Contacter l'auteur / Contact the author

Recherche dans ce site / Search in this site

 

Les technologies du futur

Image inspirée de Philip Toledano.

La médecine à l'ère numérique (V)

La médecine traditionnelle est en train de subir une profonde mutation. Ceux qui se rendent à l'hôpital pour des analyses approfondies ou de la chirurgie doivent probablement le constater et finalement applaudir ce progrès qui touche jusqu'au coeur de notre corps.

La population mondiale croissant exponentiellement et le nombre de personnes âgées augmentant assez rapidement, les médecins ne peuvent plus assurer leur travail de la même façon qu'il y a un siècle. Les progrès réalisés dans les technologies de l'information ont également révolutionné la société et notre manière à tous d'accéder à la connaissance.

 Nous avons vu dans un autre article que la miniaturisation des appareils de laboratoire (scanner et échographe) et la médecine sans fil (mobile) ont fait des progrès prodigieux et révolutionnent déjà aujourd'hui la façon de prendre en charge et de soigner les patients. Demain, grâce à la médecine 3.0 nous disposerons à domicile de moyens d'analyses virtuels et de traitements médicaux épaulés par l'intelligence artificielle ainsi que de modèles non plus curatifs mais prédictifs, des moyens qui hier encore étaient soit réservés aux grands hôpitaux soit du domaine du rêve !

A côté de ces innovations extraordinaires auxquelles participe activement l'entreprise Alphabet, filiale de Google en collaboration avec des dizaines d'entreprises (GSK, Nikon, IBM, etc), il y a plusieurs autres secteurs qui progressent à pas de géants : les greffes d'organes, les tissus de synthèse, les méthodes de sutures, les neurosciences, les prothèses et la bioimpression.

Les greffes d'organes

Depuis le Moyen-Âge, les chirurgiens ont toujours caressé le vieux rêve d'offrir aux victimes de maladies ou d'accidents des greffes et des prothèses plus vraies que nature.

Mais c'est seulement depuis la seconde moitié du XXe siècle que la chirurgie des greffes et la chirurgie esthétique ont réellement acquis leur maturité et furent maîtrisées après avoir essuyé bien des erreurs au détriment des pauvres victimes.

Les "miracles" de la médecine concernent les thérapies et les greffes de nombreux organes (rein, coeur, poumon, foie, etc) et tissus corporels (peau et partie du visage), y compris les organes des sens (oreille, oeil, nerf) et les fonctions biomécaniques (mâchoires, articulations, pied, main, sexe) sans parler des greffes de cheveux et autres liftings parmi d'autres prouesses médicales.

Un coeur vidé de toutes ses cellules dont il ne reste que les protéines de soutien. Document Texas Heart Institute/St Luke's Episcopal Hospital.

Aujourd'hui, on peut aussi cultiver des cellules souches, y compris à partir de la graisse du patient, ou extraites les cellules d'un tissu (bulbe du cheveu, sang, etc.) ou d'un organe et créer à partir de collagène (les protéines naturelles formant la matrice extracellulaire des organes), par exemple un organe creux vidé de son sang et dépouillé de toutes ses cellules - ce qu'on appelle un coeur fantôme (ghost heart) - ou fabriquer un tissu ou un organe fonctionnel in vitro comme de la peau, de la cornée, des os, du cartilage, une oreille et même une vessie.

Aux Etats-Unis, depuis des années la doctoresse Doris Taylor de l’Université du Texas effectue des recherches sur la transplantation du coeur en utilisant comme transplant un coeur vidé de son sang dont il ne reste que les protéines de soutien, le collagène. Le procédé consiste à injecter dans ce coeur fantôme tel celui présenté à gauche des cellules souches de la personne attendant un coeur, puis elle plonge ce coeur dans un bioréacteur pour assurer le développement des cellules souches jusqu'à maturation du coeur qui est ensuite transplanté. Jusqu'à présent, Taylor a travaillé avec des coeurs de rats et de cochons mais les règles d'éthique lui interdisent encore d'utiliser cette technique sur l'être humain.

La technique s'applique avant tout aux organes creux car ils sont plus simples à fabriquer (ce n'est rien d'autre qu'une peau double face en trois dimensions) et à irriguer par les capillaires qu'un organe plein comme du muscle par exemple qui exige que le sang soit distribué dans toutes les cellules au risque qu'il ne survive pas.

Les greffes d'organes et de tissus ou leur mise en culture ainsi que les prothèses peuvent pallier à pratiquement toutes les déficiences. Même certains aveugles peuvent apprendre à voir.

Les chercheurs estimaient que vers 2020 on pourrait créer les premiers organes vitaux de culture comme le foie et le pancréas. En pratique, on attendra encore un peu.

Enfin, nous verrons un peu plus loin que la culture des cellules combinée à l'imprimante 3D permettra à l'avenir de reconstituer des organes complets. Peut-être seront-ils même imprimés ou plutôt façonnés avec des cellules de culture.

La régénération

Une autre voie de recherche très prometteuse et qui laisse rêveur concerne la faculté qu'ont certains animaux comme l'axolotl, la salamandre, le poisson zèbre (Danio rerio) ou mieux encore le planaire (un verre plat) de régéner leurs organes sectionnés alors que les amputations et les blessures chez l'être humain cicatrisent.

Des études ont montré que c'est parce nous cicatrisons que nous ne pouvons pas régénérer nos organes. Les scientifiques cherchent donc le moyen d'interrompre temporairement le processus de cicatrisation pour permettre la régénérescence. Encore faut-il comprendre comment elle s'applique.

Dans le cas de la salamandre, le "miracle" commence dans les heures suivant l'amputation d’une patte ou de la queue. Les cellules de l'épiderme migrent pour fermer la blessure, suivies de cellules musculaires et de cellules (des fibroblastes) assurant la cohésion. Ensuite les cellules de l’épiderme forment une sorte de chapeau et émettent des signaux déclenchant la croissance des autres cellules. Les nerfs se prolongent vers ce chapeau et émettent à leur tour des signaux. Les autres cellules se dédifférencient (elles retournent à un état moins spécialisé) et prolifèrent, constituant un bourgeon innervé appelé le blastème. À mesure qu’il grandit, il forme le contour du nouveau membre, tandis que les cellules se différencient à nouveau en os, muscle, fibroblastes ou tendons, jussqu'à ce que l'organe soit totalement reconstruit.

A voir : Régénération du planaire en time-lapse

Dans le cas du planaire, même coupé en deux ou plusieurs segments, chaque partie est capable de reconstruire l'animal complet. Il faut ainsi 4 jours pour reformer une tête et des yeux fonctionnels. En revanche, si la partie amputée est soumise 48 heures à un champ électrique, elle perd la mémoire de son "plan de reconstruction" et au lieu de reconstruite une queue par exemple, elle crée une deuxième tête. Capable de reconstruire un organisme complet, le planaire est l'animal le plus intéressant dans le cadre de la régénération cellulaire.

Lee Spievak dont le doigt sectionné en 2005 s'est régénéré en 4 mois en le saupoudrant quotidiennement avec de la poudre constituée de cellules de la muqueuse d'une vessie de porc. Document AP.

Si les scientifiques comprennent aujourd'hui un peu mieux ce processus, ils ne peuvent toujours le reproduire à leur guise. La seule régénération réussie à ce jour chez l'homme est celle de l'extrémité des doigts.

Comme l'explique le journal "The Telegraph", en 2005 Lee Spievak, alors âgé de 69 ans, avait mis son index dans les pales d'une hélice en rotation d'un avion de modélisme. Son doigt fut sectionné sur environ 10 mm et il n'a pas retrouvé le morceau. Son médecin lui dit qu'il aurait le doigt amputé à vie.

Par chance, un an auparavant, son frère Alan ancien chirurgien d'Harvard et spécialiste en médecine régénérative avait créé une société de production d'extrait de vessie de porc destinée à la réparation des tissus vivants. L'été précédent l'accident de Lee, Alan avait fait repousser en six semaines le bout du doigt d'un voisin qui se l'était accidentellement sectionné avec une scie grâce à poudre appelée "pixie dust".

Cette poudre a été inventée par le docteur Stephen Badylak de l'Université de Pittsburgh à partir de cellules extraites de la muqueuse d'une vessie de porc qui furent ensuite nettoyées, séchées et réduites en pondre.

Alan envoya à Lee cette "pixie dust" et lui demanda de l'appliquer tous les deux jours sur la plaie.

Deux jours plus tard, le phénomène de régénérescence commença. Il fallut 4 mois pour que le Lee retrouve un doigt complet et 6 mois pour qu'il retrouve ses empreintes digitales originales. Lee s'est seulement plaint de l'odeur de cochon qu'avait son doigt pendant le processus et que l'extrémité intérieure du doigt était un peu plus dure que l'ancien.

La méthode qui paraît miraculeuse exploite le même principe que celui décrit plus haut. Comme l'explique le docteur Stephen Badylak, "la poudre est essentiellement composée de collagène et de substances ne contenant aucune cellule de porc servant de supports microscopiques destinés à recevoir des cellules humaines qu'elle incite par un signal chimique à régénérer les tissus". Et le "miracle" c'est de nouveau produit; nos souris étaient guéries et pouvaient de nouveau se mouvoir.

Ensuite, il y eut l'expérience réalisée en 2007 par Samuel Stupp de l'Université Northwestern et directeur de l'IBNAM (Institute for BioNanotechnology in Medicine). Il montra comment en 6 semaines, les nanotechnologies pouvaient être utilisées pour régénérer les neurones chez des souris de laboratoire paralysées suite à des lésions de la colonne vertébrale. En injectant des molécules conçues pour s'autoassembler sous forme de nanofibres dans les tissus de la moelle épinière, il a été possible de réparer et faire recroître des neurones endommagés.

En 2010, Stupp montra qu'on pouvait utiliser la même technique pour régénérer un os fémoral endommagé chez un rat.

Si les expériences de régénération sont une réussite, depuis les années 1970 les scientifiques savent qu'après une amputation, les doigts d'une patte de souris peuvent se régénérer s'il reste suffisamment d'ongle mais ils ignoraient pourquoi. En 2013, le docteur Makoto Takeo de l’Université de New York et ses collègues sont parvenus à expliquer le pourquoi en démontrant que le processus peut se déclencher à condition qu'il reste suffisamment de cellules souches sous la base de l'ongle. L'ongle se régénère grâce à ces cellules souches qui se différencient continûment en épithélium qui se kératinise en ongle.

Autre découverte, dès 2012 des chercheurs ont montré que cette différenciation est activée par une cascade de signalisation qui est également connue pour son rôle dans le développement embryonnaire, la "cascade wnt". C'est la même cascade qui déclenche la formation du blastème en attirant les nerfs vers l’extrémité du doigt, comme elle le fait dans l’épiderme de l’embryon. Les scientifiques tenaient leur solution.

Reste à présent à essayer d'appliquer ces méthodes à d'autres types d'amputation ou pathologies et à comprendre pourquoi une solution fonctionne avec certaines organes et pas avec d'autres. Peut-être que l'explication se trouve dans les facultés de régénération de l'axolotl.

En touchant cette fois à la régénération des organes et à l'intégrité de l'organisme, la médecine a fait un pas de géant. On peut apprécier tout le chemin que nous avons parcouru depuis que le professeur Christiaan Barnard réalisa la première greffe de rein en 1954 et la première transplantation cardiaque en 1967. A ce rythme, en 2030 et si les règles d'éthiques y dérogent, on pourrait peut-être appliquer ces biotechnologies à l'homme.

Un remède préventif contre la perte traumatique d'audition

La cassure des poils sensoriels ou la disparition des cellules ciliées sensorielles de la cochlée située dans l'oreille interne conduit à une perte d'audition. Mais même si certaines cellules ciliées sont encore présentes et fonctionnent partiellement, si elles ne sont plus connectées aux sites synaptiques des neurones qui assurent le relai avec le nerf auditif, le cerveau n'entendra plus le son et donc la personne peut devenir sourde. Pour éviter ce problème, une équipe de chercheurs du laboratoire d'Oghalai de l'Université de Sud Californie (USC) a découvert que la mort des cellules sensorielles ciliées se produisait immédiatement après l'exposition à un puissant bruit et était irréversible. En revanche, les dommages aux neurones interviennent plus tardivement et offre une opportunité pour un traitement préventif.

A gauche, schéma de l'oreille humaine. A droite, agrandissement d'une petite partie de la cochlée des mammifères qui comporte des rangées de cellules sensorielles ciliées (les poils, en cyan) et des sites synaptiques (les petits points verts et jaunes) où les cellules ciliées sensorielles communiquent avec le nerf auditif. Documents anonyme et Juemei Wang/Oghalai Lab.

Dans un article publié dans les "PNAS" en 2018, Jinkyung Kim et ses collègues du laboratoire d'Oghalai ont découvert qu'après une forte exposition à un bruit violent, un liquide s'accumulait dans l'oreille interne sur une période de quelques heures après l'exposition et contenait de fortes concentrations de potassium. Pour inverser les effets du potassium et réduire l'accumulation de liquide, des solutions à base de sel et de sucre furent injectées dans l'oreille moyenne à travers le tympan de patients, trois heures après l'exposition au bruit. Les chercheurs ont découvert que le traitement avec ces solutions empêchait de perdre 45 à 64% des neurones, ce qui suggère que le traitement peut offrir un moyen de préserver la fonction auditive.

Si le remède n'est encore qu'à l'état de test et de prototype dont la formule et les effets font encore l'objet d'études, s'il fonctionne comme indiqué et passe les tests cliniques, ce sera un remède très utile non seulement pour le jeune public qui s'expose aux bruits excessifs des salles de concert mais également pour les soldats en missions exposés à des explosions et autres bruits intenses qui pourraient porter sur eux une petite fiole de ce liquide et se l'introduire dans l'oreille dès qu'ils sont exposés à un bruit risquant de les rendre sourds.

Des gouttes oculaires pour dissoudre la cataracte

Plus de 285 millions de personnes dans le monde ont des problèmes de vision. Selon la Fondation Fred Hollows, environ 32.4 millions de personnes dans le monde sont aveugles. 90% de ces personnes vivent dans des pays en développement et plus de la moitié de ces cas de cécité sont causés par la cataracte.

Selon les estimations de l'OMS, la cataracte touche environ 65 millions de personnes dans le monde, avec une perte de vision modérée à sévère observée dans environ 80% des cas.

Pour rappel, la cataracte est une condition médicale dans laquelle le cristallin s'opacifie au fil du temps suite à une altération de la structure des protéines du cristallin. Leur détérioration provoque une agglutination des protéinesqui forment une couche laiteuse sur l'œil et obstrue la vision. Si on ignore pour quelles raisons ces protéines réagissent ainsi, les chercheurs ont quelques idées pour y remédier.

Jusqu'à présent il y avait la chirgurgie mais son prix très élevé ne permet qu'aux patients occidentaux de s'offrir l'opération.

Comme alternative, depuis quelques années, il existe un collyre ophtalmique, le Xatol, qui évite la tension sur la cornée et prévient le glaucome mais ce remède que l'on prend à vie ne guérit pas la cataracte.

Depuis 2015, Lanomax a testé un nouveau traitement potentiel accessible à tous : des gouttes oculaires. Ce médicament qui peut être administré directement dans l'œil sous forme de gouttes à base de lanostérol qui permet de dissoudre la cataracte en détruisant les structures protéiques anormales au sein des cellules du cristallin.

Toutefois, le traitement n'a pas encore été testé sur l'homme mais uniquement sur les lapins et des chiens avec succès (cf. K.Zhang et al., 2015). Il semblerait que pour s'appliquer à l'homme, le remède doit être beaucoup plus efficace. Le médicament doit encore faire l'objet d'essais cliniques, mais en raison de la réglementation stricte mise en place pour s'assurer que les nouveaux médicaments ne provoquent pas d'effets secondaires extrêmes, il faudra quelques années avant que ces gouttes soient mises sur le marché et puissent être utilisées comme une alternative à la chirurgie.

A voir : Des gouttes oculaires pour dissoudre la cataracte, 2018

Parmi les nouvelles solutions, des chercheurs de l'Université Anglia Ruskin (ARU) au Royaume-Uni ont fait des progrès significatifs en développant un médicament capable de guérir la cataracte (cf. B.K. Pierscionek et al., 2022).

L'équipe de Barbara Pierscionek de l'ARU a testé un composé à base d'oxystérol, un dérivé du cholestérol qui joue un rôle dans de nombreuses fonctions cellulaires, y compris l'autophagie, c'est-à-dire la préservation des cellules dégradées tout en éliminant les composants inutiles.

Le composé expérimenté appelé VP1-001 agit pour restaurer l'organisation des protéines à l'intérieur du cristallin. Il a montré une nette amélioration du profil de l'indice de réfraction dans 61% des cas et une réduction de l'opacité du cristallin dans 46% des cas. C'est la première fois au monde qu'on réalise ce type de recherche.

Toutefois, les études ont montré des améliorations dans seulement certains types de cataractes. Selon les chercheurs, le traitement ne serait une option que pour des types de cataracte spécifiques, ce qui veut dire qu'à l'avenir des distinctions doivent être faites lors du développement de médicaments anti-cataracte.

Traitement de la myopie et de l'hypermétropie

Une équipe d'ophtalmologistes du centre médical Shaare Zedek et de l'Institut de nanotechnologie et des matériaux avancés de l'Université de Bar-Ilan en Israël a mis au point des gouttes ophtalmiques appelées "NanoDrops" (nanogouttes) capables de réparer les cornées et d'améliorer les problèmes de vision.

Les tests réalisés sur des yeux de porcs ont montré une amélioration significative de la correction d'erreur pour les myopes et les hypermétropes. Les prochains essais cliniques seront effectués sur l'être humain (cf. The Jerusalem Post, 2018).

Actuellement la solution consiste à modifier l'indice de réfraction de la cornée. L'opération qui se déroule en Israël comprend trois étapes, le calcul de l'indice de réfraction avant opération, une fine incision superficielle au laser de l'épithélium de la cornée et l'instillation des NanoDrops sur la cornée.

Notons qu'en Europe, si les opérations des yeux sont en partie prises en charge par la sécurité sociale, les opérations de chirurgie réfractive ne sont pas remboursées (cf. votre mutuelle et votre assurance).

Guérir la cécité par thérapie génique

Mieux encore, pour la première fois en 2019, l'équipe de Ehud Y. Isacoff de l'Université de Californie à Berkeley (UCB) est parvenue à rendre une vue quasi normale à des souris aveugles grâce à l'injection dans l'œil d'un gène spécifique sensible à la lumière verte. L'annonce de cette prouesse technique fut publiée dans la revue "Nature Communications".

Jusqu'à présent, la méthode la plus efficace était déjà la thérapie génique mais qu'il fallait réaliser au stade précoce de la maladie. En effet, elle consiste à réparer les cellules encore vivantes de la rétine pour arrêter la progression vers la cécité. Pour cela, les spécialistes doivent remplacer l'un des nombreux gènes pouvant être responsables de la maladie par une copie saine. Mais non seulement on a identifié plus de 50 gènes impliqués dans les maladies héréditaires de la rétine (IRD) dont la dégénérescence maculaire (DMLA), mais une telle opération revient à 850000 dollars. C'est comparable au prix de certains médicaments (Strimvelis ou Luxturna) ou des transplantations d'organes qui reviennent entre 300000 et 1.5 million de dollars ! A ce prix, il n'est pas étonnant qu'il n'y a parfois qu'un seul patient dans le monde qui en bénéficie et que le remède s'avère finalement être un échec commercial (cf. Les Échos, 2017).

Au centre, schéma d'une rétine saine. Les photorécepteurs - les bâtonnets (bleus) et les cônes (verts) - détectent la lumière et transmettent les signaux électriques à d'autres structures de la rétine pour aboutir dans les cellules ganglionnaires (violettes) qui communiquent directement les signaux au centre de la vision du cerveau. A droite, schéma des injections intravitréale et subrétinale. EPR est l'épithélium pigmentaire rétinien. Documents UCB adaptés par l'auteur.

La nouvelle thérapie génique est bien plus économique et accessible. Elle consiste à injecter des virus adéno-associés ou AAV - des virus à ADN non pathogènes - inactivés dans l'humeur vitrée afin de transporter un gène directement dans les cellules ganglionnaires. Les méthodes antérieures de la thérapie virale nécessitaient l'injection des virus sous la rétine. Le gène rend les cellules ganglionnaires normalement "aveugles" sensibles à la lumière (du moins ~90% d'entre elles) rendant la vue aux individus dont les bâtonnets et les cônes étaient insensibles.

Espérons qu'un jour on puisse appliquer cette thérapie à l'homme, à tous les handicapés visuels dès qu'ils aperçoivent les signes de la maladie et ainsi l'éradiquer.

Des cellules vivantes synthétiques à vocation thérapeutique

En 1983, l'équipe de Joseph G. Tully décrivit une nouvelle espèce de bactérie appelée Mycoplasma genitalium, un microbe sexuellement transmissible de ~200 nm ou 0.0002 mm de diamètre, dont le génome contient seulement 517 gènes (480 gènes codant des protéines et 37 gènes codant des ARN) et dont la paroi cellulaire composée de lipoprotéines est souple. L'année suivante, les bactéries mycoplasmes furent proposées comme modèles pour comprendre les principes de base de la vie.

Schéma d'une bactérie mycoplasme. Document InvivoGen adapté par l'auteur.

Au cours des années 1990, l'étude du génome de cette bactérie (ainsi que de Haemophilus influenza qui comprend 1815 gènes) montra que cet organisme présente environ 250 gènes essentiels qui permettraient d'assurer sa croissance en laboratoire.

Grâce à l'outil CRISPR, en 1995 l'équipe de J.Craig Venter de l'Institut éponyme JCVI de La Jolla, en Californie, réussit à séquencer le génome du Mycoplasma genitalium et cartographia ses gènes. En inactivant les gènes un par un et en vérifiant si la bactérie pouvait encore vivre et se multiplier, les rechercheurs réduisirent son génome à 375 gènes qui semblaient essentiels.

Puis, en 2010 à partir d'oligonucléotides synthétisés chimiquement et mis en culture dans un environnement cellulaire, les chercheurs du JCVI ont réussi à retirer l'ADN du Mycoplasma genitalium et à le remplacer par de l'ADN conçu sur ordinateur et synthétisé en laboratoire. C'était le premier organisme de l'histoire de la vie sur Terre à posséder un génome entièrement synthétique. Ils ont appelé cette nouvelle espèce artificielle JCVI-syn1.0. (cf. D.G. Gibson et al., 2010; Nature, 2010).

Depuis, les chercheurs se sont efforcés de réduire cet organisme à ses composants génétiques minimaux. En 2016, des chercheurs du JCVI créèrent un mycoplasme possédant un génome synthétique comprenant seulement 473 gènes. C'était la cellule vivante la plus simple jamais conçue (cf. Scientific American, 2016). Cependant, cette bactérie appelée JCVI-syn3.0 se comportait bizarrement lors de sa croissance et de sa division, produisant des cellules de formes et de tailles extrêmement différentes. Cette bactérie était sans doute trop minimaliste.

Dans un article publié dans la revue "Cell" (en PDF sur BioRxiv) en 2021, Elizabeth Strychalski, du Groupe de génie cellulaire du NIST ainsi que des chercheurs de l'Institut J.Craig Venter (JCVI) et du MIT (Center for Bits and Atoms et Départment de Physics) annonçèrent avoir résolu le problème et être allés un pas plus loin en concevant un organisme synthétique unicellulaire capable de se diviser et de se multiplier naturellement.

Les chercheurs ont ensuite ajouté 19 gènes à cette cellule, dont 7 gènes nécessaires à la division cellulaire normale, pour créer le nouveau variant, JCVI-syn3A. Ce variant possède 492 gènes. Par comparaison, les bactéries Escherichia coli qui vivent dans notre intestin possèdent environ 4000 gènes. L'ADN d'une cellule humaine compte 26517 gènes distribués sur 23 paires de chromosomes.

Un groupe de mycoplasmes dont le génome est synthétique et appelé JCVI-syn3A montrant des structures sphériques de différentes tailles (la barre = 200 nm). Documents E.Strychalski et al. (2021) et Thomas Deerick/NCMIR/SPL.

Selon James Pelletier du MIT et coauteur de cette étude, "Un certain nombre de gènes de la cellule minimale n'avaient pas de fonction connue". De même, "il s'est avéré que certains des gènes que la cellule avait besoin pour se diviser auparavant n'avaient pas de fonction connue". La réintroduction de ces gènes a permis à la cellule minimale de se diviser de manière parfaitement uniforme.

Selon les chercheurs, certains de ces gènes importants interagissent probablement avec la membrane cellulaire, en fonction de leurs séquences génétiques. Cela pourrait signifier qu'ils modifient les propriétés physiques de la membrane, la rendant suffisamment malléable pour se diviser correctement, ou qu'ils génèrent des forces à l'intérieur de la membrane qui encouragent la scission. Mais pour l'instant, l'équipe ne sait pas quels mécanismes spécifiques les gènes utilisent pour aider les cellules à se diviser. Selon Strychalski, "notre étude n'a pas été conçue pour comprendre les mécanismes à l'intérieur de la cellule associés à chacun de ces gènes de fonction inconnue. Cela devra être étudié ultérieurement".

L'identification de ces gènes fut une étape importante vers l'ingénierie de cellules synthétiques réalisant des actions utiles. Strychalski et ses collègues prévoient de concevoir des capteurs vivants capables de prendre des mesures à partir de leur environnement, en surveillant l'acidité, la température et les niveaux d'oxygène. Ces cellules de détection pourraient également être fabriquées pour produire des produits spécifiques et pourraient potentiellement être placées à l'intérieur du corps humain. Elles pourraient servir de sonde pour détecter une maladie et produire des médicaments pour la traiter tout en vivant à l'intérieur du corps, fonctionnant comme de petites usines biologiques autonomes.

A gauche, le cycle de conception, construction et test ayant permis de produire les cellules de l'organisme synthétique JCVI-syn3.0 contenant 473 gènes et capable de se multiplier. (A) Le cycle de conception du génome, construction au moyen de synthèse et de clonage dans la levure, et test de viabilité par transplantation génomique. Après chaque cycle, l'essentialité des gènes est réévaluée par transposon globalmutagenèse. (B) Comparaison de JCVI-syn1.0 (cercle bleu extérieur) avec JCVI-syn3.0 (cercle rouge intérieur), montrant la division de chacun en huit segments. les barres rouges à l'intérieur du cercle extérieur indiquent les régions qui sont conservées dans JCVI-syn3.0. A droite, la répartition des gènes en quatre principaux groupes fonctionnels. JCVI-syn3.0 possède 473 gènes. Parmi ceux-ci, 79 n'ont pas d'assignation fonctionnelle. Les autres peuvent être assignés à quatre groupes fonctionnels majeurs : l'expression de informations génétique (195 gènes), la conservation de l'information génétique (34 gènes), la structure de la membrane cellulaire et ses fonctions (84 gènes), et le métabolisme cytosolique (81 gènes). Documents E.Strychalski et al. (2021) adaptés par l'auteur.

Selon Strychalski, "lorsque la cellule détecte un état pathologique, elle pourrait rendre ce traitement thérapeutique, et quand un état pathologique persiste, elle pourrait arrêter ce traitement". D'autres cellules pourraient être cultivées en laboratoire et utilisées pour produire efficacement des aliments et des carburants, tandis que d'autres pourraient exécuter des fonctions de calcul à l'échelle moléculaire.

Ces cellules synthétiques ont le potentiel de révolutionner notre vie quotidienne. Bien sûr, c'est une vision d'un futur qui ne se concrétisera probablement pas avant de nombreuses années. En effet, pour concevoir et construire une cellule qui fait exactement ce que vous voulez qu'elle fasse, il est utile d'avoir une liste des pièces essentielles et de savoir comment elles s'emboîtent au niveau fondamental avant de pouvoir la manipuler dans leurs organismes synthétiques. Selon Strychalski, "Nous voulons comprendre les règles de conception fondamentales de la vie. Si cette cellule peut nous aider à découvrir et à comprendre ces règles, alors nous sommes partant pour la course".

Vidéo en time-lapse montrant des cellules de JCVI-syn3A en croissance et en division sous un microscope optique. Cliquer sur l'image pour lancer l'animation (.GIF de 5.2 MB). Document E.Strychalski et al. (2021).

Alors que les chercheurs continuent de sonder les mystères de la cellule minimale, d'autres biologistes travaillent avec des systèmes encore plus simplistes. Selon Strychalski, la biologie synthétique s'applique dans un spectre allant de "la soupe de produits chimiques inanimés à la pleine gloire d'une cellule de mammifère ou d'une cellule bactérienne". Et d'ajouter que l'avenir du domaine pourrait nous conduire à des merveilles innovantes comme les ordinateurs de la taille d'une cellule, mais pour l'instant, le travail est largement motivé par une curiosité sur la façon dont les éléments de base de la vie se réunissent et ce que cela peut nous dire sur nous-mêmes : "Comment comprendre l'unité la plus élémentaire de la vie, la cellule ?… Il y a quelque chose de très convaincant à ce sujet. Plus tard, nous pourrons imaginer tout ce que nous pourrons faire avec ... cette plate-forme minimale."

De la glu pour des plaies sans cicatrice

Depuis quelques années les chercheurs travaillent sur des substances collantes capables de coller des gels (des matériaux composés d'un liquide) et accessoirement de remplacer les agrafes et les points de sutures afin que les plaies se résorbent sans laisser de cicatrices.

Si la compatibilité biologique n'est pas recherchée pour les applications industrielles, en revanche, en médecine il est indispensable que le produit soit biocompatible et donc non toxique et antiallergénique.

Nanocolle de Liebler

L'une des premières inventions est européenne. En 2013, le physico-chimiste Ludwik Liebler et son équipe du Laboratoire ESCPI du CNRS ont inventé une nanocolle composée d'une solution aqueuse de nanoparticules de silice. Techniquement, les nanoparticules de la solution se lient au réseau moléculaire du gel, phénomène appelé adsorption, tandis que le réseau moléculaire lie les particules entre elles. Le processus d'adhésion ne prend que quelques secondes et une fois collés la solution et le gel ou le tissu biologique ne font plus qu'un. Cette méthode est réalisée sans ajout de polymères et n'implique aucune réaction chimique ou système de suture traditionnel.

En temps normal, lors d'une plaie profonde, il faut réaliser des points de sutures et attendre que le sang coagule. Puis patienter plusieurs jours ou semaines pour que le tissu se renouvelle et que la plaie cicatrise grâce au collagène (protéines fibrillaires) qui reconstitue l'épiderme et les capillaires.

Document Dr. Ludwik Liebler/ESCPI.

Avec la nanoglu de Ludwik Liebler la réparation est quasi immédiate. Il suffit de badigeonner les lèvres de la plaie avec cette nanocolle cicatrisante puis de les acoller par pression pour refermer la plaie pour de bon. Avantages, la méthode est très simple, il n'a pas de traumatisme, pas d'inflammation ni nécrose, pas de points de sutures, pratiquement aucune voire pas de cicatrice visible et la peau reste à l'air libre. Selon les inventeurs, il est par exemple envisageable de recoller par cette méthode la peau ou des organes ayant subi une incision ou une lésion profonde.

Il est probable que d'ici quelques années cette glu cicatrisante sera disponible en pharmacie.

Suite à sa découverte, Ludwik Leibler reçut le Prix de l’inventeur européen de l'année en 2013 dans la catégorie "Recherche".

Enfin, en collaboration avec le groupe Arkema, Ludwik Liebler a également conçu un caoutchouc capable de s'auto-réparer une fois endommagé. Ce nouveau matériau qui a l'aspect du verre a été baptisé "vitrimère".

Bioglu LAMBA

La deuxième invention nous vient de Corée du sud. En 2017, Eun Young Jeon de l'Université Pohang de Science et de Technologie et ses collègues ont publié les résultats très prometteurs du développement d'une bioglu basée sur une protéine adhésive appelée LAMBA qu'utilise la moule pour se coller au substrat et grâce à laquelle elle peut résister à la force des vagues. Les chercheurs ont mélangé cette protéine avec un peptide (acide aminé polymérisé) d'insecte appelé dityrosine qui permet de la lier au collagène.

Le produit fut testé sur des rats présentant de petites plaies de 8 mm de large qui furent ensuite recouvertes d'un plastique pour éviter tout contat avec l'humidité. L'effet de la colle à base de protéine LAMBA fut visible au bout de 10 jours. La plaie était fermée à 99% le 11e jour et à peine visible le 28e jour et n'a laissé aucune cicatrice; l'épiderme était reconstruit, y compris les follicules pileux et les capillaires. En revanche, les rats témoins qui n'avaient pas bénéficié de ce traitement ont mis plus de temps pour guérir. Comme on le voit ci-dessous, les coupes microscopiques ont également montré que la couche intermédiaire de leur épiderme ne s'est pas aussi bien reconstituée que celle traitée avec la bioglu à base de LAMBA.

A gauche, la méthode de fabrication de la bioglu à partir de protéine LAMBA de moule combinée à un peptide d'insecte (dityrosine). A droite, résultat de son application sur des plaies de rats. Documents Eun Young Jeon et al. (2017).

L'avantage de cette bioglu LAMBA est d'améliorer la formation des fibres de collagène et de reformer un épiderme aussi neuf qu'en l'absence de cicatrice, ce qu'on n'obtient pratiquement jamais quand on laisse la peau se cicatriser seule.

Toutefois, nous sommes encore loin de pouvoir appliquer ce traitement à l'homme. En effet, les rats ont la peau lâche, alors que nous avons une peau serrée; ils ont donc tendance à bien guérir et avoir moins de cicatrices que nous.

La prochaine étape des chercheurs coréens consistera à appliquer cette bioglu sur la peau du cochon, considéré comme l'animal biologiquement le plus proche de l'homme.

Colle chirurgicale MeTro

Quelques mois après cette annonce, l'ingénieure chimiste Nasim Annabi de l'Université Northeastern de Boston et une équipe de chercheurs de l'Université de Sydney ont annoncé dans la revue "Science Translational Medicine" avoir mis au point une biocolle appelée MeTro, acronyme de "methacryloyl-substituted tropoelastin". Comme le précise Annabi, cette colle est à la fois "élastique, adhésive, non toxique et biocompatible. La plupart des biocolles disponibles sur le marché présentent une ou deux de ces caractéristiques mais pas toutes les quatre".

La biocolle MeTro utilise les propriétés naturelles des protéines et notamment la tropoélastine qui permet aux tissus humains de reprendre leur forme avec une contraction ou un étirement. La MeTro possède également une enzyme de dégradation qui peut être adaptée à la gravité de la blessure. Elle est adaptée aux petites plaies cutanées comme aux blessures importantes et pourra même à terme servir de colle pour suturer les plaies internes.

A voir : MeTro - elastic hydrogel for surgical applications

La biocolle MeTro obstrue une plaie en 60 secondes. Document Université de Sydney.

L'avantage du nouveau procédé est de ne pas exiger de suture (de rapprocher les lèvres de la plaie) et son efficacité. La colle MeTro ressemble à un liquide qui remplit tous les interstices et épouse parfaitement la forme de la plaie ou de la cavité. Après l'avoir appliquée, il suffit d'utiliser une lumière UV (disponible par exemple sous forme d'un gros stylo équipé d'une ampoule UV) pour activer le produit. La plaie est obstruée et gélifiée en 60 secondes, accélérant le processus de cicatrisation. La MeTro est stable durant tout le processus et finit par se dégrader sans signe de toxicité.

Consulté à propos de cette invention, le docteur Ali Khademhosseini de l'Harvard Medical School, considère que cette nouvelle colle va au-delà des attentes des colles médicales similaires : "les applications de la colle MeTro sont potentiellement très variées, allant des situations d'urgence suivant un accident de voiture aux zones de guerre et peut améliorer la chirurgie hospitalière".

Actuellement, la colle MeTro fut expérimentée avec succès sur des rongeurs. La prochaine étape comprendra les tests cliniques.

En attendant que ces divers procédés soient au point et approuvés par les organismes nationaux de contrôle, probablement pas avant les années 2020, pour réduire les cicatrices, les blessés peuvent compter sur le peeling chimique (une sorte de gommage) ou la thérapie laser.

Des sutures au laser

En 2016, Seok Hyun Yun de l'Harvard Medical School et ses collègues de l'Université de St. Andrews ont découvert le moyen de suturer des plaies au moyen d'un laser. La technologie titre profit des propriétés du collagène qui donne sa structure à la peau et de nanosutures à l'échelle des électrons. De plus cette invention réduit les risques de cicatrices et les inflammations.

Aujourd'hui cette technique ne fonctionne que sur des plaies superficielles mais permet de suturer des plaies de 10 mm de profondeur. Les chercheurs ont déclaré qu'ils vont améliorer leur technique afin de pouvoir l'appliquer à des plaies plus importantes. Le temps des sutures au moyen de fils (cf. cette vidéo en anglais) est bientôt révolu !

Reconstruction naturelle des dents

Ctip2

Bien que très résistant, l'émail des dents qui forme la couronne des dents, qu'on appelle également l'ivoire, s'use avec le temps et peut se fêler ou s'effriter. Par manque d'hygiène et sous l'action des bactéries et d'aliments acides (ou sucrés) notamment, il peut s'y former des caries. Lorsque la carie a perforé la couche d'émail, un dentiste doit rapidement intervenir pour reconstruire la dent car la dentine, le tissu vivant sous la surface de la dent, est sept fois moins dure que l'émail. Si aujourd'hui on répare les dents avec de la résine composite blanche collée, à l'avenir on pourra réparer les dents naturellement.

Germe dentaire implanté dans la mâchoire d'un patient après mise en culture de cellules souches.

Des chercheurs de l'Inserm ont découvert en 2015 que les cellules souches du patient cultivées en laboratoire puis stimulées par laser sont capables de reconstituer la dentine en quelques mois. Plus récemment, des chercheurs américains (cf. l'étude publiée en 2018) ont mis au point un traitement à base de peptides (de l'amélogénine) permettant à la dent de reconstruire d'elle-même son émail. Des découvertes récentes sur l'amélogénèse ont permet d'identifier le gène contrôlant la production de l'émail dentaire. Il s'agit du facteur de transcription Ctip2 qui intervient déjà dans la réponse immunitaire, le développement de la peau et du système nerveux. Il s'exprime surtout dans la dent en développement y compris l'épithélium de l'émail interne et externe. Cela reste toutefois des traitements lents adaptés à des caries superficielles mais les débuts sont prometteurs. Mais il ne faut pas espérer profiter de ce genre de traitement avant 2030 et ils se payeront probablement très chers. Mais dans quelques décennies, il sera possible d'utiliser Ctip2 pour prévenir la carie, restaurer des dents ou même produire des dents de remplacement.

GSK-3

Une autre équipe de chercheurs a découvert que le Tideglusib, un médicament traitant la maladie d'Alzheimer est capable de régénérer la dentine à partir des odontoblastes, les cellules souches de la pulpe. L'une des enzymes clés et le GSK-3 (glycogène synthase kinase 3). Ce médicament permet de réparer de petits trous dans les dents des souris mais nécessite toujours de retirer la carie avant d'utiliser ce médicament. Des essais cliniques sont actuellements réalisés sur l'humain (cf. P.T. Sharpe et al., 2017).

Une pastille qui reconstruit l'émail

Une équipe de chercheurs de l'Université de Washington réalise actuellement des essais cliniques d'une pastille qui contient un peptide génétiquement modifié ainsi que des ions de phosphore et de calcium, qui sont des éléments constitutifs de l'émail dentaire. Le peptide est dérivé de l'amélogénine, la protéine clé de la formation de l'émail. Il intervient également dans la formation du cément qui constitue la surface de la racine dentaire.

Chaque pastille dépose plusieurs micromètres de nouvel émail sur les dents via le peptide, qui est conçu pour se lier à l'émail abimé pour le réparer sans affecter les tissus mous de la bouche. La nouvelle couche s'intègre également à la dentine. Deux pastilles par jour peuvent reconstruire l'émail, tandis qu'une par jour peut maintenir une couche saine. La pastille peut être utilisée comme un bonbon à la menthe.

La pastille produit un nouvel émail plus blanc que ce que produisent les bandes ou les gels de blanchiment des dents. Elle présente un autre avantage distinct : les traitements de blanchiment conventionnels reposent sur le peroxyde d'hydrogène, un agent de blanchiment qui peut affaiblir l'émail des dents après une utilisation prolongée ou altérer l'ivoire des dents fragilisées (présentant par exemple des microfractures). Étant donné que l'émail dentaire ne peut pas se reformer spontanément, la dentine sous-jacente peut être exposée, avec des résultats allant de l'hypersensibilité aux caries à diverses maladies des gencives (parodontopathie). La pastille, quant à elle, renforce, reconstruit et protège les dents.

En parallèle, les chercheurs étudient un gel ou une solution à base de ce peptide modifié pour traiter les dents hypersensibles (au chaud ezt au froid) de manière durable et sans inconvénients, contrairement aux méthodes actuelles.

De l'os de synthèse

En 2015, sous la direction du docteur Pierre Weiss de l'Université de Nantes (Inserm), une équipe de chercheurs a découvert une méthode pour réparer de l'os et aider sa croissance par injection d'une mousse transformant du phosphate de calcium macroporeux en véritable ciment osseux. Les résultats de leurs travaux furent publiés dans la revue "Acta Biomaterialia".

L'os est composé à 70% d'un dérivé minéral du phosphate de calcium appelé hydroxyapatite de formule chimique Ca5(PO4)3(OH). Cela fait près d'un siècle (1920) que ce type de ciment appelé CPC (Calcium Phosphate Cement) est utilisé en chirurgie comme substitut de l'os pour remplacer un os amputé ou comme enduit pour favoriser la croissance de l'os dans les implants, y compris dentaires.

En 2012, Pierre Weiss et ses collègues avaient déjà mis au point un hydrogel à des fins thérapeutiques (cf. ce brevet de 2012 pour la culture de cellules souches) mais c'est la première fois que les chercheurs sont parvenus à produire du CPC macroporeux (auparavant les pores ne mesuraient pas plus de 50 nm), ce qui est indispensable pour faciliter la régénération de l'os.

Le CPC macroporeux développé pa l'équipe du Dr. Pierre Weiss.

Comme on le voit sur les photographies ci-dessus, la solution injectable contient un ciment de phosphate de calcium ou CPC et un agent moussant constitué de polymères hydrophiles, un hydrogel obtenu par la silanisation (fixation de silice sur une molécule) d'hydroxypropyl méthyl cellulose ou Si-HPMC formant des cavités et donc une structure trabéculaire similaire à celle de l'os (cf. ce brevet de 2015). Les essais cliniques in vivo réalisés sur des lapins ont montré que l'agent moussant n'est pas toxique (contrairement à l'agent E464 fabriqué selon le même principe) et que même combinée au CPC, la solution est biocompatible.

La mousse se fabrique en mélangeant les deux produits dans une seringue. La solution est ensuite injectée dans le site de l'implant où elle se transforme rapidement en mousse homogène au contact de l'air.

Cet os de synthèse pourrait à l'avenir venir en aide aux personnes souffrant d'ostéroporose et on peut espérer qu'à moyen terme il sera disponible dans l'hôpital le plus proche de chez vous au même titre que les traitements classiques. D'ailleurs, depuis ces inventions, certains chirurgiens de nos hôpitaux utilisent de l'os artificiel à la place des prothèses métalliques du col du fémur.

Des radiographies 3D en couleur

En 2018, la société néo-zélandaise MARS Bioimaging Ltd utilisa pour la première fois une technologie mise au point au CERN pour réaliser la première radiographie 3D en couleur d’un corps humain présentée ci-dessous. Les chercheurs Phil et Anthony Butler exerçant dans les universités de Canterbury et d'Otago en Nouvelle-Zélande ont passé une décennie à construire leur appareil grâce à des capteurs de lecture Medipix initialement conçus pour tracer des particules lors d'expériences au LHC.

Radiographie tridimensionnelle en couleur d'un poignet portant une montre réalisée par MARS Bioimaging Ltd. Les os de la main sont représentés en blanc et les tissus mous en rouge.

Le chip électronique Medipix basée sur la technologie CMOS fonctionne comme une caméra numérique. Lorsque son obturateur est ouvert, il détecte et compte chaque particule frappant les pixels. Le résultat est une image en haute résolution et à contraste élevé très recherchée pour les applications d'imagerie médicale.

Historiquement, des générations successives de puces ont été développées depuis la fin des années 1990 qui conduisirent à de nombreuses applications en dehors de la physique des hautes énergies. La dernière en date, Medipix3, est la troisième génération de cette technologie développée grâce à la collaboration de plus de 20 instituts de recherche dont l’Université de Canterbury.

MARS Bioimaging Ltd fut créée en 2007 pour commercialiser la technologie Medipix3. Le produit de la société combine les informations spectroscopiques générées par un détecteur de rayons X compatible Medipix3 avec de puissants algorithmes pour générer des images 3D. Les couleurs représentent différents niveaux d'énergie des photons rayons X enregistrés par le détecteur, identifiant ainsi différents composants du corps tels que la graisse, l'eau, le calcium (les os) et les marqueurs de maladie.

Jusqu'à présent, les chercheurs ont utilisé une version réduite du scanner MARS pour étudier le cancer, la santé des os et des articulations ainsi que les maladies vasculaires à l'origine des crises cardiaques.

Actuellement, les patients new-zélandais souffrant d'orthopédie ou de rhumatisme sont déjà analysés par le nouvel appareil mais cela reste une exclusivité. Selon Anthony Butler, "les premiers résultats sont prometteurs et suggèrent que lorsque l'imagine spectrale sera utilisée régulièrement dans les cliniques il sera possible de poser des diagnostics plus précis et de personnaliser le traitement."

Si ce système est sur le point de franchir le seuil de certaines cliniques privées ou des centres d'imagerie des hôpitaux, il faudra certainement des années pour que les systèmes radiographiques conventionnels sur support argentique en 2D et noir et blanc soient remplacés par ce système numérique révolutionnaire tirant profit d'un traitement d'image sophistiqué. Il n'est même pas certain que le petit dentiste, le vétérinaire ou le kiné indépendant puisse se l'offrir quand aujourd'hui il ne peut déjà pas se payer tous les instruments dont il aurait besoin.

Les prothèses

Etant donné que la biotechnologie et la médecine régénérative ne permettent pas encore de régénérer n'importe quel organe ou partie du squelette, l'alternative la plus simple et plutôt efficace consiste à remplacer l'organe ou sa fonction par une prothèse tout ce qu'il y a de plus artificielle.

Parmi les prothèses très ordinaires souvent fabriquées en titane, beaucoup d'adultes portent par exemple une prothèse de rotule de hanche ou de genoux, des fixations vertébrales ou lombaires, une bridge ou une dent sur pivot implantée sur une visse qui remplace la racine dentaire et supplante définitivement le dentier que les plus riches peuvent reléguer au musée de la médecine du XXe siècle.

Les nouvelles thérapies et prothèses (en 2010). Documents 5W Infographic et Le Figaro.

La bioélectronique et les prothèses pilotées par ordinateur sont également entrées en force dans les nouvelles thérapies ainsi qu'en témoigne les infographies présentées ci-dessus. Plus d'un handicapé vivent aujourd'hui avec des implants dans la tête, dans la colonne vertébrale, dans la poitrine, dans l'abdomen ou dans les membres. Ces appareils pas plus grands qu'une boîte d'allumettes et qui tendent encore à se miniaturiser jusqu'à l'épaisseur d'un film sont constitués d'un microprocesseur, d'un électrostimulateur ou de fils de silicium reliés aux nerfs du patient.

En 2000, le docteur Wolfgang Wagner de la clinique ORL de l'Université de Tübingen en Allemagne a fixé un implant cochléaire (auditif) sur le tron cérébral (ITC) de Gerald Zschornbak qui a pu à nouveau percevoir des sons.

Si la prouesse chirurgicale reste entière, paradoxalement ce genre d'intervention tend à se banaliser et fait de moins en moins la une des médias. Cette solution est particulièrement efficace chez les enfants. Chez les adultes, dans un tiers des cas cet implant cochléaire permet au patient de suivre normalement une conversation, tandis que les autres constatent une amélioration de leur compréhension.

Concernant les lésions de la rétine, le professeur Eberhart Zrenner de l'Hôpital de l'Oeil de l'Université de Tübingen étudie la possibilité de greffer un processeur de 3 mm de côté sur les cellules postérieures de la rétine. A l'Université de Boon, le professeur Rolf Eckmiller de la Division de Neuroinformatique développe un système de vision artificiel basé sur une caméra fixée sur des lunettes relié à un ordinateur et une puce également greffée sur la rétine du patient. Demain, les Pr Zrenner et Eckmiller vont peut-être rendre la vue aux non-voyants.

Concernant les reins dont la fonction est vitale pour purifier le sang de ses déchets, en moyenne 40% des insuffisants rénaux chroniques vivent avec un rein transplanté et la liste d'attente était supérieure à 4 ans en 2012 en Belgique. Par conséquent, 60% des patients souffrant d'insuffisance rénale chronique doivent subir trois dialyses par semaine pour purifier leur sang. Le patient est relié à une machine encombrante pendant 3-4 heures à chaque séance, une méthode contraignante pour leur rythme de vie et parfois pénalisante pour leur vie professionnelle. Si la dialyse s'effectue encore souvent à l'hôpital, elle peut également être prise en charge à domicile (10% des dialyses en Belgique).

Le rein bioartificiel développé par l'Université de Californie à San Francisco (UCSF).

Selon le docteur Ronco, 50% des insuffisances rénales chroniques sont dues à une hypertension artérielle ou un diabète de type 2. Certains médicaments anti-inflammatoires et antibiotiques aggravent également la maladie. Aujourd'hui en France, une personne sur 22 présente une insuffisance rénale. Si la plupart des patients débutent généralement la dialyse vers 70 ans, elle affecte aussi la population active entre 49-69 ans et dans 30% des cas, cela impacte leur vie professionnelle. 

Statistiquement, une personne sur 1000 en Belgique (11000 patients) et une sur 1700 en France (38000 patients) est dialysée mais deux fois plus de patients soit environ 2 millions de personnes dans le monde sont en phase terminale. Pour les personnes à risque, le dépistage précoce est donc vivement recommandé.

Pour aider les patients et éviter la contrainte de la dialyse qui reste finalement une solution à court terme, le bioingénieur Shuvo Roy qui dirige une équipe de 40 chercheurs à l'Université de Californie à San Francisco (UCSF) en collaboration avec neuf autres laboratoires américains ont présenté en 2010 le premier modèle de rein bioartificiel dont on voit une illustration à gauche. L'appareil alimenté sur batterie de 9V pesait 5 kg et se portait à la ceinture. Depuis le modèle a été amélioré et en 2013 sa taille fut réduite de 25% et son poids réduit à 4 kg comme on le voit sur cette photo et dans la vidéo ci-dessous.

Le projet est toujours à la recherche de financements et fonctionne sur un budget interne mais surtout grâce à des donations qui s'élèvent en 2015 à plus de 7 millions de dollars. Au total, Shivo Roy estime que le développement complet du projet représente un investissement de 20 millions de dollars sur 10 ans. La moitié de cette somme a déjà été investie (phase 1).

L'appareil de dialyse comprend deux chambres, un hémofiltre qui reçoit le sang dont les membranes de filtrage en silicium tirent profit de la nanotechnologie (les pores mesurent quelques microns de diamètre) et un bioréacteur contenant des cellules rénales vivantes qui absorbent l'essentiel de l'eau, des sucres et des sels et les renvoient dans la circulation sanguine.

Cette nouvelle prothèse représente donc beaucoup d'espoir pour tous les patients dialysés en remplaçant l'encombrant appareillage clinique par un dispositif de la taille d'une petite boîte qui tient dans la main que le patient devra soit porter à la ceinture soit implantée à la place du rein malade. Cette solution permanente améliorera grandement la qualité de vie du patient. Les essais cliniques de cette prothèse révolutionnaire ont débuté en 2017. Roy espère pouvoir fabriquer ce rein bioartificiel pour moins de 30000$ et le commercialiser vers 2020.

A voir : The Kidney Project at UCSF (2010)

The Artificial Kidney׃ Status and Next Steps (2016)

Statut du projet et Q&A : 2013, 2014, 2015, 2016

A l'inverse d'un rein naturel, l'appareil développé par l'UCSF ne peut pas secréter d'érythropoïétine, une hormone importante qui stimule la production de globules rouges. Comme les patients dialysés, les porteurs de ce rein bioartificiel devront prendre un médicament à vie. 

Notons que si une greffe de rein a une durée moyenne de vie de 10 à 12 ans, le rein bioartificiel peut fonctionnement indéfiniment et devra simplement être vérifié chez un spécailiste tous les deux ans notamment pour lui injecter de nouvelles cellules.

Dans le domaine des paralysies motrices, en mars 2000, le professeur Pierre Rabischong du CHU de Montpellier (unité 103 de l'Inserm, centre de traitement et de réadaptation pour tétraplégique Propara) a permis au Strasbourgeois Marc Merger devenu paraplégique suite à un accident de voiture, de sortir de son fauteuil roulant, de bouger ses jambes et de faire quelques pas aidé de simples béquilles. Voici quelques-uns des brevets déposés par le Pr. Rabischong depuis 1976.

L'électrostimulateur avant son implantation. Il est piloté par un ordinateur extérieur relié par câble qui, demain, sera un dispositif portable. Document Maxppp.

Il y a 2000 ans, selon la tradition Jésus dit au paralytique "Lève-toi et marche". Voici qu'aujourd'hui la médecine en fait presque autant ! D'obédiance catholique, le paraplégique Marc Merger s'est donc senti doublement concerné par cet ordre et en fit le titre de son livre relatant son aventure médicale. 

Car c'est bien l'aventure d'une science en mouvement qu'il nous relate. Le "miracle" a été permis grâce à des neuroprothèses et un électrostimulateur tel celui présenté à gauche constitué d'une puce implantée dans l'abdomen du patient lui permettant de stimuler les muscles de ses jambes qui ne recoivent plus d'impulsions nerveuses.

Quand le document a été présenté à la télévision, la prouesse technique en a ému plus d'un, notamment en pensant à tous les handicapés moteurs et en particulier à Christopher Reeves, le héro de "Superman" (1978) qui était alors cloué dans son fauteuil roulant suite à un accident de cheval survenu en 1995. Rappelons que Reeves et son épouse Dana ont encouragé la recherche sur la réparation de la moelle épinière à travers leur fondation Paralysis. Reeves nous quitta en 2004 sans jamais avoir pu remarcher, et son épouse en 2006.

Le Pr. Rabischong tient à préciser que le coût de l'opération de Marc Mergner est revenu à environ 30000 € qui furent pris en charge par une aide de l'Union Européenne, ce qui reste exceptionnel à titre privé et donc inaccessible à la plupart des handicapés. Cette opération représente aujourd'hui la seule technique permettant à quelques paraplégiques de tenir sur leur deux jambes. Mais cela ne va pas encore les transformer en marcheur ordinaire.

Aujourd'hui, les médecins pensent miniaturiser le dispositif et supprimer les câbles extérieurs notamment qui le relie à l'ordinateur, mais, faute de sponsors, Marc Merger doit reporter l'opération en raison du prix prohibitif du prototype qui n'est remboursé par aucune forme de fond social, pas plus que la rééducation. En attendant, d'autres handicapés moteurs peuvent déjà profiter de la première génération d'électrostimulateurs.

A lire : Un mini télescope implanté dans l'oeil (2007, sur le blog)

La médecine bionique

Si d'un côté l'évolution de la médecine moderne tend résolument vers l'abandon des prothèses au profit de la réhabilisation des organes lésés (notamment par les progrès réalisés dans l'étude des cellules souches et la culture de tissus), une autre voie prometteuse est celle de la médecine bionique.

Le crochet au bout du bras, le bâton en guise de pied ou le bandeau sur l'oeil meurtri n'existe plus que dans les histoires de pirates. Et pourtant, en ces domaines les prothèses artificielles et les greffes laissent encore à désirer au point que beaucoup d'amputés les jugent trop lourdes, trop rigides ou inesthétiques pour les utiliser quotidiennement.

Aujourd'hui, si les chirurgiens préfèrent encore greffer des mains sur des moignons justes sectionnés ou greffent des cultures de peau sur des grands brûlés des mains, c'est parce la victime dispose encore de ses avant-bras où se trouve les muscles commandant ses mains. Mais pour les victimes d'amputation jusqu'au coude ou jusqu'à l'épaule, ces muscles moteurs n'existent plus. Les neurochirurgiens n'ont pas d'autre solution que la prothèse et de tirer des nerfs de la poitrine notamment.

Depuis quelques années les neurochirurgiens choisissent de plus en plus la solution radicale : grâce à la cybernétique, ils envisagent de plus en plus remplacer le membre manquant par sa version artificielle et si possible bionique.

Si "L'homme qui valait 3 milliards" (1973-78) fit rêver toute une génération, aujourd'hui ce projet futuriste qui n'existait qu'au cinéma (bien que Lee Majors ait un genoux artificiel), devient progressivement une réalité. En effet, tout commença par les travaux précurseurs du professeur John Chapin alors à l'Ecole de Médecine de Philadelphie et de Miguel Nicolelis de la Duke University. Dans leur article publié en 2003, les chercheurs expliquent que leur but initial était de capter les informations transmises par le bras d'un singe à sa main au moyen d'électrodes placés dans le cerveau de l'animal. Le singe voyait sur un écran les aliments qu'il souhaitait attraper et pouvait commander à 1000 km de distance (par Internet) les mouvements d'un bras robotique.

Puis en 2004, le professeur John Donoghue et son équipe du Département de neurosciences de la Brown University ont mis au point une interface bionique (cerveau-informatique) permettant à Matt Nagle, tétraplégique C4 (paralysé depuis le cou), de contrôler son environnement directement par son cerveau. Pour la première fois, l'homme inventa une interface capable de transformer la pensée en action ! Nagle mourut en 2007.

Comme beaucoup de personnes, John Donoghue a été très sensible au calvaire et au combat de Christopher Reeves. La spinoff Cyberkinetics qu'il a créée travaille actuellement sur un dispositif capable de régénérer des fibres nerveuses afin de restaurer les sensations tactiles et le mouvement chez les personnes victimes d'une lésion de la moelle épinière.

Citons également les projets du DARPA destinés dans un premier temps à venir en aide aux vétérans de la guerre amputés des bras.

En 2006, les chercheurs du Centre de Médecine Bionique de l'Institut de Réhabilitation de Chicago (RIC) ont redonné le sourire à Claudia Mitchell, une jeune américaine amputée d'un bras. Ils lui ont permis de contrôler son bras bionique par la pensée (ci-dessous). Claudia Mitchell est devenue la première femme bionique ! Doté de six servomoteurs, son bras artificiel est relié à certains nerfs pectoraux de la jeune femme qui peut ainsi le contrôler. Inversement, elle ressent un effet quand une pression est exercée sur sa main bionique.

A voir : Un bras bionique pour les vétérans d'Irak, PBS

Durant une conférence de presse qui s'est tenue à Washington, D.C., en septembre 2006, Claudia Mitchell, la première femme bionique, a serré la main mécanique de Jesse Sullivan, également amputé, grâce à son bras bionique muni de 6 servomoteurs reliés à certains nerfs pectoraux de la jeune femme. Cette interface bionique permet à la jeune femme de piloter son bras par la pensée presque aussi facilement que chacun de nous le fait. Cliquer sur l'image pour lancer le film sur le site de PBS. Document RIC.

Un bras encore plus perfectionné de 2e génération a été élaboré par une équipe internationale de chercheurs sous l'égide du Laboratoire de Physique Appliquée (APL) de l'Université Johns Hopkins. Ce bras bionique présenté ci-dessous a été proposé à l'ingénieur Jonathan Kuniholm, qui perdit son avant-bras droit en 2005, alors qu'il servait dans le corps des Marines en Irak.

Ce prototype utilise des capteurs myoélectriques (des IMES ou Injectable MyoElectric Sensors) de la taille d'un grain de riz, développés par Robert Weir du RIC afin de rendre le bras plus compact. L'APL l'améliora dans un 3e prototype qui fut achevé en 2009. Depuis cette date, le kinésithérapeute et ingénieur Todd Kuiken et son équipe du RIC ont mis au point une main équipée de capteurs myoélectriques permettant au patient d'avoir des sensations tactiles.

Au delà de l'évènement chirurgical et médiatique, ces bras et ces mains bioniques donnent de l'espoir à tous les vétérans revenus de la guerre, et notamment d'Irak et aux victimes d'amputation.

A voir : Mercedes give teen a new bionic arm

Bionic hand gives a new lease of life

A prosthetic arm that feels, BBC Future/RIC

Le 7 août 2007, l'armée américaine a révélé par le biais de son contractant, le Laboratoire de Physique Appliquée (APL) de l'Université Johns Hopkins, son deuxième prototype de bras bionique. Le prototype a été présenté au cours de la conférence DARPATech 2007, le symposium sur la technologie et les systèmes développés par le DARPA. Il a été testé sur Jonathan Kuniholm, un Marine amputé de l'avant-bras droit en Irak. A droite, la main bionique développée par Nicolas Huchet et qui revient à moins de 1000 €. Document Bionicohand.

Seul contrepoint, cette technologie est très chère et n'est pas remboursée par la sécurité sociale. Les mutuelles remboursent bien certaines prothèses de main mais en général elles sont très simples, peu efficaces et inesthétiques. Aujourd'hui une prothèse de main bionique simple revient entre 20000 € pour le modèle "Touch Bionics" fabriqué en Écosse et plus de 50000 €.

Bonne nouvelle, Nicolas Huchet, un inventeur français, est parvenu à fabriquer une prothèse performante Open Source pour moins de 1000 € comme l'explique un article paru dans le webzine de France Info et le journal "Le Monde" en 2014. Notons que l'association Bionicohand propose plusieurs solutions équivalentes et publie également des actualités sur l'état de la recherche en ce domaine.

De la réalité à la fiction

Si les prothèses bioniques nous font déjà imaginer des jambes, des bras et des mains articulées à la puissance décuplée, ne faisons pas l'amalgame entre les prothèses conçues pour les handicapés moteurs, qu'il s'agisse de Claudia Mitchell, Marc Mergner ou feu Stephen Hawking et les cyborgs et autres robots dotés d'intelligence artificielle.

Les prothèses bioniques sont encore très loin de la souplesse des cyborgs qui déambulent nonchalamment dans "Star Trek" ou des androïdes belliqueux de " Star Wars" ou "Terminator". Actuellement, notre technologie bionique arrive à peine à satisfaire le cahier des charges de "L'Homme qui valait 3 milliards" des Studios d'Universal (1974) ou de "Robocop" de la MGM et Orion Films (1987). En fait, en l'état actuel, nous ne serions même pas retenus sur leur "short list" ! Cela veut dire qu'après deux générations et d'énormes investissements en recherche et développement, nous ne sommes pas encore parvenus au niveau technologique imaginé en 1974. En revanche, la robotique et l'IA ont fait d'énormes progrès, ce qui est déjà du temps de gagné pour le jour où nous aurons la capacité de créer un cyborg de toute pièce.

Quant au clonage, non seulement les lois interdisent le clonage d'êtres humains, mais la technologie n'est pas encore maîtrisée ni optimisée comme elle peut apparaître dans "Blade Runner" de Ridley Scott (1982).

A voir : Six Million Dollar Man, Universal Studios, 1974-78

Blade Runner, Ridley Scott, 1982

Robocop, MGM/Orion Films, 1987

Entre notre réalité et la fiction présentée au cinéma, il n'y a rien de commun. Certes tout est artificiel à Hollywood mais il faut comprendre... truqué à grand renfort d'effets spéciaux. Il y a un gouffre technologique et temporel entre ce que nous pouvons et ce que nous voudrions faire en matière de médecine, de nanotechnologie, de bionique et de robotique, un vide scientifique et technologique que nous ne comblerons peut-être pas avant plusieurs générations voire plusieurs siècles dans certains domaines.

Mais parler d'intelligence artificielle à propos d'une prothèse bionique nous éloigne très rapidement de notre sujet qui n'a d'intelligence que celle du programme que l'informaticien a stocké dans la mémoire de sa puce électronique qui réagit en fonction des stimuli perçus par les propriocepteurs fixés sur des extensions mécaniques. Ce ne sont en aucun cas des neurones ou des muscles, pas même synthétiques, mais des systèmes alternatifs mécano-bioniques qui sont loin de présenter les performances des tissus vivants; ils chauffent, peuvent se gripper ou tomber en panne et des ingénieurs doivent assurer leur maintenance, autant de problèmes potentiels inexistants dans un organisme vivant qui en revanche dispose de moyens naturels pour se maintenir en bonne santé et cela, aucune machine aussi perfectionnée ou intelligente soit-elle ne peut encore le simuler.

Les implants cérébraux

Nous connaissons la technologie d'électrostimulation ou tDCS (trans-cranial direct current stimulation) qui permet de traiter des pathologies neurologiques en stimulant électriquement des zones précises du cerveau. Plusieurs études montrent qu'elle est bénéfique pour traiter la dépression, l'anxiété, des douleurs chroniques ou la maladie de Parkinson. La technologie est si prometteuse que des chercheurs de l'Ecole de Médecine de l'Université Johns Hopkins en ont fait l'éloge.

En dehors du cadre médical certains chercheurs voudraient utiliser cette technologie pour améliorer nos compétences intellectuelles, y compris nos capacités de concentration. Mais selon une étude sur la tDCS et la mémoire publiée en 2015, les résultats sont trop divergents, et par conséquent peu concluants. Selon une autre étude publiée en 2016, cette stimulation a produit l'effet contraire en réduisant les performances des sujets.

Bien sûr ce ne sont que des études préliminaires mais elles mettent déjà en évidence les risques potentiels d'une mauvaise utilisation de cette technologie dont on ne connait pas les effets de bord.

Malgré les inconnues et les risques autour de ces expériences, Nikolas Kairinos, un expert en intelligence artificielle et fondateur du groupe Fountech, prédit qu'au cours des 20 prochaines années soit d'ici 2040, nous aurons probablement des implants dans la tête qui nous permettront de tout apprendre : "Vous n'aurez rien à mémoriser. Apprendre ne consistera pas à mémoriser quoi que ce soit", a-t-il déclaré en 2019 au journal "Daily Star".

Nous sommes dans un scénario que les amateurs de science-fiction connaissent bien à travers des films comme "Matrix" (Les Wachowski, 1999), la série TV "Black Mirror" (Charlie Brooker, 2011-214) ou encorer "Elysium" (Neill Blomkamp, 2013) où le héros acquiert des connaissances ou mémorise des informations grâce un implant placé dans son cortex.

Selon Kairinos, les implants cérébraux signifieront également qu'il ne sera pas nécessaire de rechercher quoi que ce soit sur Google, car les réponses apparaîtront simplement dans votre tête. "Sans émettre de son ni taper quoi que ce soit, vous pourrez demander quelque chose comme 'comment dites-vous cela en français ?' Et instantanément, vous entendrez les informations de l'implant d'IA et pourrez le dire".

Si cela semble encore extraordinaire, cette perspective est plausible. Prenons par exemple, le projet Neuralink d'Elon Musk. Cette technologie a pour objectif de permettre aux humains de télécharger des informations numériques directement dans leur cerveau et d'utiliser des microprocesseurs cérébraux pour palier aux fonctions motrices défaillantes, en particulier chez les personnes atteintes d'un handicap moteur. Comme nous l'avons expliqué, beaucoup de progrès ont déjà été accomplis dans ce domaine.

La dernière réalisation de Neuralink est d'avoir implanté une puce cérébrale dans le cerveau d'un singe macaque de 9 ans pour lui permettre de jouer à un jeu électronique de Pong sans joystick ni clavier. Le singe appelé "Pager" joué à ce jeu en utilisant uniquement les signaux électriques de son cerveau. Cet exemple n'est pas très loin de ce que Kairinos envisage pour l'avenir de l'humanité.

A voir : Monkey MindPong, Neuralink, 2021

Selon Kairinos, "Le besoin d'apprendre quelque chose comme des perroquets va disparaître parce que nous y aurons accès instantanément. Google sera dans votre tête, et ce n'est pas exagéré. Ce sera comme avoir un assistant très intelligent qui pensera presque comme vous".

Mais un délai de 20 ans est-il vraiment réaliste ? Selon Kairinos, "Si vous regardez le développement de l'IA, les progrès que nous allons voir au cours des cinq prochaines années surpasseront ceux que nous avons vus au cours des 50 dernières. Nous sommes parvenus à un stade maintenant où nous allons voir des changements massifs et massifs. Donc, dans cinq ans, ce sera complètement différent de ce que nous avons maintenant".

Mieux encore, Kairinos pense que tous ces changements serviront l'humanité, au lieu de lui nuire : "Je sais que cela semble un peu ringard, mais nous nous concentrons sur l'intelligence artificielle qui rendra le monde meilleur – une IA qui améliorera la vie des gens à grande échelle, à l'échelle mondiale".

Ecrire en pensant à des mots

En 2021, des chercheurs de l'Université de Stanford ont annoncé avoir mis au point un implant cérébral qui permet à un homme ayant les mains paralysées de "taper" jusqu'à 90 caractères ou 18 mots par minute, rien qu'en pensant aux lettres ou aux mots. C'est deux fois plus vite qu'en utilisant l'ancienne méthode développée par les chercheurs (cf. F.R. Willett et al., 2021). Par comparaison, certaines personnes valides du même âge peuvent taper environ 23 mots par minute sur un smartphone.

Pendant longtemps les systèmes d'implants cérébraux ont reposé sur le fait que les patients déplaçaient avec leur esprit un curseur vers des caractères spécifiques sur un écran d'ordinateur. Cette fois, le nouvel implant développé par les neuroscientifiques Jaimie Henderson et Krishna Shenoy et leurs collègues permet à un patient d'encoder des mots en s'imaginant écrire ces mots avec sa main.

 Jaimie Henderson et Krishna Shenoy, qui travaillent à l'Université de Stanford depuis 2005 avec d'autres chercheurs sur des interfaces cerveau-ordinateur. Document Paul Sakuma.

Le participant, appelé T5, a perdu pratiquement tout mouvement sous le cou à cause d'une blessure à la moelle épinière en 2007. Neuf ans plus tard, Henderson plaça deux puces d'interface cerveau-ordinateur, chacune de la taille d'une petite aspirine, du côté gauche du cerveau de T5. Chaque puce possède 100 électrodes qui captent les signaux des neurones émis dans la partie du cortex moteur – une région de la surface la plus externe du cerveau – qui régit le mouvement de la main. Ces signaux neuronaux sont envoyés via des fils à un ordinateur, où des algorithmes d'intelligence artificielle décodent les signaux et interprètent le mouvement prévu de la main et des doigts de T5 puis affichent le mot sur un écran.

Les algorithmes d'IA ont été conçus dans le Neural Prosthetics Translational Lab de Stanford (NPTL), co-dirigé par Jaimie Henderson et Krishna Shenoy, PhD, professeur de génie électrique et professeur d'ingénierie et assistés par Hong Seh et Vivian W.M. Lim.

Les chercheurs qui travaillent sur ce projet depuis 2005, ont combiné le système d'implant neural avec une fonction de correction automatique qui présente un taux de précision de 99%, ce qui est de l'ordre de ce que fait un excellent dactylographe avec un clavier ordinaire. Mais ce qui est plus étonnant encore, c'est que cet homme, T5, est capable de taper très rapidement, devenant le dactylographe le plus rapide du monde.

Selon Shenoy, "Quand nous comprendrons vraiment le cerveau grâce aux neurosciences dans les décennies à venir, nous devrions être en mesure de faire beaucoup mieux dans une plus grande variété de tâches" (cf. SCMP).

Mais le plus grand défi auquel sont maintenant confrontés les chercheurs en implants neuronaux est la commercialisation, afin d'aligner ce genre de produit avec les activités d'entreprises comme Neuralink d'Elon Musk pour tenter de porter les implants cérébraux hors de la médecine et dans le domaine de l'électronique grand public.

Même si les avantages de cette technologie sont indéniables et pleins de promesses, il faut encore démontrer que l'implantation de capteurs à électrodes dans le cerveau est sans danger. Ensuite, il faudra convaincre le public de l'inocuité de ces implants et qu'ils ne portent pas atteinte à leur vie privée.

Mais nous n'en sommes pas encore là car dans l'immédiat il faut trouver un moyen pour rendre la chirurgie des implants neuronaux - qui est excessivement chère - plus abordable. Pour y parvenir, Shenoy espère que les entreprises privées investiront davantage de ressources dans son projet et son développement : "[C'est] peut-être le plus délicat de tous [les défis]. C'est là qu'il faut des personnes très spéciales pour vraiment se concentrer sur ces problèmes et investir leur argent et c'est là, par exemple, qu'Elon Musk et Neuralink ont vraiment un impact énorme car ils permettent à de nombreuses entreprises de recevoir des financements [en montrant ] à quel point ce domaine est important" (cf. SCMP).

A gauche, le principe de l'expérience réalisée par l'équipe de Jaimie Henderson et Krishna Shenoy de l'Université de Stanford pour convertir les signaux neuronaux en écriture sur l'écran d'un ordinateur grâce à des implants cérébraux et des algorithmes d'intelligence artificielle. A droite, le patient "T5" atteint de paralysie des membres s'imaginait en train d'écrire des lettres de l'alphabet. Grâce à deux implants cérébraux combinés à de l'IA, cet homme est capable d'écrire jusqu'à 90 caractères ou 18 mots par minute. Documents J.Henderson/K.Shenoy et F.R. Willett et al. (2021).

Si effectivement les progrès en neurosciences, en IA et en robotique sont spectaculaires et très utiles, tout le monde ne partage pas l'optimiste de Shenoy et de Kairinos, et des scientifiques ont déjà demandé de prévoir des garde-fous pour préserver le pouvoir de décision des humains face à la toute puissance d'une éventuelle IA superintelligente. On nuancera l'optimiste naïf de Kairinos dans l'article Le Meilleur des Mondes ou les dérives de la société.

L'holoportation

Quand le patient ne peut pas rendre visite à son médecin et que celui-ci est trop éloigné pour se rendre à domicile, il reste la télémédecine, c'est-à-dire la consultation à distance, actuellement par téléphone voire par Internet pour ceux qui en disposent.

Mais on peut aussi exploiter les nouvelles technologies comme la réalité virtuelle à travers ce qu'on appelle l'holoportation. La méthode consiste à exploiter la technologie Hololens de Microsoft (cf. la caméra Hololens Kinect) combinée à un logiciel de réalité virtuelle mixte qui permet aux utilisateurs de voir, d'entendre et d'interagir en 3D avec des personnes distantes comme si elles étaient réellement présentes dans le même espace physique.

Un médecin virtuel peut ainsi être holoporté en un autre endroit de la planète voire même en dehors de la Terre, dans un vaisseau spatial (cf. la démo faite à bord de la station ISS en 2021) ou même plus tard sur la Lune ou sur Mars pour guider le patient ou un confrère dans une procédure médicale complexe comme s'il se trouvait physiquement à côté de lui. Inversement, une personne en mission et loin de son médecin pourra utiliser l'holoportation pour discuter en privé avec son médecin resté dans son cabinet. On y reviendra.

A voir : The Microsoft Hololens Augmented Reality Glasses Review

PORTL CEO David Nussbaum live HoloPortation demonstration, Proto Inc

A gauche, le casque de réalité mixte HoloLens de Microsoft utilise des capteurs, des optiques avancées et un traitement holographique pour aider les praticiens. A droite, le chirurgien de vol de la NASA, le Dr Josef Schmid (au centre), holoporté dans la station ISS le 8 octobre 2021 avec les membres d'AEXA Aerospace qui ont développé le logiciel de réalité mixte (de gauche à droite, Andrew Madrid, le Dr Fernando De La Pena Llaca, Rihab Sadik, le Dr Joe Schmid, Kevin Bryant, Mackenzie Hoffman et Wes Tarkington). Documents Microsoft et NASA/ESA/Thomas Pesquet.

Bien sûr comme la télémédecine actuelle se limite à une conversation téléphonique, l'holoportation présente des limites : elle ne téléporte rien physiquement, ni le médecin ni aucun instrument médical auprès du patient. Or pour poser un diagnostic le médecin doit ausculter son patient et ne peut pas se fier uniquement à ce que lui dit le patient. Il existe bien des solutions consistant à utiliser des objets médicaux connectés dont les données protégées seraient accessibles à distance au médecin mais à ce jour on ne peut pas réaliser une auscultation ni une analyse de sang à distance (il n'existe pas encore de stéthoscope Wifi, pas de brassard Wifi pour la tension artérielle ni de seringue Wifi !). L'alternative consiste à demander au patient d'utiliser lui-même des instruments médicaux de base et de transmettre le résultat oralement au médecin virtuel. Si c'est limite sur le plan déontologique, ce serait une exception accordée dans le cadre restreint de l'holoportation.

Si le grand public peut exploiter depuis quelques années la réalité virtuelle et/ou augmentée à travers des jeux et simulateurs et même des documentaires interactifs, il faudra du temps pour que la technologie holoportée s'améliore et se démocratise. On peut juste imaginer que d'ici 2050 chacun pourra faire appel à un guide virtuel qui s'affichera tel un hologramme sur son smartphone ou un support dédié relié à un ordinateur qui l'aidera à accomplir certaines tâches techniques, que ce soit à titre professionnel ou à domicile, comme il existe aujourd'hui des tutoriels vidéos en ligne.

L'imprimante 3D

Depuis quelques années les chercheurs utilisent des imprimantes 3D pour fabriquer des objets; à partir d'un logiciel de modélisation tel AutoCAD et une matière première malléable supportant la chaleur (rouleau de fil en plastique, poudre métallique, etc), le logiciel pilotant l'imprimante découpe le modèle en tranches de 0.15 mm et le sculpte dans la matière première. Au final, vous disposez d'un objet fini prêt à être utilisé.

Aujourd'hui une imprimante 3D peut déjà fabriquer des prothèses médicales en polymères ou en titane (tête de rotule, os du crâne, stent, etc) et des modèles anatomiques, son champ d'application étant aussi vaste que l'imagination (cf. les jouets et accessoires, les pièces d'un réacteur miniature, la sculpture mathématique, etc) et comprend même des voitures, des maisons préfabriquées et des aliments.

En 2014, la première imprimante 3D capable de traiter la fibre de carbone ainsi que le plastique, le nylon et l'acide polylactique (PLA) en continu a été commercialisée par l'entreprise MarkForg3D (5000$ en 2014). La Mark One 3D permet de fabriquer des objets de 30.5 x 16 x 16 cm maximum avec une précision de 10 microns.

A voir : L'impression 3D

Amazing 3D Models Created on Objet 3D Printers

The First Carbon Fiber 3D Printer - Reconstruction faciale

Entreprises : MX3D (PB) - Materialise (B) - Stratasys (F) - Sculpteo (F) - Shapeways (USA)

A gauche, à l'image de la construction d'un pont suspendu au moyen de grues et de plateaux roulants, dans quelques années on peut imaginer un pont auto-portant qui s'auto-construit grâce à une imprimante 3D. Document MX3D. A droite, échantillon imprimé en 3D d'un matériau construit par une méthode de chimie paramétrique par l'architecte et designer Neri Oxman qui dispose de son propre laboratoire de recherche au MIT Media Lab. Cet échantillon contient de la mélanine réactive qui s'assombrit au contact des rayons UV nocifs.

Si ses principales applications concernent le domaine de la mécanique (secteur automobile, aviation, etc), la fibre de carbone étant à la fois solide, résistante et légère, elle trouve également des usages en médecine où elle peut servir de matière première pour fabriquer des pivots radiculaires (dents sur pivot), des éléments de reconstruction faciale et de petits accessoires.

A plus grande échelle, la fibre de carbone peut s'utiliser pour fabriquer des civières par exemple ou des accessoires robotiques. N'étant pas un métal, la fibre de carbone est transparente aux rayonnements de courtes fréquences et peut donc également être utilisée pour fabriquer certains éléments des scanners et autre installation IRM.

Face à ce marché en plein développement, on ne s'étonnera pas qu'une entreprise comme Materialise installée près de Bruxelles et spécialisée dans les impressions 3D offre son expertise aux ingénieurs des plus grandes entreprises du secteur automobile et au secteur médical, sans oublier les particuliers qui souhaitent une impression 3D customisée.

Pour un premier prix vers 1500 €, l'imprimante 3D offre l'avantage d'éviter la phase de conception du moule et de l'éventuelle sous-traitance. Actuellement, une imprimante 3D "grand public" peut fabriquer des volumes d'environ 50 x 30 x 30 cm. Elle permet à un particulier ou une startup de fabriquer des produits à petite échelle et de les commercialiser. Bientôt on en proposera en grandes surfaces et elles deviendront des objets de grande consommation comme n'importe quel autre produit.

A consulter : Combien coûte une imprimante 3D ?

La bioimprimante 3D

Une bioimprimante fonctionne essentiellement de la même manière qu'une imprimante 3D ordinaire, mais au lieu d’utiliser des plastiques ou des métaux pour construire des objets tridimensionnels, elle utilise des bio-encres à base de cellules humaines ainsi que les nutriments et les matériaux nécessaires à la régénération des tissus corporels, comme le cartilage, la peau et les os. Pour garder le tout solidaire, des "échafaudages" temporaires peuvent également être imprimés pour fournir les conditions physiques optimales et la stabilité nécessaires pour favoriser la reconstruction de la partie essentielle du corps et maintenir l'élément ou l'organe en vie.

A voir : L'imprimante 3D , une innovation qui peut tout bouleverser !!

3D bioprinting human skin, IE, 2020

Bioprinted mini pancreas will help in the fight against diabetes, EPFL, 2021

A gauche, principe de l'impression 3D du pavillon externe d'une oreille humaine. A droite, uttilisation d'une bio-encre pour régénérer du tissu humain vivant. Documents All3DP adapté par l'auteur et All3DP.

Aujourd'hui, grâce aux bioimprimantes on peut fabriquer des tissus vivants : de la peau (cf. la "skin printer" développée par l'Université de Toronto en 2018), des artères ou des organes creux comme une vessie, un nez ou une oreille. Bientôt on pourra fabriquer un coeur ou un rein à partir de cellules prélevées sur le patient et donc sans risque de rejet. Toutefois, ces organes ne sont encore que des tissus mous et flasques séparés de leur système nerveux car actuellement on est incapable de fabriquer ou d'imprimer des nerfs. On ne peut pas encore fabriquer un coeur complet et le voir battre sous nos yeux, prêt à être implanté.

Mais la technologie progresse. Preuve que ce rêve est à notre portée, en novembre 2018 l'ESA organisa son premier atelier de deux jours consacré à la médecine régénérative dans l'espace. Un mois plus tard, une bioimprimante 3D Organ-Avt développée par Invitro imprimait des bactéries à bord de la station spatiale ISS afin d'étudier la probabilité d'apparition de nouvelles maladies lors de vols spatiaux de longue durée.

Si on peut envisager imprimer des organes non vitaux, des tissus secondaires ou reconstruire des os (notamment la mâchoire, des parties du crâne, un tibia ou d'autres parties du corps), ne rêvons pas. Ce n'est probablement pas au cours de ce siècle que les médecins pourront guérir des personnes qui sont aujourd'hui en phase terminale du fait d'une malfonction ou du cancer d'un organe vital. Cultiver in vitro un organe vital avec tout son système nerveux sera une autre révolution que nous réserve peut-être l'avenir.

Prochain chapitre

La domotique

Page 1 - 2 - 3 - 4 - 5 - 6 - 7 - 8 - 9 -


Back to:

HOME

Copyright & FAQ