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Le champ magnétique du Soleil
Introduction (I) A l'image de bon nombre de phénomènes célestes, le magnétisme est la clé de la compréhension du Soleil. Comme toutes les étoiles actives et relativement "froides", le Soleil présente un champ magnétique. Bien que les hypothèses soient encore nombreuses, on pense qu'il est produit par effet dynamo (voir page 3) à la base de la zone convective (~1/3 du rayon du Soleil). A la surface du Soleil, ce champ magnétique se concentre surtout dans les taches sombres, où il atteint une intensité[1] d'environ 0.3 tesla soit 3000 gauss, environ 5000 fois plus intense que le champ géomagnétique ! Notons que les champs maximaux qui peuvent être produits dans la couche convective sont d'environ 10000 gauss. C'est en 1919 que le physicien et mathématicien irlandais Sir Joseph Larmor de l'Université de Cambridge proposa la théorie selon laquelle les taches solaires étaient formées par un effet de dynamo auto-excitée sur lequel nous reviendrons. Nous verrons quand nous étudierons le champ magnétique terrestre, que Larmor proposa également d'appliquer cette théorie à la Terre pour expliquer l'existence de son champ magnétique à condition que son intérieur soit fluide. Son intuition s'avéra correcte. L'effet Zeeman Qu'est-ce qui nous prouve l'existence d'un champ magnétique solaire ? En 1896, le physicien hollandais Pieter Zeeman découvrit en laboratoire que lorsque qu'un gaz incandescent était soumis à un champ magnétique (par exemple un puissant aimant), les raies spectrales de son spectre d'absorption se divisaient en plusieurs composantes qui étaient polarisées linéairement ou circulairement. On dirait aujourd'hui que le rayonnement électromagnétique est en interaction avec les niveaux quantiques de l'atome considéré. L'énergie des différents niveaux atomiques ainsi que la fréquence des raies spectrales varient en fonction de l'intensité du champ magnétique. Notons que dans certains cas, même en présence de champ magnétique, les raies restent simples, ce qu'on appelle les niveaux non dégénérés. En 1908, George Ellery Hale (1868-1938) de l'Observatoire du Mont Wilson découvrit l'effet Zeeman dans les raies d'absorption des taches solaires. Grâce à cette découverte les astronomes se sont rendus compte que l'activité du Soleil était régie par le magnétisme. L'effet Zeeman permet en effet d'évaluer l'intensité du champ magnétique qui peut être déterminée à partir de la séparation des raies d'absorption du fer, tandis que la direction du champ se déduit du sens de la polarisation de ses composantes.
Comme on le voit ci-dessus, le record d'intensité magnétique fut enregistré le 4 février 2014 par l'observatoire spatial solaire Hinode (mais l'information seulement publiée en 2018) qui enregistra une valeur de 6250 gauss dans le groupe de taches solaires AR 1967 (classe Fkc), ce qui se produit à peine une fois toutes les décennies. Les scientifiques expliquent cette valeur très élevée comme l'effet de la compression du champ magnétique local (dont les lignes de force sont verticales) par le flux de gaz horizontal se déplaçant de l'extérieur vers l'ombre de la tache sombre, comme le fait de rassembler de hautes herbes serre les tiges les unes contre les autres. Comme on le voit à droite, l'analyse spectrale de ce groupe de taches a révélé le dédoublement et l'importante séparation (au point de référence 1) de la raie d'absorption du fer à 6302.5 Å. Observation du champ magnétique solaire Si étonnant que cela soit, pris comme un tout le Soleil ne dispose pas de champ magnétique global comme celui de la Terre. Mais si on prend l'intensité moyenne de tous les champs localisés à la surface du Soleil, il donne l'impression d'avoir un champ général des milliers de fois plus intense que celui de la Terre. L'évolution de ces champs locaux est très importante car de leur activité dépend directement l'évolution de tous les phénomènes qu'on observe à la surface du Soleil qu'il s'agisse des taches sombres ou des éruptions. On suppose qu'il reste également un champ magnétique fossile datant de la formation du Soleil sous la couche convective, au centre du Soleil, champ qui force une rotation rigide du gaz. Cependant, les mesures de ce champ sont très difficiles et on ne connaît pas son intensité qui peut juste être estimée sur base des modèles d'évolution stellaire. On reviendra sur la structure et l'évolution de ce champ magnétique un peu plus loin. Comment mesure-t-on le champ magnétique ? Les lignes de force du champ magnétique ont la faculté de changer la direction du mouvement des particules chargées telles que les électrons et les ions. Ce phénomène donne aux électrons qui orbitent autour du noyau atomique dans une direction déterminée plus d'énergie qu'aux électrons orbitant dans l'autre sens. C'est en mesurant la différence d'énergie émise par les électrons lorsqu'ils sautent d'une orbitale à une autre que l'on peut déterminer le champ magnétique solaire, évaluer son intensité et sa direction. Ce phénomène se mesure au moyen d'un magnétographe vectoriel tel celui utilisé au sol par la NASA, le Kitt Peak (SOLIS) ou l'IfA d'Hawaï (Observatoire Solaire Mees) ou embarqué à bord de satellites étudiant le magnétisme dont Hinode précité dans le cas du Soleil.
Pour comprendre et pouvoir prédire l'activité des régions actives solaires - les endroits où le champ magnétique est intense et souvent à l'origine des éruptions solaires, il faut analyser la structure du champ magnétique en surface, autour des taches solaires, qu'on mesure au moyen d'un magnétographe vectoriel ou d'un spectropolarimètre équipé de filtres (instrument SOT ou MDI) comme en est équipé le satellite SOHO ou Hinode d'observation du Soleil. Si cette structure se torsade et s'inverse, toutes les conditions sont remplies pour que les lignes du champ magnétique se reconnectent en provoquant une libération explosive d'énergie. Voyons ce mécanisme en détail en allant du plus simple au plus complexe. L'image du groupe de taches présentée ci-dessous au centre présente en bleu les lignes neutres qui séparent les zones de champ magnétique opposé. Il s'agit donc d'un groupe bipolaire. Dans des conditions normales le champ magnétique passe à travers ces lignes pour relier par une boucle les régions de polarités positives (où le champ magnétique pointe vers l'extérieur) et négatives (où le champ magnétique pointe vers l'intérieur). Les petits segments indiquent la force et la direction du champ magnétique mesuré au moyen du magnétographe vectoriel du centre Marshall de la NASA.
En superposant ces lignes et ces segments sur l'image d'un groupe de taches sombres où se produit une éruption, on constate que l'éruption suit les lignes de courants neutres où le champ magnétique s'inverse; si on examine l'image de près on constate que le champ magnétique (segments) s'oriente le long des lignes neutres au lieu de les traverser. Nous venons de découvrir l'ingrédient clé des éruptions solaire : le phénomène de shearing, d'inversion locale du champ magnétique. Grâce à des instruments toujours plus performants, en l'espace de quelques décennies les astrophysiciens solaires ont découvert que l'activité des éruptions était étroitement associée à l'inversion des champs magnétiques dans les groupes de taches sombres. Aujourd'hui la mesure de cette inversion à l'intérieur et autour des taches solaires permet aux astronomes de prédire avec une grande précision l'apparition d'un bon nombre d'éruptions solaires majeures. Mais ils doivent encore comprendre les subtiles réactions qui se développent dans la couronne solaire, d'où l'intérêt d'avoir envoyé la sonde spatiale Parker Solar Probe explorer de près le Soleil en 2018. On y reviendra à propos des missions spatiales. Les groupes de taches bipolaires Selon les modèles de l'activité solaire, la présence des taches sombres s'explique par l'émergence d'un tube de flux magnétique (voir plus bas) à la surface du Soleil sous forme d'une boucle marquant une désorganisation locale du champ magnétique comme on le voit ci-dessous à droite. Ces zones deviennent des facules dans lesquelles se forment les taches et les protubérances. Ces facules présentent un champ de force concentré dans une surface beaucoup plus petite que celui présent dans les taches sombres.
Les groupes de taches sombres bipolaires sont constitués d'une tache de tête et d'une tache de queue. La première présente un champ magnétique dirigé vers le nord, la seconde un champ magnétique dirigé vers le sud, à l'image des courants magnétiques circulant dans le Soleil. Le champ magnétique est le plus intense dans les parties sombres formant l'ombre de la tache tandis qu'il est faible et orienté grosso modo horizontalement dans les parties claires formant la pénombre des taches. Autrement dit, comme nous l'avons vu plus haut, le flux de matière se déplace horizontalement autour de la tache et devient oblique voire vertical dans l'ombre de la tache solaire, ce qui peut affecter localement l'intensité du champ magnétique si le flux comprime le champ de force. Comme le montre le schéma ci-dessus à gauche, la polarité d'une tache de tête située dans l'hémisphère nord du Soleil peut être orienté vers le nord tandis que la tache de tête située dans l'hémisphère sud pointe alors vers le sud. Mais au cycle suivant les polarités des taches solaires s'inverseront : la tache de tête située dans l'hémisphère nord pointera vers le sud et vice-versa dans l'autre hémisphère. Cette inversion des polarités magnétiques se succède au fil des cycles des taches solaires. A
voir : Simulation
du champ magnétique solaire,
NASA-GSFC
Si les taches sombres ont une influence mineure sur les émissions du Soleil qui dépendent d'autres processus, l'activité magnétique qui les accompagne peut au contraire produire des modifications importantes des niveaux de rayonnements ultraviolet et rayons X peu pénétrants. Ces changement qui s'intensifient à mesure que le cycle solaire approche de son paroxysme génèrent des éruptions solaires qui peuvent parfois produire des effets très importants dans la haute atmosphère terrestre comme nous le verrons à propos des aurores, des défaillances des satellites et dans les pages anglaises consacrées aux perturbations ionosphériques. Les émissions plus puissantes peuvent même perturber le plan de vol des avions volant à haute altitude et empêcher les astronautes en orbite de réaliser leurs activités extravéhiculaires (EVA). Origine et effets du champ magnétique solaire Selon les modèles de dynamo sur lesquels nous reviendrons et en particulier selon la théorie du "tube de flux" proposé en 1996 par Gianna Cauzzi de l'Observatoire d'Astrophysique d'Arcetri à Florence et son équipe (et affiné depuis, notamment en 2001 par William P.Abbett de l'Université de Berkeley, cf. cette présentation), le champ magnétique prend naissance dans les profondeurs du Soleil, dans la zone de convection comme on le voit ci-dessous à gauche. Contrairement à ce qu'on pensait à la fin du XXe siècle, les modèles les plus récents indiquent que cette dynamo n'est pas entièrement localisée dans une fine couche à la base de la zone de convection, dans la région de la tachocline qui sépare la zone radiative qui occupe un tiers du rayon du Soleil de la zone de convection. Elle se développe sans doute dans une bonne partie du volume de la zone de convection, avec même une composante proche de la surface. Les simulations indiquent que la dynamo est vraisemblablement plus globale et plus complexe que simplement limitée à la tachocline. On reviendra en dernière page sur la dynamo solaire. A consulter : Subsurface Evolution of Active Region Flux Tubes (animations), UCAR Champs magnétiques aux grandes échelles et inversions de polarité (simulations), U.Montréal
Comment évolue un tube de flux ? Sous l'effet combiné de la pression magnétique, du gradient de vitesse de rotation en fonction de la latitude (l'effet de la rotation différentielle illustré plus haut) et du mouvement vertical de la convection, les lignes du champ de force se resserrent, formant un tube de flux magnétique globalement parallèle à l'équateur solaire comme on le voit ci-dessus à gauche (le tube blanc ondulé au-dessus de la tachocline). Les lignes de force s'enroulent ensuite légèrement autour de leur axe, formant un tube légèrement torsadé dit toroïdal. C'est autour des lignes de ce champ de force que le plasma chargé s'enroule ensuite. Lorsque ce champ devient suffisamment intense, à l'image des effets d'une turbulence il se produit une instabilité. Une portion de ce tube de flux parvient à vaincre la force de tension qui le maintient horizontalement et par un effet équivalent à la poussée d'Archimède mais dans un milieu magnétohydrodynamique (MHD) qu'on appelle la flottaison magnétique, il s'élève vers la surface en formant un tube de flux toroïdal. Arrivé en surface, une boucle en forme d'Oméga (Ω) émerge alors à travers la photosphère dont les pieds enracinés dans la zone de convection présentent une polarité magnétique opposée (la grande boucle blanche en surface ci-dessus à gauche). Elle devient une région active caractérisée par des taches sombres bipolaires où se développe l'activité solaire. Les tubes de flux sont généralement parallèles à l'équateur, présentant une rotation de seulement 5 et 15° par rapport à l'équateur. Généralement, le tube de flux se fragmente à l'approche de la surface et les petits éléments de flux peuvent alors subir des rotations plus fortes, ce qui conduit parfois à un mélange des polarités des taches individuelles à l'intérieur d'une même région active. C'est notamment le cas dans les groupes de taches sombres très étendus (50000-200000 km de longueur). Si on comprend assez bien l'origine et l'évolution des taches sombres, celle des éruptions solaires est beaucoup plus délicate et fait intervenir des mécanismes bien plus complexes qui font l'objet du prochain chapitre. Prochain chapitre
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