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Le champ magnétique terrestre

Introduction (I)

Depuis quelques années, l'étude du champ magnétique terrestre revient au devant de la scène suite à quelques mesures révélatrices et des simulations riches d'enseignement qui furent réalisées à partir de 1995 et sur lesquelles nous reviendrons.

L'étude du champ géomagnétique n'est pourtant pas si récente que cela; les premiers relevés remontent en effet à 1596. Des études ont ensuite été entreprises du chef de William Gilbert (1600), Edmund Halley (1692), Charles Coulomb (1777), Hans Oersted (1800), Michael Faraday (1830), Carl Gauss (1838) et James Clerk Maxwell (1865) notamment, les uns posant les concepts fondamentaux, les autres les démonstrations mathématiques.

En prenant une boussole en main, chacun a déjà remarqué que l'aiguille aimantée s'oriente sans coup férir dans une direction bien précise, à quelques degrés du pôle géographique. Cet angle s'appelle la déclinaison magnétique. On y reviendra.

La boussole s'avère très utile pour les marins et tous les voyageurs qui s'écartent des sentiers balisés et doivent calculer leur cap pour atteindre leur destination. Car il ne suffit pas de lire l'indication d'une boussole pour savoir où l'on est. On peut même dire que s'orienter avec une boussole requiert de l'expérience car il faut suivre certains procédures d'orientation sur les cartes et réaliser des calculs de conversions. Heureusement quelques livres ou programmes très didactiques nous apprennent rapidement ces techniques.

A l'exception des stages d'initiation, aujourd'hui l'usage de la boussole est dépassé depuis l'invention du GPS qui est principalement utilisé par les pilotes d'avions et les marins parcourant de longues distances.

Toutefois, le récepteur GPS utilisant des signaux radioélectriques, dans certaines conditions spatiales perturbées, il doit malgré tout tenir compte des indications géomagnétiques et ionosphériques au risque de donner des indications de positions erronées. Le même problème se pose dans les télécommunications par ondes-courtes (HF notamment) où de manière générale les signaux sont plus perturbés par le champ géomagnétique que par les conditions ionosphériques.

Le rôle du champ magnétique terrestre est donc relativement important pour certains métiers techniques et en particulier dans l'aviation. Il le devient encore plus quand on sait qu'il interagit avec le vent solaire et est à l'origine de la manifestation des aurores et de tous les effets statiques qu'elles peuvent déclencher dans l'environnement y compris aux infrastructures.

Définitions

Pour rappel, un champ est un espace dans lequel s'applique une force. Elle peut être de nature électrique autour d'une charge ou magnétique autour d'un courant électrique comme c'est le cas du champ géomagnétique.

Comme nous l'avons évoqué, le champ magnétique n'est qu'un élément d'une structure plus complexe qu'on appelle la magnétosphère. En principe toutes les planètes et les grosses lunes ayant un manteau actif présentent ce type de structure, plus ou moins développée et intense.

La magnétosphère terrestre comprend plusieurs composantes :

- L'ionosphère qui commence vers 60 km d'altitude avec la couche D et présente sa plus forte densité d'ionisation vers 1000 km d'altitude, dans la couche F (dont l'altitude moyenne se situe entre 100-300 km mais qui peut dépasser 800 km d'altitude).

- La sphère de plasma ou plasmasphère qui s'étend sur 4 rayons terrestres en direction du Soleil et jusqu'à 6 ou 7 rayons terrestres du côté opposé.

- Les Ceintures de radiations de Van Allen qui sont divisées en ceintures intérieures (entre 1000-13000 km d'altitude) et extérieures (entre 20000-40000 km d'altitude). Elles se voient temporairement complétées par une troisième ceinture intermédiaire lorsqu'il n'y a pas de tempête solaire et fusionnent pendant les tempêtes géomagnétiques.

Au-delà nous atteignons les limites du champ géomagnétique, c'est la magnétopause qui est en contact direct avec le vent solaire notamment.

Origine et évolution

Sur les traces du physicien anglais William Gilbert, étudions l'origine et l'évolution du champ géomagnétique.

Du point de vue magnétique, on peut assimiler la Terre à une sorte de gros aimant bipolaire : on reviendra en détails sur cette représentation en seconde partie.

A voir : Géomagnétisme - une invitation au voyage : du cosmos au centre de la Terre, IPGP

Source: http://easyscienceforkids.com/all-about-earths-magnetism/

Le champ géomagnétique. A gauche, à l'image d'un aimant la Terre présente deux pôles magnétiques de polarité opposée. Comme celui du Soleil mais à une fréquence bien plus faible, le champ géomagnétique peut s'inverser. A droite, sa représentation à grande échelle. Notez son inclinaison par rapport à l'axe de rotation de la Terre. Cette inclinaison qu'on appelle la déclinaison magnétique varie légèrement d'une année à l'autre. La magnétosheat (l'arc extérieur bleu orienté vers le Soleil) est une zone hautement turbulente sur le plan électromagnétique qui fixe la limite entre le vent solaire, un courant supersonique de particules chargées émises par le Soleil, et la magnétosphère. Documents Easy Science for Kids et T.Lombry.

La Terre s'entoure d'un champ magnétique, le champ principal (à différencier du champ magnétique d'origine externe et constituant la magnétosphère) généré par les mouvements du magma fluide et conducteur du noyau externe.

Pourquoi le magma est-il en mouvement ? D'abord parce qu'il est en fusion et donc fluide. Ensuite, c'est en raison de l'action combinée de la rotation de la Terre et de la convection. Comme les mouvements convectifs qui se développent dans un milieu chaud, cet océan de magma transporte les éléments légers vers le manteau supérieur (et les éléments lourds vers le noyau) dans un mouvement hélicoidal suite à la rotation de la Terre (force de Coriolis). Comme en électricité où toute charge électrique en mouvement (par ex. un électron) génère un champ magnétique et inversement, ce phénomène crée ce qu'on appelle la géodynamo à l'origine du champ géomagnétique. Ce champ nous protège des conditions sévères régnant dans l'espace, en particulier les rayonnements nocifs du Soleil porteur de hautes énergies. En complément, l'atmosphère joue également un rôle protecteur.

Grâce à la mission Swarm de l'ESA comprenant trois satellites d'observation déployés pour mesurer les signaux magnétiques du noyau, de la croûte, des océans et de l'atmosphère de la Terre, et des données historiques du satellite CHAMP, en 2018 les chercheurs ont confirmé l'existence d'autres facteurs contribuant au champ géomagnétique dont les roches magnétisées de la croûte terrestre et le flôt des océans. En effet, l'eau de mer est une source de magnétisme. Lorsque l'eau salée traverse les lignes de force du champ géomagnétique, cela produit un courant électrique qui génère un signal magnétique. Bien que la contribution soit faible et très difficile à mesurer, l'équipe de Nils Olsen de l'Université du Danemark est parvenue à mesurer les variations du signal magnétique induit par les marées sur une période de 24 heures comme on le voit sur les cartes ci-dessous. Ce signal magnétique de marées présente une amplitude de 5 nT et induit également une faible réponse magnétique sous le plancher océanique.

A voir : Swarm Mission (les marées magnétiques)

Lithospheric magnetic field, ESA

A écouter : Magnetic Song of Earth’s Foreshock in Space during Solar Storms

Cartographie des marées magnétiques générées par les océans (signal M2). L'amplitude atteint 5 nanotesla. C'est un instantané car il faut imaginer que les amplitudes varient constamment (cf. la vidéo), les zones positives devenant négatives et vice versa sur une période de quelques heures. Document ESA/SWARM adapté par l'auteur.

Cette découverte a permis de dresser une nouvelle carte du magnétisme généré par la croûte terrestre. Cela permettra également aux chercheurs d'en savoir plus sur les propriétés électriques de la lithosphère et du manteau supérieur.

D'autres observations par les satellites Swarm ont montré que le champ géomagnétique terrestre subit parfois des fluctuations rapides appelées "jerks". Dans une étude publiée par Julien Aubert de l'Institut de Physique du Globe de Paris et Christopher C.Finlaye de l'Institut National de l'espace danois dans la revue "Nature Geoscience" en 2019, les chercheurs ont découvert que ce phénomène est lié à la présence de zones de métal fondu qui s'élèvent vers la surface, modifiant le champ géomagnétique.

Ainsi que nous l'avons expliqué à propos de la Terre, le champ géomagnétique se serait formé il y a plus de 4.2 milliards d'années suite à la précipitation du dioxyde de magnésium (ou du dioxyde de silicium) dans le noyau, forçant la remontée des matières en fusion, ce qui déclencha l'effet dynamo. Il y a 565 millions d'années le champ géomagnétique est passé de faible et erratique à un état plus stable. Cela suggère que le noyau interne se serait seulement solidifié à cette époque, bien plus tard que prévu.

Une marée lunaire sur la plasmasphère

Dans un article publié dans la revue "Nature Physics" en 2023 (et résumé par Balázs Heilig dans le même numéro), le physicien des particules Quanqi Shi de l'Université de Shandong de Weihai en Chine et ses collèges, ont découvert que la Lune exerce une force de marée jusque-là inconnue sur la plasmasphère terrestre, créant des fluctuations similaires aux marées océaniques.

La plasmasphère est la région interne de la magnétosphère terrestre qui protège notre planète des tempêtes solaires et d'autres particules de haute énergie. Comme illustré ci-dessous à gauche, elle a la forme d'une couronne composée de plasma froid et se trouve juste au-dessus de l'ionosphère. Les particules ionisées de la plasmasphère réagissent comme un fluide. Cette région est plus dense que le plasma des régions extérieures de la magnétosphère, ce qui la fait couler au fond de la magnétosphère. La frontière entre ce plasma dense et le reste de la magnétosphère est appelée la plasmapause.

Selon les auteurs, "Compte tenu des propriétés de ce plasma froid et dense, la plasmasphère peut être considérée comme un"océan de plasma" et la plasmapause représente la "surface" de cet océan." L'attraction gravitationnelle de la Lune peut déformer cet "océan", faisant monter et descendre sa surface comme les marées océaniques.

A gauche, structure schématique de la plasmasphère terrestre. A droite, en a, une image UVE de la plasmasphère prise à la verticale du pôle Nord de la Terre par le satellite IMAGE le 26 juin 2000 à 14h14 TU. En b, une image similaire prise depuis la Lune par le satellite Chang'e-3 (CE-3) le 21 avril 2014 à 13h01 TU. L'intensité de l'émission UVE est exprimée en Rayleigh (1 Rayleigh = 10E6 photons/cm²/s/sr). Les flèches blanches indiquent la direction du Soleil. Les cercles noirs indiquent la taille apparente de la Terre. En c, les variations d'intensité (∆Lpp) en fonction du temps magnétique local (MLT) à la pleine Lune (LP=0). En d, à LP=6 (troisième quartier de Lune). En e, à LP=12 (nouvelle Lune) et en f, à LP=18 (premier quartier de Lune). Les pics de marée haute sont indiqués par les tirets rouges. Documents B.Heilig (2023) adapté par l'auteur et Q.Shi et al. (2023).

Jusqu'à présent, personne n'avait vérifié s'il y avait un effet de marée lunaire sur la plasmasphère. Pour étudier cette question, les chercheurs ont analysé plus de 40 ans de données concernant plus 50000 traversées de la plasmasphère par des satellites appartenant à 10 missions scientifiques, dont les missions THEMIS (Time History of Events and Macroscale Interactions during Substorms) et IMAGE (Imager for Magnetopause-to-Aurora Global Exploration) de la NASA ainsi que celles de la sonde spatiale lunaire chinoise Chang'e-3 qui se posa sur la Lune en 2013.

Les passages des satellites eurent lieu entre 1977 et 2015, une période qui connut quatre cycles solaires complets et presque deux cycles magnétiques. Ces informations ont permis aux chercheurs de prendre en compte le rôle de l'activité solaire sur la magnétosphère terrestre. Une fois l'influence du Soleil prise en compte, ils ont constaté que les fluctuations de la forme de la plasmapause suivaient des schémas quotidiens et mensuels très similaires aux marées des océans, indiquant que la Lune était la cause la plus probable des marées de plasma.

Les chercheurs ne savent pas exactement comment la Lune provoque ces marées de plasma, mais ils estiment que la gravité de la Lune provoque des perturbations dans le champ géomagnétique. Toutefois des recherches supplémentaires sont nécessaires pour valider cette théorie.

Les chercheurs pensent que cette interaction auparavant inconnue entre la Terre et la Lune pourrait aider les chercheurs à mieux comprendre d'autres parties de la magnétosphère, telles que les Ceintures de Van Allen qui capturent les particules énergétiques du vent solaire et les piègent dans la magnétosphère externe.

Selon les auteurs, "Nous soupçonnons que la marée de plasma observée peut affecter subtilement la distribution des particules énergétiques de la Ceinture de rayonnement, qui constituent un danger bien connu pour les infrastructures spatiales et les activités humaines dans l'espace." Ils ajoutent qu'une meilleure compréhension des marées pourrait donc contribuer à améliorer le travail dans ces régions magnétiques.

Les chercheurs veulent également savoir si le plasma dans les magnétosphères d'autres planètes est influencé par les lunes de ces planètes : "Ces découvertes peuvent avoir des implications pour les interactions de marée dans d'autres systèmes célestes à deux corps." Ce serait peut-être le cas du satellite Io de Jupiter qui gravite dans les ceintures de radiations de Jupiter et traîne justement derrière lui un nuage de plasma. La lune Ganymède possède aussi un champ magnétique. On y reviendra.

Découverte des ondes magnéto-Coriolis

Une équipe de géophysiciens franco-belge dirigée par Nicolas Gillet de l'Université Grenoble Alpes annonça dans les "PNAS" en 2022 avoir découvert un nouveau type d'onde magnétique qui traverse le noyau externe de la Terre tous les sept ans, déformant ainsi le champ géomagnétique de notre planète. Ces ondes dites "magnéto-Coriolis" ou MC s'alignent le long de l'axe de rotation de la Terre et, par effet Coriolis, se déplacent d'est en ouest dans de hautes colonnes, parcourant jusqu'à 1500 km par an.

Ces ondes furent théorisées depuis les années 1960 mais les chercheurs pensaient qu'elles se développaient sur des échelles de temps bien plus longues (cf. R.Hide, 1966).

Gillet et ses collègues ont identifié ces ondes grâce aux données collectées entre 1999 et 2021 par les trois satellites de la mission Swarm de l'ESA précitée. Ils ont ensuite combiné ces données satellitaires avec des mesures antérieures du champ géomagnétique prises par des capteurs au sol, puis ont utilisé un modèle informatique pour simuler la géodynamo, c'est-à-dire le flux convectif de fluide dans le noyau externe de la Terre.

A gauche, diagramme montrant un écoulement ondulatoire à la surface du noyau externe de la Terre et des lignes de force du champ magnétique à l'arrière-plan. A droite, simulation des ondes magnétiques MC traversant le noyau externe de la Terre. Documents N.Gillet al. (2022).

Selon les chercheurs, la source de ces ondes reste un mystère, mais elles proviennent probablement de "perturbations profondes dans le noyau [externe] de la Terre", vers 2900 km de profondeur.

L'existence de ces ondes pourrait expliquer les mystérieuses fluctuations du champ géomagnétique. Les mesures du champ géomagnétique montrent que son intensité diminue tous les sept ans environ, coïncidant avec les oscillations de ces nouvelles ondes MC. Selon Gillet, "Nos recherches suggèrent que d'autres ondes de ce type sont susceptibles d'exister, probablement avec des périodes plus longues - mais leur découverte repose sur davantage de recherches."

Décrivons à présent le champ géomagnétique proprement dit.

La dynamo auto-excitée de Larmor

Le seul effet de la conductivité électrique du magma en fusion n'explique pas la stabilité du dipôle du champ géomagnétique qui aurait dû disparaître au bout de 10000 ans par diffusion ohmique. Pourtant l'existence de ce champ est attestée depuis la formation de la Terre et sa force semble résolument s'orienter vers le nord. Une seule théorie semble expliquer sa pérénité et son intensité : la théorie de la dynamo auto-excitée.

Qu'est ce que la théorie dynamo en géophysique ? Ce concept mérite quelques explications, d'autant qu'il s'applique avec peu de variantes à la plupart des astres dynamiques, du Soleil aux galaxies.

Comme nous l'avons vu à propos du champ magnétique solaire, en 1919 Sir Joseph Larmor suggéra que le champ magnétique solaire pouvait être entretenu par ce qu'il appela la "dynamo auto-excitée", théorie pouvant expliquer la formation des taches solaires. Il terminait son article en proposant d'appliquer cette hypothèse au champ magnétique terrestre à condition que l'intérieur du globe soit fluide. Son intuition s'avéra géniale.

Illustration des lignes de force du champ géomagnétique.

Dans sa version la plus simple (Faraday) une dynamo est un système constitué d'un disque métallique mobile (symbolisant le noyau fluide de la Terre) monté sur un axe métallique que l'on place à proximité d'un aimant permanent (symbolisant les lignes du champ magnétique) afin qu'il soit partiellement plongé dans son champ magnétique. Quand le disque est en rotation on constate qu'il existe une différence de potentiel entre l'axe central du disque et le bord extérieur; autrement dit la dynamo génère un courant électrique (dans ce cas ci un courant continu qui peut alimenter la lampe d'un vélo par exemple).

Mais le modèle de la dynamo terrestre est plus complexe. Nous savons qu'en chauffant un aimant au-delà de la température de Curie du fer, il perd son pouvoir d'aimantation et donc son champ magnétique. Par conséquent il n'existe pas d'aimant permanent à quelques milliers de degrés. Or la Terre comme beaucoup d'astres présente un champ magnétique malgré les hautes températures régnant dans son noyau.

D'un autre côté la séismologie nous apprend que le noyau externe de la Terre est constitué de fer en fusion et réagit comme un liquide; il est conducteur d'électricité. Comme la dynamo, quand le noyau externe est plongé dans un champ magnétique, en l'occurrence le champ magnétique interplanétaire, des courants électriques prennent naissance accompagnés d'un champ magnétique. Mais en raison de leur résistance ohmique, ces courants décroissent rapidement et ont une durée de vie relativement brève. Il existe donc un mécanisme de régénération des courants électriques qui maintient l'activité du champ magnétique terrestre.

C'est ici qu'intervient la dynamo auto-excitée : l'idée de Larmor est de supprimer l'aimant permanent du modèle théorique et de le remplacer par des spires électriques. Un solénoïde parcouru par un courant générant un champ magnétique, on suppose que plusieurs milliers de kilomètres sous terre il existe de faibles courants électriques (ceux notamment induits par le champ magnétique interplanétaire et le vent solaire) qui remontent en spirale vers la surface suite à la rotation de la Terre. Ils génèrent autant de petits champs magnétiques qui produisent à leur tour du courant; le système dynamo est ainsi auto-excité. Les intensités de faibles courants s'accumulant, elles donnent finalement naissance au champ magnétique terrestre.

Mise en équation

En pratique, la Terre n'étant pas une dynamo de Faraday, le modèle théorique est un peu plus complexe et se divise en deux ensembles d'équations :

- les équations de la dynamique des fluides décrivant les effets mécaniques

- les équations de Maxwell décrivant les effets magnétiques.

Tout d'abord on applique les équations les plus simples de la dynamique des fluides (fluides MHD incompressibles, rotation uniforme, densité homogène, sphère parfaite, etc) en tenant compte des mouvements plus ou moins turbulents (nombre de Rayleigh, Ekman et autre Reynolds) liés à la rotation de la Terre et aux effets de la chaleur (advection, diffusion, poussée d'Archimède, etc).

Tous ces calculs permettent de calculer les effets mécaniques que subit le noyau externe en fusion. Ensuite on tient compte des effets des fluides conducteurs qui obéissent aux équations de Maxwell afin de calculer le champ magnétique terrestre. Reste à programmer tout cela et afficher les solutions sous forme graphique à l'échelle de la Terre.

Notons que les équations applicables au modèle terrestre sont différentes de celles utilisées pour le Soleil car notre étoile est constituée de plasma d'hydrogrène et non de fer et de silicates en fusion. Le Soleil présente également des effets dix milliards de fois supérieurs à ceux qu'on observe sur Terre et les astrophysiciens doivent avoir du souffle pour écrire leurs équations.

En théorie, le modèle terrestre devrait donc être plus simple mais en pratique les chercheurs butent sur bien des inconnues et des paramètres aux valeurs très inégales. Mais ce modèle donne déjà d'excellents résultats.

Paramètres et simulations

On découvre par exemple à travers l'équation d'induction que le champ magnétique (un vecteur) est transporté ou advecté par le fluide. Ce vecteur qui relie les particules crée une composante qui tient compte du cisaillement; autrement dit il peut créer du champ magnétique. Les calculs démontrent que lorsque le champ magnétique est fort, il va agir via la force de Laplace sur le mouvement de la matière.

Quatre paramètres permettent de contrôler la dynamique de ce système : le nombre de Rayleigh (Ra~300), le nombre de Ekman (E~10-15), le nombre de Roberts (q~10-7) et le nombre de Rosby (Ro~10-7).

Le nombre le plus important est le nombre de Rayleigh qui détermine l'effet de la convection (comme dans le cas des cellules de Bénard en météo). En effet, il détermine l'énergie que l'on apporte au système et donc la formation ou non du champ magnétique. Il doit donc exister des mouvements suffisamment turbulents dans les entrailles de la Terre pour former le champ géomagnétique, d'où une valeur de Ra très élevée.

Si on supprime un seul ou plusieurs de ces paramètres, Taylor démontra qu'il existe une seule solution, mais on ne peut pas la calculer. Il faut donc les conserver quitte à leur donner une valeur très faible.

Dans un cas, il y a plusieurs décennies on a pu démontrer que cette théorie ne pouvait pas créer un champ axi-symétrique (comme le dipole terrestre) et le théorème précédent ne semblait pas pouvoir se résoudre en 2D et donc certainement pas dans l'espace. Aujourd'hui, on a pu trouver des solutions mais dans un régime de paramètres qui est très éloigné des conditions du champ magnétique terrestre (E ≥ 10-5, q ≥ 1).

Chacun de ces facteurs peut donc varier d'un facteur 10 et produire autant d'évènements ou de solutions différentes. Des paramètres aussi disparates, les uns variant rapidement, les autres très lentement, ne plaisent pas aux physiciens. La théorie du champ géomagnétique n'est donc pas très facile à décrire, même dans le cas le plus simple.

A gauche, simulation du champ magnétique terrestre jusqu'à 2 rayons de distance dans le modèle Glatzmaier-Roberts simulé au PSC. En turquoise les lignes de force entrantes et négatives, en orange les lignes de force sortantes et positives. Au centre, structure du champ géomagnétique dans le noyau. L'axe de rotation est vertical. Les lignes turquoises sont à l'extérieure de la graine solide tandis que les lignes oranges sont situées à l'intérieur de la graine. A droite, comparaison entre l'intensité de la composante radiale du champ magnétique dans le modèle de Christensen et al. (en haut et remis à l'échelle) et les mesures sur le terrain (en bas). Pour des valeurs de paramètres qui paraissent pourtant loin de la réalité, le modèle est assez convaincant même s'il est encore approximatif. Documents Glatzmaier/Roberts 1995 et Christensen et al, 1999.

En 1995, après avoir manipulé les différents paramètres de cet ensemble d'équations, Gary Glatzmaier du Pittsburgh Supercomputing Center (PSC) de Los Alamos et Paul Roberts de l'UCLA sont parvenus pour la première à simuler le champ magnétique terrestre, y compris son inversion (voir page suivante). Cela démontrait que malgré le fait que tous les paramètres étaient "faux" d'un facteur excédant 10, le modèle pouvait s'appliquer au champ magnétique terrestre. Leur travaux furent publiés dans Nature. Depuis, de nombreuses équipes ont développé des variantes de ce modèle avec plus ou moins de succès.

En 1997, Weija Kuang du centre GSFC de la NASA et Jeremy Bloxham de l'Université d'Harvard (EPS) ont proposé un autre modèle de dynamo (le modèle Kuang-Bloxham) fondé sur un autre régime de paramètres. Puis ce fut le tour des Japonais Kageyama et ses collègues.

Plus intéressant, en 1998, Christensen et al. en Allemagne ainsi que les Français Emmanuel Dormy, Julien Aubert et Philippe Cardin de l'IPGP ont comparé leur modèle respectif avec un cas précis des modèles concurrents afin de vérifier s'ils obtenaient la même solution même en utilisant des approximations différentes. Ce "benchmark" a donné des résultats concluants; en changeant à peine les paramètres ils ont pu prédire l'intensité du champ magnétique à la surface du noyau.

Variation de l'énergie magnétique (en haut) et cinétique (en bas) en fonction du temps pour E=0.003, q=3 et Ra=210. Document V.Morin.

En 2003, C. Kutzmer démontra qu'il existait des solutions avec et sans effet dynamo et champ magnétique en fonction des valeurs du nombre de Rayleigh (1<Ra<50) et pour un nombre de Ekman fixé à 10-3 (pour rappel E~10-15 pour la Terre).

En diminuant le nombre d'Elman jusqu'à 3x10-4, ils sont parvenus à maintenir le champ magnétique. Cela suggère que ces solutions vont dans le bon sens et sont peut être connectées de façon continue jusqu'au régime le plus faible, celui qui intéresse le physicien.

Ces solutions ont également été proposées et décrites de manière plus complète par Vincent Morin du Laboratoire de Physique Statistique de l'ENS en 2005. Il démontra que toutes ces solutions ne sont pas équivalentes, certaines sont stables, d'autres sont instables, en fonction du nombre de Rayleigh et du nombre de Ekman.

On sait aujourd'hui que l'effet dynamo se maintient à condition que le champ dure un temps magnétique suffisamment long (plus de 3 ou 5 temps magnétiques selon les auteurs) car cela permet d'éviter la diffusion.

Ainsi qu'on le voit sur le graphique présenté à gauche, l'énergie magnétique fluctue suite à des phénomènes turbulents, au point qu'elle peut s'interrompre brutalement. Ainsi au cours de cette simulation où E=10-3, q=3 et Ra=210, au bout d'environ 140 temps magnétiques l'énergie magnétique qui jusque là fluctuait de manière chaotique tomba subitement à 0, alors que le champ de vitesse continuait à fluctuer et présentait même une plus grande amplitude.

Le système n'est plus remonté par la suite, la dynamo était morte et elle ne put se re-exciter. En fait, la solution B=0 est stable et le bruit exercé par la vitesse sur le champ magnétique était probablement en augmentation.

Bien sûr ce régime est encore 12 ordres de grandeur au-dessus des valeurs du champ magnétique terrestre et ne représente donc qu'une approximation qu'il ne faut pas dogmatiser.

Lien entre la turbulence et la reconnexion magnétique

Dans l'univers magnétique, il existe deux importants phénomènes : la turbulence et la reconnexion magnétique, qu'on retrouve évidemment dans la dynamique des aurores qui sont un produit de l'interaction du rayonnnement solaire avec le champ géomagnétique. Jusqu'à présent les chercheurs n'avaient pas pu prouver l'existence de reconnexions magnétiques dans un milieu turbulent.

Sachant que l'espace proche de la Terre est rempli de plasma, c'est-à-dire de particules chargées sous l'emprise d'un champ magnétique, les reconnexions sont l'un des mécanismes les plus importants car elles dissipent l'énergie magnétique et déplacent les particules chargées, contribuant à la dynamique du temps spatial comme la circulation atmosphérique contribue au temps qu'il fait sur Terre. 

Grâce aux quatre satellites MMS (Magnetospheric Multiscale Spacecraft) de la NASA orbitant en formation pyramidale, Tai D. Phan de l'Université de Californie à Berkeley et ses collègues ont découvert qu'il pouvait se produire des reconnexions magnétiques dans un milieu turbulent. Ces reconnexions se produisent lorsque les lignes du champ géomagnétique se brisent, projetant de manière explosive des particules chargées à des vitesses très élevées (jusqu'à 600 km/s). Ce type de reconnexion n'avait jamais été observé auparavant dans un plasma turbulent. L'annonce de cette découverte fut publiée dans la revue "Nature" en 2018.

A voir : NASA Spacecraft Discovers New Magnetic Process in Turbulent Space, NASA/GSFC

Explosive Magnetic Reconnection in Turbulent Plasma, NASA

Magnetic reconnexion

Aspect de la magnétosphère (en bleu) qui protège la Terre du vent solaire. La limite avec l'espace forme la magnétosheat (en jaune) sous laquelle le graphiste Josh Masters a essayé de reproduire les vortex hautement turbulents (en orange et gris). Cliquer ici pour lancer une brève animation. Document NASA/GSFC/Josh Masters.

Ces reconnexions magnétiques ont très souvent été observées dans la magnétosphère mais habituellement dans des conditions calmes. Or ce que Phan et ses collègues ont observé s'est produit dans la magnétosheath, juste à l'extérieur de la magnétopause, à l'endroit où le vent solaire est extrêmement turbulent. Jusqu'à cette observation, les scientifiques ne savaient pas si la reconnexion pouvait même se produire car le plasma est très chaotique dans cette région. Grâce à MMS, les chercheurs on montré que non seulement cela se produisait, mais sur des échelles beaucoup plus petites que laissaient supposer les données précédemment recueillies par les satellites.

Grâce à la faible distance séparant les quatre satellites MMS (~6.4 km), ils ont permis d'étudier des phénomènes minuscules à d'échelle spatiale que personne n'avait observé jusqu'alors. De plus, les instruments dont le Fast Plasma Investigation furent conçus pour enregistrer des données 100 fois plus rapidement que ceux embarqués à bord des satellites précédents et discriminer des phénomènes durant quelques dizaines de millisecondes. Ceci dit, malgré leurs performances, on sait à présent que ces instruments sont encore trop lents pour permettre d'analyser le mécanisme de reconnexion turbulente en temps réel. En effet, un tel mécanisme nécessite d'observer des zones étroites de particules (quelques dizaines de mètres de longueur) accélérées par les lignes du champ géomagnétique en train de se rétablir (se réenrouler). Si on compare ce mécanisme à la reconnexion standard (dans des conditions calmes) dans laquelle de larges jets d'ions sont éjectés du site de reconnexion, la reconnexion turbulente éjecte des jets étroits d'électrons mesurant seulement quelques kilomètres de largeur.

Malgré la résolution limitée des instruments, les chercheurs ont pu interpoler les données et lire pour ainsi dire "entre les lignes" du champ géomagnétique afin de collecter des données supplémentaires et mieux résoudre les jets de particules. Dans le cas présent, l'évènement ne dura que 45 millisecondes. Cette donnée servira de référence pour améliorer la prochaine génération d'instruments qui devront être capables d'identifier des phénomènes 10 fois plus rapides avec une résolution spatiale 6 à 7 fois supérieure afin de mieux comprendre ce qui se passe là-haut.

Prochain chapitre

Les modèles de référence du champ magnétique

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