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Et si le temps n'existait pas ?

La notion de temps (II)

Pour Simon Saunders, philosophe de la physique à l'Université d'Oxford, le temps pourrait ne pas exister au niveau le plus fondamental de la réalité physique. En soi c'est déjà une révolution !

Dans ce cas, qu'est ce que le temps ? Et tant que nous y sommes, pourquoi est-il obstinément omniprésent dans notre expérience quotidienne ?

Pour le professeur John Wheeler de l'Université de Princeton, "Le temps est la manière pour la nature d'éviter que toutes les choses se passent en même temps." 

"La signification du temps est devenue une question terriblement problématique dans la physique contemporaine", explique Saunders. "La situation est tellement inconfortable qu'il est de loin préférable de se déclarer agnostique."

En fait, comme tous les chercheurs, Wheeler et Saunders ne disposent pas encore de l'outil théorique leur permettant de démontrer mathématiquement la nature du temps.

Mais si la majorité des chercheurs reconnaissent que la théorie quantique est valide mais incomplète (le paradoxe EPR, les inégalités de Bell ou les égalités de GHZ violent le réalisme local), la plupart d'entre eux n'accordent pas pour autant leur crédit aux concepts les plus abstraits comme la théorie des univers multiples, l'illusion du temps ou à l'idée que l'univers aurait plus de quatre dimensions. Ainsi que nous l'avons expliqué dans l'article consacré à l'interprétation de la physique quantique, dans un sondage informel réalisé à Cambridge en 1999, la majorité (52%) des physiciens concernés par l'informatique quantique ne partageaient aucune des interprétations actuelles (Copenhague, Bohm, Everett, etc) et restaient indécis en attendant qu'on invente une théorie plus complète. La théorie LQG ou la théorie M va-t-elle répondre à leurs attentes ? Il est trop tôt pour l'affirmer.

Le temps et l'espace sont relatifs

Le problème du temps s'est posé en 1905, lorsque Einstein a défini sa théorie de la relativité restreinte et démoli l'idée que le temps était une constante universelle. Par conséquent, passé, présent et futur ne sont plus absolus. C'est valable uniquement ici, localement. Ainsi, si en apparence la Terre ne bouge pas, changer de référentiel dirait Einstein, et placez-vous sur le Soleil. Vous verrez à quelle vitesse file la Terre : 30 km/s ! Chacun voit sa réalité par rapport à son référentiel et les battements de sa montre. Ces notions deviennent relatives.

Insatisfait d'avoir restreint sa théorie à des cas particuliers, en 1915 Einstein proposa sa théorie la plus généralisée, incluant l'effet de la gravitation. Ce faisant, il a ouvert une brèche en physique à propos de l'influence omniprésente de la gravité à l'échelle de l'univers. Cette règle est incompatible avec la physique quantique de l'infiniment petit car à la théorie locale et déterministe d'Einstein s'oppose la théorie non locale et probabiliste de la mécanique quantique.

Si on peut encore comprendre que la position, la longueur ou la distance d'un objet soit malléable en relativité - nous avons déjà fait l'expérience des effets de perspective - faire du temps une notion tout aussi malléable est plus déroutant. C'est pourtant aujourd'hui, l'une des questions au coeur des débats.

L'équation de l'Univers

Les éminents physiciens John Wheeler et Bryce DeWitt ont inventé en 1967 une équation qui unit la relativité générale et la physique quantique, l'équation de Wheeler-DeWitt, également appelée la "fonction d'onde de l'Univers" ou plus simplement l'"équation de l'univers", excusez du peu.

Cette équation est controversée, non seulement parce qu'elle unit des concepts locaux (relativité générale) et non locaux (physique quantique) mais surtout du fait qu'elle manipule la notion de temps. "On a découvert que le temps disparaît tout simplement dans l'équation de Wheeler-DeWitt", explique Carlo Rovelli, physicien théoricien de l'Université de Méditerranée à Marseille. "C'est une question qui a intrigué de nombreux théoriciens. Il se pourrait que la meilleure manière de réfléchir à la réalité quantique soit d'abandonner la notion de temps, de sorte que la description fondamentale de l'univers soit intemporelle."

Ainsi que nous le disions, personne à ce jour n'a réussi à intégrer la théorie quantique et la relativité générale dans l'équation de Wheeler-DeWitt. Néanmoins, quelques physiciens, dont Rovelli, pensent que si les physiciens parviennent à unir les deux théories cadres de la physique du XXe siècle, ils aboutiront inévitablement à décrire un univers dans lequel, finalement, le temps ne joue aucun rôle. Les physiciens ont baptisé cette question, "le problème du temps".

C'est peut-être la plus grande énigme de la physique, mais ce n'est pas la seule relative au temps.

La flèche du temps : haro sur les absolus

L'autre grande question est fondée sur l'observation et reste étrange : pourquoi la flèche du temps est orientée vers le futur ? Nous l'avons déjà évoquée en thermodynamique. Toutes les lois, celles de Newton, d'Einstein ou en physique quantique, qu'elles s'appliquent ici ou a des milliards d'années-lumière fonctionnent de la même façon, même si vous filmez le phénomène à l'envers. Un exemple : un homme marche. A l'envers, il marche à reculons. Cela nous pouvons le faire. Un exemple plus complexe : si localement l'univers construit des îlots ordonnés, des galaxies, des systèmes planétaires, des organismes vivants, tôt ou tard, cela finit par se désagréger et "tomber en ruine", comme la chaleur finit par se dissiper. Comme le disent les physiciens, l'entropie de l'univers ne peut que croître.

A lire : La symétrie du temps brisée dans l'interaction des trous noirs

Document T.Lombry

Nous constatons que le temps est à sens unique, les aiguilles de notre montre ne remontent jamais le temps. Or, les lois ne l'interdisent pas et la théorie des trous de ver ou les "boucles temporelles" du physicien Amos Ori de l'Institut de Technologie d'Israel (Technion) nous offrent en théorie le moyen de voyager dans le temps. Richard Gott III, Brian Greene et Michio Kaku parmi d'autres célèbres physiciens supportent également cette thèse. Mais ces théories restent spéculatives.

Mais a posteriori quelque chose empêche le temps de faire demi-tour; on ne peut pas remonter dans le temps. Seth Lloyd, physicien spécialisé en informatique quantique au MIT, nous dit que  "l'explication communément admise à propos de la flèche du temps est de dire que pour spécifier la manière dont se déroule un évènement, nous n'avons pas seulement besoin de spécifier la loi qui s'y applique, nous devons également spécifier certaines conditions initiales ou finales."

Comme aurait pu le dire Newton ou Laplace, "donnez-moi les conditions initiales et je vous prédirai l'évolution du monde !" Donnez aux physiciens les conditions finales de l'Apocalypse, ils vous rebâtiront l'Univers mieux que le meilleur film de science-fiction !

Selon la majorité des physiciens, la mère de toutes les conditions initiales fut le Big Bang, ce phénomène d'une énergie inconcevable - mais quantifiable - qui donna naissance à l'Univers voici environ 13.77 milliards d'années.

Bien que les lois de la physique ne tiennent pas compte de la flèche du temps, l'expansion de l'Univers à laquelle nous assistons (les galaxies se fuient mutuellement et leur distance augmente), nous démontre qu'elle existe. A mesure que l'Univers grandit, il devient de plus en plus complexe et désordonné. Cette entropie croissante est dirigée par le taux d'expansion de l'Univers, lequel pourrait être à l'origine de la fuite incessante du temps en avant.

De ce point de vue, le temps n'est pas une donnée indépendante de l'Univers. Einstein nous a convaincu qu'il n'y a pas une horloge battant la seconde en dehors du cosmos, il n'est pas possible de définir une référence temporelle absolue, au grand dam de Newton et de ses émules.

Inverser la deuxième loi de la thermodynamique

Dans un article publié dans la revue "Nature Communciations" en 2019, le physicien théoricien Eric Lutz de l'Université de Erlangen-Nürnberg, en Allemagne, et ses collègues ont décrit une expérience qu'ils réalisèrent en 2017 montrant que, contrairement à la chaleur qui se dissipe dans une tasse de café si l'air ambiant est plus froid (cf. Clausius), les particules quantiques peuvent transférer l'énergie thermique des particules froides vers les plus chaudes, inversant la deuxième loi de la thermodynamique. Si la loi peut être inversée de cette manière, alors il est tout à fait possible que la flèche du temps puisse également être inversée.

Dans un système de particules non-corrélées, la chaleur du spin chaud se propage vers le spin froid. Si les particules sont corrélées (des qubits), le transfert de chaleur est inversé. Document E.Lutz et al. (2019) adapté par l'auteur.

Depuis 2008, des physiciens théoriques avaient prédit que cela pourrait se produire, en particulier avec des particules intriquées (cf. M.H.Partovi et al., 2008; D.Jennings et T.Rudolph, 2010; S.Jevtic et al., 2012; A.Riera et al., 2017), mais à présent ils ont la preuve que c'est possible.

Selon Lutz, le nouveau résultat "montre que la flèche du temps n'est pas un concept absolu, mais un concept relatif. Différents systèmes peuvent avoir des flèches de temps qui pointent dans différentes directions." Alors que la flèche du temps était apparemment inversée pour les deux particules quantiques étudiées par les chercheurs, elle pointait dans sa direction habituelle dans le reste du laboratoire.

Il était possible d'inverser la flèche du temps car les deux particules quantiques formaient un qubit; elles étaient quantiquement corrélées. Leurs propriétés étaient liées d'une manière similaire à l'intrication quantique mais pas aussi forte. Cette corrélation signifie que les particules partageaient certaines informations.

En thermodynamique, ordre et information ont une signification physique : c'est le concept d'entropie, une loi qui définit le manque d'information d'un système. On parle d'ordre sous la forme de corrélations. Cet ordre est une forme d'information, de connaissance du système qu'on peut représenter par le carburant qui peut être consommé pour faire circuler la chaleur en sens inverse.

Au cours de leur expérience, les chercheurs ont manipulé des molécules de chloroforme (CHCl3) de sorte que la température du noyau d'hydrogène soit supérieure à celle du noyau de carbone. En termes quantiques, la température (et non la chaleur) fait référence à la probabilité que le noyau de l'atome soit dans un certain état énergétique.

Comme illustré à gauche, lorsque les états énergétiques des deux noyaux n'étaient pas corrélés, la chaleur (le transfert d'énergie) s'écoulait normalement, de l'hydrogène chaud vers le carbone froid. Mais lorsque les deux noyaux présentaient des corrélations quantiques suffisamment fortes, la chaleur s'écoulait en sens opposé, rendant le noyau chaud plus chaud et le noyau froid plus froid.

Le principal intérêt de cette expérience est d'avoir montré un exemple de système dans lequel la flèche du temps n'est pas orientée dans le même sens que dans la plupart des autres conditions. Cela ne veut pas dire que les particules ont remonté le temps ou que le temps a reculé. Ce que Lutz et ses collègues ont observé entre les deux particules au fil du temps était le contraire de ce qu'on observe dans la vie courante mais en parfait accord avec les prédictions. Cela confirme une fois de plus que la vérité se trouve dans les équations et non dans le bon sens.

Nous verrons à propos des hypothétiques univers parallèles qu'en 2018, des physiciens ont hâtivement conclu qu'il existerait peut-être un univers parallèle suite à la détection inexpliquée d'évènements neutrinos dans le cadre de l'expérience ANITA réalisée en Antarctique par la Collaboration IceCube. Nous prendrons le temps de décrypter l'interprétation erronée des journalistes.

Les Gardiens du Temps

Jusqu'à Einstein, pour les physiciens sinon pour nous tous, quand nous pensons au temps, nous le considérons comme Newton l'a décrit : "Absolu, un temps vrai et mathématique, valant en soi, et à partir de la propre nature duquel, il s'écoule également, sans considération pour aucune chose extérieure."

Dans cet apparent fatras de câbles, de tubes et de lasers se cache l'horloge atomique à réseau d'ytterbium du NIST, l'une des plus précises du monde. Les physiciens ont combiné deux des horloges atomiques expérimentales pour créer l'horloge atomique la plus stable au monde. L'ytterbium est élaboré dans un four (situé à droite) puis injecté dans une chambre à vide (au centre) où il est sondé par des rayons laser amenés par fibre optique. Voici une photo prise en plein jour. Document NIST.

Ainsi que nous l'avons expliqué, Einstein a prouvé que le temps faisait intrinsèquement partie du continuum de l'univers. Contrairement à ce que Newton pensait, nos horloges ordinaires ne mesurent jamais des phénomènes indépendants de l'univers. En fait, les horloges ne mesurent pas le temps du tout.

Si vous visitez un jour l'Institut des Poids et Mesures de Paris (PIBM), l'Observatoire de Belgique à Bruxelles (ORB) ou l'Institut National des Standards et de Technologie (NIST) à Boulder, aux Etats-Unis, qui ont notamment pour tâche de définir l'heure avec une précision "atomique", ne leur dites jamais quelque chose du genre "votre horloge mesure le temps avec précision". Ils vous diront invariablement : "Nos horloges ne mesurent pas le temps"... Ils vous désorienteront tout à fait quand ils vous diront : "Non, le temps est défini par ce que mesurent les horloges". La différence est subtile, mais c'est la réalité. Les horloges atomiques définissent le temps standard pour le globe : le Temps est défini par le nombre de clics de leurs horloges. Si vous n'avez pas tout compris, relisez ce passage.

Rovelli, qui défend la thèse de l'univers quantique et intemporel, considère que les "Gardiens du Temps" ont raison. De plus, leur point de vue est compatible avec l'équation de Wheeler-DeWitt. "On ne voit jamais le temps", fait remarquer Rovelli. "Nous voyons seulement son effet dans nos montres. Si vous dites que cet objet bouge, vous voulez en fait dire que l'objet est à tel endroit quand l'aiguille de votre montre est ici, et ainsi de suite. Nous disons que nous mesurons le temps avec une montre, mais nous ne voyons jamais que les aiguilles d'une montre, pas le temps lui-même. Et les aiguilles d'une montre sont des variables physiques comme n'importe quelle autre. Aussi, dans un sens, nous trichons, car ce que nous voyons réellement ce sont des variables physiques, elles-mêmes fonction d'autres variables physiques, mais nous nous les représentons comme si tout évoluait dans le temps."

"En ce qui concerne l'équation de Wheeler-DeWitt, nous devons arrêter de jouer à ce jeu", nous dit Rovelli. "Au lieu d'introduire cette variable fictive qu'est le temps, qui n'est pas observable en soi, nous devrions simplement décrire les relations entre les variables. La question est : le Temps est-il une propriété fondamentale de la réalité ou juste l'apparence macroscopique des choses ? Je dirais qu'il s'agit uniquement d'un effet macroscopique. C'est quelque chose qui émerge uniquement pour les gros objets", c'est-à-dire tout ce qui existe au-dessus de l'échelle de Planck. Pour le dire simplement, le problème est que le temps pourrait ne pas exister au niveau le plus fondamental de la réalité physique.

Pour formaliser cette idée, en 1988 Carlo Rovelli alors à l'Université de Padoue et Lee Smolin de l'Université d'Harvard proposèrent la théorie de la gravité quantique à boucles, la concurrente de la théorie des cordes et des théories de supersymétrie.

Actuellement, Rovelli travaille en collaboration avec Alain Connes, mathématicien du Collège de France. Ensemble et grâce à la gravité quantique à boucles alliée à la théorie des "réseaux de spins" ils tentent de démontrer comment le quantum de temps pourrait émerger de l'écume quantique. Voilà une idée qui mérite le prix Nobel si on peut la prouver !

Rovelli la décrit de manière imagée : "Le temps pourrait être un concept émergeant à grandes échelles - un peu comme le concept de la 'surface de l'eau', qui n'a de sens qu'au niveau macroscopique mais qui perd son sens précis quand on l'examine au niveau atomique."

La réalité ultime intemporelle

Pour l'heure, il n'existe pas de théorie physique capable de décrire complètement ce à quoi ressemble l'univers en dessous de l'échelle de Planck.

Bien qu'il soit possible que les physiciens parviennent à unifier la théorie quantique et la relativité générale, aucune théorie ne semble pouvoir explorer les phénomènes en dessous de l'échelle de Planck.

Dans tous les cas, à l'avenir l'espace et le temps seront probablement décrits par une version modifiée de la physique quantique tenant compte de la gravitation. Dans une telle théorie, en plus de ne plus être absolus, l'espace et le temps ne sont plus continus. En lieu et place, ils se transforment en quantités discrètes, en quanta, à l'image de la lumière qui est constituée de quanta d'énergie, les photons. Ces quanta constitueraient les briques de l'espace et du temps.

Comprenez bien le sens de cette découverte. Bien que la taille de ces quanta élémentaires d'espace et de temps soit insignifiante (10-35 cm et 10-43 seconde) et ne change en rien notre réalité, du point de vue mathématique, cette progression discontinue de la métrique de l'univers à très petite échelle constitue une révolution intellectuelle. Elle signifie notamment qu'il existe un seuil quantifiable en dessous duquel il n'existe pas de quanta d'espace et de temps, comme il existe un niveau d'énergie précis au-dessus duquel les quatre interactions fondamentales sont unies. Cette époque primordiale, où se développait une théorie unifiée est aujourd'hui à notre portée. Mais si la situation actuelle est éclairante, les chercheurs ignorent encore à quelle distance se trouve la fin du tunnel.

Comment se représenter de telles entités ? Il n'est pas facile d'imaginer un espace et un temps constitués d'autre chose que ce que nous ressentons. De plus, où résideraient les composantes de cet espace et de ce temps quantiques, si ce n'est pas dans l'espace et dans le temps ? Nous devons étudier la question sous un autre angle.

En physique quantique, depuis 1926 et les travaux de Schrödinger, toutes les particules de matière et d'énergie (fermions et bosons) sont décrites par des ondes. Ce n'est pas incompatible avec la notion de quanta qui représente une quantité d'énergie discrète, car comme un quantum d'action, les différentes valeurs d'énergie d'une onde stationnaire ne peuvent progresser que par quantité discrète, à l'image d'une corde de guitare que l'on pince et dont le son progresse par note entière (un temps) ou demi-note (la croche valant un demi-temps).

Les ondes ont des propriétés particulières. Par exemple, un nombre infini d'ondes peut exister en un seul endroit car elles peuvent se superposer, s'additionner ou se soustraire. C'est ainsi que la lumière est capable de créer des figures d'interférences (expérience de Young).

Si on démontre un jour que le temps et l'espace sont compatibles avec les quanta, alors tenez-vous bien, on pourrait empiler tous les quanta dans un point sans dimension. "L'espace et le temps ont en quelque sorte fusionné dans cette image", dit Rovelli. "Il n'y a plus d'espace du tout. Ce sont juste des espèces de quanta superposés les uns au-dessus des autres sans qu'ils soient immergés dans un espace." Pas simple à comprendre....

Voyager dans le temps sans paradoxe serait possible

A l'échelle humaine

Parmi les innombrables romans de science-fiction ayant abordé le thème du voyage dans le temps, il y a bien entendu "La machine à explorer le temps" de H.G. Wells (1895) qui décrit ce qui se passerait si vous remontiez le temps et changeriez quelque chose qui modifierait le futur. Un exemple plus récent est le film "Retour vers le futur" de Robert Zemeckis (1985) où Marty McFly remonte le temps et empêche accidentellement ses parents de se rencontrer, mettant sa propre existence en danger. Des dizaines de films ont exploré ce thème ainsi que de nombreux séries TV dont "Star Trek", "Doctor Who", "The librarians" ou "Stargate SG-1" dans lequels le concept de trou de ver est largement exploité.

Une variante bien connue est le "paradoxe du grand-père" dans lequel un voyageur temporel tue son grand-père, empêchant ainsi la naissance du voyageur temporel. Ce paradoxe logique a donné le mal de tête à des générations de chercheurs, en partie parce que selon la théorie de la relativité générale d'Einstein, des lignes d'univers fermées ou "courbes temporelles fermées" sont possibles (cf. K.S. Thorne, 1993; A.Bartkiewicz et al., 2017), permettant théoriquement à un observateur de voyager dans le temps et d'interagir avec son moi dans le passé - mettant potentiellement en danger sa propre existence.

Mais nos scénaristes et nos chercheurs se sont peut-être trompés car les personnages ne sont peut-être pas du tout en danger. En effet, dans un article publié dans la revue "Classical and Quantum Gravity" en 2020, Germain Tobar de l'Université du Queensland et son collègue Fabio Costa estiment que si le voyage dans le temps était possible, il ne créerait pas de paradoxe.

Quelques auteurs de science-fiction considèrent que le passé est figé et ne peut pas être changé. Stephen King écrivit dans son livre "11/22/63" publié en 2011 : "le passé est inflexible" (the past is obdurate). Nous pourrions remonter le temps et même subir les effets de la relativité mais nous ne pourrions pas empêcher les évènements passés de se produire. Selon ce principe, même si par accident l'un de nos parents venait à disparaître, notre vie ne serait pas en danger.

Selon Tobar et Costa, même si nous apportions un changement dans le passé, la chronologie s'auto-corrigerait, garantissant que tout se produira afin de nous renvoyer dans la réalité de notre époque.

Prenons l'exemple du patient zéro de la Covid-19. Selon Costa : "Vous avez voyagé dans le temps pour tenter d'empêcher le patient zéro de la Covid-19 d'être exposé au virus. Cependant, si vous empêchiez cette personne d'être contaminée, cela éliminerait votre principale motivation de revenir en arrière et d'arrêter la pandémie. C'est un paradoxe - une incohérence qui conduit souvent les gens à penser que le voyage dans le temps ne peut pas se produire dans notre univers."

Emprunter un trou de ver dans un univers multiple pour voyager dans le temps ne créerait pas de paradoxes. Document Detlev van Ravenswaay/SPL.

Selon Tobar, "Vous pourriez essayer d'empêcher le patient zéro d'être contaminé, mais ce faisant, vous attraperiez le virus et deviendriez le patient zéro, ou quelqu'un d'autre le ferait." Selon les auteurs, le "paradoxe du grand-père" n'existerait donc pas parce que les évènements s'ajusteraient.

En d'autres termes, un voyageur dans le temps pourrait apporter des changements, mais le résultat initial trouverait toujours un moyen de se produire - peut-être pas de la même manière que dans la réalité "originale", mais suffisamment proche pour que le voyageur temporel existe toujours et soit toujours motivé pour remonter le temps. Tobar insiste sur ce point : "Peu importe ce que vous feriez, les évènements marquants se recalibreraient simplement autour de vous."

Selon une nouvelle étude publiée sur "'arXiv" en 2021, Barak Shoshany et Jared Wogan, tous deux du Département de physique de l'Université de Brock au Canada ont montré théoriquement que le voyage dans le temps serait possible, mais seulement dans des lignes temporelles parallèles. Selon les auteurs, cela n'affecterait pas la ligne temporelle dans laquelle nous vivons. Bien sûr, les auteurs assument qu'il existe des univers multiples et qu'il serait possible de fabriquer ou d'exploiter des trous de ver, deux concepts qui n'ont toujours pas été prouvés.

Les auteurs ont appliqué leur solution à deux types de trous de ver. Le premier est un trou de ver permanent, qui existe éternellement et renvoie tout objet qui y pénètre. Le second est un trou de ver temporaire qui n'existe qu'à deux moments particuliers, envoyant des objets d'un temps futur vers un temps passé et qui n'existe à aucun autre moment. Les deux modèles aboutissent à des paradoxes qui ne peuvent être levés qu'en assumant des histoires multiples.

La solution que proposent les chercheurs supprime à la fois le paradoxe de la cohérence (le paradoxe du grand-père) et la "conjecture de protection chronologique" de Stephen Hawking qui stipule que le voyage temporel serait impossible, mais qui n'a jamais été prouvée.

Le physicien théoricien Igor Novikov proposa la "conjecture auto-cohérente" qui dit en résumé qu'on peut voyager dans le passé mais on ne peut pas le modifier. Toutefois, les deux chercheurs ont montré qu'en acceptant des histoires multiples, on pouvait résoudre les paradoxes actuels et permettre à un voyageur temporel de modifier le passé sans affecter son univers d'origine. En théorie, un voyageur temporel pourrait quitter sa machine à explorer le temps dans différentes lignes temporelles. Le voyageur pourrait faire ce qu'il veut dans l'univers parallèle qu'il visite sans créer de paradoxe dans l'univers d'où il est venu.

A l'échelle quantique

Les résultats de Tobar et Costa semblent cohérents avec une autre étude théorique sur les voyages dans le temps publiée dans les "Physical Review Letters" en 2020 (en PDF sur arXiv) par Bin Yan du Laboratoire National de Los Alamos (LANL) et son collègue Nikolai A. Sinitsyn. Leur étude sur les qubits montre que les changements apportés dans le passé ne modifieront pas radicalement l'avenir.

Les deux chercheurs ont étudié l'effet de perturbations quantiques sur la transmission d'informations entre qubits. Dans ce scénario, Alice prépare son qubit dans le présent, puis l'envoie dans le passé. À un moment donné dans le passé, Bob interfère avec le qubit en le mesurant. Ensuite, le système poursuit son évolution jusqu'à l'époque actuelle où Alice vérifie son qubit.

En principe, le fameux effet papillon selon lequel les variables sont très sensibles aux conditions initiales (cf. la science du chaos) nous dit qu'étant donné que le qubit est lié à d'innombrables variables, la petite interférence de Bob devrait complètement changer le système au moment où nous reviendrons à l'époque actuelle où Alice vérifie son qubit.

C'est également ce que pensait Ray Bradbury dans sa nouvelle "A Sound of Thunder" (Un Coup de Tonnerre) publiée dans la revue Collier's en 1952 où même le fait d'avoir écrasé un papillon dans le passé, altère le futur.

A Sound of Thunder, par Ray Bradbury, 1952

Synopsis. Nous sommes en 2055 et le voyage dans le temps est devenu une réalité. La société Time Safari Inc. offre des safaris dans le passé pour tuer des espèces éteintes telles que les dinosaures. Le chasseur Eckels s'offre un safari à 10000$ pour chasser un T.rex.

Entre-temps, les élections présidentielles évincent Deutscher, un candidat apparemment fasciste au profit de Keith, un candidat apprécié par les citoyens.

Dans le passé, le guide Travis explique que les chasseurs doivent rester sur un chemin de lévitation pour éviter de perturber l'environnement, que tout écart sera puni de lourdes amendes, et qu'avant la chasse, des éclaireurs furent envoyés pour sélectionner et marquer leur proie - qui de toute façon serait morte quelques minutes plus tard - et dont la mort a été calculée pour avoir un effet minimal sur l'avenir.

En voyant s'approcher un T.rex, Eckels panique et s'écarte du chemin balisé. Le guide Travis tue le dinosaure puis un arbre s'abat sur l'animal. Pour éviter de modifier le futur, les chasseurs prennent soin de retirer les balles qui ont tué l'animal.

De retour à son époque, Eckels remarque des changements subtils dans la société : les gens prononcent bizarrement les mots anglais et se comportent différemment. Eckels découvre que Deutscher a remporté l'élection à la place de Keith. En regardant la boue sur ses bottes, Eckels trouve un papillon écrasé. Sa mort a apparemment modifié la chronologie et Eckels vit à présent dans une réalité alternative suite à son safari dans le passé.

Eckels supplie le guide Travis de revenir dans le passé pour réparer les dégâts commis, mais ce dernier lui rappelle que la machine à remonter le temps ne peut pas revenir à un instant passé qu'elle a déjà visité afin d'éviter tout paradoxe. Travis lève son arme et il y a un coup de tonnerre.

Mais les chercheurs ont constaté que ce n'était pas le cas. Le qubit d'Alice revient relativement inchangé, et elle peut récupérer les informations. Fait intéressant, le fait que le qubit soit lié à autant de variables semble être ce qui le sauve réellement des modifications car les informations du qubit actuel sont cachées dans les corrélations quantiques du passé. Ce réseau de connexions ne semble pas perturbé par le piratage temporel de Bob.

Plus étrange encore, plus le qubit remonte loin dans le passé, plus le système est compliqué et moins le qubit est perturbé par les interférences. Cela peut sembler paradoxal car contre-intuitif puisque logiquement les effets papillons devraient s'accumuler et s'amplifier. Mais selon Sinitsyn, cela ne fait que créer un réseau plus solide de corrélations quantiques pour protéger le qubit contre les modifications : "Nous avons constaté que la notion de chaos en physique classique et en mécanique quantique doit être comprise différemment."

Les dernières expériences sur les voyages dans le temps semblent indiquer que l'univers est peut être déterministe, comme le pensait Einstein. Toute les tentatives pour modifier un évènement passé ne feraient que renforcer l'émergence de cet évènement. Par conséquent, même un évènement futur pourrait avoir un effet dans le passé sans bouleverser le présent ni l'avenir.

Conclusion logique de cette expérience de pensée amusante, les chercheurs affirment que leur simulation pourrait avoir des applications concrètes. Puisqu'aucun processeur classique ne peut gérer ce type de simulation, elle pourrait être utilisée pour tester si un ordinateur quantique fonctionne réellement sur base de règles quantiques. L'équipe affirme également que le concept pourrait être utilisé pour créer de nouveaux protocoles de sécurité renforcés exploitant une intrication plus forte afin de transmettre des informations dans les systèmes quantiques. En effet, même si un pirate effectue des mesures dommageables pour l'état fortement intriqué du système, nous pouvons toujours récupérer facilement les informations utiles car ces modifications ne sont pas amplifiées par le décryptage. Selon Bin Yan, rien qu'à ce titre, il est intéressant d'étudier la faisabilité de construire un appareil quantique capable de cacher des informations.

Une révolution salutaire

Rovelli est conscient que son explication sur la nature du temps ne va qu'épaissir le brouillard qui stagne au-dessus de cette mystérieuse échelle de Planck. Confiant dans son intuition, il nous rappelle que l'essentiel des connaissances que nous possédons aujourd'hui, laissaient également les savants perplexes en leur temps. Pensez à Copernic et son idée "saugrenue" de placer le Soleil au centre du monde, ou à l'idée "hérétique" de Galilée qui croyait que la Terre tournait sur elle-même et autour du Soleil. Le sens commun nous dit le contraire, et pourtant aujourd'hui, mis à part quelques sectes obscurantistes, tout le monde accepte ces deux théories pour vraies. Mais il faut encore convaincre les sceptiques "saint Thomas". Aussi, des expériences et surtout l'exploration spatiale nous ont apporté des preuves indiscutables.

Dessin d'Einstein par Jeremy Sutton.

Toutes les idées et toutes nos représentations évoluent avec le temps, même ce portrait d'Einstein réalisé par Jeremy Sutton. Cliquer ici pour lancer l'animation (GIF de 717 KB).

Même au XXe siècle, le doute a plané dans l'esprit de nombreux scientifiques sur l'idée même de la "contraction des distances" et du "ralentissement du temps" évoqué par Einstein.

Une fois encore c'est l'astronomie et l'astronautique qui rallièrent les sceptiques à la cause de la relativité, et encore récemment, en 2007, avec les résultats de la mission Gravity Probe B qui sont venus renforcer la théorie d'Einstein.

En revanche, depuis plus d'un demi-siècle la situation est moins claire en physique quantique où les accélérateurs de particules peinent à nous décrire cette réalité ultime qui reste voilée en raison des contraintes même de la nature quantique et du faible niveau d'énergie atteint par les systèmes actuels. Ils nous offrent toutefois des traces d'interactions qui en disent long sur le profil des particules concernées.

A son tour, comme l'univers de Newton n'était pas celui de Copernic, l'univers quantique relativiste des théories de supercordes et autres théories membranaires n'est pas celui d'Einstein ni celui de Schrödinger. A chaque fois, le changement de paradigme fut radical, bouleversant l'image qu'on se faisait du monde. Cette remise en question créa à chaque fois une véritable révolution intellectuelle et un schisme entre l'ancienne et la nouvelle génération de chercheurs.

Qui a raison, qui a tort, cela ne se pose pas en ces termes. Les nouveaux concepts sont salutaires pour l'avenir de la Science car ils renforcent la confiance des chercheurs en leur capacité à comprendre des phénomènes que certains jugent un peu vite hors de portée de l'esprit humain.

Si ces nouveaux concepts généralisent les anciennes théories et parviennent à prédire de nouveaux évènements, que l'observation confirme leur existence ou simplement les faits actuels, et si par bonheur ils expliquent les paradoxes des anciennes théories, dans ce cas ils renverseront de facto l'ancien paradigme. Cette "théorie révolutionnaire" représentera dorénavant le "modèle Standard" qui sera enseigné à tous les étudiants.

Un modèle aussi complexe soit-il, représente-t-il pour autant la réalité ? Nous avons expliqué à propos de la philosophie des sciences, qu'un modèle mathématique est l'expression de la réalité. Einstein nous a démontré avec éloquence que les mathématiques ont ce gros avantage sur l'expérience, d'ajouter la preuve formelle des démarches scientifiques, démontrant et expliquant la nature des choses.

A travers l'exemple simple des coccinelles marchant sur un globe, Einstein nous a également expliqué qu'on pouvait visualiser mentalement n'importe quel concept, même l'infini. Bien sûr, on ne vous demandera jamais de visualiser un univers à 10 dimensions ou l'écume quantique, bien que les ordinateurs puissent le faire, mais nous n'en avons pas besoin car les calculs de probabilités nous suffisent pour l'appréhender.

Tout n'est qu'illusion

L'idée que le temps ne serait qu'une illusion reste possible. Mais évoluant dans le temps, comment pourrait-on valider cette hypothèse ? La question reste ouverte. Une voie de recherche se profile en physique quantique où il est possible d'arrêter la course d'un ion (cf. U.Oxford, 2021) et même d'arrêter des photons (cf. T.Goldzak et al., 2018). De la même manière, si le temps est un quanta, un jour on parviendra peut-être à l'arrêter. Mais dans ce cas, le temps ne sera figé que dans son propre référentiel. Ce n'est pas encore la fin de l'histoire.

En mars 1955, alors que son ami Michele Besso venait de décéder, Einstein écrivit une lettre d'encouragement à la famille Besso. "Maintenant il a quitté cet étrange monde un peu avant moi. Cela ne signifie rien. Des gens comme nous, qui croyons en la physique, savons que la distinction entre passé, présent et futur n'est seulement qu'une illusion obstinément persistente."

Rovelli entrevoie aujourd'hui une nouvelle brèche temporelle. "L'article d'Einstein de 1905 est apparu et a soudainement changé la façon dont les gens imaginaient l'espace-temps. Nous sommes de nouveau au milieu de quelque chose comme ça", conclut-il.

Townsend compare notre état actuel de connaissance à la vieille époque quantique de l'atome de Bohr, juste avant la pleine élucidation de la physique quantique : "Nous avons certaines images fécondes et quelques règles mais il est aussi évident que nous n'avons pas une théorie complète."

Kaku est résolument optimiste : "Pour la première fois dit il, nous pouvons voir le profil du lion et il est magnifique. Un jour, nous l'entendrons rugir."

Quand le brouillard sera dissipé, le temps, quoiqu'il puisse être, pourrait apparaître encore plus étrange et plus illusoire que ce que même Einstein aurait pu imaginer.

Pour plus d'informations

Les voyageurs temporels et l'effet Mandela (sur ce site)

Temps et devenir (en thermodynamique)

Le temps, raconté par Morgan Freeman, YouTube

La gravité quantique à boucles (sur ce site)

Et si le temps n'existait pas, Carlo Rovelli, Dunod, 2012/2014

Physicists May Have Just Figured Out Why Time Really Moves Forward, Not Backwards, Physics-Astronomy, 2016

New form of atomic nuclei just confirmed and it suggests time travel is impossible, Futurism, 2016

Brian Greene: Time Travel is Possible (vidéo), Futurism, 2015

Michio Kaku (son site web).

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