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L'accident de Tchernobyl réinterprété par la Pravda

L'article concerné de la Pravda du 12 mai 2005.

Quand on prête à la science le mauvais rôle (I)

Je considère qu'un journaliste d'investigation respectueux de l'éthique, respectant la déontologie et souhaitant mener une enquête objective et complète sur un sujet devrait toujours adopter la devise "critiquer et ne pas être criticable".

Critiquer un sujet n'est jamais une tâche facile car il faut respecter plusieurs règles : avoir l'esprit très critique, l'esprit d'analyse, s'entourer de compétences à la hauteur du sujet si on ne les possède pas soi-même, contrôler ses informations en les recoupant par des voies diverses,  et enfin rester objectif, c'est-à-dire bien garder à l'esprit qu'il faut informer le lecteur sans interpréter les faits, au risque de reproduire les erreurs de celui qu'on critique et de devenir soi-même criticable.

Une nouvelle fois, c'est l'objectif que je me suis fixé en analysant le compte rendu d'un article publié en anglais dans la Pravda le 12 mai 2005 intitulé "Une anomalie naturelle responsable du désastre de Tchernobyl". C'est ce titre inattendu qui a alarmé mon sens critique comme celui de tout lecteur je l'espère.

Rappelons que par le passé la Pravda prétendit avoir trouvé des preuves irréfutables de la présence des extraterrestres dans les archives du KGB... Ceci en dit déjà long sur le sens critique de ce journal.

Pour tenter de comprendre ce qui s'était passé ce 26 avril 1986 à Tchernobyl, certains scientifiques et des journalistes à la déontologie plus que douteuse ont essayé de nous faire croire que l'accident avait une cause naturelle. Ils ont donc soi-disant mener une enquête "scientifique" pour exclure la responsabilité du personnel de la centrale et de l'exploitant dans cet accident.

L'éditeur n'a pas pris la peine de prévenir les lecteurs que l'article n'engageait que son auteur et que ses conclusions n'étaient pas approuvées par les experts ayant participé aux différentes commissions d'enquêtes. Il va sans dire que je lui ai signifié mes remarques, histoire de réveiller sa déontologie, bien que je ne me fasse aucune illusion à son sujet. Il n'a bien sûr pas répondu. Voici un résumé de sa dernière allégation, en respectant autant que possible le vocabulaire utilisé par l'auteur. Nous critiquerons le texte séparément dans les pages qui suivent.

Une anomalie naturelle responsable du désastre de Tchernobyl (dixit la Pravda)

Selon cet article, en 2005 des scientifiques russes et ukrainiens ont avancé une nouvelle hypothèse à l'origine de l'accident de Tchernobyl, théorie qu'ils ont communiquée à l'AIEA.

Ils s'étonnent en effet que la Commission d'Etat qui enquêta sur les causes de l'accident proposa trois versions possibles. La première porte l'accusation sur des terroristes qui se seraient introduits dans la salle de commande du réacteur N°.4 et auraient fait exploser les installations. Une autre version rend les opérateurs de service cette nuit là responsables de l'accident. Leurs négligeances auraient provoqué l'emballement du réacteur. Et enfin, précise l'auteur de l'article, une dernière version met en cause la conception de la centrale de Tchernobyl.

Le sarcophage de Tchernobyl en décembre 1995. Document Greenpeace.

Valery Vasiliev qui, précise l'article, travailla pour l'AIEA entre 1984 et 1988 et durant 30 ans au Ministère soviétique de l'Energie Nucléaire s'étonne que les rapports officiels ne mentionnèrent pas les anomalies géophysiques précédent le désastre, sous-entendant probablement qu'ils auraient pu être à l'origine de l'accident.

En effet, selon ses propos, les chercheurs de l'Institut de Météorologie de l'Académie des Sciences d'Ukraine auraient découvert que l'atmosphère au-dessus de la région de Tchernobyl accusa des hausses et des baisses abruptes de pression plusieurs fois durant les deux semaines précédent la catastrophe. Certaines informations déclassifiées comme il dit montreraint qu'une déflection des ondes dans la couche ionosphérique se produisit au même moment dans la région. Leur opinion serait partagé par les experts de l'Institut de Recherche Kharkov de Radio Ingénierie et d'Equipement d'Automation.

Une équipe de scientifiques russes et ukrainiens ont également découvert d'étranges coupures de courant qui commencèrent à toucher les villes et villages proche de Tchernobyl deux semaines avant l'accident. Ils découvrirent également que les équipements électroniques industriels sont tombés en panne et que le taux d'accidents de la route furent plus nombreux à cette époque qu'en temps normal. Vasiliev n'apporte toutefois aucune preuve pour étayer ses propos.

En étudiant les séismogrammes remontant à l'époque de Tchernobyl, les scientifiques firent une autre découverte sensationnelle. Une commission spéciale conclut qu'un tremblement de terre régional se produisit dans les environs de Tchernobyl 20 secondes avant l'explosion du réacteur. "Jusque récemment personne ne semblait faire attention à ce fait qui ne pris que 20 secondes pour mettre le réacteur hors d'usage" s'étonna l'Académicien Vitaly Starostenko, directeur de l'Institut Ukrainien de Géophysique, également membre de l'Académie National des Sciences d'Ukraine.

Des flôts de lave solidifiée étaient suspendus aux murs d'une salle située dans les fondations de la centrale. Pour les experts, cela ressemblait beaucoup aux conséquences d'une éruption volcanique !

Selon Vasiliev, "c'est un plasma porté à haute température qui pénétra dans le complexe par les fractures du sol et s'activa durant un prétendu processus pathologique de perturbation de tous les champs et de l'environnement". Il pense que les conditions météos particulières régnant à cette époque et le tremblement de terre précédent l'accident furent les signes avant-coureurs et de mauvaise augures de l'accident ultérieur.

La centrale de Tchernobyl a été construite sur une zone particulière qui conjugue des failles linéaires et deux zones de fractures concentriques (voir cartes page 4). Nous savons depuis le tournant du XXe siècle que les scientifiques ont découvert l'existence de fractures dans l'écorce terrestre et l'effet dramatique qu'elles peuvent provoquer sur la résistance structurelle des buildings.

Selon les chercheurs de l'Institut de Physique de la Terre soviétique, le choix d'implantation d'une centrale nucléaire dépendait avant tout de sa proximité d'un grand fleuve. C'était un facteur clé pour les autorités soviétiques dans les années 1960. En effet, une grande quantité d'eau est nécessaire pour refroidir les réacteurs. Etant donné que de profondes fractures se trouvent normalement à proximité des rivières et des nappes phréatiques, toutes les centrales de puissance furent construites dans les endroits les plus difficiles en terme d'ingénierie et de conditions géologiques.

Selon l'auteur, les scientifiques russes pensent aujourd'hui qu'une source extérieure d'énergie aurait déclenché une montée de plasma à haute température des entrailles de la Terre le long d'une fracture qui s'est régénérée et provoqua l'explosion. Son argument est de considérer que si la Terre est constamment balayée par de l'énergie venant de l'espace, il existe plusieurs manières pour qu'elle soit évacuée. Les zones de fractures seraient la manière la plus simple.

Pour Valery Vasiliev, cette activité géophysique a toujours un effet négatif sur les corps et dans l'esprit de ceux qui travaillent dans la région sensible. Il fait remarquer que les opérateurs qui étaient ce jour là de service à Tchernobyl (et qui ont sous-estimé les effets du désastre) ont réellement travaillé de manière héroïque au point d'y perdre la vie. Ils furent accusés de négligeance et d'avoir conduit à l'emballement de la réaction en chaîne. Les résultats des test conduits dans les hôpitaux devraient clairement démontrer qu'il s'agit d'allégations. Les tests n'ont pas montré de traces de sodium-24, un composé neutronique, dans leur sang. Selon Vasiliev, si ces techniciens avaient réellement été à l'origine de l'accident, leur sang aurait montré la présence de cette substance neutronique. -Fin de l'article.

En complément précisons que l'association "Sortir du Nucléaire" avait repris sur son site un article publié en 2001 par le magazine "Historia" (N° 655) qui soutient cette thèse alors qu'elle n'a pas le moindre soupçon de preuve à apporter, ne faisant que recopier des propos sans chercher à les confirmer et les valider. Agir de la sorte ne respecte pas du tout le devoir d'enquête ni la déontologie journalistique. Tout le monde peut recopier des articles, c'est le fond de commerce de beaucoup d'amateurs. Si ces deux associations souhaitent garder leur crédibilité, il serait prudent qu'elles accompagnent leur article d'un avertissement destiné aux lecteurs. Avis à leur rédacteur respectif.

En quête de crédibilité

Que faut-il penser de cet article de la Pravda ? Connaissant l'intérêt des scientifiques russes pour les pseudosciences et leur propention à vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué, connaissant également les conclusions de certaines enquêtes et des modèles numériques réalisés par la suite, ces propos ont a priori quelque chose d'anachronique; ils font référence à des scientifiques mais discutent d'hypothèses a priori sans fondement, ce qui ne leur est pas habituel. Même quand ils discutent des extraterrestres, les Soviétiques fondent leur théorie sur une base réelle (un nouveau signal non identifié découvert par un radiotélescope par exemple dans le cas du quasar CTA 102); la rumeur n'est jamais totalement infondée.

Par ailleurs quand il s'agit de publier un article dans un magazine ou un journal, avant publication un auteur qui aurait découvert des faits troublants fait généralement appel aux services d'un institut de recherches et éventuellement d'un journaliste d'investigation. Avant de les publier, si l'enquêteur constate que les propos de l'auteur sont sujets à polémique ou contiennent des accusations gratuites, il demandera à l'auteur : "Avez-vous des preuves ?" A quoi généralement l'auteur répondra : "Si j'avais des preuves je ne vous demanderais pas d'enquêter", et en substance, "si je souhaite le publier chez vous c'est que je pense que le magazine 'Nature' ne l'acceptera pas"... Ces propos s'appliquent pratiquement à l'article de la Pravda. Seule différence, les auteurs cités étant de renommée internationale (voir plus bas), certains éditeurs prendront d'office leur théorie au sérieux sans même se renseigner et la publieront, comme ce fut le cas de l'étude réalisée par Vitaly Starostenko et ses collègues sur l'éventuel séisme qui précéda l'explosion.

J'ai donc enquêté sur le sujet par curiosité, histoire de connaître la vérité et éventuellement en informer le lecteur pour qu'il ne se berce pas d'illusions si mes conclusions étaient différentes de celles de l'auteur.

En effet, pour le lecteur ayant une formation scientifique, si certains propos semblent plausibles, l'essentiel présente les caractéristiques d'accumulation de commentaires pseudoscientifiques qui me rappellent l'astrologie ou les scénarios des films "Men In Black" ou "X-files". L'auteur parle de source extérieure d'énergie capable de déclencher des remontées de plasma des entrailles de la terre, d'événements non mentionnés dans les rapports officiels, de commission d'enquête sans nom, et bien sûr l'auteur étant en quête de crédibilité, il cite de prestigieux instituts pour appuyer ses propos. On retrouve exactement la même trame romanesque que dans l'affaire de Roswell ou de la Zone 51. Est-ce pour autant suffisant pour traiter l'auteur de pseudoscientifique et son article de nouvelle de science-fiction ? Sûrement pas. Rien ne dit en effet que l'auteur a sciemment voulut propager une rumeur ou qu'il a simplement voulut mettre en avant une hypothèse peu supportée mais intéressante.

Il me parut donc intéressant d'étudier le sujet pour déterminer la réalité ou la probabilité des phénomènes physiques dont parle l'auteur et en complément, si l'affaire s'avérait être un canular, essayer de comprendre les motivation de Valery Vasiliev.

Comme indiqué plus haut, il était donc impératif de rester objectif et d'enquêter sur le sujet sans a priori; surtout ne pas considérer d'avance que tout était faux et chercher à le confirmer. Au contraire, je devais essayer de retrouver les mêmes informations que celles utilisées par Vasiliev et tenter d'en tirer mes propres conclusions. Ensuite seulement je pourrais comparer et interpréter les deux résultats, vérifier leurs similitudes ou leurs différences pour finalement conclure avec un bon degré de confiance.

Collecte des informations

Nous verrons plus bas que si Vasiliev est un chimiste, son article discute de sujets en dehors de ses compétences professionnelles : physique des plasma, radioélectricité, géologie, géophysique, astronomie, météorologie, statistique, etc. Or ni son curriculum vitae ni l'article n'indique nullement qu'il soit également ingénieur en électronique, astrophysicien, géologue, géophysicien, météorologiste ou statisticien. N'étant moi-même pas un expert dans tous ces domaines, et disposer de "connaissances" ou même d'une formation n'étant pas toujours suffisante pour juger une théorie, il a donc fallu que j'interroge des experts dans chacune de ces disciplines pour valider ou invalider les observations de Vasiliev.

Un après-midi j'ai donc pris mon courage à deux mains car, que je sois un scientifique amateur ou un professionnel, je savais très bien qu'aborder un sujet aussi polémique avec des professeurs en chaire d'université et des docteurs en sciences attachés à des instituts de recherches pouvait me faire passer pour un farfelu et la question passerait aussi vite à la trappe. Je n'avais rien à perdre que du contraire, restait seulement à leur présenter le sujet de manière honnête, diplomatique et ciblée pour ne pas tomber dans la pataphysique !

J'ai donc contacté différentes autorités concernées par l'un ou l'autre sujet et en priorité mes relations dans le monde scientifique. J'ai demandé à chaque chercheur s'il avait des données sur la période ou sur l'événement concerné, leur signalant au besoin que je cherchais à valider ou infirmer certaines théories. J'invitais en suspens certains chercheurs à consulter l'article de la Pravda par simple curiosité et me donner leur opinion à son sujet, leur précisant d'emblée que je le considérais comme de la désinformation pseudoscientifique pour rester poli mais que le doute subsistait.

J'ai ainsi été en relation avecVitaly Starostenko de l'Institut Ukrainien de Géophysique de Kiev et éditeur du "Geophysical Journal" qui est nommément cité dans l'article. J'ai contacté des experts à l'AIEA et l'OMM, des astronomes, des physiciens et des géophysiciens à l'IPS, la NASA (MSFC, GSFC), le ROB, l'ULg et  l'USGS. En parallèle j'ai interrogé les bases de données géophysiques du Caltech, de la NOAA (NGDC, SPIDR) et de l'USGS. Pour les questions météo, j'ai contacté le Met Office anglais et interrogé la base de données de l'ECMWF. Enfin, j'ai mené mon enquête auprès du département de la Justice américaine (Office of Justice Programs) qui dispose de statistiques internationales concernant la criminalité et le nombre d'accidents de la route ou aérien survenus en Russie et en Ukraine. En parallèle, j'ai trouvé sur Internet quelques bases de données et des rapports très intéressants, tous bien sûr de première main, de sources scientifiques.

Il y a peu de références russes car bien que j'ai contacté plusieurs instituts en Ukraine et en Russie, mes courriers sont restés sans suite à l'exception de ceux adressés à V.Starostenko et ceux envoyés à des fins d'enquêtes préliminaires et sur lesquels nous reviendrons page suivante.

La communication avec la communauté scientifique russe semble difficile. Même les scientifiques américains ou européens que j'ai contacté à l'USGS et à l'AIEA n'ont pas été en mesure de recevoir d'information de leurs collègues russes. C'est d'autant plus étonnant que plusieurs instituts dont l'Université de Kharkov en Ukraine travaille avec le MIT ou l'Université de Cornell et que l'USGS comme l'AIEA disposent de correspondants en Russie. Certains chercheurs ukrainiens m'ont bien répondu mais pas dans le cadre précis des données relatives à Tchernobyl, comme si une chappe de plomb recouvrait cet accident et l'avis des experts.

On constate donc que quelque part il y a toujours un mur du silence érigé entre les pays de l'Est et l'Occident. Cette réticence ou ce désintérêt n'existe pas dans le monde radioamateur fort de plus d'un million de pratiquants ce qui m'a permis d'obtenir par cette filière quelques données propres à l'Ukraine, comme je l'avais déjà fait à d'autres occasions et concernant d'autres pays (sur Porto Rico et les Etats-Unis notamment).

Grâce à cet ensemble de données, j'ai pu recouper certaines informations personnelles et scientifiques. En l'espace de quelques jours, les pièces du puzzle se sont rassemblées. Disposant d'un assortiment de données assez varié et de certaines connaissances préalables, notamment en météorologie, en astronomie et en géophysique, l'analyse fut assez rapide, du moins pour les faits essentiels.

Voyons à présent ces données en détails et leur interprétation.

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