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Les membres de la Ceinture interne de Oort

Sedna, la déesse Inuit de la mer

Dans une interview réalisée en 1988 à Kansas City, Clyde Tombaugh expliquait qu'après avoir recherché durant plus de 50 ans la "planète X", il était persuadé qu'elle existait : "La chasse devrait se poursuivre maintenant dans les régions sud du Verseau ou même de la Baleine. Fort heureusement, ces régions ne sont pas riches en étoiles et je pense qu'une telle recherche pourrait être mise sur pied."

Sans qu'il y ait une relation de cause à effet entre les propos tenus par Tombaught et la découverte de Sedna, le hasard fit que cet astre fut effectivement découvert dans la zone indiquée. Depuis cet évènement, d'autres astres de taille équivalente et même plus gros furent découverts.

Cartes postales de Sedna. A 113 UA, ici le Soleil brille à peine 100 fois plus que la Lune à la magnitude apparente de -19 et la température ambiante ne dépasse pas -240°C ! Documents Adolf Schaller et T.Lombry.

Dans le cadre des programmes de recherche des KBO et autre NEO, le télescope Schmidt Samuel Oschin de 1.20 m du mont Palomar - la fameuse Chambre de Schmidt de 48" - celle-là même qui permit de découvrir le Transneptunien Quaoar, avait une fois encore été mise à contribution.

Le 14 novembre 2003, soit 3 semaines après la découverte officieuse d'Eris, lors d'une série de clichés de routine, Michael Brown du Caltech à Pasadena, Chad Trujillo de l'Observatoire Gemini d'Hawaï et David Rabinowitz de l'Université de Yale découvrirent sur des images CCD prises à 1h30 d'intervalle avec l'immense caméra QUEST (champ de 3.6x4.6° !) un nouvel objet qui se déplaçait parmi les étoiles de la constellation de la Baleine. Ses coordonnées  équatoriales étaient au 6 mars 2004 (coord. 2000) : Asc.Dr. 3h13.58m, Décl. +5°43.4'. Il présentait une magnitude oscillant entre +20.5 et +22.2, un peu plus pâle que Quaoar (+18.6).

Photographies de Sedna réalisées le 14 novembre 2003 entre 6h32 et 9h38 TU au télescope Schmidt Samuel Oschin de 1.20 m (48") du Mont Palomar. Le champ de chaque image mesure 3.4'x3.4' et chaque pixel mesure 1". L'objet est de magnitude +20.5. Il se déplace chaque jour d'environ 2" en ascension droite et 6" en déclinaison à travers la constellation de la baleine (Asc.Dr. 3h13.58m, Décl. +5°43.4' au 6 mars 2004). Cliquez sur le document de droite pour lancer un agrandissement animé en pleine page (GIF de 549 KB). Documents Michael Brown et al.

Ce petit corps qui n'occupe pas beaucoup plus d'un pixel sur une image CCD mesure environ 1000 km de diamètre, soit 42% de la taille de Pluton et gravitait au moment de sa découverte à 13 milliards de kilomètres ou 87 UA du Soleil, soit deux fois plus loin que Pluton, mais Sedna peut s'éloigner jusqu'à 900 UA du Soleil !

En l'espace de quelques jours l'objet catalogué 2003 VB12 fut également identifié en Arizona, à Hawaï, au Chili, ainsi qu'en Espagne. Le télescope spatiale Spitzer (anciennement appelé SIRTF) lancé en 2002 le découvrit également à l'endroit indiqué. Leur découverte collégiale fut aussitôt publiée dans les circulaires IAUC 8304 (accessible par souscription) et MPEC 2004-E45. Brown proposa de l'appeler Sedna par référence à la déesse Inuit qui vivait dans les profondeurs glacées de l'océan Arctique.

Taille de Sedna comparée à celle d'autres planètes ou lunes du système solaire. Document T.Lombry.

Depuis la découverte des premiers KBO par David Jewitt et Jane Luu en 1992, plus de 11000 objets ont été découverts parmi lesquels les célèbres Chaos en 1998 (WH24), Varuna en 2000 (WR106) et Quaoar en 2002 (LM60). Les astronomes s'attendaient donc à découvrir des dizaines de milliers d'autres objets beaucoup plus petits un jour ou l'autre.

L'astronome Robert Millis, directeur de l'Observatoire Lowell, pensait déjà en 2001 que "nous avons toutes les raisons de croire que des objets jusqu'à la taille des planètes, aussi grand ou plus grands que Pluton résident là-bas attendant d'être découvert. Jusqu'à ce que la Ceinture de Kuiper soit minutieusement explorée, nous ne pouvons pas prétendre connaître toute l'extension ou le contenu du système solaire." Il ne croyait pas si bien dire...

En raison de sa surface relativement brillante, à partir des mesures thermiques effectuées par le télescope spatiale Spitzer, les astronomes s'attendaient à ce que Sedna soit couvert d'eau glacée ou de méthane comme le sont Pluton et Charon. Mais des observations effectuées au télescope SMARTS de 1.3 m du Chili ont démontré qu'il s'agissait de l'un des objets les plus rouges du système solaire, mais d'un rouge moins prononcé que Mars.

Les membres du Nuage de Hills

Sedna évolue sur une orbite similaire à celle des comètes, formant une ellipse excessivement excentrique qui ressemble à celle des objets issus de l'hypothétique Nuage de Oort.

En fait, Sedna n'est pas un KBO mais un membre de la Ceinture interne de Oort également appelée le Nuage de Hills. Ces objets se caractérisent par une distance au périhélie qui ne descend pas en dessous de 50 UA et un aphélie vers 1000-2000 UA, donc dix fois plus rapprochée que la distance moyenne des membres du Nuage de Oort.

Précisons qu'à 100 UA, notre étoile doit apparaître comme une tête d'épingle. Ici le Soleil brille seulement 100 fois plus que la Lune à la magnitude de -19.

Les spécialistes classent également Sedna parmi les TNO. Certains planétologues dont Carlos de la Fuente Marcos de l'Université Complutense de Madrid en Espagne (UCM) étendent la famille des TNO aux ETNO ou TNO extrêmes (Extreme Trans-Neptunian Objects), c'est-à-dire les objets Trans-Plutoniens. A ce jour les ETNO comprennent 6 membres. Leur taille varie entre 50 et 1000 km. Si on découvre la 9e planète (voir plus bas), elle viendra compléter cette liste.

ETNO

(Trans-Plutonien)

Diamètre

(km)

Périphélie

(UA)

Aphélie

(UA)

Découverte

2015 BP519, Caju

~550

35.1

~824

2015

V774104

500-1000

>50

~1000

2015

2012 VP113

314-640

80.5

~445

2012

2006 SQ372

50-100

24.2

1461

2006

Sedna

~1000

76.1

935

2003

2000 OO67

28-87

20.8

1014

2000

Le déplacement de l'ETNO 2012 VP113 enregistré durant deux heures le 5 novembre 2012. Il se situait à 83 UA. Document Scott S. Sheppard/Carnegie Institution for Science.

A une telle distance, la surface de Sedna est la plus froide du système solaire, avec des températures qui, selon Brown, ne dépassent jamais -240°C. Sa température moyenne doit certainement être plus froide encore car elle ne s'approche du Soleil que brièvement tous les 10500 ans.

On estime que Sedna gravite dans le Nuage de Hills suite à une perturbation gravitationnelle engendrée par une étoile qui serait passée près du Soleil aux premiers jours du système solaire. Selon Brown, cette étoile se serait rapprochée suffisamment près de la Terre pour briller plus que la pleine Lune et aurait été visible en pleine jour durant 20000 ans. Elle aurait délogé les comètes situées dans le Nuage de Oort conduisant à un intense bombardement cométaire qui aurait pu être à l'origine de la vie sur Terre.

L'orbite de Sedna révèle son origine dans le Nuage de Oort. Doc Spitzer adapté par l'auteur.

Mais tout ceci n'est que spéculations. Pour savoir si cette théorie de la "panspermie" est envisageable, nous devons analyser les constituants d'autres comètes et comparer leurs éléments primordiaux avec ceux découverts sur les météorites tombés sur Terre et calculer les rapports isotopiques pour pouvoir nous prononcer sérieusement sur cette intéressante hypothèse. On y reviendra à propos de la bioastronomie.

En 2004, Rabinowitz présentait des indices indirects selon lesquels Sedna pouvait avoir une lune. Les chercheurs espéraient vérifier cette hypothèse grâce au Télescope Spatial Hubble. Trujillo examina de son côté les chances de découvrir cette lune grâce au télescope Gemini de 8 m installé sur le Mauna Kea à Hawaï. Après plus d’un an de recherche, la majorité des astronomes estimèrent que Sedna n’a pas de satelllite. Toutefois la question reste ouverte.

Actuellement Sedna est au plus près du Soleil et ce pendant les 70 prochaines années, avant qu'elle ne commence son périple de 10500 ans dans les contrées les plus reculées et glaciales du système solaire.

Brown nous rappelle que la dernière fois que Sedna est passée près du Soleil, cela remontait à l'époque glaciaire. La prochaine fois qu'elle repassera, le monde pourrait avoir à nouveau un tout autre visage...

En marge de ce descriptif, un astre aussi éloigné et pâle que Sedna est-il à la portée des astronomes amateurs équipés d'un télescope ? Pour le dire vite disons qu'en théorie on peut le photographier, mais en pratique il faut y mettre les moyens et donc cela requiert de la technique et du savoir-faire comme nous allons le découvrir.

Sedna et l'amateur

Aussi étonnant que cela soit, Sedna est accessible aux amateurs expérimentés équipés de moyens CCD et de télescopes offrant un court rapport focal pour accroître la luminosité et réduire le temps d'exposition.

Avec une magnitude voisine de +21.4 en 2016, il ne faut hélas pas espérer l'enregistrer tel un astéroïde brillant bien discernable parmi les étoiles... Sedna ne sera même pas visible à l'oculaire car rappelons que même un télescope de 400 mm d'ouverture ne dépasse pas la magnitude visuelle 16 dans de bonnes conditions d'observation. Seule des photographies à longue poses peuvent donc espérer enregistrer ce petit astre perdu aux confins du système solaire. Mais le défi en vaut la peine.

Le champ de Sedna (Mv:21.1) et de l'astéroïde 2161 Grissom (Mv:12.4) enregistré le 13 octobre 2004 vers 7h TU par Eric J. Allen. Composite de 60 images d'une minute chacune enregistrées au foyer du télescope Newton-Cassegrain de 410 mm f/4.4 équipé d'une caméra CCD SBIG ST-9E (binning 1x1, -20°C) installé à l'Observatoire du Cégep au Québec. A son insu, Eric a également photographié un nouvel astéroïde à la magnitude 18.5 qui sera baptisé 2004 TM16. Il détermina la position de Sedna et Grissom au moyen du programme TheSky et des éphémérides du MPC et du HOP.

En fait sa trace est beaucoup plus pâle que celle de la plupart des astéroïdes connus. Elle ne sera visible qu'après traitement, et sera à peine discernable devant le fond du ciel. Attendez-vous donc à devoir analyser vos images en haute résolution et en connaissant au préalable exactement la position de Sedna parmi les étoiles.

Vous pouvez tenter de l'enregistrer avec un télescope d'au moins 200 mm d'ouverture et rapide (Newtonien court, Astrographe ou chambre de Schmidt de 200 mm) en effectuant plusieurs prises de vues CCD d'une heure environ, le capteur CCD étant refroidi.

Avec un télescope court de 410 mm d'ouverture vos chances augmentent et un temps d'intégration total d'une heure (par ex. 60x 1 minute) permet de l'enregistrer, telle qu'en témoigne la photographie de droite réalisée par le professeur d'astrophysique Eric J. Allen durant ses loisirs avec le télescope de 410 mm f/4.4 de l'observatoire du Cégep au Québec. Les coordonnées (J.2000.0) de Sedna calculées par le JPL ce jour là étaient : Asc.Dr. 03h18m23.46s, Décl. +05°51'42.9".

Eric J.Allen qui est également astronome amateur utilisa une caméra CCD SBIG ST-9E refroidie à -20°C afin de ne pas noyer la signature de Sedna dans le bruit électronique du photocapteur. Cette caméra est tellement sensible qu'elle peut enregistrer la nébuleuse M57 de la Lyre en une fraction de seconde.

Le capteur CCD enregistre tellement d'étoiles qu'un catalogue de référence ordinaire ne suffit pas. Ainsi, si Sedna est reprise dans la base de données du logiciel Stellarium et présente une magnitude limite de +21 en théorie, il n'affiche aucune des étoiles pâles visibles sur la photo de droite.

Seul le catalogue stellaire USNO-B1.0 (successeur du USNO-A2.0, et répertoriant environ un milliard d'étoiles jusqu'à la magnitude 21) disponible sur CD-ROM ou sur Internet permet d'identifier avec certitude les objets les plus faibles. Ce catalogue est proposé avec divers programmes dont STAR Atlas Pro et des logiciels astrométriques spécialisés tel PIXY, deux produits qui sont dans ce cas-ici très utiles pour identifier toutes les étoiles du champ.

Si vous recherchez Sedna dans les éphémérides en ligne (par exemple via le site du JPL ou du MPC), sachez qu'il peut être appelé de différentes manières : Sedna, 90377 Sedna ou encore 2003 VB12. La plupart des bases de données le liste uniquement parmi les petites planètes (astéroïdes).

Si vous désirez photographier Sedna, il faudra compter sur un très long temps d'exposition (idéalement en combinant plusieurs images CCD avec dark, bias et flat frames) dans un site bénéficiant d'excellentes conditions d'observation (brillante du fond du ciel voisine de la magnitude 20). A titre de comparaison, un télescope de 254 mm f/5 n'atteint que la magnitude 17.6 en 15 minutes de pose. Un astrographe de la classe d'un Riccardi-Honders f/3 ou mieux encore une chambre de Schmidt f/1.5 serait l'idéal en réduisant le temps d'exposition d'un facteur 10.

Enfin, pour faciliter la comparaison avec l'image présentée ci-dessus, voici le champ visuel centré sur Sedna en octobre 2004 à la résolution de 10'x10' tel qu'enregistré par le Digital Sky Survey (DSS) et tel qu'il est présenté dans le catalogue USNO-B1.0 à la résolution de 15'x15', bien sûr en l'absence de Sedna.

Une 9e planète dans le Nuage de Hills ?

Les premières références à la 9e planète  - Planet Nine comme l'appellent les Anglo-saxons - remontent à fin 2013. L'astronome Kevin L. Luhman de l'Université d'État de Pennsylvanie (Penn State) déjà connu pour avoir découvert des naines brunes à proximité du Soleil (cf. PSU New & Events, 2013) publia dans l'"Astrophysical Journal" les résultats de l'analyse des observations du satellite WISE concernant l'existence potentielle d'un astre massif aux confins du système solaire. Son analyse permit d'éliminer l'existence d'une planète géante de la taille de Saturne à moins de 10000 UA et de la taille de Jupiter à moins de 26000 UA.

En 2014, les astronomes Chad Trujillo et Scott S. Sheppard publièrent dans la revue "Nature" les résultats de leur analyse de Sedna et d'un autre TNO appelé 2012 VP113. Ces deux petits corps n'évoluent pas sur une trajectoire quasi circulaire et dans le plan du système solaire comme les 8 planètes. Si l'orbite de Sedna est peu inclinée (12°), en revanche elle est très excentrique (e=0.8), tandis que celle de 2012 VP113 est inclinée de 24° avec une excentricité de 0.69. Ces deux petits corps qui ne s'approchent jamais des planètes géantes supportent l'idée qu'ils ne sont pas isolés entre la Ceinture de Kuiper et le Nuage de Oort mais seraient membres d'une famille d'objets gravitant dans la partie interne du Nuage de Hills.

Mais Trujillo et Sheppard considéraient qu'il ne faut pas inventer une 9e planète pour obtenir ce type d'orbite. Ils suggéraient que "les évènements stochastiques, comme une seule interaction stellaire forte ou avec une planète errante", pourraient expliquer pourquoi de petits astéroïdes se sont détachés de la région des TNO pour se sont retrouver isolés sur des orbites inhabituelles : une seule rencontre avec un objet massif en transit plutôt qu'avec une planète cachée pourrait l'expliquer. 

Les astronomes commencèrent alors à s'interroger sur la taille et l'endroit où pourraient se trouver ces mystérieux TNO gravitant dans le Nuage de Hills.

Illustration de l'hypothétique 9e planète qui vu sa masse et sa distance est probablement gazeuse comme Uranus mais 30% moins massive (10 fois la Terre). Document Caltech/R.Hurt (IPAC).

Mais en parallèle, l'idée qu'il existerait une 9e planète n'a pas été abandonnée pour autant. Le planétologue Michael Brown de Caltech et son assistant Konstantin Batygin publièrent en 2016 et en 2019 deux articles dans l'"Astronomical Journal" décrivant l'analyse de 14 KBO situés au-delà de l'orbite de Pluton, c'est-dire des ETNO.

Les chercheurs montraient que ces petits corps se regroupent et présentent des orbites fortement inclinées, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas alignés avec le plan du système solaire. Selon les chercheurs, ces deux particularités suggèrent qu'ils sont sous l'influence gravitationnelle d'une 9e planète. En outre, les auteurs avaient découvert que ces KBO pouvaient se détacher de l'emprise gravitationnelle de Neptune, comme Sedna, ce qui appuyait l'existence d'une 9e planète. Brown et et Bartygin concluaient que "des analyses des orbites de la population dispersée du disque de la Ceinture de Kuiper présentent une concentration anormale des arguments du périphélie [...]. Ce confinement n'a que 0.007% de chance de se produire par hasard et est donc d'origine dynamique. Nous considérons que cet alignement orbital peut être maintenu par une planète d'une masse supérieure à 10 fois celle de la Terre."

Pour rappel, l'argument du périhélie (ω) représente l'angle entre la direction du nœud ascendant et celle du périhélie de l'orbite de l'astre. Cet élément compte parmi les paramètres définissant la trajectoire d'un astre en orbite autour d'un autre (cf. les éléments orbitaux des satellites ou TLE où l'argument du périhélie devient l'argument du périgée).

Les données présentées par Brown et Batygin montrent que le déplacement groupé de ces KBO n'ont qu'une chance sur 15000 d'être le fruit du hasard. Selon les auteurs, cette anomalie s'expliquerait par la présence d'une planète presque aussi massive et volumineuse que Neptune (13-26000 km de rayon) aux confins du système solaire, dans la région où gravite Sedna et les autres membres du Nuage de Hills comme le montre les graphiques ci-dessous. L'astre hypothétique fut officieusement surnommé "Biden" mais tout le monde l'appelle la "neuxième planète" ou "planète Nine".

Cette nouvelle planète d'au moins 10 masses terrestres et dont le rayon serait 2 à 4 fois plus grand que celui de Neptune se situerait à plus de 600 UA soit environ 100 milliards de kilomètres du Soleil et bouclerait son année entre 10000 et 20000 ans (contre 165 ans pour Neptune et 248 ans pour Pluton) ! La température au sommet des nuages est probablement inférieure à -240°C.

Selon les modèles (cf. la relation masse-rayon des planètes), toute planète de plus de 4-5 masses terrestres a tendance à rester gazeuse et son noyau produit sa propre chaleur. Cette éventuelle planète n'échappera donc probablement pas à cette règle, raison pour laquelle on l'a représenté sous forme gazeuse. Toutefois, même si c'est peu probable, rien n'interdit que l'astre soit rocheux mais dans ce cas il sera peu dense et son atmosphère très épaisse (riche en H/He).

Il faut à présent que ces hypothèses soient vérifiées. Soit cette découverte sera infirmée comme le sont la plupart des annonces précipitées de ce type, soit elle sera confirmée par la photographie mais cela peut prendre quelques années. En effet, si la 9e planète n'a pas encore été détectée c'est pour une bonne raion : elle est très éloignée et très pâle. Selon les simulations, elle "brille" 10000 fois moins que Pluton (magnitude +24 voire inférieure contre +14) et ne présenterait pas de signature infrarouge détectable avec nos moyens actuels. De plus, on ignore dans quel secteur du ciel elle pourrait se trouver. Il faut donc compter sur les télescopes les plus puissants de plus de 8 m de diamètre équipés d'optique adaptative (VLT, Keck, Gemini et Subaru) et autre VLTI (cf. cet article) pour espérer la découvrir.

A voir : Planet Nine Animation, Caltech

A gauche, les orbites des six principaux ETNO (ex-KBO) comparés à celui de l'hypothétique 9e planète. A droite, à moins qu'il s'agisse de conditions initiales inconnues, les fortes inclinaison orbitale (54°) et excentricité (0.92) du TNO 2015 BP519 ne s'expliqueraient que par l'influence gravitationnelle d'une 9e planète. Mais ce n'est qu'une hypothèse. Documents Caltech/R.Hurt (IPAC) et T.Lombry.

Dans une étude publiée sur "arXiv" en 2018, Juliette Becker de l'Université du Michigan et ses collègues confirment l'existence probable d'une 9e planète. L'équipe de 65 chercheurs montra que l'orbite de l'astéroïde 2015 BP519, un ETNO d'environ 550 km de diamètre gravitant à environ 450 UA, présente des paramètres peu ordinaires dont une excentricité de 0.92 et une inclinaison de ~54°. Selon les chercheurs, on ne peut pas expliquer des valeurs aussi extrêmes sans l'intervention d'une hypothétique 9e planète dont la masse serait 10 fois supérieure à celle de la Terre soit 30% inférieure à celle d'Uranus. Mais selon David Gerdes de l'Université de Michigan et coauteur de cet article, "ce n'est pas une preuve que la neuxième planète existe mais je dirais que la présence d'un tel objet dans notre système solaire soutient cette idée."

Une interaction forte entre ce ETNO et une 9e planète semble être le seul moyen de forcer l'inclinaison orbitale de ce ETNO en l'éloignant du plan du système solaire. Selon Batygin, "il n'existe pas d'autre moyen raisonnable de peupler la ceinture de Kuiper avec des corps aussi inclinés."

Le point de vue des opposants

Mais d'autres chercheurs n'en sont pas aussi certains, rappelant que nous ignorons les conditions qui dominaient lors de la formation du système solaire. En effet, les planétologues soupçonnent que le Soleil est né dans un groupe d'étoiles, ce qui signifie que les premières planètes ont pu subir de nombreuses rencontres rapprochées avec d'autres étoiles qui les ont placées sur des orbites qui semblent impossibles aujourd'hui (cf. le cas de l'astéroïde 2015 BZ509 co-orbitant avec Jupiter sur une orbite rétrograde). Et même lorsque les étoiles se sont dispersées, le système solaire initial contenait probablement des dizaines de milliers de planètes naines qui auraient pu fournir les poussées gravitationnelles nécessaires pour placer 2015 BP519 sur son étrange orbite actuelle.

Samantha Lawler de l'Université de Regina au Canada qui participe au sondage OSSOS qui enquête sur les origines du système solaire extérieur, a essayé de simuler les orbites groupées des TNO en tenant compte d'une planète supplémentaire, en vain.

Lawler et d'autres astronomes se sont penchés sur les biais de sélection, c'est-à-dire une erreur systématique faite par Brown et ses collègues lors du choix des ETNO pour appuyer leur théorie.

Documents Caltech/R.Hurt (IPAC).

Compte tenu de la taille et de la faible magnitude des ETNO, les plus brillants ne sont visibles que lorsqu'ils approchent du système solaire interne et sont à l'écart de l'arrière-plan brillant constitué par la Voire Lactée. Pour les opposants à l'existence de la 9e planète, le regroupement apparent de certains TNO serait uniquement dû au fait que les télescopes ne visent que les petits corps qu'ils sont capables de photographier. Selon Lawler, "Chaque sondage a des biais. Certains en sont conscients, d'autres non."

Dans une étude publiée sur "arXiv" en 2021 (à publier dans le "Planetary Science Journal"), l'équipe de Kevin Napier de l'Université du Michigan à Ann Arbor, a décidé de tester si le biais de sélection jouait un rôle. Ils ont réanalysé les 14 ETNO situés à la même distance découverts par trois enquêtes différentes : le Dark Energy Survey (DES) qui utilise le télescope Blanco au Chili, le sondas OSSOS qui utilise le télescope CFH d'Hawaï à et un troisième qui utilisait différents autres télescopes. Tous les trois avaient des biais de sélection bien caractérisés. Aucun des 14 TNO ne figurait parmi les six originaux invoqués par Brown et Batygin.

Napier et ses collègues ont expliqué qu'ils avaient tenu compte du moment et de l'endroit où les télescopes pointaient et de leur sensibilité aux objets pâles. Avec ces données, l'équipe a calculé une "fonction de sélection" qui varie selon le sujet et l'endroit visé du ciel. Comme ils s'y attendaient, les ETNO trouvés par les trois sondages étaient dans ou à proximité de zones où la fonction de sélection était la plus élevée.

En conséquence, Napier considère qu'on ne peut pas rejeter l'hypothèse nulle - une hypothèse postulant l'égalité entre des paramètres statistiques - selon laquelle les ETNO sont uniformément répartis autour du système solaire, ce qui priverait la planète neuf de ses preuves fondamentales. Le regroupement apparent des TNO "est une conséquence de l'endroit où nous regardons et du moment où nous regardons. Il n'y a pas besoin d'un autre modèle pour adapter les données."

Mais Batygin n'accepte pas cette conclusion. Il fait remarquer que le sondage DES a largement porté sur la zone du ciel où Brown et lui ont découvert le groupe d'ETNO. Donc exclure le regroupement n'est "pas logique. La question la plus pertinente à se poser est la suivante : leur analyse peut-elle faire la distinction entre une distribution groupée et uniforme, et la réponse semble être non."

Napier reconnaît qu'il est difficile de tirer des conclusions à partir d'un échantillon de 14 TNO. "Il n'y a qu'une quantité limitée de valeurs statistiques que vous pouvez tirer de si peu d'objets." En conclusion, il est peu probable que la question soit réglée jusqu'à ce que l'observatoire Vera C. Rubin (ex-LSST de 8.40 m) soit opérationnel en 2023. Ses données auront des biais de sélection bien définis et il permettra probablement de découvrir des centaines de nouveaux ETNO. On en reparlera plus tard.

Une planète errante

Parmi les simulations des interactions interstellaires et planétaires réalisées par les astronomes, deux résultats pourraient nous donner une indication sur l'origine de l'éventuelle 9e planète.

En 2017, au cours du Meeting de l'American Astronomical Society (AAS Meeting #229), James Vesper et Paul A. Mason de l'Université du Nouveau Mexique ont décrit les résultats de 156 simulations et montré qu'en frôlant un autre système planétaire, le Soleil a pu capturer l'une de ses planètes lointaines qui devint ce qu'on appelle une planète errante car elle s'est développée en dehors du système solaire et s'en est échappée, voyageant seule dans l'espace.

Selon les chercheurs, dans 60% des cas leurs simulations montrèrent qu'une planète errante pénétra dans le système solaire avant de le quitter, parfois en emportant une autre petite planète avec elle. Dans 40% des cas, la planète errante fut capturée et resta dans le système solaire.

Les résultats d'autres simulations publiées en 2016 dans les "MNRAS" par l'équipe de Alexander J. Mustill de l'Université de Lund montrèrent que pour expliquer les paramètres de la supposée 9e planète et même ceux de certains TNO, 3 conditions doivent être remplies : (i) l'exoplanète doit être éloignée de son étoile (a ≥ 100 UA) car elle est alors plus sensible à l'effet gravitationnel engendré par une autre étoile ou l'une de ses planètes, (ii) la planète capturée doit rester à grande distance du Soleil (au moins 150 UA) sans perturber la Ceinture de Kuiper et (iii) la planète doit être capturée sur une orbite appropriée pour influencer la distribution orbitale des corps du système solaire présentant une orbite large. En résumé, selon les chercheurs, sur base de la configuration actuelle du système solaire mise en équations et simulée jusqu'à l'époque de sa formation dans un système à N corps, depuis qu'il existe il est improbable qu'il ait pu perturber et capturer un objet errant plus grand que Neptune.

Bien que l'existence de la 9e planète reste hypothétique, il est donc possible que le Soleil ait capturé une planète errante et quelle se soit placée sur une orbite particulière. Selon Mustill et ses collègues, cette capture pourrait expliquer l'alignement décrit plus haut des orbites des TNO avec cette 9e planète.

A voir : Planet 9 was most likely stolen by our sun 4.5 billion years ago, Lund U.

La gravité collective n'a plus besoin de 9e planète

Les chercheurs n'étant jamais à court d'idées, une nouvelle théorie fut présentée par Jacob Fleisig, étudiant en premier cycle à l'Université du Colorado et son responsable Ann-Marie Madigan, au cours du 232e meeting de l'American Astronomical Society qui s'est tenu en juin 2018 à Denver (AAS). Selon leur modèle, il existerait une explication plus simple à ces paramètres orbitaux inhabituels. Selon Fleisig, l'accumulation de petites rencontres gravitationnelles réparties sur plusieurs années, comme par exemple avec Sedna et d'autres débris spatiaux, a pu progressivement détacher ces petits corps distants de la région orbitale des TNO et les placer sur leurs étranges orbites actuelles. Si on peut confirmer l'effet de cette gravité collective, dans ce cas il n'y a peut-être plus besoin de 9e planète. En fait, cette théorie rejoint le point de vue d'autres astronomes dont Trujillo et Sheppard.

Pour l'instant le modèle de Fleisig n'a été testé que numériquement et il faut encore le valider par l'observation, c'est-à-dire confirmer que les prédictions sont correctes. Il va falloir chercher dans le ciel des TNO et d'autres astéroïdes distants qui se regrouperaient éventuellement dans un secteur du système solaire, leur masse offrant suffisamment d'effets gravitationnels pour interagir avec des TNO isolés, les forçant à changer d'orbite et adopter par exemple une trajectoire très inclinée et excentrique.

Bref les recherches continuent.

Pour plus d'informations

Circulaire MPEC 2004-E45

Ephémérides de Sedna, JPL

CADC's Digital Sky Survey, POSS2

The STScI Digitized Sky Survey (POSS2)

USNO-B1.0

Minor Planet Checker

STAR Atlas Pro

PIXY

Ephemeris

Hierarchial Observing Protocal for Asteroids

Jet Propulsion Laboratory (JPL)

Spitzer Space Telescope

Observatoire du Cégep

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