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Les objets d'origine interstellaire

Le dome abritant le télescope Pan-STARRS PS1 de 1.8 m de diamètre installé au sommet de l'Haleakala à Hawaï. Document Rob Ratkowski/STScI.

Le système solaire comprend des astéroïdes et autres comètes qui se sont formés en même temps que le système solaire ou qui résultent de la collision de planétésimaux ou d'autres petits corps aujourd'hui disparus ou dispersés dans l'espace. Ces objets évoluent essentiellement à grandes distances du Soleil (2-100 UA) mais plusieurs milliers d'entre eux frôlent de temps en temps la Terre.

Depuis 2014, les astronomes ont découvert dans le système solaire quelques rares objets d'origine interstellaire, qui se sont formés en dehors du système solaire. Leur présence est généralement temporaire. Ce sont ces visiteurs d'un jour que nous allons décrire.

Oumuamua, un visiteur temporaire

Le 19 octobre 2017, grâce au télescope Pan-STARRS PS1 de 1.8 m installé à Hawaï, les astronomes découvrirent ce qui était apparemment une nouvelle comète cataloguée C/217 U1. Mais grâce au VLT, on découvrit qu'elle n'avait pas de chevelure et fut recataloguée A/2017 U1, c'est-à-dire parmi les astéroïdes. Lors de sa découverte l'objet était à 0.2 UA du Soleil et venait de passer au périhélie.

Mais sur base d'une trentaine de mesures de sa trajectoire, les astronomes ont réalisé que ce visiteur ne reviendrait jamais. En effet, cet objet qui provient de la direction de Véga dans la constellation de la Lyre, présente une orbite hyperbolique avec une excentricité e ≈ 1.196. Selon certains astronomes dont Raul de la Fuente Marcos de l'Université Complutense de Madrid qui étudia ses éléments orbitaux, il proviendrait de l'espace interstellaire.

L'équipe de Pan-STARRS proposa à la section MPC de l'UAI de le nommer 1I/ʻOumuamua, un mot d'origine hawaïenne signifiant l'éclaireur ou plus poétiquement "le messager envoyé d'un lointain passé pour nous tendre la main". Le 6 novembre 2017, l'UAI officialisa ce changement de dénomination qui est dorénavant 1I/2017 U1, "i" qualifiant son origine interstellaire.

Ceci dit, la trajectoire d'Oumuamua peut toujours s'expliquer comme le résultat des innombrables perturbations dans le Nuage de Oort, avec des planètes voire même avec les étoiles proches. Ainsi, en 1980 la comète C/1980 E1 (Bowell) présentait également une forte excentricité (1.057) mais c'est Jupiter qui perturba sa trajectoire et la plaça sur cette orbite hyperbolique.

Selon Eric Gaidos de l'Université d'Hawaï et ses collègues qui étudient Oumuamua, sachant que l'effet de fronde gravitationnelle du Soleil a pu fortement dévier sa trajectoire, il a très bien pu l'envoyer dans une direction très différente de celle qu'il suivait originellement. Et de fait, sa trajectoire fut pratiquement déviée à angle droit comme le montre cette vidéo de la NASA. En théorie, il est toujours possible qu'un petit corps provienne de l'espace interstellaire mais étant donné que ses paramètres orbitaux ne permettent pas de trancher la question, il faudrait retracer sa trajectoire et donc continuer à l'observer, ce que Gaidos et ses collègues continuent à réaliser.

Les premières simulations indiquent que l'objet se serait formé dans un disque protoplanétaire de la jeune association stellaire du Carène ou de la Colombe il y a 45 millions d'années et fut éjecté à faible vitesse (1-2 km/s) pendant ou peu après la formation d'une exoplanète dans la ligne de glace. Ce scénario prédit que d'autres astres de ce type pourraient visiter le système solaire sous le même radiant.

A gauche, la trace de 1I/'Oumuamua (le point au centre) qui était encore catalogué A/2017 U1 photographié le 20 octobre 2017 par les amateurs Paulo Holvorcem et Michael Schwartzle. A droite, son spectre obtenu grâce au télescope William Herschel de 4.2 m installé à La Palma. Documents Pan-STARRS et Alan Fitzsimmons/QUB.

L'autre solution consiste à procéder à une analyse chimique et notamment mesurer ses rapports isotopiques et les comparer à ceux de comètes et d'astéroïdes connus, mais c'est très difficile à réaliser, d'autant moins sur un objet à peine visible (magnitude 19.5 fin octobre et inférieure à 24 en décembre 2017) et qu'on ne reverra plus jamais. Les astronomes ont donc rapidement procédé à des analyses complémentaires tant que l'objet était à portée des grands télescopes.

Des analyses spectrales réalisées l'équipe d'Alan Fitzsimmons de la Queen's University de Belfast (QUB) et par l'équipe de Karen Meech de l'Institut d'Astronomie d'Hawaï qui l'étudie avec le télescope Gemini indiquent qu'Oumuamua présente une coloration rougeâtre comme les KBO. Sa surface pourrait être similaire à celle des comètes ou des astéroïdes riches en matière organique qu'on trouve dans le système solaire. Il est dense, glacé, peut-être rocheux ou riche en métaux. Les données préliminaires obtenues grâce au spectrographe FORS du VLT de l'ESO indiquent qu'Oumuamua présente une magnitude absolue H ≈ 22 pour un albedo de 0.04, ce qui correspond à un diamètre de 110 à 240 m ou un peu supérieur et tourne sur lui-même en près de 7.4 heures. Dans un article parut dans la revue "Nature" Meech ajouta qu'Oumuamua serait très allongé, avec un rapport des axes de 10:1 et un rayon moyen d'environ 102 ±4 mètres (il mesure donc environ 100x10 m mais il peut dépasser 300 m). De nouvelles mesures réalisées en 2019 (cf. D.Seligman et al.) indiquent qu'Oumuamua mesure 260 m pour un albedo de 0.1.

Selon Meech, très peu d'objets du système présente une courbe lumineuse aussi extrême et sa présence suggère que les estimations précédentes de la densité d'objets interstellaire étaient pessimistes.

A voir : Conception artistique d'Oumuamua, ESO

Dégazage d'Oumuamua, HubbleSite

Animation of 'Oumuamua passing through the Solar System, ESO

A gauche, représentation du dégazage e 1I/'Oumuamua observé en 2018. Cliquer sur l'image pour lancer l'animation (MP4 de 314 KB). A droite, illustration de l'objet en phase inactive en 2017. Documents NASA/ESA/STScI et ESO/M. Kornmesser.

Dans un bref rapport publié par la NASA et la revue "Nature" en 2018, les astronomes de l'ESA et du JPL qui surveillent l'évolution des NEO ont rapporté qu'Oumuamua avait subit une accélération inattendue et changea de trajectoire après son passage dans le système solaire quelques mois plus tôt. Davide Farnocchia du CNEOS du JPL conclut que le comportement d'Oumuamua en 2018 correspond à celui d'une comète : "Cette force subtile supplémentaire exercée sur Oumuamua est probablement provoquée par des jets de matière gazeuse expulsés de sa surface. Ce même type de dégazage affecte le mouvement de nombreuses comètes dans notre système solaire."

Selon Meerch et ses collègues, ce dégazage aurait éjecté une très petite quantité de poussière, suffisante pour donner une impulsion à l'astéroïde mais pas assez pour être détectée. Cette libération de poussière érodent la surface d'Oumuamua et change sa dynamique à mesure qu'il traverse l'espace interstellaire.

En 2019, l'équipe de Seligman précitée estima également que l'accélération inattendue d'Oumuamua serait provouée par des émanations de gaz, comme le fait une comète. Durant les quelque 100 jours qu'il fut dans la région interne du Soleil, les chercheurs estiment qu'il perdit 10% de sa masse.

En juin 2018, Oumuamua s'éloignait du système solaire à la vitesse de 31.2 km/s (contre 25 km/s en novembre 2017). Selon le planning des observations, il est suivi par les astronomes grâce aux télescopes du CFHT, PAN-STARRS, Gemini Sud, les VLT et le Télescope Spatial Hubble parmi d'autres.

Dans une étude publiée dans les "Astrophysical Journal Letters" en 2019, l'astrophysicien John Forbes et le physicien théoricien spécialisé en astrophysique et cosmologie Abraham "Avi" Loeb, tous deux travaillant au CfA de l'Université d'Harvard confirment qu'Oumuamua est finalement très banal. Statistiquement, un objet de ce type entre en collision avec le Soleil tous les 30 ans et 2 objets de ce type passeraient sous l'orbite de Mercure (et donc près du Soleil) chaque année. Selon les résultats d'un sondage du PAN-STARRS décrit par l'astronome Greg Laughlin de l'Université de Yale au cours du 233e meeting de l'AASe meeting de l'AAS (2019), la Voie Lactée abriterait quelque 1026 objets similaires à Oumuamua.

A gauche, la trajectoire projetée dans le ciel de Oumuamua vue de la Terre entre le 2 septembre et le 22 octobre 2017. La taille relative de chaque cercle donne une idée du changement de taille apparente d'Oumuamua le long de sa trajectoire. Sont également indiquées, la position des planètes (Vénus en vert, Mars en rouge, Uranus en turquoise), le sens de déplacement du Soleil dans le référentiel au repos local (en violet) vers "Solar apex" et le sens opposé (en violet) "Solar antapex". La trajectoire d'Oumuamua est passée au sud du plan écliptique (marqué par la fine ligne jaune) du système solaire entre le 2 septembre et le 22 octobre 2017. A droite, la trajectoire d'Oumuamua dans le système solaire. Documents JPL Horizons et A.Loeb (2021).

Ne manquant jamais d'idées originales voire controversées quand il aborde le sujet des extraterrestres, en 2021 Avi Loeb proposa qu'Oumuamua serait peut-être un objet artificiel. Pour justifier son hypothèse, Loeb prétend que "Oumuamua a montré une demi-douzaine d'anomalies relatives à des comètes ou des astéroïdes du système solaire. Toutes les interprétations d'origine naturelle des anomalies d'Oumuamua n'ont jamais été observées auparavant, tels que : un nuage poreux de particules de poussière, des fragments résultant d'une perturbation de marée ou des icebergs exotiques faits d'hydrogène pur ou d'azote pur. Chacun de ces modèles d'origine naturelle présente des lacunes quantitatives majeures, et donc la possibilité d'une origine artificielle doit être envisagée. Les anomalies d'Oumuamua suggèrent qu'il pourrait s'agir d'un engin mince présentant une grande surface par unité de masse poussé par la pression de la lumière du Soleil; il partage des qualités avec le NEO 2020 SO localisé par PanSTARRS en 2020 qui est le booster de la fusée Centaur de la sonde spatiale lunaire Surveyor 2 dont l'orbite subit la pression de radiation du Soleil" (cf. A.Loeb, 2021).

A ce jour, l'article de Loeb n'a pas été validé par ses pairs. Et pour cause; sa théorie est spéculative et les scientifiques n'apprécient pas ces digressions sans fondement. Autrement dit, la communauté des astrophysiciens n'est pas prête à croire Loeb et d'autant moins qu'il ne pourra jamais apporter la preuve de ce qu'il avance puisqu'Oumuama a définitivement quitté le système solaire.

Les affirmations audacieuses de Loeb font fréquemment la une des journaux. Il a notamment publié des articles académiques controversés sur les trous noirs, le rayonnement spatial, l'univers primitif et d'autres sujets astrophysiques. Depuis les années 2020, il s'est concentré sur un sujet plus controversé : la possibilité que la Terre soit visitée par des extraterrestres. Mais il a été critiqué par ses confrères pour ses théories extraterrestres farfelues.

Loeb pose une question : "Que se passerait-il si un homme des cavernes voyait un téléphone portable ? Il a vu des rochers toute sa vie, et il penserait que ce n'est qu'un rocher brillant". En revanche, Loeb a critiqué les astronomes qui ont soutenu qu'Oumuamua était une comète, affirmant que cela revenait à laisser "le familier définir ce que nous pourrions découvrir". De nombreux scientifiques ont démenti ses affirmations farfelues, les qualifiant de cavalières et d'irresponsables.

La comète 2I/Borisov, C/2019 Q4

Le 30 août 2019, l'astronome amateur ukrainien Guennady Borisov photographiait le ciel depuis l'observatoire MARGO situé sur le campus universitaire de Nauchnij en Crimée lorsqu'il découvrit une comète de magnitude 18.4 dans la constellation du Lynx (au nord des Gémeaux). Il en informa immédiatement le Centre des planètes mineures. Après vérification, l'astre reçut la référence gb00234 avant d'être renommé officiellement C/2019 Q4 alias 2I/Borisov.

A consulter : Ephémérides de C/2019 Q4, The Sky

La comète 2I/Borisov est une visiteuse interstellaire. A gauche, une photo prise le 10 septembre 2019 grâce au CFHT. A droite, une simulation de sa trajectoire calculée par le JPL.

Mais rapidement, la trajectoire de l'astre intrigua les astronomes. L'analyse de ses paramètres orbitaux, notamment son excentricité élevée, sa trajectoire très inclinée par rapport au plan du système solaire et sa vitesse de 33.8 km/s indiquaient clairement qu'il ne s'agissait pas d'un objet provenant du système solaire. Ce n'était pas non plus une comète à longue période ni une comète provenant du nuage de Oort. Cette comète suivait une trajectoire hyperbolique indiquant qu'elle ne gravitait pas autour du Soleil mais provenait vraisemblablement de l'extérieur du système solaire. C'était donc le deuxième objet après Oumuamua qui nous rendit visite.

Selon une étude publiée en 2019 par l'équipe de Piotr A. Dybczyński de l'Université A.Mickiewicz de Pologne, la comète Borisov proviendrait du système stellaire Krüger 60 situé à 13.15 années-lumière du Soleil dans la constellation de Céphée. Ce système est constitué de deux étoiles naines de type M.

Grâce à des simulations les chercheurs ont découvert qu'il y a un million d'années, la comète Borisov passa à 5.7 années-lumière du système Krüger 60 avec une vitesse relative d'environ 3.43 km/s.

La comète 2I/Borisov photographiée par le Télescope Spatial Hubble le 12 octobre 2019 (gauche) et par le télescope Subaru (droite).

La comète Borisov est dix mille fois plus brillante qu'Oumuamua et fut donc le premier visiteur extrasolaire accessible aux astronomes amateurs. En effet, les éphémérides indiquaient que la comète allait passer au périhélie le 8 décembre 2019 et présenterait son éclat maximum le 17 décembre 2019 avec une magnitude apparente de +15.24. Elle était donc à la limite de la visibilité dans des télescopes amateurs de 30 cm de diamètre. En revanche, elle était bien visible sur les photographies (un APN ou une caméra CCD atteint la magnitude 15 en une seconde d'exposition au foyer d'un télescope de 200 mm f/10).

La comète fut au plus près de la Terre (1.98 UA) le 28 décembre 2019 puis s'éloigna définitivement du système solaire.

L'analyse de la quantité de poussière qu'elle rejeta indique que son noyau mesure entre 0.7 et 3.3 km de longueur.

Dans deux articles publiés l'un dans "Nature Communications" (en PDF) en 2021 par l'équipe de Stefano Bagnulo de l'Observatoire et Planétarium d'Armagh en Irlande du Nord et le second dans "Nature Astronomy" (en PDF) en 2021 par l'équipe de Bian Yang de l'ESO, les astrophyciens ont découvert des faits intéressants sur la composition et l'origine de la comète Borisov à partir des données enregistrées par le VLT et ALMA.

La comète de Hale-Bopp photographiée le 8 mars 1997 par Sébastien Voltmer avec un téléobjectif de 300 mm.

Les nouvelles observations en lumière polarisée réalisées à l'aide du VLT indiquent que la comète Borisov est l'une des plus "pures" jamais observées et sa composition diffère de toutes les autres comètes à l'exception de la fameuse comète de Hale-Bopp (C/1995 O1) qui nous rendit visite en 1997.

Pour rappel, Hale-Bopp est une comète à longue période et sa différence avec ses cousines avait suggéré qu'elle n'était passée qu'une seule fois près du Soleil il y a des milliers d'années. En effet, sa composition semble avoir été peu modifiée par le vent solaire, en faisant un témoin particulièrement précieux de la matière primitive avant qu'elle ne s'effondre pour donner le disque protoplanétaire du système solaire.

En suivant le même raisonnement, les astrophysiciens pensent que la comète Borisov n'était jamais passée près d'une étoile avant de frôler le Soleil en 2019. Elle doit donc, elle aussi, garder la mémoire du nuage de gaz et de poussière où elle est née et qui a dû donner naissance à une ou plusieurs protoétoiles.

Dans un communiqué publié par l'ESO, Alberto Cellino de l'Observatoire d'astrophysique de Turin déclara que "le fait que les deux comètes soient remarquablement similaires laisse supposer que l'environnement dans lequel 2I/Borisov a vu le jour n'est pas si différent, en matière de composition et d'environnement, des débuts du système solaire". Son collègue Olivier Hainaut, astronome à l'ESO en Allemagne, qui étudie les comètes et les NEO (géocroiseurs) confirme que "2I/Borisov ne ressemble à aucune autre comète à l'exception de Hale-Bopp. Il est très plausible qu'elles se soient formées dans des conditions très similaires".

Dans une étude publiée dans la revue "Nature Astronomy" en 2020, l'astrochimiste Martin A. Cordiner du GSFC de la NASA et ses collègues ont analysé la composition de la coma de Borisov le 15 et 16 décembre 2019 grâce à ALMA. Les données collectées ont montré que les abondances relatives des molécules d'eau et de monoxyde de carbone (CO) ont évolué avec le dégazage de la comète au fur et à mesure qu'elle se rapprochait du Soleil. Cela suggère que son noyau serait hétérogène et le résultat d'une accrétion de matériaux nés dans différentes parties de son système planétaire d'origine.

Comme les chercheurs l'expliquent dans un communiqué du NRAO, le dégazage de la comète à moins de 2 UA du Soleil montre que le gaz émis contient une concentration en CO entre 9 et 26 fois plus élevée que celle de la moyenne des comètes du système solaire.

Selon Cordiner, "C'est la première fois que nous regardons à l'intérieur d'une comète [provenant] de l'extérieur de notre système solaire et c'est radicalement différent de la plupart des autres comètes que nous avons vues auparavant". Sa collègue Stefanie Milam, planétologue au GSFC, en déduit que "la comète doit avoir été formée à partir de matériaux très riches en glace de CO, qui n'est présente qu'aux températures les plus basses de l'espace, en dessous de -250°C".

En décembre 2019, ALMA détecta de l'acide cyanhydrique (HCN) et de grandes quantités de monoxyde de carbone (CO) dans la coma de la comète interstellaire 2I/Borisov. Document NRAO/ALMA.

Le CO est l'une des molécules les plus courantes dans le milieu interstellaire et donc dans les nuages moléculaires denses et froids qui, en s'effondrant gravitationnellement, vont former des protoétoiles entourées d'un disque protoplanétaire où se forment les comètes et les éventuelles planètes.

Les chercheurs ont également confirmé la présence de CN dans la coma de Borisov associées à la molécule (CN)2, le cyanogène. Le CN provient probablement de la photodissociation de l'HCN également présent dans sa coma, par le rayonnement solaire.

Enfin, les chercheurs ont établi la présence de raies d'émission associées aux molécules de carbone diatomique (C2) dans sa coma. En comparant le rapport des abondances de ces deux molécules (CN et C2) à ceux d'autres comètes, il est similaire à celui trouvé dans les comètes périodiques du système solaire de la famille de Jupiter (comme par exemple la célèbre comète 2P/Encke qui repasse tous les 3.3 ans).

Les orbites de ces comètes, dont les périodes orbitales sont inférieures à 20 ans, sont principalement déterminées par l'influence gravitationnelle de Jupiter, mais on a des raisons de penser qu'elles sont originaires de la Ceinture de Kuiper. C'est une région glaciale située bien au-delà de la ligne de glace (qui se situe à hauteur de Jupiter). La comète Borisov pourrait donc s'être formée dans l'équivalent de cette ceinture dans son système stellaire d'origine.

Selon Cordiner : "Si les gaz que nous avons observés reflètent la composition du lieu de naissance de 2I/Borisov, cela montre qu'elle peut s'être formée d'une manière différente de nos comètes du système solaire, dans une région extérieure extrêmement froide d'un système planétaire éloigné. La plupart des disques protoplanétaires observés avec ALMA se trouvent autour d'étoiles de faible masse plus jeunes que le Soleil. Beaucoup de ces disques s'étendent bien au-delà de la région où nos propres comètes se seraient formées et contiennent de grandes quantités de gaz et de poussière extrêmement froides. Il est possible que 2I/Borisov provienne d'un de ces plus grands disques".

Doit-on s'attendre à d'autres visites d'objets interstellaires ?

La question de savoir à quelle fréquence de telles rencontres se produisent a fait l'objet de nombreuses études. Selon un article publiée sur "arXiv" en 2021 par l'équipe de Marshall Eubanks de l'Initiative for Interstellar Studies (i4is), une organisation sans but lucratif dédiée à la réalisation de vols interstellaires dans un proche avenir, environ 7 ISO pénètrent dans notre système solaire chaque année et suivent des orbites prévisibles pendant leur passage. Cependant, un objet comme la comète 2I/Borisov est plus rare et n'apparaît environ qu'une fois tous les 10 à 20 ans.

Cette étude suggère qu'on pourrait envoyer une sonde spatiale explorer l'un de ces objets dans un proche futur, une occasion rêvée pour étudier la composition des objets formant les disques circumstellaires et la formation du système solaire. Cela pourrait être accompli par la mission Comet Interceptor actuellement à l'étude par l'ESA planifiée vers 2028. Mais ce n'est pas évident sachant que la plupart des ISO se déplacent à plus de 31 km/s alors qu'une sonde spatiale atteint au mieux 14 km/s. On y reviendra dans l'article consacré aux missions spatiales, notamment vers les objets interstellaires.

L'astéroïde 2015 BZ509, un résident permanent

Contrairement à Oumuamua et la comète Borisov qui n'ont fait que traverser le système solaire, en 2015 les astronomes ont découvert un nouvel astéroïde co-orbital avec Jupiter catalogué 514107 alias 2015 BZ509. Il s'agit d'un petit corps de magnitude absolue (H) de 14.7, ce qui correspond à une taille d'environ 4 à 6 km. Son orbite particulière a suscité la curiosité des astronomes Fathi Namouni et Helen Morais qui voulurent comprendre pourquoi cet objet gravitait sur une orbite rétrograde qui plus est, en résonance avec celle de Jupiter, aussi inclinée et excentrique (d=5.14 UA, e=0.38 et i=163°). Les résultats de leur étude furent publiés dans les "MNRAS" en 2018.

A voir : Animation de l'orbite de 2015 BZ509, S&T

Images de l'astéroïde 2015 BZ509 enregistrées à l'Observatoire du Grand Télescope Binoculaire (LBTO de 2x 8.4m) grâce auquel les astronomes ont pu déterminer sa nature co-orbitale rétrograde. Cliquer sur l'image pour lancer l'animation (GIF de 980 KB). Document C.Veillet/LBTO.

Après avoir simulé les trajectories d'un million d'astéroïdes clones en interaction avec Jupiter et recherché dans le passé jusqu'à 4.5 milliards d'années l'orbite la plus stable, ils sont arrivés à la conclusion que cet astéroïde a toujours eu une orbite rétrograde. En assumant qu'à l'époque tous les astres gravitaient dans le même sens autour du Soleil, les chercheurs ont conclu que cet astéroïde n'est pas né dans le système solaire mais fut capturé par Jupiter lors du passage rapproché d'un système stellaire voisin lorsque celui-ci était très dense. Cet astéroïde est aujourd'hui un membre permanent du système solaire.

Si cette théorie est plausible, l'astronome Scott Tremaine de l'Institute for Advanced Study considère que la probabilité d'une telle capture est extrêmement faible et l'explication dès lors peu réaliste. Pour sa part, le planétologue russe Konstantin Batyguine qui cherche avec Michael E. Brown l'hypothétique 9e planète rappelle que celle-ci perturbe les trajectoires de tous les astres du système solaire et en particulier des plus petits et peut parfaitement influencer cet astéroïde et l'avoir placé sur une orbite rétrograde. Ces deux explications ne sont évidemment que des spéculations.

CNEOS-2014-01-08, la première météorite d'origine interstellaire

Peu après la découverte d'Oumuamua (voir plus haut), Amir Siraj de l'Université d'Harvard décida de consulter la base de données CNEOS des géocroiseurs de la NASA pour trouver d'autres objets d'origine interstellaire. Après quelques jours de recherche, il trouva CNEOS 2014-01-08.

Tweet de l'US Space Command publié le 1er mars 2022.

Le calcul de son orbite montre qu'avant de percuter la Terre, l'objet se déplaçait à une vitesse d'environ 45 km/s par rapport à la Terre, une vitesse élevée qui attira l'attention de Siraj. Mais ce n'est pas la vitesse héliocentrique de l'objet qui est définie comme la vitesse par rapport au Soleil. Celle-ci est calculé en fonction de l'angle d'incidence de l'objet. Siraj calcula que la vitesse asymptotique de l'objet était de 42.1 ±5.5 km/s en dehors du système solaire et de 58 ±6 km/s par rapport au référentiel au repos local (LSR ou Local Standard of Rest, qui représente le mouvement moyen des astres proches du système solaire autour de la Voie Lactée).

Amir Siraj et Abraham Loeb annoncèrent leur découverte dans un article publié sur "arXiv" en 2022. Les auteurs confirment l'origine interstellaire de CNEOS 2014-01-08. L'objet mesurait ~45 cm et fut détecté le 8 janvier 2014 à 17:05:34 TUC avant de s'écraser au large de la côte nord-est de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Il suivait une orbite hyperbolique non liée. La mesure est précise à 99.999% (écart-type de 5σ). L'objet provenait approximativement d'un point situé aux coordonnées A.D. 49.4 ±4.1°, Décl. 11.2 ±1.8°.

Peu après, le Pentagone confirma les faits. Dans un tweet publié le 1er mars 2022 présenté à gauche, l'US Space Command confirma que des astronomes avaient découvert la première météorite interstellaire qui frappa la Terre. Mais à l'époque où Siraj et Loeb avait écrit leur article, ils reçurent pour instruction de ne pas le publier car ils avaient utilisé des données gouvernementales classifiées.

La vitesse LSR élevée de CNEOS 2014-01-08 suggère qu'il provenait probablement de la région interne d'un système planétaire ou d'une étoile située dans le disque épais de la Voie Lactée. La densité numérique locale de sa population est de ~106 par UA3 ou ~9x1021 par parsec3, ce qui nécessite entre 0.2 et 20 masses terrestres de matière à éjecter par l'étoile hôte.

Selon les auteurs, "cette découverte offre l'opportunité d'utiliser une nouvelle méthode pour étudier la composition des objets interstellaires, basée sur la spectroscopie de leurs débris gazeux lors de leur combustion dans l'atmosphère terrestre. Nous proposons d'installer un réseau de 600 systèmes de caméras panoramiques All Sky pour déterminer les orbites et les compositions chimiques des météores de plus de 5 cm de diamètre. Cette méthode offre également la possibilité de récupérer des échantillons de météorite interstellaire. En extrapolant la trajectoire de chaque météore dans le passé et analysant les abondances relatives des isotopes de chaque météore,il est possible de connaître les étoiles hôtes de ces météres et de révéler des informations sur la formation du système planétaire. Par exemple, les éléments lourds formés au cours du processsus r [les processus de nucléosynthèse rapides - r-process - produisant les éléments lourds], tels que l'Europium, peuvent être détectés dans les atmosphères stellaires (cf. A.P. Ji et al., 2016). Par conséquent, leur abondance mesurée à partir des spectres des météores peuvent nous renseigner sur leurs étoiles hôtes. Ce nouveau domaine de la recherche astronomique est significatif car cela éviterait un voyage interstellaire et permettrait d'étudier des échantillons de matériaux provenant d'autres systèmes planétaires, et de savoir s'ils sont d'origine naturelle ou articielle".

Document Shutterstock.

Un objet artificiel extratererestre ?

Pour ne pas déroger à ses habitudes, Loeb pense que l'objet CNEOS-2014-014-08 est un vaisseau spatial construit par des extraterrestres : "Notre découverte d'une météorite interstellaire annonce une nouvelle frontière de recherche. La question fondamentale est de savoir si une météorite interstellaire pourrait présenter une composition d'origine artificielle sans ambiguïté. Mieux encore, peut-être que certains composants technologiques survivraient à l'impact".

Après le tweet du Pentagone, Loeb appelle à une expédition pour trouver ce qui reste de l'objet. Il estime qu'une expédition de récupération pourrait être réalisée à l'aide d'aimants pour explorer la région de 10 km2 de l'océan Pacifique où l'objet serait tombé. Selon Loeb, "Mon rêve est d'appuyer sur des boutons sur un équipement fonctionnel qui a été fabriqué en dehors de la Terre".

Rappelons que Loeb dirige le projet Galileo, qui vise à construire un réseau de télescopes terrestres qui scruteront le ciel à la recherche d'artefacts fabriqués par une civilisation extraterrestre. Cela comprends les ISO comme Oumuamua et les UAP. L'observatoire au sol surveillera la météo, détectera l'intensité du champ magnétique et capturera les signaux audio, radar, visibles (à la fois avec une caméra à large champ de vision et une système d'imagerie haute résolution de suivi), infrarouges et ultraviolets émis par des sources lumineuses d'intérêt. Bien que Loeb travaille à l'Université d'Harvard, il doit financer lui-même son projet et fait donc appel à la générosité du public.

Notons que certains ufologues américains utilisent déjà des systèmes d'imagerie électroniques qui assurent la surveillance du ciel. Des caméras sont pointées en permanence sur le ciel et sont en même temps reliées à des bases données afin d'identifier en temps réel tous les objets volants passant dans leur champ, en particulier les avions.

Parmi les supporters de ce projet, il y a Luis Elizondo et Christopher Mellon connus pour leur intérêt pour les OVNI et autre UAP, des membres de l'Institut SETI, des astrophysiciens et des ingénieurs.

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