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La Terre, berceau de l'Humanité

Structure géomagnétique (IV)

La magnétosphère terrestre (géomagnétosphère) est une région entourant la Terre résultant de la combinaison du champ magnétique propre de la Terre appelé le champ principal qui est entretenu par le noyau externe de la Terre et la magnétosphère à proprement dite qui est alimentée par des flux de courants électriques suite à son interaction avec les électrons émis par le vent solaire. La densité de ces flux de courants varie en fonction de l'activité solaire ce qui explique également la variation de l'intensité et de la forme de la géomagnétosphère.

Outre le champ géomagnétique, la Terre est également ceinturée par deux autres couches électrisées, les Ceintures de Van Allen et les couches ionosphériques. Quelles sont les propriétés et les effets de ces trois composantes ?

Source: http://easyscienceforkids.com/all-about-earths-magnetism/

Le champ géomagnétique. A gauche, à l'image d'un aimant la Terre présente deux pôles magnétiques de polarité opposée. Comme celui du Soleil mais à une fréquence bien plus faible, le champ géomagnétique peut s'inverser. A droite, sa représentation à grande échelle. Notez son inclinaison par rapport à l'axe de rotation de la Terre. Cette inclinaison qu'on appelle la déclinaison magnétique varie légèrement d'une année à l'autre. Documents Easy Science for Kids et T.Lombry.

En prenant une boussole en main, chacun a déjà remarqué que l'aiguille aimantée s'oriente sans coup férir dans une direction bien précise, à quelques degrés du pôle géographique... Sur les traces du physicien anglais William Gilbert (XVIIeme siècle), on peut assimiler la Terre à une sorte de gros aimant bipolaire dont le champ magnétique est généré par l'effet d'une "dynamo auto-excitée". On y reviendra dans l'article consacré au champ magnétique terrestre.

A quelle époque se forma le champ géomagnétique ? Selon une étude publiée dans la revue "Science" en 2015 par l'équipe du géophysicien John Tadurno de l'Université de Rochester, nous possédons des mesures paléomagnétiques réalisées en Afrique du Sud attestant que le champ géomagnétique existait déjà il y a 3.45 milliards d'années. Des zircons découverts à Jack Hills en Australie (cf. A.Witze, 2015) suggèrent que le champ géomagnétique aurait déjà été actif il y a 4 ou 4.2 milliards d'années, soit à peine 300000 à 500000 ans après l'accrétion des premiers planétésimaux. Pour rappel, les zircons (SiO4) sont de minuscules fragments de silice cristallée ou fondue piégés dans la matrice des roches. Ils peuvent notamment contenir l'empreinte du champ magnétique et toutes sortes d'impuretés, y compris du sel et des nanodiamants.

Cette dynamo se serait déclenchée suite à la cristallisation du dioxyde de silicium (théorie de Kei Hirose de l'Institut de Technologie de Tokyo) ou du dioxyde de magnésium (théorie de David Stevenson du Caltech) dans le noyau sous une pression supérieure à 140 GPa et une température supérieure à 4000°C (cf. M.Pozzo et al., 2012; N. de Koker et al., 2012). En précipitant vers le centre, la matière en fusion plus légère serait remontée vers le noyau externe, déclenchant le mouvement de barattage indispensable au maintient de l'effet dynamo. Toutefois, selon Stevenson il est plus probable que ce fut le dioxyde de magnésium qui précipita en premier, produisant la quantité d'énergie gravitationnelle nécessaire pour générer l'intense champ magnétique.

La magnétosphère de la Terre protège la biosphère des rayonnements nocifs du Soleil et des étoiles et empêche l'atmosphère d'être arrachée par le vent solaire. Documents T.Lombry et Michael Osadciw/U.Rochester.

Ensuite, le champ géomagnétique faiblit durant plusieurs milliards d'années et devint erratique. Selon des études sur le paléomagnétisme des roches évoquées précédemment, c'est suite à la cristallisation du noyau interne il y a seulement 1.5 à 0.5 milliard d'années (cf. A.J. Biggin et al., 2015; P.Driscoll, 2019; John A. Tarduno et al., 2019; Jung-Fu Lin et al., 2020) que les forces de la géodynamo et du champ géomagétique se sont stabilisées et s'amplifièrent.

L'inversion du champ géomagnétique

Nous savons que le champ principal présente deux pôles de polarités opposées dont l'axe est incliné d'environ 11.6° par rapport aux pôles géographiques, ce qu’indique la boussole.

Depuis les études sur le géomagnétisme effectuées par les physiciens Patrick Blackett, prix Nobel en 1948, Keith Runcorn et Ted Irving en 1959, nous savons que l'intensité du champ géomagnétique est voisine de 6x10-3 teslas (0.6 gauss) au sol. C'est le champ magnétique le plus fort de toutes les planètes telluriques. Depuis l'an 1600 environ, il diminue de 0.04% par an.

En 2005, le moment dipolaire qui mesure l'intensité du champ magnétique à la surface de la Terre était de 7.776x1022 A.m2 contre 7.779 x1022 A.m2 en 2000. Il fut en moyenne de 7.5 x1022 A.m2 depuis la dernière inversion magnétique.

Tout aussi intéressant, si on analyse la latitude du pôle géomagnétique depuis 1600, on constate qu'elle s'écarte des 90° mais depuis 1950 le dipole axial s'aligne de plus en plus avec l'axe de rotation de la Terre. Autrement dit, même si l'intensité du champ magnétique décroît depuis 1600 il n'est pas en train de s'inverser, que du contraire.

Contrairement à l'inversion quasi-périodique du champ magnétique solaire qui suit une période de 22 ans, le champ magnétique terrestre est instable pour une raison inconnue, sans doute liée aux propriétés du noyau. Les inversions magnétiques sont espacées de 5000 à 60 millions d'années. La dernière inversion est survenue il y a 780000 ans et en moyenne il s'inverse tous les 250000 ans.

Certains géologues pensent que notre planète est en retard sur ce cycle qu'ils jugent quasi-périodique mais personne ne sait exactement quand se produira la prochaine inversion géomagnétique car globalement ces inversions ont un comportement chaotique. Elle peut donc se produire demain ou dans 60 millions d'années. Certains géophysiciens de l'AGU pensent toutefois que dans 1200 voire 2000 ans, les polarités seront inversées.

Simulation de l'inversion du champ géomagnétique réalisée en 1995 par Glatzmaier et Roberts au Pittsburgh Supercomputing Center (PSC) de Los Alamos. La période de transition (du 1er au 3e stade) dure environ 1000 ans.

La question qui se pose aujourd'hui est de savoir ce qu'implique une inversion de polarité du champ géomagnétique et que se passera-il le jour où le noyau de la Terre se refroidira ? A regarder les autres planètes ou satellites morts prématurément, Mars ou la Lune par exemple, certains considèrent que notre futur n'est pas très enviable; il n'est pas impossible en effet que la solidification du noyau nous prive non seulement de chaleur mais entraîne la disparition du champ magnétique global et... la mort de notre planète.

Toutefois cette hypothèse est purement spéculative. Des astrophysiciens ont suggéré en 2004 que si le champ magnétique terrestre disparaissait soudainement, les collisions entre le plasma ionisé du vent solaire et l'ionosphère pourraient générer des courants électriques suffisamment forts pour former un bouclier magnétique dont l'intensité serait comparable au champ géomagnétique actuel.

Par ailleurs, si on analyse les évènements qui se sont produits au cours de la dernière inversion magnétique, il semble que ce phénomène n'ait provoqué aucun effet chez les organismes vivants. En fait, nous sommes très peu sensibles aux effets magnétiques. Seuls les oiseaux et certaines créatures marines (les cétacés notamment) en tirent profit grâce à la magnétite contenue dans leurs cellules. Pour notre part, même si le coeur de la Terre devenait froid, cela ne changerait pas grand chose car notre principale source d'énergie reste le Soleil et nous sommes bien plus sensibles aux conditions météorologiques qu'aux variations magnétiques.

L'étude du champ géomagnétique est très complexe et commence seulement à livrer ses secrets. C'est un très intéressant champ d'études dont on reparlera certainement beaucoup dans les années à venir.

Corrélation entre l'activité de la croûte, du manteau et du champ géomagnétique

Cela fait des décennies et certainement depuis les années 1970 (cf. P.Voigt, 1972; G.Jones, 1977) que les géophysiciens estimaient qu'il y avait une relation entre le mouvement des plaques tectoniques, le flux du manteau et le taux d'inversion du champ géomagnétique mais, faute de données, ils ne pouvaient pas le démontrer. En effet, jusqu'à présent les chercheurs ne disposaient pas de suffisamment de données sur la variation des taux globaux de subduction au cours des derniers centaines de millions d'années et n'avaient donc rien à comparer avec les données sur les inversions géomagnétiques. Aujourd'hui les données sont disponibles et cette corrélation a enfin pu être confirmée.

Graphique combinant les données sur le taux de subduction et d'inversion magnétique complétées par des proxies sur l'inversion de polarité avec indication les époques de supersynchron (longues périodes sans inversion magnétique). Ci-dessous, illustration des lignes de force du champ géomagnétique près des pôles. Documents M.W.Hounslow et al. (2018) adapté par l'auteur et montage T.Lombry.

Dans une étude publiée en 2018 dans la revue "Tectonophysics", Mark W. Hounslow de l'Université de Lancaster et ses collègues ont montré qu'il faut environ 120 à 130 millions d'années pour que les plaques du plancher océanique coulent par subduction de la lithosphère à une profondeur suffisante dans le manteau interne où elles peuvent refroidir le noyau, déclenchant une circulation plus vigoureuse du fer liquide contenu dans le noyau externe, générant un plus grand nombre d'inversions du champ géomagnétique. En parallèle, les plaques refroidies qui ont coulé "au fond" du manteau déclenchent la remontée de plumes chaudes qui vont alimenter les points chauds sous la croûte terrestre dans un cycle convectif ininterrompu.

Cette étude est la première à démontrer cette corrélation mais les chercheurs doivent encore vérifier si elle bien causale. Selon Andrew Biggin, coauteur de cette étude, cela semble être le cas selon la compréhension que nous avons de la façon dont la croûte, le manteau et le noyau doivent interagir. Pour rappel, le champ magnétique est généré au plus profond de la Terre dans le noyau externe fluide et métallique qui génère des courants électriques qui, à leur tour, produisent des champs magnétiques. Le manteau étant légèrement fluide, cela suffit à produire des courants de convection qui sont fortement liés aux mouvements des plaques tectoniques mais affectent également le noyau en faisant varier la quantité de chaleur qui est transférée à l'interface noyau-manteau.

Les Ceintures de Van Allen et la SAA

Plus loin de la Terre, les premiers satellites artificiels ont mis en évidence deux ceintures de rayonnement, les Ceintures de Van Allen, dans le prolongement de l'équateur. Elles comprennent normalement deux composantes : la ceinture interne qui s'étend de 1000 à 13000 km d'altitude et la ceinture externe qui s'étend de 20000 à 40000 km d'altitude. "Normalement", car c'est ce qu'on pensait jusqu'à présent.

A gauche, positionnement de la station ISS et de quelques satellites (GPS, SDO, Probe A et B) par rapport aux Ceintures de Van Allen. A droite, en 2015 une troisième composante temporaire fut découverte dans les Ceinture de Van Allen, entre les ceintures externe et interne. Documents NASA adapté par l'auteur et NASA/JHUAPL/Andy Kale/U.Alberta.

Suite au lancement des sondes spatiales Van Allen en 2012, les géophysiciens ont fait deux découvertes importantes concernant ces ceintures. En 2015, Dan Baker et son équipe du LASP ont découvert une troisième ceinture de radiation entre les ceintures externe et interne. Son existence est temporaire (~4 semaines) et elle ne se génère qu'entre deux tempêtes solaires. En effet, le vent solaire n'est pas stable. En période d'intense activité solaire, une troisième ceinture temporaire se forme suite à ce que l'équipe de Ian Mann de l'Université d'Alberta appelle un "tsunami spatial". Il s'agit d'ondes de plasma d'ultra basses fréquences et ultra relativistes qui transportent des parties extérieures de la ceinture dans l'espace interplanétaire, laissant temporairement la place à la création d'une troisième ceinture de rayonnement.

Variation de la stucture des Ceintures de Van Allen en fonction de l'énergie des électrons et des conditions magnétosphériques. Document NASA/GSFC/LANL adapté par l'auteur.

Indirectement, ces "tsunamis" de plasma réduisent le risque d'irradiation des satellites pendant les autres tempêtes spatiales. Le risque n'est pas uniquement la dégradation des satellites opérationnels mais ces courants électriques peuvent aussi endommager les infrastructures électriques au sol et potentiellement causer globalement jusqu'à 2 milliards de dollars de dommages principalement au Canada et dans le nord des Etats-Unis où les aurores et blackouts sont très fréquents.

Ensuite, comme l'explique cet article de Geoffrey D. Reeves et son équipe publié en 2016 et qui fut vulgarisé par le LANL, la structure des ceintures varie avec l'énergie des électrons et les conditions magnétosphériques. Ainsi, comme on le voit à gauche, pendant les tempêtes géomagnétiques (schéma 4), il n'y a plus deux ou trois ceintures mais une seule. La région vide entre les deux ceintures se remplit d'électrons de basse énergie, typiquement de l'ordre de 0.8 MeV. Même constat quand on analyse la densité des électrons de plus de 1 MeV (schéma 2); ils se rassemblent exclusivement dans la partie externe, formant une seule Ceinture de Van Allen.

Ces ceintures piègent les protons et les électrons issus du Soleil et s'y accumulent. Les particules qui ne sont pas piégées sont entraînées vers les pôles et pénètrent dans la haute atmosphère (ionosphère) où elles provoquent des aurores polaires, le phénomène de fading et des orages magnétiques qui peuvent aller jusqu'au blackout et la défaillance des satellites.

Dans l'Atlantique Sud, suite à une inversion du champ géomagnétique, cette ceinture descend sous 500 km d'altitude, c'est l'"Anomalie Atlantique Sud" ou SAA (South Atlantic Anomaly). Des protons de plus de 50 MeV y circulant, cette anomalie géomagnétique entraîne des perturbations sur les satellites orbitant à cette altitude et traversant cette région. Ainsi, lorsque la station spatiale ISS traverse cette région, les images enregistrées par les caméras CCD sont parasitées comme le montrent ces vidéos en temps réel (et ce lien vers le blog pour les explications).

Comme on le voit ci-dessous à gauche, au niveau géomagnétique ce phénomène est lié à une tache de flux inverse située à cet endroit dans l'hémisphère sud. Au cours des deux derniers siècles, le champ géomagnétique perdit en moyenne ~9% de son intensité, son intensité minimale passant d'environ 24000 nT à 22000 nT entre 1969 et 2019.

Nous y reviendrons à propos de certains phénomènes OVNI soi-disant inexpliqués et de l'impact du rayonnement solaire sur les satellites artificiels.

A voir : South Atlantic Anomaly impact radiation, ESA, 2020

Ci-dessus à gauche, altitude de l'Anomalie de l'Atlantique Sud (SAA) par rapport à la surface terrestre et de l'orbite de 500 km. A droite, l'extension de la SAA enregistrée par le satellite SWARM en 2019. Ci-dessous à gauche, les débits de doses de rayonnement à différentes altitudes. A l'altitude des avions de ligne, on reçoit 50 fois la dose reçue au niveau de la mer. Les capteurs de rayonnement placés à bord des ballons à l'hélium détectent les rayons X et gamma dans la plage d'énergie de 10 keV à 20 MeV. Ces énergies sont équivalentes à celles utilisées lors des radiographies médicales et les scanners de sécurité des aéroports. A droite, extension géomagnétique de la tache de flux inverse à l'origine de la SAA (en rouge). Documents ESA/ESTEC, ESA/DTU Space, Spaceweather adaptés par l'auteur et DMI.

Découverte de la barrière des ondes VLF

En 2017, les sondes Van Allen de la NASA détectèrent un  phénomène étrange en surveillant l'activité des particules chargées capturées par le champ géomagnétique : ces dangereuses particules chargées étaient tenues à distance par une sorte de barrière basse fréquence. Lorsque Tamas I. Gombosi de l'Université du Michigan et ses collègues de la NASA ont approfondi le sujet, ils ont découvert que cette barrière électromagnétique éloigna les Ceintures de Van Allen au cours des dernières décennies. En effet, de nos jours les limites inférieures des ceintures sont plus éloignées de la Terre que dans les années 1960. Cette découverte fit l'objet d'un article publié dans les "Space Science Reviews" en 2017 et sur le site du centre Goddard de la NASA.

Que s'est-il passé ? Il apparaît que les communications radios à très basse fréquence, VLF, sont devenues beaucoup plus courantes de nos jours que dans les années 1960. Selon les chercheurs cela peut influencer la manière dont certaines particules se déplacent dans l'espace proche. En d'autres termes, grâce aux ondes VLF, nous avons à présent une météorologie spatiale d'origine anthropique (ou artificielle) ! En effet, selon Phil Erickson de l'observatoire Haystack du MIT dans le Massachusetts et coauteur de cette étude, "Un certain nombre d'expériences et d'observations ont montré que dans les bonnes conditions, les signaux de radiocommunication dans la gamme des fréquences VLF peuvent affecter les propriétés de l'environnement des rayonnements de haute énergie autour de la Terre."

Les fréquences VLF sont comprises entre 3 et 30 kHz soit entre 10 et 100 km de longueur d'onde. Les signaux sont beaucoup trop faibles pour transporter des transmissions en phonie (de l'audio), mais ils sont parfaits pour transmettre des messages codés sur de longues distances ou sous l'eau. Les VLF sont utilisées depuis des décennies par les sous-marins qui peuvent ainsi communiquer en remontant près de la surface dans une épaisseur d'environ 20 mètres d'eau (au-delà ils doivent utiliser les ondes ELF, inférieures à 3 kHz). Etant donné que ces grandes longueurs d'ondes peuvent facilement se diffracter autour de grands obstacles tels que des chaînes de montagnes, elles sont également utilisées par les trois armées pour assurer des transmissions en terrains difficiles.

A voir : NASA's Van Allen Probes Find Human-Made Bubble Shrouding Earth

Les humains façonnent depuis longtemps le paysage terrestre, mais maintenant les scientifiques savent que nous pouvons également façonner notre environnement spatial proche. En 2017, on a découvert que les signaux des ondes VLF interagissent avec les particules dans l'espace, affectant comment et où elles se déplacent. Parfois, ces interactions peuvent créer une véritable barrière autour de la Terre contre le rayonnement naturel composé de particules de haute énergie. Document NASA/GSFC.

A force d'émettre des ondes VLF à usage terrestre, elles se sont infiltrées dans l'espace entourant notre planète et y sont restées suffisamment longtemps pour former une bulle protectrice géante comme l'explique la vidéo ci-dessus.

Lorsque les chercheurs ont comparé les limites de la bulle VLF à celles des Ceintures de Van Allen, ils les ont d'abord considérées comme une coïncidence intéressante. Selon la NASA, "l'étendue extérieure de la bulle VLF correspond presque exactement au bord intérieur des Ceintures de Van Allen". Mais une fois qu'ils ont réalisé que les ondes VLF peuvent réellement influencer le mouvement des particules chargées à l'intérieur de ces ceintures de rayonnement, ils se sont rendus compte qu'elles forment une véritable barrière artificielle non intentionnelle les repoussant progressivement. Dan Baker, du Laboratoire de physique atmosphérique et spatiale de l'Université du Colorado et coauteur de cette étude, a qualifié cette structure de "barrière impénétrable".

Bien que notre bulle de protection VLF soit probablement la meilleure influence que les humains aient exercée sur l'espace entourant la Terre, ce n'est certainement pas la seule. En effet, comme le rappellent Gombosi et ses collègues, nous savons que les activités humaines ont laissé leur empreinte dans l'espace depuis le XIXe siècle et en particulier depuis les années 1950 avec les explosions nucléaires en atmosphère. Selon la NASA, "Ces explosions ont créé des ceintures de rayonnement artificielles près de la Terre qui ont causé des dommages majeurs à plusieurs satellites. D'autres impacts anthropiques sur l'environnement spatial comprennent des expériences de libération de produits chimiques, le chauffage de l'ionosphère par des ondes à haute fréquence et l'interaction des ondes VLF avec les Ceintures de Van Allen."

Les ouragans spatiaux l'effet des ondes KH

Comme l'effet papillon dans la théorie du chaos, dans l'espace interplanétaire de légères fluctuations du vent solaire s'écoulant le long du bouclier géomagnétique peuvent modifier la vitesse et la force des "ouragans spatiaux" (space hurricanes) comme les appellent les scientifiques.

La physicienne Katariina Nykyri de l'Université Aéronautique Embry-Riddle (ERAU) à Daytona Beach en Floride et son équipe ont étudié pendant sept ans l'amplitude et la vitesse des fluctuations du vent solaire aux limites de la géomagnétosphère grâce aux cinq satellites THEMIS (Time History of Events and Macroscale Interactions during Substorms) financés par la NASA en coopération avec le CNES qui furent lancés en 2007.

Les résultats de leur étude furent publiés dans le "Journal of Geophysical Research" en 2017 dans lequel les chercheurs décrivent pour la première fois le mécanisme par lequel les fluctuations du vent solaire génèrent ces ouragans spatiaux.

Illustration combinant des données géomagnétiques de la NASA (JHUAPL) et des simulations MHD de l'espace proche de la Terre. On distingue la magnétosphère, la queue géomagnétique et les couches limites avec des ondes géantes de Kelvin-Helmholtz surnommées les "ouragans spatiaux". Ces ondes KH on une activité saisonnière. Document K. Nykyri et al./ERAU.

Ces structures se manifestent à la frontière entre le vent solaire et le bouclier magnétique terrestre par un phénomène connu sous le nom d'instabilité de Kelvin-Helmholtz (KH) que les experts en thermodynamique et notamment les météorologistes connaissent très bien (cf. ces formations nuageuses formées par la turbulence des ondes KH).

Selon Nykyri, à mesure que le vent solaire balaie la limite extérieure du champ géomagnétique, il peut occasionnellement produire des vortex géants d'ondes KH mesurant entre 10000 et 40000 km de diamètre et jusqu'à 15000 km de hauteur (d'amplitude) et 40000 km de longueur le long de la couche limite comme illustré à droite.

Le vent solaire même le plus rapide (1200 km/s) ou le plus énergétique ne peut pas traverser directement le bouclier magnétique de la Terre. En revanche, en percutant le bouclier de la magnétosphère, il génère des ondes KH tout aussi dangereuses.

 Les ondes KH représentent l'un des principaux mécanismes par lequel le vent solaire transporte l'énergie, la masse et l'impulsion du plasma dans la magnétosphère.

Nykyri et ses collègues ont découvert que les fluctuations de la vitesse du vent solaire à hauteur du magnétosheath (devant la Terre, là où le vent solaire est choqué) affectent la taille et les propriétés des ondes KH spatiales. Lorsque la vitesse du vent solaire s'accentue, les fluctuations sont plus importantes et génèrent des ouragans spatiaux de plus grandes tailles capables de transporter davantage de particules.

On sait par exemple que le vent solaire peut exciter des ondes d'ultra basses fréquences (ULF) et déclencher une instabilité KH qui va alimenter les Ceintures de Van Allen en particules.

Ces ondes KH sont des phénomènes universels qu'on retrouve également à hauteur de la couche limite des CME émises par le Soleil ainsi que dans les magnétosphères de Jupiter, Saturne et d'autres planètes disposant d'un champ magnétique.

Par ailleurs, en plus de jouer un rôle dans le transport de l'énergie et de la matière éjectées par le Soleil, les ondes KH fournissent également un moyen efficace pour chauffer le plasma jusqu'à des millions de degrés (cf. Thomas Moore et al., 2016) et peuvent donc représenter une variable importante pour expliquer le chauffage de la couronne solaire. Ces ondes KH pourraient également être utilisées pour générer des barrières de transport et confiner le plasma dans les installations de plasma de fusion (cf. les Tokamaks en recherche nucléaire).

Ondes KH et prévisions du temps spatial

Dans un article publié dans la revue "Nature Communications" en 2023, Shiva Kavosi, associé de recherche à l'ERAU et ses collègues ont montré que les variations saisonnières et quotidiennes de l'inclinaison magnétique de la Terre peuvent déclencher des changements dans les ondes spatiales KH de grande longueur d'onde. Ainsi, les ouragans spatiaux se produisent beaucoup plus fréquemment au printemps et en automne, tandis que leur activité est faible en été et en hiver.

Selon Kavosi, "Grâce à ces ondes, les particules de plasma du vent solaire peuvent se propager dans la magnétosphère, entraînant des variations des flux des Ceintures de rayonnement."

Nykyri précité nous rappelle que "pour une prévision précise de la météo spatiale, il est crucial de comprendre les mécanismes détaillés qui affectent le développement et les propriétés des ouragans spatiaux."

Les connaissances que peuvent nous apporter les ondes KH permettront de mieux comprendre l'action du vent solaire, en particulier les interactions des ondes KH avec l'environnement géomagnétique et pourraient à terme permettre aux scientifiques d'améliorer les prévisions du temps spatial, la sécurité des astronautes et rendre la navigation par satellite plus sûre à travers les Ceintures de rayonnement.

Selon Kavosi, "Les évènements météorologiques spatiaux représentent une menace croissante, mais dans de nombreux cas, nous ne comprenons pas exactement ce qui les contrôle. Tout progrès que nous pourrons faire dans la compréhension des mécanismes à l'origine des perturbations météorologiques spatiales améliorera notre capacité à fournir des prévisions et des avertissements."

A gauche, schéma du dipôle géomagnétique dans les systèmes de coordonnées GSM et GSE au solstice d'été (a) et à l'équinoxe de printemps (b). (c) illustre la Terre sur son orbite autour du Soleil et la projection de l'orientation de ses axes de rotation (flèche noire) et magnétique (flèche bleue). A droite, les oscillations ou variations saisonnières des ondes KH au niveau de la magnétopause. Le taux d'occurrence relatif des ondes KH est maximal aux équinoxes et minimal aux solstices. Consultez l'article académique de Shiva Kavosi et al. (2023) pour plus de détails.

Pour expliquer les causes des variations saisonnières et diurnes de l'activité géomagnétique, les chercheurs ont émis plusieurs hypothèses. Par exemple, l'effet Russell-McPherron (R-M), décrit pour la première fois en 1973, explique pourquoi les aurores sont plus fréquentes et plus lumineuses au printemps (mars) et en automne (septembre) - aux équinoxes - du fait de l'interaction de l'inclinaison du dipôle de la Terre et d'un petit champ magnétique près de l'équateur du Soleil. Notons que les astronomes avaient déjà remarqué que la projection héliographique de l'orbite de la Terre sur le Soleil en mars et en septembre se situe en dehors de la zone de l'équateur solaire ( > 15°) là où les régions actives et les taches solaires se développent.

Selon les auteurs "l'activité des ondes KH présente des variations saisonnières et diurnes, indiquant le rôle critique de l'inclinaison dipolaire dans la modulation des ondes KH à travers la magnétopause en fonction du temps." L'effet R-M n'est donc pas la seule explication de la variation saisonnière des activités géomagnétiques et pourrait agir simutanément avec le dipôle terrestre.

À l'avenir, les constellations d'engins spatiaux évoluant dans le vent solaire et la magnétosphère pourraient expliquer plus complètement la physique complexe et multi-échelle des phénomènes météorologiques spatiaux. Selon Katariina Nykyri, professeur de physique et directrice associée à l'ERAU, "Un tel système permettrait de publier des avertissements avancés de la météo spatiale pour informer les opérateurs des lancements de fusées et des réseaux électriques."

Les vibrations de la magnétopause

Grâce à la sonde spatiale THEMIS lancée en 2007 les géophysiciens ont finalement compris quelle était l'origine des vibrations détectées dans la magnétopause vers 1974 et restées sans explication bien que les théories spéculatives étaient déjà sur la bonne voie. Dans un article publié dans la revue "Nature" en 2019, l'équipe de Martin Archer de l'Université Queen Mary de Londres a finalement trouvé l'explication sur base d'évènements concrets : ces vibrations sont provoquées par le vent solaire qui percute les lignes de force du champ géomagnétique à l'image de la membrane d'un tambour qui vibre quand on la frappe. Les vidéos suivantes expliquent ce phénomène.

A voir : The Sounds of Earth's Magnetic Drum in Space, THEMIS

Earth's Magnetic Field Vibrates Like a Drum

La magnétosphère

Ionogramme

MOV de 275 Kb

GIF de 635 Kb

Documents NASA/Geophysical Institute/U.Alaska.

Ce nouveau type d'onde vient donc s'ajouter aux ondes magnétosoniques qui produisent des impulsions dans le plasma (les fameux sons de la magnétosphère) et aux ondes d'Alfvén qui résonnent le long des lignes du champ géomagnétique.

L'ionosphère

Historiquement, c'est le mathématicien et physicien allemand Karl Friedrich Gauss qui postula en 1839 l'existence de régions conductrices dans l'atmosphère pour expliquer les fluctuations observées dans le champ magnétique terrestre (cf. K.F. Gauss, "Allgemeine Theorie des Erdmagnetismus", 1839, §36).

En 1893, le physicien irlandais George Francis FitzGerald (1852-1901) proposa que la haute atmosphère de la Terre devait être assez bonne conductrice. En supposant que cette région se situait à environ 100 km d'altitude, il estima la période des ondes électromagnétiques les plus longues (de ce qu'on appelle aujourd'hui le mode le plus bas de la résonance de Schumann) à 0.1 seconde soit 1 Hz ou ~300000 km. Cependant, la découverte de FitzGerald présentée lors d'une conférence de l'Association britannique pour l'avancement de la science ne fut que brièvement mentionnée dans une communication de la revue "Nature" (vol. 526, 1893) et resta passablement ignorée au point que certains sites encyclopédiques actuels ne la mentionnent toujours pas.

FitzGerald avait des idées avantgardistes. Pour être complet, rappelons qu'en 1892 il étudia l'expérience de Michelson-Morley et proposa l'idée qu'un corps se déplaçant à la vitesse v semble subir une contraction de longueur proportionnelle à (v/c)2, relation connue sous le nom de contraction ou facteur de Lorentz qu'on retrouvera en relativité. En 1900, FitzGerald proposa également l'idée que le magnétisme pourrait être dû à la rotation des électrons, une génération avant l'invention du concept de spin de l'électron par George Uhlenbeck et Samuel Goudsmit en 1925.

Il faudra attendre le 12 décembre 1901 pour que Guglielmo Marconi, utilisant une antenne de réception soutenue par un cerf-volant capte le premier signal radio transatlantique.

Puis, en 1902 Oliver Heaviside et Arthur Kennelly furent les premiers à suggérer l'existence d'une ionosphère capable de piéger les ondes électromagnétiques. Mais il fallut encore patienter vingt ans pour qu'Edward Appleton et Miles Burnett prouvent expérimentalement l'existence de l'ionosphère en 1925. C'est le 8 novembre 1926 que le physicien écossais Robert Watson-Watt introduisit le terme ionosphere dans une lettre ... qui ne sera publiée dans la revue "Nature" qu'en 1969 (vol. 224, p1096).

Bien que certains des outils mathématiques les plus importants pour travailler avec des guides d'ondes sphériques aient été développés par le mathématicien George Neuville Watson en 1918, il explora d'abord l'aspect théorique de l'ionosphère. Mais voyons concrètement de quoi il s'agit.

Bien plus bas que le champ géomagnétique, entre 50 et 500 km d'altitude environ, la haute atmosphère contient des particules ionisées qui forment l'ionosphère (cf. la rubrique radioamateur rédigée en anglais). Elle se stratifie en trois couches, D, E et F, dont les propriétés électromagnétiques permettent des communications sur de longues distances. Comment s’est-elle formée et pourquoi à ces altitudes ?

A gauche, la formation de l'ionosphère. La densité de l’air diminue avec l’altitude (gauche) mais la quantité d’UV extrême solaire augmente avec l’altitude (centre). Résultat (droite), la densité de l’ionosphère est donc maximale à une certaine altitude qui se situe vers 50 km. Ce type de structure est donc commun à toutes les planètes disposant d'une atmosphère, avec des intensités et des hauteurs variables. A droite, l'ionosphère est le principal support des communications radios à longue distance (>3000 km) par ondes-courtes dans les bandes MF, HF et VHF. Document T.Lombry et Navy adapté par l'auteur.

Comme illustré ci-dessus à gauche, la présence de l'ionosphère est le résultat de deux phénomènes opposés : d'une part la densité de l'atmosphère neutre diminue avec l'altitude et d'autre part la quantité d’UV extrême augmente avec l'altitude. La combinaison de ces deux processus crée à une certaine altitude une densité maximale correspondant aux couches ionosphériques.

La couche F, la plus éloignée, se situe vers 200 km d'altitude. Sa densité est de l'ordre de 2 millions d'électrons/cm3, une valeur qui varie en fonction de la quantité d'ultraviolet qu'elle reçoit du Soleil. Pendant la journée cette couche se divise en F1 (vers 250 km) et F2 (entre 300 et environ 500 km).

La couche E se situe entre 90 et 150 km d'altitude. Sa densité suit fidèlement le cycle solaire. C'est une couche sporadique. Certaines zones ionisées se déplacent à 400 km/h, perturbant les télécommunications. Cette couche tente à disparaître la nuit comme le montre bien l'animation présentée ci-dessous.

La couche D se situe aux alentours de 50 à 90 km d'altitude et offre la particularité d'absorber les ondes-courtes. Sa densité n'atteint pas 10000 électrons/cm3 et n'est pas mesurable de nuit. Elle reste malgré tout un obstacle majeur après les éruptions solaires chromosphériques car ces dernières provoquent indirectement une interruption totale des communications : ce sont les perturbations ionosphériques brusques.

Dans la troposphère enfin, en dessous de 11 km d'altitude (vers 40-50° de latitude), suite à des effets d'inversion de température (inversion thermique, anticyclone) les couches de la troposphère, telles des couloirs aériens, peuvent guider les signaux radioélectriques sur des milliers de kilomètres.

A propos des Phénomènes Lumineux Transitoires (TLE)

Alors que nous étudions et traversons l'atmosphère en tout sens depuis bientôt un siècle, l'ionosphère nous réserve encore des surprises. A côté des éclairs de rayons gamma que l'on a détecté dans l'ionosphère, depuis plusieurs décennies des pilotes civils et militaires ont déclaré avoir observé des éclairs au-dessus des nuages d'orages. Mais à chaque fois les météorologistes leur répondirent qu'il était impossible qu'un éclair soit orienté vers l'espace. Or ces pilotes n'avaient pas rêvé : ils avaient bien observé un éclair dans la haute atmosphère.

Le sujet étant passionnant, nous lui avons consacré l'article intitulé les phénomènes lumineux transitoires où nous décrirons les différents types de TLE, jets, sprites et autres elfes.

Prochain chapitre

Composition de l'atmosphère

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