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Le Soleil en lumière de l'hydrogène alpha Du mythe de l’éruption solaire aux CME (V) Jusqu'aux années 1990, les géophysiciens pensaient que les éruptions solaires étaient seules responsables des tempêtes géomagnétiques (cf. les défaillances des satellites et les aurores) et étaient à l’origine des aurores polaires. Faux, dit Jack Gosling du Laboratoire National de Los Alamos en 1993, les éjections de matière coronale ou CME (Coronal Mass Ejection) y participent également[3]. Bien que la couronne solaire ait été observée durant les éclipses de Soleil depuis des centaines d'années, l'existence même des éjections de matière coronale ne fut révélée qu'après l'avènement de l'âge spatial. Les plus anciennes traces de ces phénomènes dynamiques remontent aux observations faites au moyen du coronographe embarqué à bord de l'Observatoire Solaire OSO 7 entre 1971 et 1973, relayé depuis par des observatoires embarqués et des satellites. A voir : Eruptive Event Generator (Gibson and Low), NASA Modèles de prédiction des CME Solar models (request a run), NASA/GFSC/CCMC Modèles de prédiction de l'activité solaire et des effets géomagnétiques
Comme on le voit ci-dessus, les CME sont d'immenses bulles de gaz et de plasma qui explosent littéralement à la surface du Soleil, éjectant en l'espace de quelques heures d'énormes quantité de matière dans l'espace qui est ensuite emportée par le champ magnétique solaire et dont les effets peuvent occasionnellement se ressentir jusqu'au-delà de l'orbite de Pluton. Il s'agit des émissions les plus spectaculaires et les plus intenses que produit notre étoile et potentiellement les plus dangereuses aussi par la quantité d'énergie qu'elles transportent car elles peuvent affecter l'environnement terrestre. Classification Les CME sont classées en deux catégories, les rapides ("fast" en anglais) qui sont aussi les plus connues qui se déplacent en général entre 1000-2900 km/s soit entre 3.6 millions et 10.4 millions de km/h, et les furtives ou "stealth" qui se déplacent entre 400-700 km/s soit moins de 2.5 millions de km/h, une vitesse voisine de celle du vent solaire.
Comme le précise une étude publiée en 2017 par B.J. Lynch de l'Université de Berkeley et son équipe, les CME stealth n'ont pratiquement pas de signatures observables dans la basse couronne, mais uniquement un flux magnétique lent visible dans les données coronographiques. Vu leur vitesse de propagation assez lente, les CME stealth n'ont pas suffisamment d'énergie pour provoquer des perturbations géomagnétiques majeures mais en raison de leur structure magnétique interne elles peuvent malgré tout créer des perturbations géomagnétiques faibles à modérées (cf. les indices solaires et géomagnétiques). En revanche, les CME rapides sont porteuses de particules très énergétiques (protons) qui non seulement génèrent des ondes de choc dans le vent solaire mais sont capables de perturber le champ géomagnétique durant plusieurs jours. Elles peuvent alors affectuer nos moyens de communications et même parfois l'économie des pays nordiques. Une grande CME peut transporter 1016 g soit 1 milliard de tonnes de matière ! Cette activité est parfois accompagnée d'éruptions chromosphériques, sources d'intenses émissions de protons et de rayonnement X capables de détruire les composants électroniques et notamment les processeurs, les mémoires et les caméras CCD des observatoires orbitaux. Origine des CME Ces éjections de matière à partir de la couronne sont provoquées par le réarrangement rapide des structures coronales qui injectent dans le vent solaire d’immenses quantités de matière. Ces structures ressemblent à de gigantesques arches en suspension au-dessus d’un secteur du disque solaire. Ces immenses bulles s’élèvent dans l’espace, laissant derrière elles leurs pieds enracinés dans le Soleil. Ces phénomènes sont mal connus et suscitent aujourd’hui un grand intérêt. Nous savons qu’il existe une corrélation entre les éruptions et les aurores, ou plus précisément entre les éruptions et les tempêtes géomagnétiques qui accompagnent les aurores. Mais les deux phénomènes ont également des effets additionnels induits par les CME. En effet, les CME sont souvent associées avec des éruptions chromosphériques et des protubérances mais elles peuvent se manifester en l'absence de ces phénomènes. La fréquence des CME varie avec le cycle solaire. Au minimum solaire, on observe une CME par semaine. A l'approche du maximum, on peut observer une moyenne de 2 à 3 CME par jour ! A voir : Modélisation d'une CME stealth (GIF de 3.7 MB), NASA/GSFC
Inversement, toutes les éruptions ne sont pas provoquées par les éjections de matière coronales, car elles sont beaucoup plus fréquentes que ces dernières. L'astronome Art Hundhausen de l’Observatoire NCAR de haute altitude, nous confirme que les éruptions chromosphériques sont produites par des “reconnexions” magnétiques, un processus par lequel les champs magnétiques opposés s’annihileraient les uns avec les autres en libérant de l’énergie sous forme de rayons X et de particules énergétiques. Cela s’expliquerait d’autant mieux quand on sait que la surface solaire est en mouvement permanent, comme un liquide en ébullition, qu’il accuse une rotation différentielle et que les lignes du champ magnétique finissent par s’entremêler au fil des rotations solaires, conduisant finalement à des instabilités magnétiques, propices aux éruptions. Lorsque le champ magnétique devient instable sous un filament, le champ de force perce la surface solaire provoquant l'effondrement explosif du filament (voir images ci-dessous). D'ordinaire ces phénomènes se produisent dans des régions éloignées des taches et les éruptions sont dénommées éruptions de Hyder (Hyder flare) en hommage à Charles Hyder qui publia une études sur ce phénomène en 1967.
Les éjections de matière coronale impliquent l’existence d’une forme spécifique du champ magnétique qui se déforme sur une grande échelle. Suite à l’éjection de matière coronale, celle-ci développe des lignes de forces opposées à la base des boucles qui peuvent se reconnecter et donner naissance à une éruption. Cette dernière peut donc être un effet complémentaire des éjections coronales mais elle peut aussi être une manifestation ordinaire de la surface solaire comme nous l’avons expliqué en étudiant le Soleil en lumière blanche. L'astrophysicien Don Reames du centre Goddard de la NASA amende lui aussi la théorie selon laquelle les éruptions sont à l’origine de l’émission de particules solaires énergétiques sur une grande échelle. Bien que les éruptions chromosphériques participent au transfert de l’énergie vers les particules (directement à travers les reconnexions ou indirectement en générant des instabilités et des ondes de choc dans la couronne), les immenses ondes de choc qui accélèrent les éjections coronales peuvent exciter les particules sur une beaucoup plus grande échelle. Ces particules énergétiques doivent être dissociées de celles associées aux éruptions chromosphériques car elles s’en différencient par leur composition, leur charge et leur dispersion spatiale, cette dernière étant beaucoup plus localisée. Aujourd'hui les astrophysiciens solaires ont accepté la théorie de Jack Gosling car il est démontré que les CME sont à l’origine des plus fortes tempêtes géomagnétiques et des phénomènes d’aurores qui les accompagnent. On y reviendra dans le dernier chapitre, notamment sur la tempête de Carrington survenue en 1857. Ces phénomènes sont liés à la forte intensité et à la configuration des lignes du champ magnétique solaire, à leur vitesse, et non pas à l’énergie des particules comme on le crut jusqu’au début des années 1990. Distribution spectrale de la CME
Comme on le voit à droite, le 10 septembre 2017 vers 16h17, les astrophysiciens solaires eurent la chance d'observer une éruption solaire majeure de classe X8.2 associée à la région active AR 2673 au moyen de l'installation radioastronomique EOVSA (Expanded Owens Valley Solar Array) de l'Université de Technologie du New Jersey. Notons que cette éruption déclencha une tempête géomagnétique relativement forte (G3) quelques jours plus tard sur Terre. Traditionnellement, les images des éruptions solaires sont enregistrées à certaines longueurs d'ondes (UV, He, Hα, X, etc) ou niveaux de température et montrent seulement les effets du réchauffement du plasma par les particules accélérées tandis que les émissions radios montrent uniquement le niveau d'énergie des particules à une fréquence déterminée. On ne voit donc pas évoluer le phénomène à travers le spectre et il est difficile d'apprécier sa dynamique, encore moins en temps réel. Parmi les mystères que cache encore le Soleil, il y a la question de savoir comment les particules acquièrent de très hautes énergies (X) en l'espace de quelque dizaines de minutes (l'éruption passe de la classe C à X en moins d'une demi-heure). Mais pour répondre à cette question, il faut établir un diagnostic quantitatif des particules et de leur environnement, en particulier du champ magnétique solaire qui est à l'origine de cette énorme et violente libération d'énergie. Pour la première fois, grâce à EOVSA les astronomes ont pu étudier pendant près d'une heure et avec une résolution spatiale d'une seconde le comportement des particules de hautes énergies (protons) émises par une CME à travers différentes longueurs d'ondes comprenant la lumière blanche, les UV, les rayons X et les ondes radios. Ils ont ainsi découvert que les émissions radios pendant l'éruption sont réparties sur une région beaucoup plus vaste que prévue, indiquant que les particules de hautes énergies sont rapidement transportées en masse dans la "bulle" de champ magnétique formant la CME. En mesurant le spectre radioélectrique à différentes altitudes de l'atmosphère solaire pendant l'émission d'une CME, les astronomes peuvent ainsi mieux étudier l'environnement solaire et son évolution temporelle. Cela permet notamment de localiser la région d'accélération des particules et de cartographier les conditions régnant à l'endroit où ces particules se dirigent. A
voir : X8.2
Solar Flare (10 sept 2017) Document EOVSA adapté par l'auteur. À ce jour, du fait que l'astrophysiqsue solaire n'est pas encore une science exacte, on ignore si ces particules sont uniquement accélérées par les ondes de choc. Selon certaines théories, il pourrait exister des "germes" dans la région de choc qui permettraient de générer l'énergie (les ondes) nécessaire aux particules pour leur fournir l'impulsion supplémentaire. Selon l'astrophysicien solaire Dale Gary, directeur de l'EOVSA, on a longtemps pensé que les éruptions accéléraient les particules chargées. Des observations antérieures, principalement en rayons X montraient que ces particules de hautes énergies étaient confinées à de très faibles altitudes et on ne comprenait pas comment ces particules pouvaient atteindre la vitesse de l'onde de choc. Grâce aux images radios, on a découvert que les particules étaient distribuées dans une région beaucoup plus vaste que prévue, ce qui leur donne plus d'occasions d'accéder à la région de choc dans la couronne où elles sont accélérées. Ces observations sont intéressantes car beaucoup d'éclats radio (les bursts) se produisent dans la gamme de fréquences des téléphones portables (1.9-2.2 GHz). Or c'est justement dans les fréquences les plus basses que ce phénomène est le plus apparent et les sources les plus grandes mais où il est mal compris. Selon les spécialistes, ces résultats devraient apporter de nouvelles connaissances fondamentales sur les mécanismes de libération d'énergie et d'accélération des particules pendant les CME. Elles sont d'autant plus attendues pour mieux modéliser l'activité solaire et anticiper les CME dont les protons rapides sont dangereux pour tout ce qui vole en haute altitude, d'abord les astronautes à bord des vaisseaux spatiaux, puis les satellites dont ceux de communications et même pour les personnes à bord des avions de ligne volant près du pôle. Les ondes de Moreton et les ondes EIT Les ondes de Moreton correspondent à la trace chromosphérique d'ondes de choc coronales à grand échelle. Elles sont générées par des éruptions chromosphériques, généralement de classes B à X et sont excessivement puissantes, les chercheurs les qualifiant de véritables "tsunamis solaires". Leur nom rend hommage à l'astronome américain Gail Moreton qui les observa pour la première fois en 1959 depuis l'Observatoire solaire Lockheed. Il les découvrit dans des photographies de la chromosphère prises en time-lapse dans la raie de l'hydrogène alpha. Ces phénomènes sont restés méconnus pendant plusieurs décennies. C'est seulement en 1995 grâce au satellite SOHO que les chercheurs observèrent les ondes coronales et étudièrent les ondes de Moreton.
Des ondes de Moreton également appelées des ondes MHD en mode rapide furent également observées par les deux satellites STEREO qui détectèrent en février 2009 une onde de plasma chaud d'une amplitude de 100000 km se déplaçant à 250 km/s pendant l'éruption d'une CME. Les ondes de Moreton sont principalement observées dans la raie de l'hydrogène alpha et sont donc en théorie accessibles aux astronomes amateurs. Notons qu'il existe un deuxième phénomène similaire appelé les "ondes EIT" car elles furent découvertes grâce au télescope EUV ou EIT de SOHO. En fait, ondes de Moreton et ondes EIT reflètent le même phénomène mais à des longueurs d'ondes et donc des niveaux d'énergie différents. Il est possible que cette différence soit la signature de conditions physiques spécifiques, à confirmer. Dernier chapitre
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