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Le Soleil en lumière blanche

Variation de la température entre la photosphère et la couronne. Notez la zone de transition vers 10000 km au-dessus de la photosphère. Document T.Lombry/C.Vaughn-AA6G.

Origine des hautes températures de la couronne (VI)

Entre la chromosphère et la couronne solaire, quelque 10000 km au-dessus de la photosphère, la température électronique passe brutalement de 10000 à 100000 K en l'espace de quelques dizaines de kilomètres. Plus haut la température se stabilise pour atteindre 1 million de kelvins entre 10000 et 20000 km d'altitude. 

Comme évoqué précédemment, il est contre-intuitif que la température augmente quand on s'éloigne du Soleil. Cette montée brutale de la température dans la couronne, bien visible dans les propriétés des raies Lyman α dans la partie ultraviolette du spectre, indique que la région de transition subit une modification physique plus importante encore que la chromosphère. Nous savons par exemple que le réseau chromosphérique s'évase et se dissout dans la couronne et est dominé par des courants descendants. Ce milieu très difficile à modéliser contient entre outre des protubérances et des nuages isolés d'hydrogène qui évoluent rapidement en fonction de la température, rendant toute prédiction très difficile.

A côté du spectre de la couronne, d'autres indices confirment l'accroissement de température lorsqu'on passe de la chromosphère à la couronne. Sachant que la chaleur se propage des régions chaudes vers les régions froides, il doit exister dans la couronne solaire un mécanisme capable de pomper l'énergie à relativement basse température de la photosphère et la porter à haute température dans la couronne.

Plusieurs hypothèses ont été proposées pour expliquer cette chaleur très élevée. La première, depuis les années 1940 les astronomes ont pensé que la température élevée de la couronne résultait du transport mécanique d'ondes issues de la zone convective située sous la photosphère. Mais étant donné l'existence de champs magnétiques très localisés à la fois dans la photosphère et la chromosphère, il parut difficile d'ignorer la possibilité que ces champs magnétiques puissent s'étendre jusqu'à la couronne, faisant partie du processus de réchauffement de l'atmosphère extérieure du Soleil.

Simulation du plasma au niveau 20000 K de la chromosphère dont voici la vidéo réalisée avec le superordinateur Pleiades de la NASA.

Une seconde théorie fut proposée suite aux missions Skylab (1973) et l'analyse des images X retransmises par les observatoires solaires envoyés dans l'espace. Les astronomes ont découvert que la couronne était divisée en régions actives et en trous coronaux en fonction de la structure des champs magnétiques ainsi que nous le verrons plus bas. Cette observation confirmait en apparence que les champs magnétiques assuraient un contrôle total ou presque de la chaleur émise par la couronne. Ce rayonnement intense est produit par la conversion directe de l'énergie stockée dans les champs magnétiques en énergie thermique dans le gaz coronal. La basse chromosphère est également réchauffée par des ondes mécaniques.

Toutefois, la fréquence des éruptions n'est pas suffisante pour expliquer le bilan thermique de la couronne. On a pensé à des "nanoflares", des mini-éruptions solaires continues s'ajoutant aux éruptions. Malheureusement aucune nanoflare n'a encore été détectée.

On sait également que les champs magnétiques ont une forte influence sur la structure de la couronne.et donc naturellement sur sa densité et sa température. Ainsi, quand on observe la couronne durant une éclipse totale de Soleil, à l'approche du paroxysme du cycle des taches, la couronne est presque circulaire avec des jets radiaux s'étendant dans toutes les directions. En revanche, près du minimum du cycle solaire, la couronne s'étend loin au niveau de l'équateur et s'arrête assez brutalement, avec de petites brosses incurvées aux niveaux des pôles, des structures que nous allons détailler dans un instant.

La troisième hypothèse qui fut confirmée en 2015 est basée sur les ondes entraînées par le champ magnétique comme les vagues sont poussées par le vent. Comme on le voit ci-dessous, grâce aux missions spatiales telles la mission japonaise Hinode lancée en 2006, nous savons que l'atmosphère solaire est envahie par les ondes d'Afvén sur lesquelles nous reviendrons à propos du champ magnétique solaire. Il s'agit d'ondes magnétiques qui peuvent transporter une quantité significative d'énergie le long des lignes de force du champ magnétique et ainsi maintenir la chaleur dans la chromosphère et dans la couronne. Mais pour confirmer cette théorie, il fallait trouver un mécanisme pour transformer cette énergie en chaleur.

Le rôle des ondes d'Alfvén

La combinaison des données enregistrées par la sonde Hinode et les données de températures et de vitesses obtenues grâce au spectroscope à fente embarqué à bord du satellite IRIS de la NASA lancé en 2013 a permis d'étudier en détail l'évolution des protubérances et notamment les "threads", les filaments élémentaires de plasma dont elles sont constituées, des exemples typiques de structures qui sont maintenues en suspension par les lignes de force du champ magnétique.

A gauche, modèle des observations effectuées par le satellite japonais Hinode. Voici l'image originale sans légende. Les protubérances sont des structures "froides" (10000 K) plongées dans un environnement coronal chaud (>100000 K). Elles sont enlacées dans des champs magnétiques composés de structures filamentaires (threads) modélisées sous forme de cylindres denses de plasma. Les ondes d'Alfvén se propagent le long des lignes de force et perturbent les threads, les faisant osciller de haut en bas. A droite, le mécanisme d'absorption résonante qui augmente la turbulence et par conséquent la température des protubérances et donc la chaleur de la couronne. Voir le texte pour les explications. Documents NAOJ adaptés par l'auteur.

Les données ont montré qu'il existe deux types d'ondes d'Alfvén : les ondes transversales dites MHD et les ondes d'Alfvén de torsion (à l'image des mouvements d'une cuillère qui fait des va-et-vient dans une tasse de café). Ces ondes sont synchronisées (avec un certain délai) et font de ce fait monter la température dans une protubérance de 10000 K à plus de 100000 K.

En 2015, les astronomes de l'agence NAOJ ont simulé l'oscillation des threads d'une protubérance et découvert un phénomène appelé "l'absorption résonante" : les ondes transversales sont en résonance avec les ondes de torsion et les amplifient, produisant un flux de résonance. Cette résonance se propage le long des threads et devient turbulente. La turbulence amplifie ensuite le flux de résonance. Finalement cette forte turbulence transforme l'énergie de l'onde en chaleur jusqu'aux températures observées.

Relation entre les ondes d'Alfvén et les ondes sonores

Plus récemment, les astronomes ont découvert une relation entre les ondes magnétiques d'Alfvén de la couronne solaire et les ondes acoustiques évoluant dans les profondeurs du Soleil. Dans un article publié par Richard J. Morton de l'Université Northumbria et ses collègues dans la revue "Nature Astronomy" en 2019, les chercheurs ont démontré que les ondes magnétiques du Soleil se comportent différemment de ce que l’on pensait jusqu'alors.

Après avoir examiné des données recueillies pendant dix ans, Morton et ses collègues ont découvert que les ondes magnétiques de la couronne solaire réagissaient aux ondes sonores (modes p) s'échappant de l'intérieur du Soleil. Les ondes acoustiques laissent un marqueur distinctif sur les ondes magnétiques. La présence de ce marqueur signifie que la couronne entière du Soleil vibre à l'unisson en réponse aux ondes acoustiques, engendrant des vibrations sur une plage de fréquences bien précise.

Ce marqueur est présent dans toute la couronne et a été constamment présent au cours des dix années d'études. Cela suggère que c'est une constante fondamentale du Soleil qui pourrait potentiellement être une constante fondamentale des étoiles. Les résultats pourraient donc avoir des implications importantes sur les théories décrivant la manière dont l'énergie magnétique est transférée et utilisée dans les atmosphères stellaires.

La couronne solaire observée dans la raie verte du Fe XIV à 530.3 nm où la matière est portée à 1 million de degrés ! Document NASA-MSFC.

Composition chimique corrélée avec le cycle de 11 ans

David Brooks de l'Université George Mason et ses collègues ont également découvert grâce aux données enregistrées par le satellite SDO entre 2010 et 2014 que la composition chimique de la couronne est fortement corrélée au cycle solaire de 11 ans qui dépend du champ magnétique. Les résultats de leurs études publiés en 2017 dans la revue "Nature" montrent que l'augmentation de l'activité magnétique va de paire avec une augmentation de la concentration de certains éléments comme le fer, dans la couronne.

Comme dans toutes les étoiles, la composition chimique représente une composante importante dans le flux des masses et de l'énergie qui évoluent dans l'atmosphère du Soleil  Les chercheurs ont découvert que la composition de l'atmosphère solaire change en passant de la surface jusqu'à la couronne et affecte sa température. Or jusqu'à présent, on pensait que la composition élémentaire d'une atmosphère stellaire ne dépendait que de paramètres constants comme le taux de rotation ou la gravité de surface. Les résultats de cette étude suggèrent que cette composition dépend aussi de l'activité magnétique et des mécanismes de chauffage dans l'atmosphère elle-même, et qu'ils varient au cours du temps.

Un mécanisme inconnu assure le transport de certains éléments, comme le fer, dans la couronne plutôt que d'autres, donnant à la couronne une signature élémentaire distincte comme on le voit à gauche. Selon les chercheurs, ce mécanisme capable de séparer les éléments et de les transporter en haute altitude pourrait aussi assurer le transport de l'énergie et expliquer tout le processus qui permet à la couronne d'atteindre de si hautes températures. Pour valider cette hypothèse, il faut prolonger les études car depuis 2010, le Soleil n'a pas encore complété un cycle entier, ce qui remporte donc les conclusions au-delà de 2023. Il s'agit donc d'un projet à long terme. En attendant, les astronomes peuvent tout de même étudier ce phénomène en observant les variations chimiques et de température dans les atmosphères des étoiles géantes les plus brillantes du ciel, les seules accessibles aux télescopes actuels.

Les structures de la couronne

A grande échelle, la couronne solaire se divise en trois composantes : la ceinture de jets, les trous coronaux et la couronne proprement dite. Les trous coronaux sont des régions légèrement plus froides et de plus faible densité dont le champ magnétique avoisine 10 gauss. On y reviendra lorsque nous étudierons le Soleil en rayons X.  Il faut ajouter les régions actives qui sont à l'origine des éruptions de plasma.

En raison de la raréfaction des gaz composants la couronne, les photographies réalisées durant les éclipses nous montrent souvent plusieurs structures superposées, noyant les détails. C'est pourquoi l'observation de la couronne en rayons X et ultraviolet extrême (UVE) permet d'étudier les structures coronales dans leur entièreté et sont d'une très grande valeur pour les astronomes. Les satellites observent la couronne entre 10 et 900 Å (des rayons X jusqu'aux UVE) où le rayonnement intense de la couronne écrase littéralement les radiations de plus courtes longueurs d'ondes de la photosphère.

Eclipse du 11 Juillet 1991. Document UCAR/NCAR/HAO.

Parmi les composantes de la couronne on distingue de gauche à droite, les brosses polaires (ici très brillantes observées durant l'éclipse du 29 mars 2006, voici une autre photographie de brosses polaires), les rayons et autres jets galbés au-dessus des protubérances et les trous coronaux. Tous ces phénomènes suivent l'activité du champ magnétique solaire. Documents Miloslav Druckmüller/Peter Aniol, Yohkoh et UCAR/NCAR/HAO.

Mis à part ces formations quasi permanentes, la couronne présente de nombreuses structures qui se manifestent par des plumes (brosses polaires), des jets galbés à leur base appelés "helmet streamers" apparaissant au-dessus des petites protubérances, des jets et des rayons rectilignes quelquefois ondulés ainsi que des boucles qui se développent au-dessus des flocules qui surmontent elles-mêmes des facules et un groupe de taches.

Rappelons également que si les protubérances naissent dans la chromosphère, elles se développent également dans la couronne s'étendant de temps en temps de manière spectaculaire, parfois jusqu'à plus d'un rayon solaire (> 695700 km), sans parler des CME qui peuvent se détacher de l'attraction et du champ magnétique solaire et se propager jusqu'au-delà de l'orbite terrestre.

A gauche, une éruption solaire se développant dans la basse couronne photographiée le 27 mai 2014 par le satellite SDO en UV à 171 Å (raie Fe IX/I) et 304 Å (raie He II). A droite, des boucles de plasma dans la région polaire photographiées par le satellite Yohkoh.

Enfin, la forme de la couronne solaire varie en fonction du cycle des taches sombres et elle s'étendra à plusieurs rayons solaires durant les cycles minima d'activité, présentant des rayons incurvés au niveau de l'équateur ou une forme d'éventail dans les régions polaires d'où leur surnom de "brosses polaires", pour afficher une forme plus ou moins symétrique au maximum d'activité des taches. Les rayons radiaux sont alors abondants et plus proches du disque (0.5 R). On y reviendra à propos des éclipses solaires.

Ceci clôture notre description du Soleil en lumière blanche. Mais un aspect encore plus passionnant de l'activité solaire nous attend quand on l'observe dans certaines raies spectrales, notamment en hydrogène alpha qui fait l'objet du prochain article.

Je remercie le Dr David H. Hathaway, astrophysicien solaire au centre Ames de la NASA pour sa collaboration à la rédaction de cet article.

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