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Le Soleil en lumière de l'hydrogène alpha
Les protubérances (IV) Parmi les phénomènes les plus spectaculaires visibles en hydrogène alpha notamment (ou pendant les éclipses totales de Soleil ou au moyen d'un coronographe), les protubérances comptent parmi les sujets les plus appréciés du public et les plus photogéniques comme on le voit sur cette page. Qu'est-ce qu'une protubérance solaire ? A l'image des filaments, les protubérances sont de même nature mais qualifient uniquement les formations solaires qui se détachent sur le limbe et s'étendent dans la couronne. Les protubérances sont des concentrations de matière dont la température varie entre 8000 et 10000 K alors que la basse couronne dans laquelle elles évoluent présente une température variant entre 1 et 20 millions de degrés selon l'altitude. Leur température est donc en moyenne 100 fois plus basse et leur densité 100 fois plus élevée que celle de la couronne. Les protubérances sont constituées de plasma, c'est-à-dire un gaz d'atomes neutres composé d'hydrogène et d'hélium mélangé à des particules chargées électriquement (protons, ions et électrons) suite à des collisions entre particules ou sous l'effet de rayonnements de haute énergie. Du fait que la matière est partiellement chargée, elle épouse la forme des lignes de force du champ magnétique local. Ceci explique l'existence de protubérances en forme d'arche, de boucle, de spirale ou formant des sortes de petits nuages en lévitation magnétique au-dessus de la chromosphère. C'est aussi le champ magnétique qui génère la force nécessaire à leur sustentation dans la couronne, les empêchant de s'écrouler sous leur propre poids. Une protubérance se développe en l'espace d'une journée et les plus stables peuvent persister dans la couronne pendant plusieurs mois. Les scientifiques recherchent toujours à comprendre comment et pourquoi les protubérances se forment. Elles émergent de la surface solaire, généralement dans les régions actives (taches sombres) et restent un certain temps en suspension dans la basse couronne avant de se dissiper ou de retomber sur la surface solaire. Mais étant donné qu'il s'agit de phénomènes dynamiques dont l'évolution est parfois discernable en quelques minutes, les décrire sans présenter quelques films en accéléré serait passer à côté de l'essentiel. Plusieurs vidéos déposées sur YouTube sont donc présentées ci-dessous afin d'illustrer leur réelle dimension. A voir : Protubérances en boucle à 171/304 Å - 304 Å - 304 Å du 10-11 sept 2017 Sun Dance - Eruption 4 août 2012, NASA/SDO Post-flare Loops Expansion 15 août 2014, SIC
Soulignons que contrairement à ce qu'on peut déduire du cycle solaire, les protubérances ne surgissent pas uniquement aux alentours du maximum du cycle. Les photos ci-jointes prises en 2017 et en août 2022 prouvent que près du minimum du cycle et au milieu de la période de 11 ans, le Soleil peut présenter de grandes protubérances et de belles éruptions chromosphériques. Comportement des ions et des atomes dans une protubérance On dit généralement que les protubérances restent en suspension dans l'atmosphère solaire car elles glissent le long des lignes de force du champ magnétique qui percent la surface solaire. Mais comment explique-t-on précisément ce phénomène ? Malgré près d'un siècle de recherches en astrophysique solaire, la question ne fut résolue que tout récemment bien que le sujet doive encore être étudié de manière systématique et à long terme. Dans un article publié dans "The Astrophysical Journal" en 2019, l'astrophysicien solaire Eberhard Wiehr de l'Université de Göttingen et ses collègues ont étudié le comportement d'une protubérance et montré que dans les flux de plasma, les ions se déplacent plus rapidement que les atomes. S'il n'y a pas trop de collisions dans le plasma, particules neutres (atomes) et ions peuvent évoluer indépendamment l'un de l'autre. Wiehr et ses collègues ont observé ce qu'on appelle un "plasma partiellement ionisé sans équilibre d'impact" dans une protubérance solaire. Dans cette protubérance, les ions de strontium se déplaçaient 22% plus vite que les atomes neutres de sodium. Seize heures après l'éruption, les ions étaient encore 11% plus rapides que les atomes. Selon Wiehr, "De toute évidence, les atomes de sodium étaient plus fortement entraînés en présence d'ions de strontium." Cela pourrait s'expliquer par une augmentation locale de la densité des particules, ce qui augmente la probabilité d'impact. "De plus, souligne Wiehr, le comportement de la protubérance aurait pu changer en 16 heures."
Pour expliquer le maintien des protubérances dans la couronne, rappelons que les mouvements dans les couches les plus profondes du Soleil font fluctuer les lignes du champ magnétique générées par la dynamo interne du Soleil. Les ions réagissent directement à l'inversion du sens de l'oscillation, tandis que les atomes neutres doivent se réorienter à plusieurs reprises avec les ions. C'est parce que les ions les plus rapides se déplacent en même temps que l'oscillation du champ magnétique que les protubérances restent en suspension dans la basse couronne malgré la force de gravité du Soleil. Les protubérances sont en moyenne dix fois plus grandes que la Terre. Comme on le voit ci-joint, elles peuvent ressembler à des langues de feu, des plumes, des arches, des haies, des colonnes verticales, se torsader, former des boucles, rester près de la surface et retomber sous leur propre poids ou s'étendre jusqu'à 0.5 rayon solaire et finir par s'échapper du Soleil lorsque le champ magnétique se brise ou lorsque leur vitesse est très élevée. Elles sont alors emportées entre 200 et 1200 km/s par le vent solaire et si notre planète est sur leur trajectoire, elles percutent la magnétosphère de la Terre environ 2 jours plus tard en y produisant parfois certains effets électromagnétiques dont les aurores ne sont que l'une des manifestations. On y reviendra.
Le Soleil peut rester calme pendant des jours et brutalement présenter des protubérances pendant plusieurs jours consécutifs. On parle de protubérance éruptive lorsque cette structure devient instable et éclate en libérant le plasma. Lorsqu'un filament ou une protubérance se brise et disparaît, le phénomène est souvent accompagné d'une éruption chromosphérique et parfois d'une CME (voir page suivante) et d'intenses émissions radioélectriques en raison de l'instabilité locale du champ magnétique. Ces différents comportements et la structure très variable des protubérances ont fait l'objet d'une classification sur base visuelle en fonction de leur forme et de leur dynamique. Les éruptions ont également fait l'objet d'une classification sur base de leurs propriétés électromagnétiques et notamment de leurs émissions radioélectriques. A voir : Our Mr. Sun, F.Capra, 1956
Si les éruptions et les protubérances apparaissent presque quotidiennement à la surface du Soleil sous différentes intensités, du fait que l'apparition des protubérances dépend de l'activité magnétique, elles seront plus nombreuses et plus fréquentes à l'approche du maximum du cycle solaire (2002, 2015, 2027, etc). Mais même aux alentours du minimum, on peut observer de temps en temps des protubérances gigantesques comme celle présentée ci-dessus à gauche apparue en 1946, peu après le minimum du Cycle 17 (survenu en 1945) et ci-dessous entre 1997 et 1999 peu après le minimum du Cycle 22 (survenu en juillet 1996) ainsi que des éruptions chromosphériques (voir plus bas) très violentes, de classes M et X, comme ce fut le cas en 2005 et en 2017, moins de deux ans avant respectivement le minimum des Cycles 23 et 24. Cette activité étant permanente et le Soleil généralement visible à toute heure de la journée, c'est donc un sujet très accessible et très intéressant à observer, en particulier en hydrogène alpha. C'est d'ailleurs pour cette raison que plus d'un astronome amateur vont diront qu'ils utilisent plus leur lunette astronomique durant la journée que durant la nuit. A consulter : Sun Activity (Earthsky) - SOHO - SDO - GOES-16 SUVI (NOAA) Logiciel à télécharger : Space Weather JHelioviewer (SIDC)
Si les protubérances sont parfois spectaculaires, les éruptions chromosphériques sont bien plus violentes et s'accompagnent également de protubérances quelquefois exceptionnellement vastes et brillantes. Les éruptions chromosphériques Les éruptions chromosphériques (flares en anglais) mériteraient qu'on leur consacre tout un dossier tellement elles couvrent un vaste champ d'activités et de rayonnements divers dont les mécanismes sont très intéressants à étudier. Si les professionnels ont le loisir de les étudier à travers tout le spectre, l'amateur peut également les observer en hydrogène alpha. Ces éruptions consistent en d'énormes explosions de plasma dans les régions actives portant durant quelques minutes la matière à plusieurs millions de degrés et libérant en moyenne une énergie de 1022 joules. Quelquefois l'éruption est 1000 fois plus intense, atteignant un niveau d'énergie de 1025 joules (~1032 erg) équivalent à dix milliards de mégatonnes de TNT soit 2 millions de fois l'arsenal nucléaire mondial (~ 20 Gt de TNT en 1968) ! Cette énergie phénoménale correspond à quelque 1010 eV/nucléon et équivaut à un flux dont la puissance est de ~10-4 W/m2 pour une éruption de classe M qui peut-être multipliée par 10 et plus (> 10-4 W/m2) pour une éruption de classe X, une énergie qu'il faut reporter sur une surface souvent des dizaines de fois plus grande que celle de la Terre ! A voir : Eruption chromosphérique du 28 août 2022 à 171 Å, SDO
Ces éruptions apparaissent comme des taches blanches sur les photographies en Hα en raison de leur intensité en rayons X qui provoque un transfert d'énergie sur la matière qui, devenue instable émet des photons pour retrouver un état plus stable. Les éruptions les plus intenses sont de classe X, suivies des éruptions de classe M, C, B, et A. La différence d'énergie d'une classe à l'autre est d'un facteur 10. Consultez le tableau des indices géomagnétiques et solaires pour les détails de cette classification. Au cours du Cycle 24 (2007-2020) on comptabilisa environ 21000 éruptions solaires dont 13000 CME (voir page suivante). En moyenne, on observe 100 éruptions de classe X par cycle solaire, 1000 éruptions de classe M, 10000 éruptions de classe C, etc. Les émissions X et radioélectriques se produisent quelques dizaines de secondes avant l'éruption et sont souvent précédées par la rupture d'un filament, ce qui tend à confirmer que le champ magnétique joue ici un rôle prépondérant. Rappelons que toutes les éruptions chromosphériques sont associées à des filaments. A voir : Éruption chromosphérique de classe X9.3 du 6 sept. 2017 171 Å - 193 Å - 211/193/171 Å - 1600 Å - HMI-Hi Five X-class Flares (AR 12192, 2014), NASA Base d'images et vidéos de SDO - Top 50 solar flares, Spaceweather From emergence to eruption: A comprehensive simulation of a solar flare, NCAR/UCAR
Ces éruptions sont visibles dans différentes raies spectrales, en particulier en UVE comme on le voit ci-dessus, en Hα et Ca II K où elles sont cependant un peu plus faibles mais toujours très brillantes. A l'occasion, on peut également observer une surbrillance en lumière blanche mais l'effet est peu visible, même pour la classe X comme on le voit sur la vidéo ci-dessus (HMI-Hi) de l'éruption de classe X9.3 du 6 septembre 2017. On peut l'anticiper si auparavant on a été informé de l'apparition d'une éruption chromosphérique, sinon dans un petit télescope on risque de la confondre avec un effet de la turbulence bien que l'éruption soit plus lente. Dans le spectre radio, l'éruption de classe X9.3 du 6 septembre 2017 atteignit une densité de flux de 12000 sfu ou 1.2x108 Jy à 10.7 cm de longueur d'onde, soit 26 fois plus qu'une éruption de classe X2, avec des sursauts d'émissions radioélectriques de type II puis de type IV quelques minutes plus tard. A 12h12 TU, la vitesse du vent solaire atteignit 1962 km/s, une valeur rarement atteinte. Ce pic d'émission ne dura que 3 minutes. A voir : Eruption de classe X9.3 du 6 septembre 2017 par SDO Gros-plan sur l'éruption de classe X9.3 à 1700 Å A consulter : Events of the solar flare of September 6, 2017, The Event Chronicle
Une éruption chromosphérique peut durer entre quelques secondes et plus d'une heure, les plus intenses diminuant progressivement en l'espace d'une demi-heure à quelques heures. Ces éruptions ont également une origine magnétique et se développent surtout dans les régions actives, c'est-à-dire dans les groupes de taches bipolaires en évolution, au voisinage de la ligne qui sépare les taches de polarités magnétiques opposées. Cette augmentation caractéristique de l'éclat de la surface s'explique en partie par l'augmentation de la densité de la matière à un niveau plus élevé de l'atmosphère, les champs magnétiques coronaux piégeant l'énergie radiante et thermique. On y reviendra. Comment se forme une éruption chromosphérique ? Sous l'effet des champs magnétiques et des mouvements convectifs qui agissent sous la photosphère, la matière devient localement des milliers de fois plus dense. La pression qui en résulte a pour effet d'éjecter le gaz hors de la surface à des vitesses relativistes proches de la moitié de celle de la lumière. Les particules atomiques et les électrons piégées par ce confinement sont accélérées par le champ magnétique intense qui devient instable, forme des boucles et perce la surface. A voir : La surface du Soleil comme vous ne l'avez jamais vue, SDO, 2010-2013 Un peu de pluie sur le Soleil (éruption de classe M7.7), SDO, 19 juillet 2012, 12h30 Tyger Bryte - l'éruption solaire du 25-26 octobre 2021, 171 Å, SDO (classes C9 et M1), Seán Doran Le ballet d'une éruption de plasma (classe M9), 31 déc 2012
Pendant les éruptions, les électrons libres entrent en collision avec le gaz ambiant avec lequel ils doivent partager leur énergie cinétique. Si le champ magnétique coronal peut stocker une partie de cette énergie, au-delà d'un seuil critique l'énergie est libérée sous forme thermique ce qui explique pourquoi la matière de la chromosphère d'ordinaire chauffée à quelques milliers de degrés est portée à près de 20 millions de degrés dans la basse couronne. Cette phase très chaude engendre une importante quantité de rayonnements électromagnétiques, des rayons gamma, X, ultraviolets et des particules de forte énergie (protons et électrons) ainsi que des photons, la lumière vive que nous observons. Une certaine quantité d'électrons très énergiques parviennent jusqu'à la couronne où ils excitent les couches successives en émettant des ondes radios caractéristiques. Dans le cadre des missions spatiales et principalement des missions lunaires et des activités extra-véhiculaires (EVA), ces éruptions chromosphériques sont très dangereuses pour les astronautes par l'intensité des rayonnement ionisants qu'elles véhiculent. Pour éviter tout risque d'irradiation ou de dommage génétique, les responsables du contrôle au sol ordonnent la suspension des activités spatiales durant quelques heures lorsqu'une éruption solaire majeure est annoncée. A lire : Le mal de l'espace - Les radiations
Rappelons que dans les jours qui suivent une éruption chromosphérique, des protons, des ions lourds et des électrons libres arrivent sur Terre véhiculés par le vent solaire et pénètrent dans la magnétosphère à hauteur des pôles en y provoquant de brillantes aurores et des blackout radio. De telles manifestations, qui ne se produisent pas avec toutes les éruptions, perturbent la magnétosphère terrestre, générant des tempêtes géomagnétiques et induisent des surcharges sur les centrales électriques pouvant conduire à la coupure de tout un réseau électrique. Les éruptions chromosphériques comptent ainsi parmi les quelques phénomènes astronomiques pouvant directement perturber l'environnement terrestre. A voir : A Decade of Sun, NASA/GSFC/SDO, 2020 Sun Dance in 4K, 2020 - Three Months of Sun in 4K, 2022, SDO/Seán Doran Éruption d'une boucle de Hudson le 29 août 1992 (MPG de 540 KB)
Mais dans les années 1970, les astronomes ont découvert un autre phénomène solaire bien plus puissant qu'une éruption chromosphérique, la CME (Coronal Mass Ejection) ou l'éjection de masse coronale qui fait l'objet du prochain chapitre. Prochain chapitre Du mythe de l’éruption solaire aux CME
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