du système solaire avec -235°C.

Triton est très brillant avec un albedo de 0.76, plus élevé que celui de Vénus (0.69). Il est dix fois plus élevé que celui de certaines petites lunes de Neptune, ce qui suggère qu'il n'a pas la même origine et s'est formé différemment de celles-ci.

Une immense calotte polaire recouvre son pôle Sud de glace de méthane et d'azote. Elle s’étend jusqu’à -15° de latitude !, tandis que son pôle Nord est dénudé et relativement lisse. Cette glace saisonnière est légèrement rougeâtre, teinte probablement dûe à la présence de composés organiques produits à partir du méthane et de l’azote liés à des processus photochimiques et au rayonnement électromagnétique.

Du monoxyde et du dioxyde de carbone gelés existent également à sa surface. En altitude, une fine couche brumeuse pouvant être constituée de cristaux d’azote occupe les régions équatoriales. Cette couche est brillante et bleuté mais n’obscurcit pas la topologie du terrain. La pression atmosphérique au sol est d'environ 15 microbars.

A gauche, une magnifique image de Neptune et Triton prise par la sonde Voyager 2 le 21 août 1989. A sa droite, une image de Neptune et Triton prise par Voyager 2 le 31 août 1989 et traitée par Justin Cowart. Vous trouverez toutes les images brutes sur le site PDS Image Atlas. A droite du centre, la surface de Triton couverte de glace présente une surface relativement jeune remodelée en permanence. Cette vue orthographique est centrée sur 40° Sud et 0° de longitude. A droite, on distingue l'atmosphère ténue de Triton constituée d'une fine brume à environ 13 km d'altitude ainsi que quelques nuages épars. Document NASA/JPL.

La surface de Triton apparaît géologiquement jeune et dépourvue de grands cratères. Les rares cratères d'impacts témoignent que sa surface est remodelée en permanence. Cette surface est relativement jeune par rapport aux standards du système solaire et n'a pas plus de quelques milliards d'années.

On observe également de nombreuses fissures, des fractures, des déformations et des terrains ridés très caractéristiques constitués de dépressions séparées par des crêtes accidentées. Ces reliefs ont peut-être été formés par la fonte suivie de l'effondrement local de la surface glacée. Ci et là, on observe également des plaines volcaniques et des coulées de lave gelées par -95°C (cf. J.S. Kargel, 1994; Kargel et Strom, 1990).

Voyager 2 a découvert non loin de la latitude subsolaire (-55°) des cryovolcans en éruptions saisonnières, expulsant de la vapeur à travers la calotte polaire à 8 km d'altitude. Cette activité s'explique par la chaleur du Soleil qui réchauffe la glace d'azote jusqu'à ce qu'elle fonde. La vapeur est émise par des fractures sous forme d'immenses geysers. Comme sur Encélade, en raison de la faible atmosphère, ces éruptions doivent être spectaculaires.

Ces geysers glacés contiennent des composés azotés et organiques qui forment de longues traînées sombres que le vent emporte sur quelque 150 km de distance. Il pourrait s'agir de tholines. Au sol, des traces plus lisses révèlent l'effet du réchauffement par le Soleil.

Triton a une densité de 2.066 suggérant qu'il contient plus de roches que de glace par rapport aux satellites de Saturne et d'Uranus. Toutes ces particularités (orbite rétrograde, existence de glace, forte densité) font penser que Triton ressemble à Pluton. Il s’est probablement formé indépendamment de Neptune dans les régions extérieures du système solaire (la zone des TNO) et après avoir voyagé seul dans l'espace, il aurait été capturé par la planète géante il y a 2 ou 3 milliards d'années. Triton subit probablement une perturbation de sa trajectoire suite au passage rapproché d’un corps de la taille d'une comète ou d'un autre satellite aussi volumineux. Dans cette éventualité, ce sont les forces de marée gravitationnelles qui auraient donné naissance à son orbite excentrique tandis que sa surface serait restée liquide durant un milliard d'années après sa capture par Neptune.

Néréide, Proteus et les autres satellites

Néréide. Document NASA/JPL.

Le deuxième satellite de Neptune est Néréide. Il s'agit d'un petit rocher de 340 km de diamètre. Sa forme est irrégulière et il présente une coloration rougeâtre. Il est assez sombre avec un albedo de 0.14. Son orbite est inclinée de 28° sur le plan équatorial de Neptune. Son orbite très excentrique et sa couleur suggèrent qu'il est probablement un ancien astéroïde capturé.

Le troisième satellite, Proteus fut découvert en 1992 depuis l'observatoire européen de l'ESO. Proteus est plus gros que Néréide (420 km) mais est deux fois plus pâle (albedo 0.06). Il orbite très près de Neptune, à 85000 km au-dessus des nuages. Très sombre, de magnitude 20 et noyé dans l'éclat de la planète, il ne s'en écarte pas à plus de 6" d'arc.

Les cinq autres satellites baptisés Naïade, Thalassa, Despina, Galatée et Larissa ont un diamètre oscillant entre 60 et 190 km. Ils gravitent presque tous dans le plan équatorial de la planète. Plus étrange, ils évoluent tous dans la "zone interdite" de la limite de Roche (env. 65000 km du centre de Neptune) dans laquelle tout corps devrait éclater sous l'emprise des forces gravitationnelles et ils présentent une densité moyenne de 0.94. Très léger ils sont probablement constitués de glace mêlée de poussière. L'action des forces de marée dans un passé très lointain sur un satellite plus volumineux pourrait expliquer leur position dans cette région chaotique.

Les six derniers satellites découverts entre 2002 et 2004 baptisés Halimède, Sao, Kaomédie, Psamathée, Néso et S/2004 N1 ont un diamètre oscillant entre 30 et 60 km (19 km pour le dernier) et brillent à une magnitude d'environ +25. Ils sont irréguliers et ont vraisemblablement été capturés par le champ gravitationnel de Neptune alors qu'ils croisaient au large de la planète géante.

Les satellites Troyens

Enfin, comme d'autres planètes, Neptune est escortée par des astéroïdes Troyens. Depuis 2001, les astronomes ont découvert 17 Troyens neptuniens dont 5 furent découverts en 2016 par une équipe internationale d'astronomes grâce au sondage Pan-STARRS 1 utilisant le télescope de 1.80 m de diamètre de l'IfA installé au sommet du Mount Haleakala à Hawaï. Notons que ce télescope est équipé d'une mégacam de 1.4 gigapixels présentant un champ de 3° capable d'atteindre la magnitude +24 en 60 secondes d'exposition.

Ces Troyens qui gravitent en résonance avec Neptune évoluent autour du Soleil à une distance comprise entre ~24-29 UA au périhélie et ~31-35 UA à l'aphélie mais toujours en précédent ou suivant Neptune d'environ 60° héliocentriques.

Les simulations montrent que les orbites occupés par les Troyens au point L5 ne sont stables que depuis quelques millions d'années. Ces Troyens ont donc été capturés par Neptune assez récemment. En revanche, ceux orbitant sur le point L4 situé dans la direction opposée au centre galactique (Anti-CG sur le schéma) sont en résonance 1:1 avec Neptune depuis plus d'un milliard d'années. Il est donc possible qu'ils s'y soient installés dès l'époque primordiale. Certains parmi ces Troyens comme 2013 KY18 présentent une forte excentricité orbitale (e ~ 0.1). Comme on le voit ci-dessous, les simulations montrent qu'à long terme son orbite est instable. Il sera donc vraisemblablement éjecté de cette orbite.

A gauche, distribution spatiale des 5 nouveaux Troyens de Neptune (triangles noirs pleins) découverts en 2016 sur les points de Lagrange L4 et L5. Au centre, simulation de l'évolution de l'instabilité de trois Troyens neptuniens mesurée à partir l'argument (l'angle) de résonance de leur orbite. A droite, simulation des résonances de Neptune (vert) avec Pluton (rouge) et Orcus (mauve). Cliquez sur l'image pour lancer l'animation GIF. Documents Hsing-Wen Lin et al./PS1SC adaptés par l'auteur et simulation réalisée avec Gravity Simulator.

Les astronomes ont également découvert que les Troyens neptuniens sont divisés en deux groupes d'inclinaisons orbitales, ceux inclinés à moins de 10° et ceux inclinés à plus de 18°. Ceux dont l'inclinaison orbitale est comprise entre 10-18° évoluent sur des orbites instables. On ignore encore pour quelle raison il existe deux groupes d'inclinaisons.

Naiade et Thalassa ou la dance d'évitement

La planétologue Marina Brozovic, experte en dynamique du système solaire au JPL et ses collègues ont décrit en 2019 dans la revue "Icarus" (en PDF sur arXiv) la découverte d'un nouveau phénomène de résonance dans le mouvement orbital des lunes Naiade et Thalassa de Neptune découvertes par la sonde spatiale Voyager en 1989 : il s'agit de ce qu'ils ont surnommé "la dance d'évitement". Selon Brozovic, "il existe de nombreux types de 'danses' différentes que les planètes, les lunes et les astéroïdes peuvent suivre, mais celle-ci n'a jamais été vue auparavant."

Les deux lunes forment un véritable couple dynamiquement parlant en orbite à seulement ~1850 km l'une de l'autre. Mais elles ne sont jamais aussi proches l'une de l'autre. En effet, l'orbite de Naiade est inclinée et parfaitement synchronisée. Chaque fois qu'elle passe devant Thalassa, qui se déplace plus lentement qu'elle, les deux lunes sont séparées d'environ 3540 km.

Dans cette danse parfaitement chorégraphiée, Naiade boucle son orbite autour de Neptune toutes les sept heures, tandis que Thalassa située à l'extérieur boucle son orbite en sept heures et demie. Un observateur installé sur Thalassa verrait Naiade évoluer sur une orbite oscillante de haut en bas avec deux passages au dessus de Thalassa et deux passages en dessous de Thalassa se répétant chaque fois que Naiade gagne quatre tours sur Thalassa. Selon les chercheurs, bien que la danse puisse sembler étrange, c'est grâce à la résonance entre ces deux lunes qu'elles se maintiennent sur des orbites stables.

A voir : Neptune Moon Dancing (Animation), JPL

Phénomène de résonance lors de la rencontre entre les satellites Naiade et Thalassa de Neptune générant un angle maximum de libration. Si on se base sur le référentiel d'un satellite, on constate que le satellite en résonance avec lui évolue sur une orbite oscillante afin d'éviter la collision. Document M.Brozovic et al. (2019) adapté par l'auteur.

Naiade et Thalassa sont de petites lunes d'environ 100 km de longueur. Elles font partie des 7 lunes du système interne de Neptune qui sont étroitement entrelacées avec les faibles anneaux. La question qui se pose est de comprendre comment ces deux petites lunes se sont retrouvées ensemble, mais séparément ? Les planétologues pensent que le système satellitaire d'origine fut perturbé lorsque Neptune captura sa lune géante, Triton. Les lunes et anneaux intérieurs se seraient formés à partir des débris restants. Selon Brozovic, "nous soupçonnons que Naiade fut expulsée de son orbite inclinée par une interaction antérieure avec l'une des autres lunes intérieures de Neptune. Ce n'est que plus tard, après que son inclinaison orbitale fut établie, que Naiade a pu s'installer dans cette résonance inhabituelle avec Thalassa."

Selon le planétologue Mark Showalter de l'Institut SETI et coauteur de cet article, "Naiade et Thalassa sont probablement enfermés ensemble dans cette configuration depuis très longtemps, car cela rend leurs orbites plus stables. Ils maintiennent la paix en ne se rapprochant jamais trop."

Autres résonances avec Neptune

Près d'une centaine de corps gravitent sur différentes orbites en résonance avec Neptune. Outre les Troyens en résonance 1:1, il y a Pluton et le KBO Orcus en résonance 2:3 avec Neptune (voir animation ci-dessus), de nombreux astéroïdes Transneptuniens (TNO) dont les Twotinos en résonance 1:2 (a~47.8 UA, T~330 ans), quelques astéroïdes de la Ceinture de Kuiper (KBO) dont 136108 Hauméa en résonance 7:12 (a~51.6 UA, T~282 ans) et les plutinos en résonance 2:3 (a~39.5 UA, T~247ans) ainsi que des Objets Dispersés du Disque (SDO) dont plusieurs planètes naines dont Eris en résonance 5:17 (a~67.6 UA, T~560 ans).

D'autres résonances n'ont pas été validées car soit elles sont trop faibles pour être confirmées (par ex. 1995 TL8 proche d'une résonance 7:3) ou l'astre ne fut observé que sur un arc de cercle soit les objets sont trop éloignés (par ex. certains Cubewanos alias CKBO comme MakéMaké, Varuna et Quaoar gravitant vers 45 UA du Soleil) pour être physiquement liés à Neptune. On reviendra sur ces astres à propos des populations de petits corps.

Pour plus d'informations

Jet Propulsion Laboratory (JPL)

Uranus et Neptune (PDF), Jamil Alioui, 2012

Dynamique des anneaux et des satellites planétaires - Arc de Neptunes et satellites (thèse), Stéfan Renner, Obs. Paris, 2004.

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