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Les grandes étapes de l'évolution de la Terre et de la vie

Illustration de la collision entre deux planétoïdes de quelques milliers de kilomètres de diamètre. Document Lynette Cook pour Gemini Observatory/AURA.

L'histoire d'une extraordinaire planète (I)

Bien que l'évolution ait profondément modifié notre planète, tant physiquement, chimiquement que biologiquement, il est relativement aisé de remonter le temps. Seul bémol, la période la plus ancienne, l'éon Hadéen (par référence à Hadès, le dieu des Enfers, et qui précède la période Archéenne) qui s'étend de ~4.6 à 4.0 milliards d'années avant le présent reste incertaine.

Si avant 1960 les scientifiques estimaient que la prime jeunesse de la Terre serait à jamais inconnue en raison des effets de l'érosion, du métamorphisme des roches (l'altération des roches dans leur structure à l'état solide, de fusion ou dans un état mixte) et de la tectonique des plaques, à force de chercher et d'étudier divers échantillons, effectuant des recoupements et posant quelques hypothèses supportées par des modèles informatiques, géologues et géochimistes ont pu confronter leurs théories aux données recueillies par les missions scientifiques aux quatre coins du monde, aux découvertes lunaires et aux missions spatiales vers les autres planètes et les astéroïdes, et sont parvenus à relever le défi de décrire cette période Hadéenne avec une certaine précision.

Quant aux époques plus récentes, aidés par des méthodes de datation précises et des études multidisciplinaires supportées par des données toujours plus nombreuses et des simulations informatiques toujours plus puissantes, nous pouvons pratiquement retracer l'entiereté de l'histoire de la Terre et de la vie même si dans ses détails il reste encore beaucoup d'inconnues. Outre ces questions ouvertes, sachant que beaucoup d'endroits n'ont pas encore été explorés et cachent des fossiles, les sujet d'études ne manqueront pas aux générations futures.

L'histoire de la Terre étant très longue et abordant de nombreux thèmes et d'innombrables sujets, cet article a été condensé sur quatre pages qui décrivent chronologiquement l'évolution de notre planète et de la vie, dont voici le sommaire :

- De 4.6 à 4.0 Ga (cette page-ci) : Aux origines, l'histoire Hadéenne, la formation de la Terre silicatée, la formation de l'atmosphère, de la magnétosphère, des océans, l'émergence des premiers continents, les effets de l'érosion et de la Lune.

- De 4.3 à 2.0 Ga (p2) : L'apparition et le développement de la vie, les traces primitives de métabolisme, les premiers organismes (les stromatolites), l'ère des cyanobactéries, la Grande Oxydation, Lokiarchaeum.

- De 2.1 à 0.55 Ga (p3) : Les premiers métazoaires, le Milliard ennuyeux, les algues vertes, les champignons eucaryotes multicellulaires, l'Oxydation du Néoprotérozoïque, première biominéralisation, la glaciation Varanger ou la Terre "boule de neige", l'avènement des algues, l'Édiacarien, la formation de la couche d'ozone, Ikaria wariootia (le premier bilatérien).

- Depuis 542 Ma (p4) : Le Paléozoïque (du Cambrien au Permien), la Grande Biodiversification de l'Ordovicien (GOBE), la première extinction de masse, le premier animal terrestre (Kampecaris obanensis), la vie conquiert la terre ferme, le Permien, le Mézozoïque (Trias, Jurassique et Crétacé), l'apparition de l'Araucaria, l'apparition des angiospermes au Jurassique, l'extinction des dinosaures, le Cénozoïque (du Paléocène à l'Holocène), dernières évolutions des continents et du climat.

 Notons que "Ga" est l'abréviation de milliard d'années ou "giga-anum" et "Ma" est l'abréviation de million d'années ou "mega-anum" et furent adoptées internationalement selon le standard ISO 80000:3-2006.

Aux origines

Issue de la nébuleuse protosolaire qui se serait condensée voici 4.65 milliards d'années, selon les dernières estimations la Terre serait âgée de 4.5685 ±0.5 milliards d’années[1]. Cet âge est contemporain de celui des plus anciennes météorites connues (par exemple Erg Chech 002 âgée de 4.565 milliards d'années).

Pendant son premier milliard d'années d'existence, le Soleil présentait un taux de rotation de 9 ou 10 jours contre une moyenne de 27 jours aujourd'hui. Il était également plus actif avec des éruptions plus nombreuses. Ce facteur a vraisemblablement influencé les conditions d'habilité et donc l'essor de la vie sur notre planète et potentiellement sur les autres planètes du système solaire. On y reviendra dans d'autres articles.

L'étude de la composition de la croûte terrestre et des radionucléides montre que la plupart des métaux existants sur Terre (et dans le Soleil) furent créés par une ou deux générations de supernovae. En complément, l'étude des isotopes découverts dans des météorites montre que 0.3% des éléments les plus lourds existants sur Terre et notamment l'or, le platine et l'uranium furent créés grâce au processus r au cours de la fusion de deux étoiles à neutrons situées à environ 1000 années-lumière de la nébuleuse protosolaire (cf. I.Bartos et al., 2019). Cet évènement serait survenu quelque 80 millions d'années avant la formation du système solaire. Autrement dit, l'or des bijoux que vous portez aujourd'hui fut créé il y a 4.6 milliards d'années. S'il nous relie à notre partenaire, il nous relie également à notre origine cosmique.

Les abondances isotopiques du fer indiquent que la proto-Terre se serait formée en quelque 5 millions d'années (contre 10 à 20 millions d'années dans les anciennes théories) à partir de la poussière et non par accrétion de planétésimaux (cf. M.Schiller et al., 2020). Ensuite des objets de la taille du millimètre se sont accrétés sur l'astre en croissance, formant notre planète en une seule étape. On y reviendra à propos de la genèse du système solaire.

L'échelle des temps géologiques définie par la Commission Internationale de Stratigraphie (aussi en PDF de 326 KB, version anglaise sur le site ICS). Voici la version 2006 (PDF de 199 KB) qui reprend les anciennes subdivisions de l'Hadéen. Depuis 2012, les ères Primaire, Secondaire, Tertiaire et Quaternaire ont été remplacées par les temps géologiques ou éons Archéen, Protérozoïque, Paléozoïque, Mésozoïque et Cénozoïque, eux-mêmes subdivisés en ères et périodes ou systèmes. L'ancienne période Tertiaire a été renommée et subdivisée en Paléogène et Néogène (la limite C/T est donc renommée limite C/Pg).

Une histoire Hadéenne mal connue

L'histoire Hadéenne de la Terre est entourée de mystère. On considère que notre planète est née sèche, sans eau ni atmosphère. Pendant l'éon Hadéen, entre 10 et 70 millions d'années après la formation de la Terre, soit entre ~4.59 et 4.53 milliards d'années, le noyau métallique et le manteau silicaté se sont différenciés alors que selon la théorie de Martin Schiller et son équipée précitée, cette différenciation s'est produite durant les premiers 5 millions d'années d'existence de la proto-Terre, vers 4.60-4.59 milliards d'années, soit 2 à 14 fois plus vite que prévu.

Nous verrons en géophysique qu'aujourd'hui le noyau interne est solide et composé de fer cristallin tandis que le noyau externe est liquide et composé d'un alliage de fer et d'éléments plus légers (Si, O, S, C, Ni, etc.). Ces métaux proviendraient des météorites et autres planétésimaux ayant percuté la proto-Terre lors de la phase d'accrétion et qui auraient littéralement coulés au centre de la planète, le fer ayant percolé jusqu'au centre, formant la graine. Malgré les hautes pressions (< 140 GPa), le manteau est également en grande partie fluide et présente une température maximale atteignant 3700°C.

La Terre primitive recouverte d'un océan de magma il y a plus de 4.5 milliards d'années en train d'accréter des planétésimaux et de subir un bombardement intensif qui maintient sa surface en fusion. Document T.Lombry.

Les plus anciennes traces de fusion du manteau (la zone en fusion située sous la croûte terrestre solidifée) ont été découvertes à Ishua, à l'ouest du Groenland et sont datées de 3.872 milliards d'années sur base d'un excès en néodyme-142 par rapport à d'autres échantillons. Il s'agit de coussins basaltiques de lave issus de la fusion partielle du manteau qui ont conservé des traces d'une différentiation chimique primordiale au sein d'un océan magmatique.

Durant l'éon Hadéen, à la surface de la Terre régnait une température supérieure à 2000°C et une pression comprise entre 310 et 480 atmosphères (306-474 bars, sachant que 1 bar = 0.987 atm). Il existait déjà une atmosphère primordiale composée d'hydrogène et d'hélium mais nous verrons qu'elle fut rapidement dispersée au profit de gaz plus lourds.

Tous les géophysiciens ne sont pas unanimes sur l'époque précise à laquelle l'océan de magma de la Terre se solidifia. Il est certain que tant que la Terre accrétait des planétésimaux et subit un bombardement météoritique intense, la chaleur libérée sous les impacts n'a pas permis au magma de se refroidir.

Certains chercheurs comme l'équipe de Shige Maruyama de l'Université Chinoise de Géosciences de Beijing ont situé l'époque cruciale du refroidissement de l'océan de magma et donc la formation de la croûte terrestre vers 4.53 milliards d'années, d'autres vers 4.50-4.47 milliards d'années, soit une différence pouvant atteindre 600000 ans. Si pour le public cette différence de datation n'est pas importante et semble confirmer la théorie, en revanche pour les géophysiciens c'est un "détail technique" qui peut remettre en cause une ou plusieurs théories, en particulier les caractéristiques de la Terre primitive et la chronologie des évènements jusqu'à la formation des premiers continents, ce que nous allons décrire.

L'analyse stratigraphique de la Lune et les simulations de l'impact qui lui donna naissance permettent de déterminer si au moment de la formation de la Lune, la surface de la Terre était déjà solide ou encore couverte d'un océan de magma. Si cette dernière hypothèse explique mieux les caractéristiques actuelles de la Lune, la réponse n'est pas encore définitive.

Formation de la Terre silicatée (BSE)

La Terre silicatée ou littéralement la "Terre de silicate en vrac" (Bulk Silicate Earth ou BSE) fait référence à la composition chimique originale de la partie silicatée (composée de molécules de dioxyde de silicium - la silice - et d'oxydes métalliques) de la Terre après l'accrétion et la séparation d'un noyau mais avant la différenciation de la première croûte. Pour cette raison, les géophysiciens considèrent que la BSE est comparable à la composition du manteau primitif de la Terre, d'où les nombreuses études sur le sujet.

L'origine de la Terre silicatée reste en grande partie une énigme. Plusieurs modèles permettent d'évaluer la composition initiale de la BSE. Le modèle classique consiste à déduire la BSE de la composition chimique des météorites primitives indifférenciées, c'est-à-dire les chondrites carbonées du groupe pétrographique CI. En utilisant ce modèle, des éléments lithophiles réfractaires (ceux qui n'ont pas percolé dans la graine et sont restés dans le manteau de silicate) permettent de connaître les abondances relatives à l'image des processus observés dans les chondrites. D'autres modèles montrent des différences dans les rapports néodyme-142/néodyme-144 et lithium-3/lithium-4 entre les laves primitives du manteau et les chondrites, ce qui aboutit à une composition un peu différente et non chondritique du manteau primitif.

L’abondance d’éléments hautement sidérophiles dans le manteau terrestre remontant entre 1 et 3 milliards d’années peut être mesurée directement dans des xénolites du manteau lithosphérique remontés en surface par l’activité volcanique récente (à gauche). Les abondances d'éléments hautement sidérophiles dans la BSE (la masse de silicate en vrac) peuvent également être estimées par projection de la variabilité de la péridotite (à droite, selon H.Becker et al., 2006). La plupart des péridotites terrestres, indépendamment du MgO, ont un rapport Ru/Ir plus élevé que les météorites chondritiques. Document R.Walker.

Que savons-nous de la composition du manteau silicaté de la Terre primordiale en termes d'abondances des éléments sidérophiles (les éléments ayant des affinés avec le fer) ? Selon Maruyama, en théorie les sidérophiles se sont rassemblés dans le noyau métallique (la graine solide) lorsque le milieu est parvenu à l'équilibre chimique vers 4.567 Ga. Mais les observations indiquent une abondance trop élevée. Ainsi, les xénolites du manteau (des inclusions de roche ne provenant pas de la roche hôte dans une roche différente, par ex. des basaltes contenant de la péridotite) proviennent uniquement du manteau supérieur à moins de 150 km de profondeur (par rapport aux 2900 km d'épaisseur du manteau).

Une autre observation est la forte variabilité de roche à roche, même de la péridotite, ainsi que des isotopes du soufre. Ce problème intrigue les géologues depuis longtemps dont Righter et Drake de l'Université d'Arizona. Selon Maruyama, si on se base sur le modèle ABEL (Advent of Bio-Elements ou l'arrivée de bioéléments), cela peut facilement s'expliquer (cf. S.Maruyama et T.Ebisuzaki, Geoscience Frontiers, 2017; S.Maruyama et M.Santosh, Sciences, Part I, 2017 et Sciences, Part II, 2018). Mais tous les chercheurs ne partagent pas cet optimisme.

Une autre découverte critique bien que commune en planétologie, est le fait que l'astéroïde Vesta de ~530 km de diamètre a une forme presque sphérique et présente une croûte basaltique primitive sous laquelle se trouve un manteau et un noyau métallique. Étonnamment, ce petit astéroïde a déjà été fractionné, ce qui soulève la question de la source de chaleur. On peut imaginer que l'isotope aluminium-26 a fourni cette chaleur durant une courte période. Ce noyau et ce manteau de silicate furent fractionnés dès le premier stade de formation de cet astéroïde. Selon Maruyama, cette différenciation ne s'est pas produite lors de l'impact ultérieur avec un corps ayant 10% de son diamètre comme l'a suggéré l'équipe de Makiko K. Haba en 2019.

La théorie de l'océan de magma

Face à ces difficultés, l'équipe de Maruyama a complètement revu les modélisations à N corps afin d'expliquer le fractionnement des sidérophiles ainsi que le bombardement intense tardif. Selon Maruyama, "ces évènements ainsi que le modèle ABEL peuvent facilement expliquer la grande abondance de sidérophiles après l'équilibre chimique et la distribution homogène dans l'océan de magma (liquide). Une accumulation durant le bombardement ABEL tardif peut prolonger les caractères hétérogènes. Je crois que nous avons résolu des problèmes majeurs."

Sachant que selon certains chercheurs, les observations de la sonde spatiale lunaire LRO auraient remis en question le bombardement tardif (cf. P.Spudis et al., 2011), à la question de savoir si tous leurs collègues partagent leurs idées, Maruyama me répondit dans une communication privée, "nous ne savons pas si tous les scientifiques ont conscience que le modèle ABEL peut résoudre les questions énigmatiques relatives à la formation de la Terre." Il est vrai que cette théorie est récente et n'a pas encore fait l'objet de nombreuses études. Toutefois, il faut rappeler que la théorie de la migration planétaire rend compte du bombardement tardif et explique parfaitement l'évolution du système solaire. On ne peut donc pas tirer de conclusions générales à partir des seules données de la sonde LRO. Concrètement, il faudra que des géologues se posent sur la Lune et sur les astéroïdes pour analyser leur surface et de préférence en dehors des zones d'éjecta.

Pour illustrer nos propos, les schémas ci-dessous décrivent les hypothèses proposées par l'équipe de Shige Maruyama en 2017.

Le premier schéma (à gauche) illustre l'hypothèse où la Terre serait née avec de l'eau liquide, ce qui aurait entraîné l'absence d'anorthosite et de basalte mafique (riche en magnésium et fer) KREEP (acronyme de K pour le potassium, REE pour Rare Earth Elements ou lanthanides, et P pour le phosphore). La surface est recouverte de komatiite, une roche volcanique à olivine et pyroxène résultat d'une fusion partielle (jusqu'à 50%). Sous la komatiite, la péridotite se forme à partir d'olivine. Elle constitue aujourd'hui la plus grande partie du manteau (mais celle qu'on trouve en surface peut aussi avoir une origine métamorphique).

Les quatre autres schémas datés illustrent l'évolution chronologique du manteau de la Terre durant l'Hadéen dans l'hypothèse où la planète serait née sous la forme d'un astre rocheux sec (sans océan ni d'atmosphère) comme le propose par le modèle ABEL. Sans les composants océaniques et atmosphériques, de l'anorthosite (mélange d'au moins 90% de feldspath plagioclase et d'un peu de composants mafiques tels que l'olivine, le pyroxène, l'ilménite et la magnétite) et du basalte KREEP pourraient se former. Leur caractéristique commune est la formation de komatiite en surface par refroidissement rapide.

Évolution du manteau de la Terre selon les deux hypothèses courantes. A gauche, cas où la Terre est née avec de l'eau liquide. La séquence de droite (datée) est le cas où la Terre est née sèche. Voir le texte pour les explications. KREEP est l'acronyme de K (potassium), REE (éléments de terres rares ou lanthanides) et P (phosphore). Les cumulats sont des roches formées dans le magma. Documents Shige Maruyama et al. (2017) adaptés par l'auteur.

Il y a 4.56 Ga, lorsque l'océan de magma est apparu, en raison de la densité croisée, une partie de l'olivine du manteau coula tandis que l'autre partie remonta des profondeurs, l'olivine s'accumulant à 250 km sous la surface.

Il y a 4.55 Ga, suite au refroidissement du magma, seuls les métaux lourds comme le fer sont restés dans le résidu, ce qui força l'olivine à remonter par flottage (Cumulats Ol).

Il y a 4.53 Ga, l'anorthosite s'est initialement formée à une profondeur de 21 km. Puis elle remonta en surface en raison de la densité plus élevée de magma contenant des éléments riches en métaux lourds et forma la croûte. La croûte supérieure était probablement composée de gabbros fractionnés. La croûte reposait sur une couche de méta-anorthosite (grossulaire + cyanite + quartz) jusqu'à 50-60 km de profondeur. La densité croisée peut expliquer la formation de structure en couches d'anorthosite et d'olivine. Une fois la croûte anorthositique formée, le basalte KREEP s'est solidifié à partir du résidu.

L'épaisseur du basalte mafique KREEP dans la croûte inférieure qui le sépare du manteau supérieur n'est pas bien contrainte et aurait pu aller jusqu'à environ 100-200 km de profondeur en fonction du degré de fractionnement et de la stabilité gravitationnelle par rapport à la densité du manteau environnant.

Il y a 4.52 Ga, au stade final le magma et/ou la komatiite de KREEP ont émergé en surface suite à leur fusion dans le manteau solide. Les continents primordiaux ou cratons devaient être composés du résidu final de l'océan de magma sec enrichis en plusieurs éléments critiques, notamment Ca, Mg, Fe, Mn, P, K et Cl, exposés à la surface de la Terre sèche.

Environ 190 millions d'années après la solidification de l'océan magma, le bombardement ABEL qui se produisit entre 4.37 et 4.20 milliards d'années fournit des substances volatiles, notamment de l'eau, du dioxyde de carbone et de l'azote ainsi que des composants à base de silicate transportés par les astéroïdes glacés et les comètes. Cette période dura 200 millions d'années et fut accompagnée de bombardements météoritiques jusqu'il y a 3.9 milliards d'années, préparant la Terre à l'évolution chimique prébiotique. On y reviendra.

En raison d'une convection intense découlant des températures potentiellement élevées du manteau, les continents primordiaux se sont désagrégés et furent entraînés jusqu'au manteau inférieur, marquant ainsi le début de la tectonique des plaques de l'Hadéen.

A gauche, selon l'équipe de Shige Maruyama, l'océan de magma de la Terre se solidifia il y a environ 4.53 milliards d'années, ce qui permit la formation des continents primordiaux ou cratons composés de komatiite. La croûte supérieure était composée de gabbros fractionnés et la croûte felsique d'anorthosite présentait une épaisseur de 10 à 20 km. Elle reposait sur une couche de méta-anorthosite (grossulaire + cyanite + quartz) s'étendant jusqu'à 50-60 km de profondeur. L'épaisseur du basalte KREEP composant la croûte inférieure qui la sépare du manteau supérieur sous-jacent n'était pas très contrainte et aurait pu s'étendre jusqu'à environ 100 ou 200 km de profondeur selon le degré de fractionnement et la stabilité gravitationnelle en fonction de la densité du manteau environnant. A droite, illustration spéculative de la surface de la Terre Hadéenne immédiatement après le bombardement ABEL, il y a 4.2 milliards d'années (vue en plan au-dessus et en coupe transversale en dessous). Documents Shige Maruyama et al. (2017) adaptés par l'auteur.

Selon d'autres chercheurs comme Righter et Drake précités, il y a 4.50-4.47 milliards d'années, la surface de la Terre était encore un océan de magma qui libérait une chaleur intense (flux thermique >150 W/m2). La température de l'air était supérieure à 1200°C et la pression voisine de 270 bars, principalement entretenue par la vapeur d'eau et le gaz carbonique.

Il fallut patienter 70 à 100 millions d'années soit entre ~4.43 et 4.37 milliards d'années pour que la couche superficielle du magma se solidifie et que la croûte se forme.

Lorsque la croûte fut entièrement solidifiée, le flux thermique chuta en dessous de 150 W/m2 et la température en surface tomba sous 300°C. L'effet de serre resta important durant toute cette période avec une pression de gaz carbonique dans l'air de 40 bars (contre 3.5x10-4 bar aujourd'hui).

Concernant la Lune, mis à part sa naissance fracassante, les premières étapes de son évolution furent très similaires à celle de la Terre. Au début de l'Hadéen notre satellite encore chaud et envahi de lacs de lave se trouvait à peine entre 15000 et 25000 km de distance de la Terre. Il faudra attendre l'Archéen soit environ 800 millions d'années pour qu'elle se déplace lentement jusqu'à 100000 km de distance et influence sensiblement la période de rotation de la Terre et pratiquement attendre 4 milliards d'années pour qu'elle atteigne sa distance actuelle à environ 385000 km de la Terre. La Lune continue à s'éloigner de la Terre. On y reviendra.

A voir : Animation de la Terre et de la Lune primordiales, Mark Garlick

La Terre et la Lune primordiales subirent l'assaut des météorites durant quelque 150 millions d'années, accompagnés d'une intense activité volcanique. Illustrations de Mark Garlick.

La théorie de l'impact

Quelle est l'origine du carbone et des silicates qu'on trouve aujourd'hui dans tous les continents et qui forme la croûte terrestre ? Leur origine remontant à plus de 4 milliards d'années, il est pratiquement impossible de trouver sur la terre des roches antérieures à cette époque qui n'auraient pas été contaminées par des silicates. Il faut donc réaliser des expériences, créer des modèles et simuler l'évolution primordiale de la Terre pour répondre à ces questions qui restent largement débattues car on ne connaît actuellement ni la composition exacte ni l’épaisseur des couches fondues de la proto-croûte de l'Hadéen.

En revanche, le bassin de Sudbury situé au Canada (Ontario) que les géologues et pétrologistes appellent SIC (Sudbury Igneous Complex) est l'un des plus grands cratères d'impact terrestre avec un diamètre originel de 200 km qui a depuis été érodé par les forces tectoniques. Il s'est formé il y a environ 1.85 milliard d'années. Sous l'impact, la roche a été fondue sur une épaisseur de ~5 km et a été surchauffée entre 1700-2000°C. Le bassin du SIC est composé de couches de gabbros (roche plutonique magmatique), de norite (roche ignée intrusive), de diorite (roche magmatique), de granophyre (roche subvolcanique) et d'inclusions de mélanorite d'un diamètre de 10 à 100 m.

A gauche, le système Terre-Lune il y a environ 4.4 milliards d'années sous l'assaut des météorites et d'une intense activité magmatique. La Lune se trouvait à une distance comprise entre seulement 15000 et 25000 km de la Terre. A droite, carte pétrologique schématique (a) et section stratigraphique simplifiée (b) du complexe ligneux du bassin de Sudbury (SIC) situé au Canada montrant l'emplacement des différentes roches identifiées dont la mélanorite. Documents T.Lombry et Rais Latypov et al. (2019) adapté par l'auteur.

L'étude du SIC a levé une partie du mystère concernant l'histoire de la formation de la croûte terrestre. En effet, jusqu'à présent les chercheurs estimaient que le SIC s'était formé suite à la différenciation du magma. Or de nouvelles analyses suggèrent que ce phénomène fait suite à l'impact météoritique qui aurait enrichi la croûte terrestre en silicates. Voyons en détails comment cela a pu se produire.

Dans une étude publiée en 2016, le pétrologue Rajdeep Dasgupta de l'Université Rice et son équipe de géophysiciens ont décrit les résultats d'expériences simulant les conditions dantesques de pressions et de températures régnant à 400 km sous la surface de la Terre ainsi que sur Mercure au moyen d'une puissante presse hydraulique.

Selon le scénario des chercheurs, un petit planétésimal différencié comme l'embryon de Mercure contenant un manteau de carbone et un noyau riche en silicium aurait percuté la Terre il y a environ 4.5 milliards d'années, lui apportant du carbone très tôt dans son histoire. Au cours de son évolution, les métaux lourds présents en surface se sont enfoncés dans le manteau pour se concentrer dans le noyau et la graine. Les alliages métalliques liés au carbone et au soufre ont été entraînés jusqu'au manteau (riche en carbone) tandis que le reste du carbone s'est vaporisé dans l'espace (et même si ce carbone ne s'est pas vaporisé, il aurait fini dans le coeur métallique dont les alliages ont de fortes affinités pour le carbone).

Ce serait donc suite à l'impact d'un objet massif différencié que son coeur métallique plongea directement jusqu'au centre de la proto-Terre et que le carbone plus léger se dispersa dans le manteau de la Terre primitive. Le carbone ajouté au manteau remonta finalement en surface où il se solidifia, formant la croûte terrestre. Il s'est ensuite lié à d'autres éléments pour former des composés organiques complexes, les briques du monde vivant.

Document Rajdeep Dasgupta et al. (2019) adapté par l'auteur.

En 2018-2019, les chercheurs ont revu l'histoire de l'enrichissement de la proto-croûte terrestre en silicates sur base de l'impact d'un embryon protoplanétaire et proposèrent de nouveaux scénarii.

Dans une première étude publiée dans la revue "Science Advances" en 2019, l'équipe de Rajdeep Dasgupta précitée proposa que les silicates sont issus de la collision d'un planétoïde avec la proto-Terre. Dans une première phase (à gauche) se forme une planète de la taille de Mars ou d'un embryon de Mercure qui se différencie en un corps doté d'un noyau métallique entouré d'un réservoir de silicate. Dans une seconde phase, le noyau riche en soufre expulse le carbone dans les couches supérieures du manteau, produisant du silicate présentant un rapport C/N élevé. Ensuite, la collision de cette protoplanète avec la Terre en pleine croissance (à droite) peut expliquer l'abondance de l'eau et des éléments essentiels à la vie tels que le carbone, l'azote et le soufre ainsi que la similarité géochimique entre la Terre et la Lune.

Dans une seconde étude publiée dans la revue "Nature Communications" en 2019, l'équipe de Rais Latypov proposa un nouveau modèle de l'histoire de la cristallisation du SIC dont certains autolithes (la mélanorite) sont documentés et certains vestiges de la séquence initiale sont encore préservés localement dans le bassin de Sudbury.

Les chercheurs proposent le scénario suivant illustré par le schéma présenté ci-dessous à gauche :

(a) Un gros astéroïde heurta la Terre (encart) et généra en quelques minutes une couche fondue surchauffée et homogène recouverte d’une couche d'éjecta.

(b) Une seule couche homogène de matière fondue surchauffée durant l'impact est prise en sandwich entre les roches du soubassement formées sous le choc et la brèche des retombées de la formation d'Onaping.

(c) Après refroidissement, la masse fondue commence à cristalliser la mélanorite/norite felsique des limites extérieures vers l'intérieur. L'activité tectonique entraîne une perturbation de la formation de mélanorite/norite felsique dans la couche supérieure dont le plafond s'effondre, formant des blocs sur le plancher de la chambre temporaire.

(d) Le processus de perturbation se poursuit pendant la cristallisation du gabbro de quartz. Au moment de la cristallisation du granophyre, la quasi-totalité du plafond est détruite et contribue au changement de composition du plancher qui se remplit d'autolithes mélanorite/norite de différentes tailles.

En complément, trois scénarii ont été proposés par les chercheurs pour expliquer l'évolution de la composition de la proto-croûte mafique (riche en métaux)/ultramafique (pauvres en silice) de l'Hadéen et la cristallisation fractionnée des couches fondues suite aux impacts suivie d'un délaminage (cisaillement dans l'épaisseur de la couche) de leurs parties ultramafiques. On obtient les 3 séries évolutives présentées ci-dessous au centre et à droite.

A gauche, modèle de l'histoire de la cristallisation du SIC suite à l'impact d'une météorite. Au centre, modèle de l'évolution de la composition de la proto-croûte mafique/ultramafique de l'Hadéen suite à l'impact d'un embryon planétaire. A droite, diagrammes de phases pseudoternaires du Fo-An-Qtz montrant les séquences de cristallisation fractionnaires, le modèle stratigraphique et les profils de densité connexes. Voir le texte pour les explications. Documents Rais Latypov et al. (2019).

Étapes primordiales (a-c). Un gros astéroïde provoqua la fusion de la proto-croûte de l'Hadéen et généra une couche de masse fondue homogène et surchauffée. Après refroidissement, la lave s'est différenciée en un corps igné bien stratifié avec des cumulats (des roches formées par la chute de cristaux au fond d'une chambre magmatique) ultramafiques (dunite et orthopyroxénite) prédominant par rapport aux corps mafiques à felsiques (norite, gabbro de quartz, diorite et granite). Les cumulats ultramafiques sont plus denses que la proto-croûte et ont donc sombré vers la limite entre la croûte et le manteau. La séquence de cristallisation fractionnée est représentée dans le diagramme de phase (a-b).

Stades intermédiaires (d-f). Un gros astéroïde provoqua la fusion de la proto-croûte de l'Hadéen ainsi que des accumulations mafiques à felsiques remontant à l’impact précédent et généra une couche de fonte homogène et surchauffée. Après refroidissement, la lave s'est différenciée en un corps igné bien stratifié dans lequel les cumulats mafiques à felsiques ont commencé à prévaloir sur les ultramafiques. S'en suit la disparition des cumulats ultramafiques denses qui ont permis d'enrichir la proto-croûte en cumulats de composition évolutive, c'est-à-dire en roches plus riches en silicates. La séquence de cristallisation fractionnée est représentée dans le diagramme de phase (c-d).

Étapes tardives (g-i). Mêmes étapes que la séquence (d-f) à la différence que l'étape de la lave différenciée est à nouveau suivie par la disparition des cumulats ultramafiques denses, ce qui enrichit davantage la proto-croûte en cumulats riches en silicates. La séquence de cristallisation fractionnée est représentée dans le diagramme de phase (e-f).

Le résultat final de ce processus est l'accumulation de volumes substantiels de roches mafiques à felsiques et de caractéristiques géochimiques à basse pression dans la proto-croûte de l'Hadéen, formant des couches de plus en plus riches en silicates à mesure qu'on monte de la base vers la surface de la Terre.

Précisons que l'étude des impacts sur les exoplanètes permet aussi d'expliquer la diversité de leurs atmosphères.

Par la suite, nous verrons à propos de la Lune que l'astéroïde Théia aurait percuté violemment la Terre, libérant dans l'espace suffisamment de matière pour former la Lune. Nous verrons toutefois qu'il faut nuancer ce scénario de la "Lune fille de la Terre" pour expliquer certaines différences isotopiques entre les roches terrestres et lunaires.

Formation de l'atmosphère

Avant même la présence d'eau ou d'une magnétosphère, le plus important dans l’évolution de la Terre fut la formation de l'atmosphère car c'est le mélange approprié des gaz qui favorisa l'émergence de la vie à partir des océans et sa survie.

De nos jours, la Terre dispose d'une atmosphère composée de 78% en volume (75.5% en masse) d'azote et de 21% d'oxygène plus d'infimes quantités d'argon, de gaz carbonique et d'autres éléments, y compris solides. Ce n'est plus du tout la composition de l'atmosphère primitive capturée du disque protosolaire par gravitation qui se rapprochait de celle de Jupiter, à savoir constituée d'environ 81% d'hydrogène et de 18% d'hélium, elle-même proche de celle du Soleil (92% d'hydrogène et 7.8% d'hélium).

L'atmosphère terrestre était autrefois très différente de celle composée d'oxygène que nous respirons aujourd'hui. Lorsque la Terre s'est formée il y a 4.6 milliards d'années, une mince enveloppe d'hydrogène et d'hélium enveloppait notre planète encore en fusion.

Le jour se lève durant l'Hadéen sous une atmosphère brûlante et irrespirable et des terres à peine émergées et arides. Document T.Lombry

Dans un article publié dans la revue "Science" en 2005, Owen B. Toon de l'Université du Colorado et son équipe ont montré que l'atmosphère primitive de la Terre contenait probablement beaucoup plus d'hydrogène qu'on l'imaginait jusqu'alors. On y reviendra en détails à propos de la chimie prébiotique.

L'atmosphère primitive de la Terre aurait contenu jusqu'à 40% d'hydrogène. Selon les chercheurs, la quantité d'hydrogène qui se serait échappée de l'atmosphère primitive de la Terre se produisit à un taux probablement deux ordres de grandeur plus faible que les scientifiques l'avaient auparavant estimé. Ce faible taux est en partie basé sur une nouvelle estimation plus basse (< 800°C) des températures de l'atmosphère de la Terre primitive à quelque 8000 km d'altitude où elle rencontre le vide de l'espace. Les nouveaux modèles qui incorporent des flots de gaz supersoniques s'échappant du sommet de l'atmosphère tel un vent planétaire prédisent un refroidissement deux fois plus important.

Qu'est devenue cette atmosphère primitive ? Plusieurs hypothèses ont été proposées mais aucune n'est totalement satisfaisante ou autosuffisante.

Tout d'abord nous savons que les planétésimaux, de grosses météorites et l'astéroïde Théia (l'impacteur qui donna naissance à la Lune) contenaient non seulement des roches et des métaux mais également des gaz et vraisemblablement beaucoup de glace d'eau. Au moment de leur impact avec la proto-Terre en formation, une partie de l'énergie de choc fut transmise aux éléments légers qui ont acquis suffisamment d'énergie pour se libérer de l'attraction terrestre. Mais en même temps, d'autres impacteurs ont apporté des éléments volatils sur Terre, si bien que nous ignorons quel fut le bilan final de ces collisions.

Avant la mise en place du champ géomagnétique (avant 4.4 milliards d'années, voir plus bas), le flux de particules chargées transportées par le vent solaire était suffisamment intense pour souffler les éléments les plus légers qui se sont dispersés dans le milieu interplanétaire. Mais même s'il y avait eu un champ magnétique à cette époque, il aurait été sans effet devant la puissance du vent solaire. En effet, comme évoqué plus haut, des simulations indiquent que durant le premier milliard d'années le Soleil tournait sur lui-même trois fois plus rapidement qu'aujourd'hui et son activité était un peu plus intense.

Selon l'astrophysicienne Prabal Saxena du centre Goddard de la NASA, l'atmosphère primordiale d'hydrogène et d'hélium de la Terre disparut en 200 millions d'années.

En parallèle, à une époque où la couche d'ozone n'était pas encore constituée faute d'oxygène, sous l'effet du rayonnement UV, la vapeur d'eau contenue dans l'atmosphère fut photodissociée en atomes d'hydrogène qui se sont également échappés dans l'espace.

Ensuite, l'activité solaire s'est calmée, ce qui permit à l'atmosphère de se reconstituer et de retenir l'eau liquide.

En résumé, nous avons de la chance que l'atmosphère de la Terre ait survécu à cette période tourmentée. Si le Soleil présentait une rotation plus rapide, il aurait produit des éruptions 10 fois plus violentes et beaucoup plus fréquentes (jusqu'à 10 éruptions par jour). Même le champ magnétique terrestre n'aurait pas suffi à la protéger. Les éruptions solaires et en particulier les éjections de matière coronale (CME) auraient soufflée l'atmosphère, réduisant d'autant la pression atmosphérique sur Terre qui n'aurait jamais pu retenir l'eau liquide. La Terre serait devenue un endroit beaucoup plus hostile.

Bien que disparue depuis au moins 4.4 milliards d'années, les géochimistes ont découvert que des reliques de cette atmosphère primitive existent encore dans l'atmosphère et le manteau terrestre. En effet, des traces isotopiques d'hélium-3 (7x10-6 ppm) dont l'existence est liée sans équivoque à la nucléosynthèse solaire et donc contemporaines de la formation de la nébuleuse protosolaire sont présentes dans l'air ainsi que sur les dorsales océaniques où le déplacement des plaques tectoniques dépose des roches siliceuses riches en molécules de gaz archaïques. Les roches magmatiques que l'on y trouve peuvent concentrer les gaz dans un rapport 105:1. Ainsi, en Islande on a découvert que la concentration en hélium-3 est jusqu'à 37 fois plus élevée que celle de l'hélium-4. Même conclusion pour l'excès en isotope du néon-20 qui est plus proche de la composition du Soleil que de celle de l'atmosphère terrestre.

Perte partielle de l'atmosphère

Selon une étude publiée dans "The Astrophysical Journal Letters" en 2020 (en PDF sur arXiv) par Jacob Kegerreis de l'Institut de cosmologie computationnelle de l'Université de Durham et ses collègues, la Terre aurait perdu entre 10 et 60% de son atmosphère dans la collision qui aurait formé la Lune. L'ampleur de la perte atmosphérique dépend du type d'impact avec la Terre.

Extraits d'une simulation hydrodymanique 3D de l'impact d'un corps géant sur la Terre primitive. Les couleurs dépendent de la nature des particules ou leur énergie interne, liées à leur température. Document J.Kegerreis et al. (2020).

Les chercheurs ont effectué plus de 300 simulations sur des superordinateurs afin d'étudier les conséquences de différentes collisions majeures sur des planètes rocheuses disposant d'une atmosphère mince. Les résultats leur ont permis de développer une nouvelle façon de prédire la perte atmosphérique de toute collision sur un large éventail d'impacts sur des planètes rocheuses. Cela constitue une nouvelle source d'informations qui pourraient être utilisées par les scientifiques étudiant les origines de la Lune ou d'autres impacts géants.

Les chercheurs ont également découvert que des impacts géants à faible vitesse entre de jeunes planètes et des objets massifs pouvaient ajouter une atmosphère significative à la planète si l'impacteur avait également une atmosphère épaisse. Par conséquent, ils soutiennent l'idée que l'astéroïde Théia aurait percuté la Terre il y a environ 4.5 milliards d'années.

Dans une autre étude publiée début 2020, les chercheurs avaient noté que les impacts géants qui dominent les derniers stades de la formation des planètes peuvent avoir des conséquences très diverses sur les jeunes planètes et leurs atmosphères. L'étude examina sous quelles conditions les atmosphères minces pourraient être éliminées par des impacteurs propulsés sous différents angles et vitesses.

Dans leur nouvelle étude, les chercheurs ont analysé les effets sur une plus grande variété d'impacts en ajustant la taille, la masse, la vitesse et l'angle de l'impacteur. Ils ont également changé sa densité et sa nature; s'il était composé de fer, de roche ou les deux.

Les simulations de ces collisions ont révélé que des modifications des variables entraînent une perte ou un gain atmosphérique ou même parfois pulvérisent complètement la planète. Selon Luis Teodoro de l'Université de Glasgow et du centre Ames de la NASA et coauteur de cette étude, "Cette suite majeure de simulations planétaires met également en lumière le rôle des impacts dans l'évolution des exoplanètes."

A voir : Simulations Reveal How Planetary Impacts Affect Atmosphere, NASA-ARC

Le dégazage

Concernant les composés de l'atmosphère actuelle, nous savons depuis les années 1950 que les gaz contenus dans l'atmosphère proviennent de l'intérieur de la Terre. En effet, à l'époque où les planétésimaux se sont agglomérés, ils ont capturé le gaz du disque avant que celui-ci se dissipe. Ils ont donc emprisonné des gaz qui furent dissous dans le magma puis sont remontés en surface à travers les volcans, formant probablement 60% de l'eau des océans actuels et toute l'eau contenue dans l'atmosphère.

En draguant les fonds abyssaux à la recherche de roches primitives, les chercheurs découvrirent que 80 à 85% de l'atmosphère s’échappa durant le premier million d‘années de formation de la Terre. Le restant fut libéré lentement mais de façon continue pendant les 4.4 milliards d’années restants.

Entre 4.56 et 4.40 milliards d'années, le dégazage intensif des éléments volatils a permis de remplacer l'atmosphère primitive héritée du Soleil par des éléments volatils extraterrestres ou résultant de transformations chimiques locales. La température à la surface de la Terre passa progressivement de plus de 2000°C à moins de 300°C, tout le gaz se trouvant encore à l'état de vapeur.

En surface, la pression (partielle) de la vapeur d'eau était de 270 bars (contre 17 millibars à 15°C aujourd'hui), celle du gaz carbonique était comprise entre 40 et 210 bars selon qu'on prend en compte uniquement le gaz carbonique de l'air ou également celui séquestré dans le manteau (contre ~0.42 mbar ou ~417 ppm aujourd'hui) avec un très important effet de serre.

La structure de l'atmosphère terrestre primitive était donc à prédominance de gaz carbonique et d'azote (cf. J.Kasting, 1984, 1993). Elle contenait également du méthane, de l'ammoniac, du dioxyde de soufre et de l'acide chlorhydrique, bref un environnement toxique et invivable, d'autant qu'il n'y avait alors encore aucune trace d’oxygène. Sa composition était alors identique à celle de Vénus aujourd'hui et trop chaude pour supporter une forme de vie.

Ensuite, entre 4.4 et 4 milliards d'années, malgré la condensation du gaz carbonique dans les océans (voir plus bas), il resta le composant majoritaire de l'atmosphère où sa pression partielle était d'au moins 40 bars et la température d'au moins 200°C en surface au début de la période.

La production d'oxygène

On ignore ce qui s'est produit dans l'atmosphère entre 4.4 et 2.5 milliards d'années. Deux hypothèses ont été proposées sur base des modèles informatiques et des rares indices découverts à ce jour : soit la Terre s'est refroidie jusqu'à provoquer une glaciation majeure soit l'effet de serre a diminué mais est resté important.

Dans tous les cas, à partir de 4.4 milliards d'années, la Terre subit un lessivage des roches silicatées tant au fond des océans (basaltes) que sur les surfaces émergées (granitoïdes) qui libéra de grandes quantités de silice et de bicarbonate, ce dernier précipitant ensuite sous forme de carbonate de calcium, donnant naissance à la craie.

La signature des planètes. Document NASA.

Résultat de ces réactions, en l'espace de 10 millions à plus de 100 millions d'années selon les modèles, on estime que le gaz carbonique se trouva piégé dans les carbonates mais on ignore en quelles quantités. Au fond des océans, il fut recyclé dans les zones de subduction puis séquestré dans le magma tandis que dans l'atmosphère cette réaction aurait pu faire chuter la pression de gaz carbonique jusqu'à 0.2 ou 1 bar.

Dans le second modèle, sur bases des mesures isotopiques de l'oxygène et du silicium présents dans les roches Hadéennes, la température en surface et dans l'eau resta élevée si bien qu'on estime que la pression du gaz carbonique devait être de l'ordre de 3 bars.

Notons que certains auteurs avancent l'hypothèse que vers 3.8 milliards d'années l'atmosphère était riche en méthane et que des organismes méthanogènes auraient pu enrichir l'atmosphère en ce gaz à puissant effet de serre. Mais aucune preuve ne supporte cette théorie qui reste controversée.

Comme nous l'avons expliqué, c'est entre 4.4 et 4.1 milliards d'années que l'oxygène commença à "empoisonner" l'atmosphère. Progressivement, en l'espace de 300 à 600 millions d'années, ce gaz mortel à forte concentration fut mis à profit par les premiers organismes qui apprirent à l'utiliser dans leur métabolisme. On reviendra page suivante sur la production d'oxygène par les premiers organismes.

Compte tenu de la productivité de l'azote, du gaz carbonique et de la vapeur d'eau, on estime que la production de molécules organiques s'est bien déroulée dans l'atmosphère durant tout l'Hadéen et peut-être même jusqu'à la fin de l'Archéen (il y a 2.5 milliards d'années) mais pas encore dans l'océan compte tenu de la durée de vie limitée de ces molécules dans un milieu où la température et la pression restaient très élevées.

Quant à l'effet de serre évoqué plus haut, il faut tenir compte de la quantité importante de méthane (CH4) dégazé par le manteau terrestre il y a plus de 3.5 milliards d'années dont la production fut ensuite largement épaulée par les micro-organismes méthanogènes. Si aujourd'hui le méthane est dégradé par l'oxygène en quelques années (demi-vie de 7 ans), durant l'Archéen le méthane a pu facilement s'accumuler dans l'atmosphère, augmentant sensiblement l'effet de serre.

Mais ce méthane n'a jamais présenté de concentration très élevée car au-delà de 10% de la concentration de gaz carbonique, il se polymérise en formant des macromolécules comme l'éthane (C2H6). Il forme alors une brume de matière organique qui filtre la lumière solaire et refroidit donc la surface. Notons qu'aujoud'hui l'éthane représente une importante source d'énergie au même titre que le butane, le propane et les autres gaz naturels carbonés.

Finalement, vers 2 milliards d'années, la pression partielle d'oxygène dépassa celle du gaz carbonique pour atteindre le niveau actuel, tandis que la concentration de gaz carbonique continua à chuter. Malheureusement, l'apparition de l'homme a changé tout l'écosystème. On y reviendra à propos de l'effet de serre.

Formation de la magnétosphère

Ainsi que nous l'avons expliqué à propos du champ magnétique de la Terre, nous possédons des mesures paléomagnétiques attestant que le champ géomagnétique existait déjà il y a 3.45 milliards d'années. Des cristaux de zircon découverts à Jack Hills en Australie (cf. A.Witze, 2015) suggèrent que le champ géomagnétique aurait déjà été actif entre 4 et 4.2 milliards d'années, soit à peine 500000 à 300000 ans après l'aggrégation des premiers planétésimaux. Cette dynamo se serait déclenchée suite à la cristallisation du dioxyde de silicium ou du dioxyde de magnésium dans le noyau sous une pression supérieure à 140 GPa et une température supérieure à 4000°C forçant la remontée des matières en fusion, ce qui déclencha l'effet dynamo. On a également découvert qu'il y a 565 millions d'années le champ géomagnétique est passé d'une faible intensité et un comportement erratique à un état plus stable. Cela pourrait suggérer que le noyau interne se serait seulement solidifié à cette époque.

A voir : Géomagnétisme - une invitation au voyage : du cosmos au centre de la Terre, IPGP

La magnétosphère de la Terre se serait formée il y a plus de 4.2 milliards d'années suite à la cristallisation du dioxyde de silicium ou du dioxyde de magnésium dans le noyau. Elle faiblit au cours des milliards d'années suivantes avant de trouver son équilibre il y a 1.5 à 0.5 milliard d'années lorsque le noyau interne se solidifia, amplifiant la force de la géodynamo et du champ géomagnétique. La magnétosphère protège la biosphère des rayonnements nocifs du Soleil et des étoiles et empêche l'atmosphère d'être arrachée par le vent solaire. Documents T.Lombry et Michael Osadciw/U.Rochester.

Comme évoqué plus haut, avant 4.4 milliards d'années, la proto-Terre était dépourvue de champ magnétique. De ce fait, elle subissait de plein fouet les effets des éruptions solaires, raison pour laquelle elle perdit son atmosphère primordiale. Ensuite, au terme de quelques milliards d'année la rotation solaire devint trois plus lente et l'activité solaire se calma, permettant à la géomagnétosphère d'assurer pleinement son rôle, protégeant à la fois l'atmosphère et plus tard les premières formes de vie des aléa de la météo spatiale aux effets souvent délétères.

Dans le détail, le champ magnétique terrestre est généré par le noyau externe de la Terre en raison de la présence d'alliage de fer et de nickel liquides et conducteurs via un mécanisme de géodynamo (une induction est générée par les mouvements du magma en fusion). Les chercheurs pensent qu'une géodynamo faible - et un bouclier géomagnétique faible - se sont formés au début de l'histoire de la Terre, mais ont diminué au cours des milliards d'années qui suivirent jusqu’à un point critique difficile à situer entre 1.5 et 0.5 milliard d'années. Les chercheurs estiment que c'est à cette époque relativement récente des temps géologiques que le noyau interne commença à se former, sa cristallisation augmentant la force de la géodynamo et du champ géomagnétique (voir ci-dessous).

Solidification du noyau interne

Sous une température supérieure à 5500°C et une pression supérieure à 330 GPa, il fallut du temps pour que le noyau interne de la Terre, la graine, se solidifie. On sait que le noyau interne est aujourd'hui solide car Richard Dixon Oldham découvrit 1906 que les ondes sismiques S qui peuvent traverser les milieux liquides, ricochent sur le noyau interne. A son tour, en 1936 Inge Lehmann découvrit que les ondes P sont réfactées dans l'enveloppe supérieure du noyau et l'expliqua par l'existence d'une région centrale plus dense à l'état solide.

Quand le noyau interne s'est-il solidifié ? Des valeurs de conductivité thermique indiquent que le déclenchement de la croissance du noyau interne s'étend sur 2 milliards d'années, entre plus de 2.5 et ~0.5 milliard d'années. Les données paléomagnétiques fournissent des indications directes des conditions passées du noyau, mais jusqu'à présent, les données sur l'intensité du champ faisaient défaut concernant l'âge de formation du noyau interne.

En se basant sur l'analyse du magnétisme des roches, des chercheurs ont estimé l'âge de la solidification du noyau entre 1.5 et 1 milliard d'années (cf. A.J. Biggin et al., 2015), ce qui semble conforme avec l'idée que la cristallisation a boosté le champ géomagnétique.

Mais selon une autre étude, en étudiant la compression du fer, des chercheurs sont arrivés à un âge de 700 millions d'années (cf. K.Ohta et al., 2016). Mais leur méthode était peu précise et leurs résultats furent mis en doute par d'autres équipes.

A gauche, le champ géomagnétique terrestre généré par le noyau externe de la Terre via un mécanisme de géodynamo. Il y a 1.5 à 0.5 milliard d'années, le noyau interne se forma, augmentant la force de la géodynamo et du champ géomagnétique. A droite, la structure interne actuelle de la Terre basée sur la distribution des ondes P et S. Le noyau se divise en noyau interne solide et externe fluide, le manteau fluide se divisant également en un manteau inférieur et supérieur. Le noyau externe comme le manteau sont le siège de mouvements convectifs. Il semble exister une 5e couche dans la graine. Documents Michael Osadciw et Gary Hincks adapté par l'auteur.

Sur base de l'analyse du paléomagnétisme de cristaux de plagioclase et de clinopyroxène datant de l'Edicarien (~565 millions d'années), le noyau interne ce serait formé à cette époque (cf. J.A. Tarduno et al., 2019). Cette datation fut confirmée dans un autre article publié dans la revue "Nature" en 2019 par Peter Driscoll du Carnegie Institution for Science de Washington qui a montré qu'il y a 565 millions d'années le champ géomagnétique est passé de faible et erratique à un état plus stable. Cela suggère que le noyau interne se serait seulement solidifié à cette époque, bien plus tard que prévu.

Enfin, grâce à des expériences de compression de microdiamants, des chercheurs ont montré que le noyau interne se serait solidifié et donna naissance à la géodynamo il a seulement 1.3 à 1 milliard d'années (cf. Jung-Fu Lin et al., 2020), ce qui rejoint d'autres études basées sur le magnétisme des roches.

Ainsi qu'on le constate, ces dernières années la fourchette de datations du noyau interne s'est réduite entre 1.5 et 0.5 milliard d'années, mais varie tout de même encore du simple au triple. Pour l'instant, retenons donc la valeur médiane de 1 ±0.5 milliard d'années, ce qui est relativement jeune dans l'histoire de la Terre.

Le processus de cristallisation libéra de l'énergie qui entraîna le mouvement du noyau externe encore liquide. Cette libération d'énergie de cristallisation représente la source d'énergie dite thermo-compositionnelle de la géodynamo.

Mais il reste beaucoup de questions sans réponses concernant les conditions régnantes dans le noyau interne. On y reviendra dans l'article sur la géophysique.

Formation des océans

Les océans terrestres se sont formés dès l'Hadéen (entre 4.5-3.8 milliards d'années) suite au dégazage intensif du manteau terrestre. En effet, l'analyse isotopique de l'eau et notamment de l'hydrogène (1 proton) et du deutérium (1 proton + 1 neutron) montre que l'eau de mer contient la même proportion de deutérium que les micrométéorites qu'on retrouve notamment en Antarctique. Ces roches se sont formées directement suite à la condensation de la nébuleuse protosolaire. Rappelons qu'il y a 4.56 milliards d'années, la Terre avait seulement 20% de sa taille actuelle.

Durant l'Hadéen, il y a plus de 4 milliards d'années, de vastes étendues d'eau existaient déjà sur la Terre primitive. Document T.Lombry.

Que l'eau ait existée sous forme moléculaire (H2O) ou cristallisée (OH) dans les minéraux, elle s'est libérée et continue à se libérer sous l'effet de la chaleur régnant dans le manteau. Favorisant localement sa fusion, le magma moins dense remonte en surface via les cheminées volcaniques. Ensuite, les gaz sont libérés au cours des éruptions volcaniques et sont transportés dans l'atmosphère. La vapeur d'eau représente 95% des gaz émis par les volcans. 

A l'origine, les océans n'existaient pas. La Terre était recouverte d'une atmosphère très chaude contenant notamment de la vapeur d'eau qui s'est condensée pour former les océans une fois la planète refroidie. Notons que si la température de l'air venait à fortement augmenter, passant au-dessus de 100°C, les océans pourraient se vaporiser en moins d'un milliard d'années. C'est ce qui est arrivé à la planète Vénus dont la surface est aujourd'hui brûlante, aride et l'atmosphère composée de gaz carbonique et sous haute pression.

Selon des simulations réalisées par des chercheurs du CNRS (cf. F.Seslis et al., 2023), s'ils étaient vaporisés, les océans terrestres formeraient une atmosphère 270 fois plus massive que notre atmosphère actuelle, alors qu'ils ne représentent que 0.02% de la masse de la Terre.

C'est ce cycle de dégazage-condensation (complété par celui d'évaporation-précipitation) qui a formé un ou plusieurs océans, faisant tomber sur terre des déluges de pluie accompagnés de tempêtes et d'ouragans pendant des millions d'années !

La découverte de fossiles de pluie, c'est-à-dire de l'empreinte de gouttes de pluie dans des matériaux meubles et les résultats de leur analyse (leur forme, leur taille, leur vitesse, etc.) ont permis d'évaluer la pression atmosphérique à l'époque de leur chute. Ces données, complétées par des modèles climatiques ont permis de déduire que l'intensité des pluies s'est fortement réduite à l'Archéen (voir plus bas), devenant pas plus de deux fois plus intenses qu'aujourd'hui.

A lire : Le cycle de l'eau

L'analyse de la météorite martienne NWA 7034 découverte au Maroc en 2011 indique que l'eau trouvée dans cette météorite et l'eau de la Terre primitive proviennent de la même source. Les 51 cristaux de zircon trouvés dans cette météorite se sont formés il y a environ 4.5 milliards d'années. Ils suggèrent qu'à cette époque la Terre primitive subit un bombardement massif de météorites. Comme NWA 7034, la moitié de ces météorites étaient riches en eau et ont vraisemblablement apporté une fraction sensible de l'eau de la Terre durant les deux premiers millions d'années de son existence. D'anciens zircons contenant de minuscules diamants ont également été découverts dans l'ouest de l'Australie remontant entre 3.0 et 4.2 milliards d'années[2]. Ces diamants contiennent des traces d'oxygène terrestre, apportant la preuve que de l'oxygène et de l'eau chaude existaient déjà sur la Terre il y a plus de 4.4 milliards d'années.

Le géochimiste Benjamin W. Johnson de l'Université du Colorado et Boswell A. Wing de l'Université d'Etat d'Iowa ont trouvé des concentrations de titane dans des cristaux de zircon vieux de 4 milliards d'années en Australie occidentale suggérant qu'ils se sont formés sous l'eau (cf. Earth Observaory, 2006). Et certaines des plus anciennes roches connues sur Terre, des formations vieilles d'au moins 3 milliards d'années découvertes en Australie et au Groenland, sont des basaltes en coussin (des pillows), des roches bulbeuses qui ne se forment que lorsque le magma se refroidit sous l'eau.

Dans une autre étude publiée dans la revue "Nature Geoscience" en 2020, Johnson et Wing ont analysé plus de 100 échantillons de sédiments (des particules provenant de l'altération ou de la désagrégation des roches) provenant de la croûte océanique altérée hydrothermalement du craton de Pilbara situé dans l'ouest de l'Ausrralie (voir plus bas). Ils ont découvert qu'il y a ~3.24 milliards d'années, les océans contenaient ~3.3% de plus d'oxygène-18, l'isotope lourd, que les océans actuels. Parce que l'eau perd cet oxygène lourd lorsque la pluie réagit avec la croûte continentale pour former des argiles, son abondance dans l'océan primitif suggère que les continents avaient à peine émergé à cette époque.

A gauche, les cratons identifiés en Australie. A droite, les pillows ou coussins de basalte tapissaient le fond marin de l'actuel outback australien il y a environ 3.24 milliards d'années. Documents T.Lombry et B.W. Johnson (2022)

Grâce à des modèles informatiques, les chercheurs ont montré qu'à l'échelle mondiale, au fil des éons les masses terrestres continentales ont lixivié (dissous) l'oxygène-18 des océans. En l'absence de continents, les océans auraient donc transporté plus d'oxygène-18. Le rapport isotopique 18O/16O indique qu'à l'époque, il n'y avait aucun continent, juste des cratons et des îles volcaniques (voir plus bas).

D'autres chercheurs ont déjà proposé que la Terre était autrefois recouverte par un océan. Jusqu'à présent il n'y a pas de consensus sur le fait qu'il existait une croûte visible au-dessus du niveau de la mer il y a plus de 3.2 milliards d'années. Selon Johnson, cette nouvelle découverte "fournit des contraintes géochimiques réelles sur la présence de terres au-dessus du niveau de la mer."

Johnson souligne que cette découverte ne signifie pas nécessairement que les océans étaient plus grands mais "Il est plus facile d'avoir des continents submergés si les océans sont plus grands."

Cette découverte d'océans plus étendus que prévu bouleverse également le scénario de l'émergence de la vie. Selon Johnson, "Si notre travail est précis, cela signifie que le nombre d'environnements terrestres où la vie a pu émerger et évoluer était vraiment faible ou absent jusqu'il y a un peu moins de 3.2 milliards d'années."

Un grand océan il y a 4 milliards d'années

Certains auteurs n'hésitent pas à déclarer qu'il y a 3.2 à 4 milliards d'années, la Terre était recouverte d'un superocéan, d'une étendue d'eau tellement vaste et profonde que seuls quelques îlots émergeaient. Mais nous n'avons aucune preuve que la mer atteignit une telle superficie, d'autant moins qu'à l'époque les continents n'étaient pas encore formés. On peut donc juste affirmer qu'un grand océan enveloppait la Terre, qu'il était certainement plus étendu que de nos jours mais il est impossible d'évaluer sa proportion par rapport aux premières terres émergées. En revanche, les géophysiciens parlent de superocéan par opposition aux supercontinents qui se sont formés à partir du Méso-Protérozoïque (~1.6 Ga). On y reviendra.

La Terre d'il y a 3.8 milliards d'années, au début de l'Archéen était en grande partie couverte d'eau d'où émergeaient ci et là les premiers cratons. A cette époque, la mer vira au bleu, l'atmosphère commença à se charger d'oxygène et l'air s'éclaircit. Document T.Lombry.

À travers les âges, le niveau de la mer a augmenté et baissé avec les températures, mais le volume total d'eau présent à la surface de la Terre a toujours été supposé constant. Aujourd'hui, il est de plus en plus évident qu'il y a 3 ou 4 milliards d'années, les océans de la planète contenaient près de deux fois plus d'eau - suffisamment pour submerger les continents actuels jusqu'au-dessus du mont Everest. L'inondation aurait pu amorcer le moteur de la tectonique des plaques mais rendu plus difficile l'émergence de la vie sur terre. Voyons ce scénario en détails.

Dan une étude publiée dans la revue "AGU Advances" en 2021, Junjie Dong, spécialiste des minéraux à l'Université d'Harvard et ses collègues ont étudié un modèle basé sur des expériences de laboratoire pour comprendre comment l'eau fut stockée sur ou dans la Terre primitive.

La majorité des chercheurs estime que les roches du manteau actuel de la Terre séquestrent dans leurs structures minérales une quantité d'eau au moins équivalente à celle des océans. Or, au début de l'histoire de la Terre, le manteau réchauffé par la radioactivité était quatre fois plus chaud. Des expériences utilisant des presses hydrauliques ont montré que de nombreux minéraux seraient incapables de retenir autant d'hydrogène et d'oxygène aux températures et pressions régnantes alors dans le manteau. Selon Dong, "cela suggère que l'eau devait être ailleurs. Et le réservoir le plus probable est la surface."

Deux minéraux trouvés profondément dans le manteau stockent aujourd'hui une grande partie de l'eau de la Terre : la wadsleyite et la ringwoodite, des variantes à haute pression de l'olivine minérale volcanique. Les roches riches en ces minéraux représentent 7% de la masse de la planète. Aujourd'hui, bien que seulement 2% de leur poids soient constitués d'eau, à grande échelle ce petit pourcentage additionnel représente beaucoup d'eau.

L'équipe de Dong a recréé ces minéraux du manteau en pressant des poudres de roche sous des pressions de dizaines de milliers d'atmosphères et en les chauffant à plus de 1600°C. Les chercheurs ont répété ces expériences et montré que la wadsleyite et la ringwoodite retiennent légèrement moins d'eau à des températures plus élevées. Les chercheurs prédisent également qu'à mesure que le manteau se refroidira, ces minéraux deviendraient plus abondants, ce qui augmenterait leur capacité à absorber l'eau à mesure que la Terre vieillit. Ces expériences s'ajoutent à celles de Johnson et Wing suggérant que la Terre primitive était liée à l’eau.

Selon Rebecca Fischer, pétrologue expérimentale à l'Université d'Harvard et coauteur de l'étude de l'AGU, bien qu'un océan plus vaste aurait rendu l'émergence des continents plus difficile, cela pourrait expliquer pourquoi ils semblent avoir été en mouvement dès le début de l'histoire de la Terre (voir plus bas).

Sur le plan géologique, des océans plus vastes auraient facilité le déclenchement de la tectonique des plaques. En effet, l'eau pénétrant dans les fractures et affaiblissant la croûte, elle créa des zones de subduction où une plaque pouvait glisser sous une autre. Une fois qu'une plaque subductrice commença à plonger, le manteau devint plus sec, donc plus solide, ce qui aurait facilité la pliure et la brisure de la plaque, garantissant qu'elle s'enfonce dans le manteau. Sans cette pliure des plaques, il ne peut pas y avoir de tectonique des plaques.

A gauche, capacités de stockage de l'eau dans (a) l'olivine, (b) la wadsleyite et (c) la ringwoodite à hautes pression et température. En (a), les lignes pointillées noires indiquent la géothermie actuelle (Tp = 1600 K) et la géothermie archéenne primitive (Tp = 1900 K). En (b), l'étoile * est une estimation théorique de la capacité de stockage de l'eau dans la wadsleyite à 1573 K sous 15.5 GPa. En (b et c), les cases rectangulaires pointillées indiquent les plages de températures de stabilité de la wadsleyite ou de la ringwoodite dans la pyrolite pour Tp = 1600 K et 1900 K. En (c), l'inclusion de ringwoodite hydratée naturelle contenant ~1.4% d'eau en poids est indiquée par une flèche. Sa teneur en eau correspond à une formation jusqu'à ~1690 K, cohérente avec son origine froide dans une plaque subductrice. A droite, carte de capacité de stockage de l'eau du manteau pyrolitique jusqu'à 27 GPa. Les phases du manteau sont étiquetées comme suit : ol=olivine, wd=wadsleyite, rw=ringwoodite, bdg=bridgmanite, fp=ferropériclase, cpx=clinopyroxène, opx=orthopyroxène, hpcpx=clinopyroxène haute pression, ak=akimotoite, st=stishovite et capv=pérovskite calcique. Documents J.Dong et al. (2021).

L'idée qu'il n'existait pas de terre émergée ou que les océans étaient certainement plus vastes offre également une nouvelle perspective sur une autre question intrigante : où sont apparues les premières formes de vie et comment ont-elles évolué ?

Certains chercheurs pensent que la vie apparut au fond des océans près des évents hydrothermaux riches en nutriments (cf. la faune hydrothermale), tandis que d'autres préfèrent les étangs chauds peu profonds sur la terre ferme, qui se seraient fréquemment évaporés, créant un bain concentré d'acides aminés voire de structures bien plus complexes. On reviendra sur la chimie prébiotique.

Mais un océan plus vaste offre une cible de choix pour les détracteurs du scénario sous-marin : trop d'eau aurait dilué toutes les molécules organiques en formation sous des seuils insignifiants. Mais en noyant la plupart des terres, cela complique également le scénario du petit étang chaud de Darwin. Ceux qui défendent ce modèle alternatif l'envisagent maintenant comme un autre lieu de naissance de la vie. Selon Thomas Carell, biochimiste à l'Université Ludwig Maximilian de Munich, il s'agirait de poches aqueuses abritées dans des roches océaniques qui émergèrent à la surface des monts sous-marins volcaniques : "Peut-être existait-il de petites grottes dans lesquelles tout s'est passé."

Nous assistons ensuite à une première vague de bombardements cométaires, peut-être suivie d'une seconde. Etant donné que plusieurs comètes visitées par les sondes spatiales ne présentent pas la même abondance isotopique que celle des océans, si elles ont probablement participé au remplissage des fosses océaniques, la contribution des comètes ne peut pas dépasser 30 à 40% de la masse d'eau selon les dernières estimations (les valeurs inférieures à 10% de la masse des océans étant contredites par les données récentes).

Le monde aquatique ancestral rappelle également à quel point l’évolution de la Terre est conditionnelle. La Terre s'est formée soit à partir de matériaux humides présents dans la région interne du système solaire (cf. L.Piani et al., 2020) soit grâce à l'impact d'astéroïdes riches en eau et de comètes provenant des régions externes du système solaire qui l'auraient bombardée peu de temps après sa formation. La première hypothèse semble plus convaincante. On reviendra sur l'origine de l'eau de la Terre. Mais quelle que soit son origine, si ces corps avaient déposé deux fois plus d'eau ou si le manteau actuel avait  séquestré moins d'eau, les continents, si essentiels à la vie et au climat de la planète, n'auraient jamais émergé. Selon Dong, "C’est un système très délicat, la Terre. Trop ou pas assez d'eau, et ça ne marcherait pas."

La couleur des océans primitifs

Si nous savons à présent que les océans primordiaux étaient chauds et acides, quelle était leur couleur ? Dans une atmosphère majoritairement composée de gaz carbonique et donc réductrice, les pluies étaient acides et ont facilement désagrégé les minéraux silicatés. Le fer n'a pas été oxydé comme aujourd'hui en donnant sa couleur rouge aux roches mais s'est libéré dans les océans sous forme soluble, leur donnant une couleur verte. Aujourd'hui, on trouve encore cette couleur dans les lacs acides d'origine volcanique comme ceux du parc de Yellowstone aux Etats-Unis ou à Kawa Ljen en Indonésie. Certains affichent un pH quasiment négatif !

A gauche, chaud, acide et très salé, sous une atmosphère plombée encore plus chaude, orange et suffocante de gaz carbonique, l'océan vert et encore stérile au début de l'Hadéen vers 4.4 Ga n'avait rien d'attirant. A droite, un paysage océanique de la fin de l'Hadéen (~4 Ga) ou du début de l'Archéen (~3.8 Ga), lorsque les premiers continents se sont formés et que le dégazage volcanique continua d'alimenter l'atmosphère torride et les océans. Documents T.Lombry et R.Bizley.

Il faudra ensuite attendre quelques centaines de millions d'années pour que les premières colonies de stromatolites (voir page suivante) libèrent de l'oxygène dans les océans et que le fer dissous s'oxyde, donnant à la mer une couleur orange avant qu'elle s'éclaircisse, devienne turquoise, bleutée ou gris-brunâtre selon la nature des roches et la quantité de particules en suspension comme on l'observe aujourd'hui.

Formation du sel marin

Quelle était la salinité des océans primitifs ? L'origine actuelle du sel marin composé de chlore et sur lequel nous reviendrons dans l'article consacré à la Terre a peu de chose à voir avec celle des océans primitifs. Si aujourd'hui les océans contiennent en moyenne 35 g de sel par litre, durant l'Archéen la quantité de sel devait être voisine de 60 g par litre. A cette époque, il existait encore peu de cratons ou continents émergés (voir ci-dessous) et donc peu de possibilités d'évaporation de l'eau salée. Le sel s'est donc formé différemment qu'aujourd'hui et a plusieurs origines.

D'abord, comme dans le cas de l'eau, ce sont les remontées de gaz volcaniques issus du manteau terrestre qui ont donné naissance au chlore parmi d'autres gaz (CO2, F, He, etc.) suite à la décomposition des matières volatiles. Un second vecteur est représenté par les météorites, en particulier les chondrites contenant des chondres ou sphérules de silicates fondus. Tous ces matériaux ont forgé la Terre primitive et les plus légers se sont finalement retrouvés en surface où il furent érodés et transportés par l'eau et le vent jusqu'à la mer.

Ensuite, le lessivage continental apporta son grain de sel dans ce mécanisme mais il aurait seulement commencé à la fin de l'Archéen, entre 3 et 2.5 milliards d'années.

Émergence des premiers continents

La formation du manteau cratonique

Gros-plan sur le bouclier canadien (la surface orange, rose et ocre). Il recouvre presque la moitié de la superficie du Canada. Yellownife se trouve sur la bordure ouest du bouclier canadien. Document USGS.

L'histoire couvrant le premier 1.5 milliard d'années de la Terre reste pratiquement inconnue et, par conséquent, mal comprise. Mais petit à petit, grâce à des recherches sur le terrain et des modèles de plus en plus détaillés, on en sait un peu plus sur les débuts de l'histoire des continents.

Dans une étude publiée dans la revue "Nature" en 2020, le géologue Fabio A. Capitanio de l'Université de Monash en Australie et ses collègues, ont utilisé un modèle quantitatif (déterminant quelle variable produit quel effet) pour simuler les conditions thermochimiques régnant sur la Terre primitive et comprendre comment se différencia la lithosphère, c'est-à-dire la partie solide du manteau supérieur comprenant le manteau cratonique ou lithosphérique et la croûte terrestre.

Ils ont montré qu'il y a plus de 4 milliards d'années la libération de la chaleur interne, trois à quatre fois supérieure à celle d'aujourd'hui, provoqua une importante fonte du manteau supérieur, qui fut ensuite extrudée jusqu'à la surface de la Terre sous forme de lave. Selon les chercheurs, le manteau supérieur qui survécut à ce processus était déshydraté (magma sec) et rigide et forma le socle des premiers continents, les fameux cratons de basalte. Selon les chercheurs, il fallut 500 millions d'années pour que les cratons apparaissent et survivent à la dynamique interne de la Terre.

Le modèle utilisé par Capitanio et ses collègues explique les degrés de fonte énigmatiques et les structures en couches observées dans la plupart des cratons et notamment dans le Complexe de gneiss d'Acasta - un affleurement de roche métamorphique de gneiss du genre tonalite provenant du craton du Lac des Esclaves (Slave Craton) situé dans les Territoires du Nord-Ouest au Canada âgé entre 3.7 et 4.2 milliards d'années (cf. A.Roth et al., 2014; A.Dance, 2008; J.Ketchum, 2004).

L'échantillon NMNH 116542-1 de gneiss d'Acasta de 3.96 milliards d'années. Il est exposé au Musée NMNH du Smithsonian à Washington.

Ce processus explique qu'au cours de la transition entre l'Hadéen et l'Archéen, c'est-à-dire durant les 500 premiers millions d'années de l'histoire de la Terre, les premiers continents restèrent fragiles et sujets à la destruction. Ils ont fondu et la croûte fut entièrementt recyclée. Le recyclage des premiers continents dans la partie supérieure du manteau rendit cette région du manteau plus sèche et plus ferme. Des radeaux de magma rigide se sont formés dans le manteau cratonique sous la nouvelle croûte, la protégeant de toute destruction supplémentaire.

Cette ancienne croûte a été préservée au coeur des plus anciens continents actuels, les cratons, sur base desquels les continents ultérieurs rigides ont pu se former en toute sécurité. Autrement dit, ce sont ces continents hadéens perdus qui ont permis de former les continents plus stables que nous connaissons. Ils sont apparus durant l'Archéen, il y a ~4 milliards d'années et furent préservés au fil du temps.

Selon Capitanio, "Les archives géologiques suggèrent que les tout premiers continents n'ont pas survécu et ont été recyclés dans les intérieurs de la planète, mais cette tendance s'est considérablement inversée il y a environ quatre milliards d'années, lorsque les morceaux de continents les plus durables, les cratons, sont apparus."

Ce scénario pourrait également expliquer comment la dérive des continents - la tectonique des plaques - qui repose sur un socle ferme et des continents structurellement solides, s'est déclenchée (voir plus bas).

Aujourd'hui il ne reste que de minuscules cristaux de la première croûte continentale terrestre formée il y a plus de 4 milliards d'années. On a également identifié une quarantaine de cratons remontant à l'époque archéenne à travers la planète dont celui de Pilbara en Australie, le lac des Esclaves (Slave Lake) au Canada, Guaporé au Brésil, celui du Congo, de Sibérie et le craton est-européen englobant les paléocontinents Laurentia et Baltica.

Cette ancienne croûte a été préservée au coeur des plus anciens continents actuels, les cratons, sur base desquels les continents ultérieurs rigides ont pu se former en toute sécurité. Autrement dit, ce sont ces continents hadéens perdus qui ont permis de former les continents plus stables que nous connaissons. Ils sont apparus durant l'Archéen, il y a ~4 milliards d'années et furent préservés au fil du temps.

Vues générales des gneiss d'Acasta en Ontario, au Canada, reconnaissables à leur aspect marbré composé de plusieurs types de basaltes. Ces roches métamorphiques étaient à l'origine des granitoïdes. La datation radiométrique des zircons et de divers isotopes métalliques indique que ces roches se sont formées il y a 3.7 à 4.2 milliards d'années, à l'époque des premiers cratons. Il s'agit des plus anciennes roches connues.

Selon Capitanio, "Les archives géologiques suggèrent que les tout premiers continents n'ont pas survécu et ont été recyclés dans les intérieurs de la planète, mais cette tendance s'est considérablement inversée il y a environ quatre milliards d'années, lorsque les morceaux de continents les plus durables, les cratons, sont apparus."

Ce scénario pourrait également expliquer comment la dérive des continents - la tectonique des plaques - qui repose sur un socle ferme et des continents structurellement solides, s'est déclenchée (voir plus bas).

Découverte de la croûte terrestre la plus ancienne

Pour les géologues et les micropaléontologues, les plus vieux sédiments que l'on retrouve à Ishua au Groenland, en Inde et au Gabon remontent entre 3.7 et 3.8 milliards d'années, c'est-à-dire à l'Archéen. Comme expliqué ci-dessus, d'autres cratons, telle la région de gneiss d'Acasta située sur la partie ouest du bouclier canadien, près de Toronto, sont âgées entre 3.96 à 4.2 milliards d'années.

Il n'existe que deux endroits dans le monde contenant des roches de plus de 4 milliards d'années : dans le bouclier canadien (plateau laurentien) et au nord des Territoires du Nord-Ouest du Canada où il existe des roches métamorphiques comme des granites et des zircons très anciens ayant fait partie des cratons. Un troisième site fut dévouvert dans le sud-ouest de l'Australie.

Emplacements actuels des unités crustales du craton d'Yilgran en Australie. "A" et "B" indiquent respectivement les principales occurrences des bassins arides et stériles. Document M.Droellner et al. (2022).

A ce jour, les plus anciennes traces de la croûte terrestre ont été découvertes dans le craton de Yilgarn situé au sud-ouest de l'Australie. Dans un article publié dans la revue "Terra Nova" en 2022, le doctorant Maximilian Droellner de l'Université Curtin d'Australie et ses collègues ont découvert des roches contenant des zircons datant de 4.4 milliards d'années (contre 3.7 Ga pour les zircons de Naryer Terrane de Jack Hills précités).

Des indices géochimiques relevés dans les sédiments de la plaine côtière de Scott, au sud de Perth, suggérèrent qu'il pourrait exister des fragments d'une croûte encore plus ancienne enfouie sous les roches et les sédiments plus récents superficiels. Sachant que les sédiments de cette plaine proviennent de l'érosion des roches plus profondes du continent australien, Droellner et ses collègues ont voulu dater les zircons découverts dans ces sédiments.

Pour ce faire, les chercheurs ont vaporisé les zircons avec de puissants lasers, puis ont analysé la composition de deux paires d'éléments radioactifs que les lasers avaient libérés, l'uranium et le plomb ainsi que le lutétium et l'hafnium. Pour rappel, la période des isotopes des éléments piégés dans ces zircons est de plusieurs milliards d'années. Leur datation révéla que les roches contenant ces minéraux se sont formées il y a entre 3.8 milliards et 4 milliards d'années.

Pour savoir d'où provenaient ces minéraux, les chercheurs se sont tournés vers les données satellites afin d'analyser les variations de gravité en fonction de l'épaisseur de la croûte terrestre. Ces données gravimétriques ont révélé un épais segment de croûte dans la partie sud-ouest de l'Australie occidentale, susceptible d'être le site de l'ancienne croûte enfouie. Comme illustré ci-dessus, cette ancienne croûte couvre une superficie d'au moins 100000 km2 et est enfouie à des dizaines de kilomètres de profondeur. La limite de l'ancienne croûte est associée à des gisements d'or et de minerai de fer. Selon Droellner, "ce morceau de croûte a survécu à plusieurs évènements géologiques majeurs qui donnèrent naissance aux montagnes situées entre l'Australie, l'Inde et l'Antarctique."

La deuxième plus ancienne trace de la croûte terrestre fut découverte au Canada. En 2017, les géochimistes Jonathan O'Neil de l'Université d'Ottawa et Richard Carlson de la Carnegie Institution de Washington ont publié dans la revue "Science" une étude décrivant la découverte de roches appartenant à la croûte terrestre originelle. Elles furent découvertes dans les collines basses (elles furent érodées durant le dernier âge glaciaire) situées sur la rive est de la baie d'Hudson, au nord-est du Canada.

Paysages et roches du bouclier canadien. A gauche, la rive est de la baie d'Hudson au Canada. Les roches visibles sont âgées 2.7 milliards d'années, mais leurs précurseurs ont peut-être formé l'une des premières croûtes terrestres. Au centre, les affleurements de granite datant de la même époque. Les roches précurseurs, celles qui ont été recyclées pour former ce granite se sont probablement formées il y a environ 4.3 milliards d'années, puis ont persisté sous forme de croûte océanique pendant plus d'un milliard d'années avant d'être submergées et de fondre partiellement. Elles se sont ensuite reformées, donnant les rochers visibles aujourd'hui. A droite, un gros-plan sur du granite âgé de 2.7 milliards d'années de la baie d'Hudson. Ces roches seraient la deuxième génération de roches sur Terre : leur roche mère était âgée d'environ 4.3 milliards d'années. Documents Alexandre Jean, Jonathan O'Neil et Isabelle Lafrance.

Comme on le voit ci-dessous à gauche et au centre, la pierre ressemble presque à n'importe roche brute : grise, dure, informe. C’est un granite d'apparence ordinaire mais qui cache un trésor. En effet, grâce à une nouvelle technique de datation, les deux chercheurs ont découvert dans ces échantillons des traces de samarium-146, un élément des terres rares, radioactif et donc instable dont la demi-vie est de 103 millions d'années. On ne trouve cet élément que dans la toute première croûte terrestre. Au cours de sa décroissance, il forme différents isotopes fils dont le néodyme-142 précité.

C'est en mesurant au spectromètre de masse la proportion des différents isotopes qu'on peut déterminer ceux qui proviennent d'une ancienne roche formée avant la disparition du samarium-146. En appliquant cette méthode, O'Neil et Carlson ont pu déterminer que le granite s'est formé par métamophisme il y a 2.7 milliards d'années mais les roches précurseurs, le basalte originel, s'est formé il y a au moins 4.2 milliards d'années, un record absolu. Autrement dit, cet élément aurait été incorporé dans une roche basaltique pendant 1.3 milliard d'années avant de se transformer en granite.

Cela signifie surtout que les basaltes qui se sont transformés en granite de 2.7 milliards d'années ont survécu pendant 1.5 milliard d'années avant de subir les processus destructeurs de la subduction et du métamorphisme. Aujourd'hui, une telle survie serait impossible en raison des déplacements des plaques tectoniques qui renouvelle les basaltes en une centaine de millions d'années.

Comme un fossile conserve les détails des structures originelles, bien que la roche se soit transformée au fil des éons, elle ressemble encore fortement à la roche initiale. "C'est un basalte correspondant parfaitement à la composition de la roche précurseur que nous pensons être à l’origine de tout", expliqua O'Neil. La vidéo ci-dessous décrit cette découverte.

A voir : An Original Part of Earth's Crust Discovered

A lire : Le métamorphisme

A gauche, le granite qu'on trouve sur les rives est de la baie d'Hudson contiennent des traces de la croûte terrestre primitive. Au centre, un échantillon de granite daté de 4.2 milliards d'années, un record absolu. A droite, un échantillon de roche découvert à 300 km au nord de Yellowknife, dans les Territoires du Nord-Ouest,au Canada. La datation des inclusions de zircon indique qu'elle remonte à 4.02 milliards d'années. Documents J.O’Neil et R.Carlson/Carnegie Institution et J. R. Reimink et al.

En résumé, deux hypothèses peuvent expliquer la survie de ces basaltes. Selon la première théorie, les basaltes qui ont formé les granites du Canada proviendraient d'un gigantesque bloc rocheux qui résista à la subduction pendant 1.5 milliard d'années. Selon une seconde théorie, les mouvements tectoniques à l'époque de la Terre primitive étaient très lents voire inexistants, ce qui aurait permis aux basaltes de "flotter" à la surface de la Terre beaucoup plus longtemps que sous le régime actuel. Cette seconde hypothèse est supportée par d'autres résultats publiés en 2017 par Tim Johnson et ses collègues indiquant qu'il n'existait peut-être pas de plaques tectoniques à l'époque de la Terre primitive et donc que les premiers continents ne se sont pas formés par subduction. Cette hypothèse contredit évidemment l'idée que les plaques tectoniques expliqueraient le mieux l'évolution géodynamique de la Terre durant le premier milliard d'années. Mais une deuxième découverte que nous allons décrire tout de suite va dans le même sens que la proposition de Tim Johnson.

Comme on le voit ci-dessus à droite, un autre échantillon de roche très ancien fut découvert à 300 km au nord de Yellowknife, dans la partie ouest du bouclier canadien, à 2200 km environ à l'ouest du site de la baie d'Hudson. Selon une étude publiée dans la revue "Nature Geoscience" en 2016 par le géophysicien Jesse R. Reimink de l'Université d'Alberta et ses collègues, les zircons incrustés dans cette roche indiquent sans ambiguïté qu'elle remonte à environ 4.02 milliards d'années, approchant de peu du record précité.

Coucher de soleil sur la Terre primitive. Document T.Lombry.

Les signatures chimiques de cette roche furent analysées afin de comprendre comment le magma s'infiltra et interagit avec la roche et notamment avec les zircons. L'une de ces signatures enregistra l'assimilation du magma provenant de l'écorce terrestre. En effet, pendant son refroidissement, le magma réchauffe et fait fondre les roches autour de lui dont on peut encore trouver quelques traces aujourd'hui. La roche découverte près de Yellowknife en fait partie car elle provient d'une couche de roche fondue qui a interagi avec du magma plus ancien. Les traces de cette interaction sont visibles dans les cristaux de zircon.

L'échantillon ne présente aucune signature de l'écorce continentale. Si cela soulève plus de questions qu'elle n'en résout pour les géologues, elle révèle un fait en faveur de la théorie de Tim Johnson évoquée ci-dessus à propos de l'absence de plaque tectonique à cette époque ancestrale. En effet, cette roche suggère que la Terre d'il y a 4 milliards d'années était recouverte d'une surface solide similaire à la croûte océanique (celle qui forme le fond des océans) et non pas d'une croûte continentale comme on s'y attendait. Cette roche est donc précieuse car sa signature chimique unique révèle comment les premiers continents se sont formés et renseigne les scientifiques sur la nature des premières écorces terrestres.

En résumé, la découverte des deux roches de plus de 4 milliards d'années dans le nord du Canada appuie la théorie selon laquelle pendant l'Hadéen il n'existait pas encore de continents. Mais cela ne veut pas dire que la Terre n'était qu'un océan de magma comme on le croyait encore à la fin du XXe siècle ou qu'il n'y avait pas de "points chauds". Que du contraire. Comme nous l'avons expliqué, la Terre de l'Hadéen était déjà couverte de cratons et d'îles volcaniques plus ou moins étendues dispersées dans un océan verdâtre aux effluves acides. On en déduit que les plaques tectoniques sur lesquelles reposent les continents et beaucoup d'îles se sont formés il y a moins de 4 milliards d'années, durant l'Archéen. C'est effectivement ce que de nouvelles études ont démontré.

Aujourd'hui il ne reste que de minuscules cristaux de la première croûte continentale terrestre formée il y a plus de 4 milliards d'années. On a également identifié une quarantaine de cratons remontant à l'époque archéenne à travers la planète dont celui de Pilbara en Australie, le lac des Esclaves (Slave Lake) au Canada, Guaporé au Brésil, celui du Congo, de Sibérie et le craton est-européen englobant les paléocontinents Laurentia et Baltica.

Notons qu'à ce jour, la plus ancienne coulée de lave terrestre fut découverte près du village d'Inukjuak, sur les rives de la baie d'Hudson au Canada et est datée de 3.825 milliards d'années. Mais il ne s'agit pas des plus anciennes roches volcaniques car les volcans sont en éruption sur Terre depuis au moins 4 milliards d'années.

Enfin, selon une étude publiée par des chercheurs du MIT en 2018, à partir de données sismiques de l'USGS et d'autres sources, ils ont découvert qu'il existe dans les cratons environ 1016 tonnes soit 1 million de milliards de tonnes de diamants ! Mais oubliez une éventuelle chute des prix du carat car ils se trouvent entre 145 et 240 km de profondeur et sont inaccessibles aux techniques de forage actuelles.

Le craton de Pilbara, une histoire Archéenne

Le craton de Pilbara est situé dans le district de Panorama et s'étend sur environ 500 km dans l'outback nord-ouest australien. Il contient des roches igneuses formées entre l'Archéen (3.6-2.7 Ga) et le Protérozoïque (2.5-1.8 Ga) (cf. V.Semeniuk et M.Brocx, 2019). Il abritait des formes de vie thermophiles évoluant dans les sources hydrothermales et les geysers d'eau chaude (cf. M.J. Van Kranendonk et al., 2008, T.Djokic et al., 2017). Pour rappel, cette région comprend aussi le cratère d'impact d'Hickman découvert en 2007.

Ci-dessus et ci-dessous à gauche et au centre, les paysages authentiques et très anciens du craton de Pilbara dans l'ouest de l'Australie. Le lac et l'entrée de la gorge de Hamersley se situent dans le Parc National de Karijini. A droite, illustration géodynamique de l'évolution en trois étapes du craton du Pilbara. (a-c) Une météorite géante (30 km ?) percuta la croûte primaire altérée hydrothermiquement (a) qui produit des fontes peu profondes à faible rapport isotopique δ18O et déclenche la formation d'un noyau continental mafique-ultramafique par décompression de fusion du manteau (b,c). (d–f) Le noyau se fractionne pour produire des protolithes basaltiques à faible teneur en MgO (d) qui fondent pour former des magmas TTG (Tonalite-Trondhjémite-Granodiorite, e) qui fondent à leur tour pour former du granite (f). Documents Don Avila et Tim E. Johnson et al. (2022).

Une étude publiée dans la revue "Nature" (en PDF) en 2022 par Tim E. Johnson de l'Université Curtin de Perth et ses collègues montre que le craton de Pilbara s'est formé en trois étapes suite à l'impact d'une grande météorite comme illustré ci-dessus à droite.

Selon des modèles numériques, une météorite péridotitique de 30 km de diamètre (contre 10 km pour celle de Chixculub) se déplaçant à 20 km/s aurait pu percuter verticalement la jeune lithosphère océanique il y a ~3.6 milliards d'années, formant un plateau mafique-ultramafique (riche en métaux comme le magnésium et lefer) d'un diamètre d'environ 600 km et d'une épaisseur > 50 km. La fusion des quelques kilomètres supérieurs de la croûte (altérée) produisit également des roches et des zircons à faible rapport isotopique 18O/16O, c'est-à-dire δ18O (cf. A.P. Jones et al., 2005). Or on retrouve justement cette composition dans le craton de Pilbara.

On reviendra plus bas sur ce craton car il contient des indices sur la dérive des continents.

Début de la subduction et de la dérive des continents

Quand commença la "dérive des continents" ? Comme nous l'avons expliqué à propos de la Terre océan, certains chercheurs estiment que le processus commença il y a 4 milliards d'années lorsque l'eau recouvrit une bonne partie de la surface de la planète, mais d'autres pensent que cela remonte plutôt à environ un milliard d'années.

Finalement, dans une étude publiée dans la revue "Science Advances" en 2020, Alec R. Brenner de l'Université d'Harvard et ses collègues ont annoncé la découverte en Afrique du Sud et dans le craton de Pilbara en Australie des preuves que des plaques tectoniques se sont déplacées dès l'époque Archéenne (4.0-2.5 Ga).

Les coordonnées stratigraphiques pour les échantillons de Pilbara dont HEBh (ellipse rouge). Les nombres sont les âges en millions d'années. Document A.R. Brenner et al. (2020).

Le craton de Pilbara est l'un des rares endroits où on peut encore étudier la Terre primive. En 2017, Fu et Brenner ont prélevé par carottage des échantillons dans une partie appelée "Honeyeater Basalt" de ce craton. Après analyse au magnétomètre et par des équipements de démagnétisation et comparaison avec des données d'autres sites, les chercheurs ont conclu que les échantillons se sont déplacés en latitude d'environ 2.5 cm par an depuis au moins 3.2 milliards d'années.

Cette étude diffère de la plupart des précédentes car les scientifiques se sont concentrés sur la mesure de la position des roches au cours du temps, alors que les autres études ont tendance à se concentrer sur les structures chimiques présentes dans les roches mais qui suggèrent un mouvement tectonique.

Les chercheurs ont utilisé un microscope quantique à diamant pour confirmer leurs découvertes. Ce microscope visualise les champs magnétiques et les particules d'un échantillon. Il a été développé en collaboration entre des chercheurs de l'Université d'Harvard et du MIT (cf. De Gruyter et Science).

Les chercheurs soulignent qu'ils n'ont pas été en mesure d'exclure l'effet de "l'errance polaire". Cela peut également entraîner un déplacement de la surface de la Terre. Cependant, leurs résultats penchent davantage vers le mouvement tectonique des plaques en raison de l'intervalle de temps de ce mouvement géologique.

Pour Brenner, "Cela plaide pour une Terre primitive qui ressemblait beaucoup à celle d'aujourd'hui contrairement à ce que pensent certaines personnes."

Dans une autre étude publiée dans la revue "Science Advances" en 2020, la géochimiste Sarah M. Aarons de l'Université de Chicago et de l'Institut Scripps d'Océanographie de l'UCSD et ses collègues ont analysé des échantillons des roches les plus anciennes provenant du complexe AGC, le gneiss d'Acasta précité situé dans la toundra canadienne datant de 4.02 milliards d'années.

Les chercheurs ont analysé les isotopes du titane au spectromètre de masse et les ont comparés avec des roches modernes formées dans les zones de subduction comme les volcans d'Hawaï, d'Islande, des îles de Kos et de Santorin. Les résultats des analyses indiquent que la subduction des plaques commença il y a 3.75 milliards d'années.

Selon Aarons, "Bien que la tendance observée dans les données isotopiques du titane ne prouve pas que la tectonique des plaques se produisit globalement, elle indique la présence de magmatisme humide, qui supporte la subduction à cet époque" (les chercheurs ont l'habitude d'opposer le concept de système magmatique "sec et réductif" au système "humide et oxydant").

A voir : History of the Earth, Algol

Paysages chaotiques de la Terre primitive durant l'Archéen, il y a 3.8 milliards d'années. Notons qu'à cette époque, la plupart des formations lunaires étaient déjà en place. Documents C.Ford/T.Lombry et Welkor3D.

Au cours de la conférence virtuelle de l'Assemblée générale de l'Union Européenne des Géosciences (EGU) qui s'est tenue le 26 avril 2021, Desiree Roerdink de l'Université de Bergen, en Norvège, et ses collègues ont apporté une preuve confirmant les conclusions de l'équipe d'Aarons. Roerdink et ses collègues ont analysé de la barytine - une combinaison de sels océaniques et de baryum libérés par les évents volcaniques sous-marins - et découvert des preuves qu'une croûte continentale terrestre existait déjà il y a au moins 3.7 milliards d'années (cf. D.Roerdink et al., 2021).

Épaississement de la croûte terrestre

En 2014, Jesse R. Reimink de l'Université d'Alberta et ses collègues ont découvert parmi les roches du complexe d'Acasta Gneiss des zircons magmatiques indiquant que la croûte terrestre commença à s'épaissir entre 4.02 et 3.75 milliards d'années, ce qui fit fondre les roches plus profondément qu'auparavant (cf. J.R. Reimink et al., 2014).

Une nouvelle étude confirme ce changement. Le géologue Michael Ackerson du musée NMNH de Washington trouva la preuve d'un épaississement de la croûte il y a ~3.6 milliards d'années. Les chercheurs ont analysé des zircons provenant de Jack Hills, dans l'ouest de l'Australie. Quelque 3500 zircons furent analysés par spectrométrie de masse pour déterminer leur teneur en uranium, un radioisotope qui se désintègre à un taux connu qui permet aux chercheurs de calculer l'âge de chaque échantillon. Ces zircons furent datés entre 3 et 4.3 milliards d'années. Certains zircons anciens contenaient également de l'aluminium dont la présence donne des indices sur la manière dont ils furent produits, géologiquement parlant (cf. M.R. Ackerson et al., 2021).

Dans 200 zircons, les chercheurs ont constaté une augmentation significative des concentrations d'aluminium il y a environ 3.6 milliards d'années. Selon Ackerson, ce changement de composition marque probablement le début de la tectonique des plaques et "pourrait potentiellement signaler l'émergence de la vie sur Terre. Mais nous devrons faire beaucoup plus de recherches pour déterminer les liens entre ce changement géologique et les origines de la vie."

A gauche, une lame mince d'une roche de quartz provenant de Jack Hills, en Australie, âgée de plusieurs milliards d'années. Au centre, son aspect au microscope en lumière polarisée. Les roches de Jack Hills sont constituées à 99% de quartz, le 1% restant contenant des zircons. A droite, isolement des cristaux de zircon photographiés au moyen d'un microscope électronique à balayage par cathodoluminescence, une méthode qui permet de distinguer l'intérieur des cristaux. Les cercles noirs qu'on aperçoit sur les zircons sont des cavités laissées par le laser utilisé par le spectromètre de masse pour déterminer l'âge et la composition chimique des zircons. Documents M.R. Ackerson et al. (2021).

Selon les chercheurs, les zircons à haute teneur en aluminium sont liés à l'apparition de la tectonique des plaques, car l'une des façons dont ces zircons se forment est lorsque les roches profondes se mettent à fondre. Selon Ackerson, "Il est vraiment difficile de faire entrer l'aluminium dans des cristaux de zircon en raison de leurs liaisons chimiques. Vous devez avoir des conditions géologiques assez extrêmes." Si les roches ont fondu à grande profondeur sous la surface de la Terre, cela signifie que la croûte terrestre devenait probablement plus épaisse et commençait à se refroidir. Cet épaississement faisait probablement partie de la transition qui donna naissance au mouvement des plaques. Cette hypothèse est soutenue par une étude antérieure.

En se référant aux travaux de Reimink sur les zircons publiés en 2014, selon Ackerson, "Les résultats d'Acasta Gneiss nous donnent plus de confiance dans notre interprétation des zircons de Jack Hills. Aujourd'hui, ces endroits sont séparés par des milliers de kilomètres, mais ils nous racontent une histoire assez cohérente, à savoir qu'il y a environ 3.6 milliards d'années, quelque chose d'important au niveau mondial s'est produit."

A présent, Ackerson envisage de rechercher des traces de vie ancienne dans les zircons de Jack Hills. Il prévoit également de rechercher d'autres zircons extrêmement anciens pour vérifier s'ils donnent des résultats similaires sur l'épaississement de la croûte terrestre il y a environ 3.6 milliards d'années.

Ces découvertes sont importantes car identifier le début de la subduction des plaques signifie localiser le moment où la Terre est passée d'une planète dominée par des masses terrestres transitoires perçant la surface des océans à une planète composée de continents durables où les cycles biogéochimiques à long terme sont contrôlés par le dégazage volcanique et le recyclage à l'intérieur de la Terre.

Le recyclage des supercontinents

Les théories de la tectonique des plaques et de la dérive des continents de Wegener nous apprennent que la Terre est constituée de 12 plaques tectoniques principales, auxquelles s'ajoutent de nouveaux morceaux apparus suite à des ruptures ou des collisions entre plaques. Leurs limites sont formées par les ruptures dans le plancher de l'écorce terrestre, les zones de subduction et les fractures secondaires (cf. ce schéma).

Les continents sont les seules structures de la croûte terrestre n'ayant pas été recyclées, et par conséquent détruites par l'incessant cycle géothermique de convection qui se déroule dans le manteau. Leur subsistance vient du fait que les continents sont constitués de matériaux légers qui restent en surface pendant les phases de subduction des plaques tectoniques. Il n'est donc pas étonnant de retrouver des roches continentales remontant entre 1 et 4 milliards d'années alors que les fonds sédimentaires ou magmatiques des océans ne dépassent pas quelque 200 millions d'années.

Malgré l'érosion et le recyclage ininterrompu des plaques tectoniques, nous avons des preuves que plusieurs supercontinents se sont formés aux cours des temps géologiques, mais jusqu'à présent on ignorait si ce processus dépendait d'un cycle de formation. On sait aujourd'hui que les supercontinents se forment périodiquement et qu'ils ne sont pas tous identiques.

Dans une étude publiée par l'équipe de Zheng-Xiang Li de l'Université Curtin d'Australie dans la revue "Precambrian Research" en 2019, les chercheurs ont découvert que les supercontinents se forment et se divisent en cycles alternés qui préservent parfois le superocéan environnant ou le coule pour ainsi dire dans la croûte terrestre et le recycle dans le manteau.

Les géophysiciens sont de plus en plus convaincus que les continents et supercontinents sont recyclés et se fondent en une masse géante tous les 600 millions d'années en moyenne. Il y a d'abord eu Nuna (également appelé Columbia) qui émerga entre 1.6-1.4 milliard d'années. Puis il se divisa et fusionna pour former Rodinia il y a environ 900 millions d'années. Rodinia se divisa il y a 700 millions d'années. Puis, il y a environ 320 millions d'années, la Pangée se forma.

A voir : La dérive des continents depuis 3.3 milliards d'années

La faille ou rift dans le parc national de Thingvellir situé près de Reykjavik dans le sud-ouest de l'Islande où on peut observer la plaque nord américaine (à gauche de chaque image) se sépare de la plaque eurasienne (à droite de chaque image). DocumentTodd Hakla/Flickr et Visit South Iceland.

Selon Li et ses collègues, il existe des traces dans la circulation du manteau qui semblent bien correspondre à ce cycle de 600 millions d'années. Cependant, certains gisements de minéraux et d'or ainsi que des signatures géochimiques dans des roches anciennes se reproduisent selon un cycle plus long, plus proche d'un milliard d'années.

Selon les simulations réalisées par les chercheurs, la Terre présente deux cycles simultanés : un cycle de supercontinent de 600 millions d'années et un cycle de superocéan de plusieurs milliards d'années. Chaque supercontinent se divise et se reforme selon deux méthodes alternées appelées "introversion" et "extraversion".

Pour comprendre l'introversion, il faut imaginer un supercontinent entouré d'un seul superocéan. Le supercontinent commence à se briser en morceaux séparés par un nouvel océan intérieur. Puis, pour une raison quelconque, les processus de subduction commencent dans ce nouvel océan intérieur. Dans ces zones de subduction, la croûte océanique plonge à nouveau dans le manteau chaud de la Terre. L'océan intérieur est ainsi recyclé tandis qu'un nouveau supercontinent émerge, entouré du même superocéan qu'autrefois.

L'extraversion en revanche crée à la fois un nouveau supercontinent et un nouveau superocéan. Dans ce cas, un supercontinent se sépare, créant un océan intérieur. Mais cette fois, la subduction ne se produit pas dans l'océan intérieur mais dans les superocéans entourant le supercontinent en train de se diviser. Ensuite, la Terre engloutit le superocéan, entraînant la croûte continentale qui dérive à travers le monde. Le supercontinent se trouve littéralement à l'envers : ses anciennes côtes sont écrasées et deviennent son nouveau centre tandis que le centre du continent se brise est à présent sur la côte. Pendant ce temps, l'océan jadis intérieur est maintenant un tout nouveau superocéan qui entoure le nouveau supercontinent.

Du supercontinent Ur achéen aux continents actuels

Au cours des deux derniers milliards d'années, introversion et extraversion se sont succédées. Dans ce scénario, le supercontinent Nuna s'est morcelé puis forma Rodinia par introversion. Le superocéan de Nuna a donc survécu pour devenir le superocéan de Rodinia que les scientifiques ont surnommé Mirovoi. Nuna et Rodinia ont des configurations similaires, ce qui renforce l'idée que Nuna s'est tout simplement transformé pour mieux renaître.

A lire : Earth's Supercontinents, The Dialogue

Ur (3.0-2.8 Ga)

Kenorland (2.7-2 Ga)

Columbia (1.6-1.2 Ga)

Ci-dessus à gauche, après l'émergence du premier supercontinent Vaalbara entre 3.6 et 2.8 milliards d'années dont il ne reste que des fragments dans les cratons de Kaapvaal en Afrique du Sud et de Pilbara dans l'ouest de l'Australie il y a environ 3 à 2.8 milliards d'années émerge le supercontient Ur dont il reste des fragments en Australie, à Madagascar et en Inde. Au centre, entre 2.7 et 2 milliards d'années émerge le supercontient Kenoland qui résulte de la réunion des cratons de Kaapvaal et de Pilbara. La première glaciation coïncide avec son morcellement. A droite, le morcellement du supercontinent Nuna (Columbia) voici 1.6 à 1.2 milliard d'années. Ci-dessous à gauche, l'extension du supercontinent Rodinia entre 1.1 et 0.75 milliard d'années. Voici la version avec légendes. Puis se forme le supercontinent Pannotia entre 650 et 540 millions d'années. Il est associé au morcellement de Rodinia en Proto-Gondwana et Proto-Laurasia. Au centre, le supercontinent Gondwana il y a 420 millions d'années. Voici une version plus détaillée. A droite, la Pangée il y a 300 millions d'années. L'Amérique du Nord et centrale est à gauche, l'Afrique à droite. Voici une autre représentation de la Pangée. C'est le contact entre ces différents supercontinents puis leur séparation qui expliquent la distribution des mêmes espèces sur plusieurs continents aujourd'hui isolés ou l'isolement et la spéciation d'autres espèces. Documents The Dialogue, EONS, HowStuffWorks adapté par l'auteur, Fama Clamosa adapté par l'auteur et Walter B. Myers/Novapic/Leemage/AFP.

Rodinia (1.1-0.75 Ga)

Gondwana (420 Ma)

Pangée (300 Ma)

Ensuite la croûte océanique de Mirovoï commença à plonger par subduction dans le manteau. Rodinia se divisa en Proto-Gondwana et Proto-Laurasie lorsque son superocéan disparut mais le supercontinent réapparut de l'autre côté de la planète sous le nom de Pangée. Puis le nouvel océan formé par Rodinia se divisa et devint le superocéan de la Pangée, la Panthalassa.

Enfin, il y a 300 millions d'années la Pangée se morcela en Laurasie au nord (comprenant grosso modo les futures Eurasie et Amérique du Nord) et Gondwana au sud (Amérique du Sud, Afrique, Inde, Océanie, Antarctique). Les vestiges de Panthalassa ont survécu sous la forme de la croûte océanique du Pacifique.

Le Grand Adria

En 2016, des équipes de géologues sont parvenus à élaborer un "atlas du monde souterrain" rassemblant la collection des morceaux de croûtes terrestres qui se sont enfoncés dans le manteau. En parallèle, d'autres équipes ont mis à jour dans une trentaine de pays du pourtour Méditerranéen indiqués sur la carte ci-dessous à droite et en particulier dans le sud de l'Italie et sur la côte croate, des roches ayant a priori appartenu à un ancien continent européen hypothétique dénommé le Grand Adria. Selon les géologues, certains restes de ce continent seraient aujourd'hui enfouis à quelque 1500 km de profondeur sous la surface de l'Europe. Mais cette hypothèse n'avait jamais été validée.

Localisation du Grand Adria, résultat de la dislocation de la Pangée, au nord du Gondwana, il y a 140 millions d'années. Aujourd'hui, il ne reste que quelques cailloux dans différents pays et principalement dans le sud de l'Italie et sur la côte croate. Document Van Hinsbergen et al., Gondwana Research (2019) adapté par l'auteur.

Dans un article publié dans la revue "Gondwana Research" en 2019, l'équipe de Douwe J.J. van Hinsbergen de l'Université d'Utrecht aux Pays-Bas présenta les résultats de la reconstruction de l'évolution tectonique de la Méditerranée depuis le Trias il y a 250 millions d'années. Les chercheurs ont retrouvé l'ancien continent du Grand Adria et ont pu reconstituer sa trajectoire. Remontons l'histoire.

Il y a 300 millions d'années, à l'époque de la dislocation de la Pangée, au nord du Gondwana des morceaux continentaux se détachèrent de l'Afrique du Nord et remontèrent vers l'Eurasie occidentale. Parmi eux, des futurs morceaux de l'Espagne, du sud de la France et le Grand Adria, un continent aussi vaste que le Groenland aujourd'hui pratiquement disparu.

Il y a 120 à 100 millions d'années, le Grand Adria percuta le continent européen. L'Europe résista mais le Grand Adria plongea dans le manteau terrestre. Bien que la collision tectonique se soit produite à une vitesse ne dépassant pas 3 à 4 cm par an, le choc brisa le morceau de croûte épaisse de 100 km et fit couler la majeure partie jusqu'au fond du manteau terrestre. Toutefois, quelques morceaux de la croûte supérieure échappèrent à la subduction et restèrent en surface.

Les chercheurs ont mis dix ans pour arriver à cette conclusion car il fallait non seulement collecter les roches, les analyser et déterminer la direction du champ magnétique figé en elles mais jusqu'aux années 2010 ils ne disposaient pas de logiciels et d'ordinateurs suffisamment puissants pour traiter toutes les données. De plus, le bassin Méditerranéen a toujours été un casse-tête pour les géologues. Selon van Hinsbergen, "La Méditerranée est un bazar géologique : tout y est courbé, brisé et empilé." Non seulement, il fut difficile de retrouver les pièces manquantes de ce puzzle géant mais ce fut un véritable défi de tenir compte de la dérive des continents et donc de reconstruire ce scénario qui s'étend dans l'espace et dans le temps sur 300 millions d'années.

L'avenir des continents

Que peut-on prédire pour le futur de la Terre ? Si ce scénario des deux derniers milliards d'années est plausible, il est difficile de savoir si les cycles étudiés représentent un véritable schéma fondamental. En effet, nous n'avons observé que trois cycles et on ne peut pas extrapoler des tendances sur si peu d'itérations et donc affirmer que ces cycles sont périodiques.

Selon Zheng-Xiang Li précité, si l'alternance est bien réelle, le prochain supercontinent se formera par introversion. Les océans intérieurs créés par la rupture de la Pangée - les océans Atlantique, Indien et Sud - vont se fermer. Le Pacifique s'agrandira pour devenir l'unique superocéan du nouveau continent. Les scientifiques ont déjà appelé ce futur supercontinent Amasia. Mais concrètement, on observe à l'heure actuelle que le Pacifique subit l'effet contraire : il rétrécit légèrement par subduction et cette tendance peut se poursuivre pendant des centaines de millions d'années.

L'avenir du supercontinent et du superocéan de la Terre reste donc incertain et les modélisations doivent être affinées et utiliser plus de données. Selon Li, les modèles qui tentent de combiner les mouvements des continents avec la dynamique interne du manteau pourraient aider à déterminer si les méthodes d'assemblage par introversion/extroversion sont réalistes. Certains géophysiciens tels que Mark Behn du WHOI estime que ces modèles sont probablement sur la bonne voie pour répondre à ces questions fondamentales de la tectonique des plaques.

Mais la question clé qui est de savoir ce qui dirige la tectonique des plaques reste sans réponse. Certains scientifiques pensent que la tectonique des plaques a commencé peu de temps après la formation de la Terre, mais les données sont insuffisantes pour l'affirmer. D'autres pensent que cela commença il y a 3.75 milliards, 3 milliards, 2 milliards ou un milliard d'années. Si la première date est supportée par un certain nombre de données isotopiques et paléomagnétiques, il faut encore un peu patienter afin que les chercheurs accumulent plus de données, un processus qui arrive seulement à maturité. On ne pourra donc faire l'analyse de toutes ces données que dans quelques années avec l'avantage de tirer profit de la puissance des superordinateurs de la nouvelle génération.

La durée du jour

Durant l'Hadéen il y a plus de 4 milliards d'années, la période de rotation de la Terre était inférieure à 6 heures puis elle s'est fortement ralentie en l'espace d'un milliard d'années. On estime que durant l'Archéen entre 3.8 et 2.5 milliards d'années cette durée passa progressivement de 14 à 18 heures puis se stabilita. On y reviendra dans un instant. Ensuite, il y a 550 millions d’années, au tout début du Cambrien, les premiers animaux marins devaient se contenter de 20 heures, la coquille du nautile par exemple présentée ci-dessous en apportant la preuve (chaque jour la plupart des invertébrés marins ajoutent une strie à leur coquille. L'étude de leurs fossiles permet donc de calculer la durée du jour depuis le Cambien). Ce phénomène est intéressant à noter car il eut un effet sur le climat, sur la vitesse des vents et l'érosion des sols ainsi que sur le métabolisme des organismes qui se sont progressivement adaptés à ce changement. Aujourd'hui, la durée du jour continue de s'allonger au rythme d'environ 1.7 milliseconde par siècle.

Le nautile permet de calculer la longueur du jour; chaque jour, il ajoute une strie à sa coquille et au bout du mois, il cloisonne son alvéole et s’en confectionne une nouvelle. Documents D.R.

Dans un article publié dans la revue "Science Advances" en 2023, l'astrophysicien Norman Murray de l'Institut canadien d'astrophysique théorique (CITA) de l'Université de Toronto et ses collègues ont expliqué la raison pour laquelle l'allongement lent et régulier de la durée du jour de la Terre induit par l'attraction des marées lunaires a été stoppé pendant plus d'un milliard d'années. En effet, il y a environ 2 milliards d'années et jusqu'il y a 600 millions d'années, une marée atmosphérique générée par le Soleil a contré l'effet de la Lune, maintenant le taux de rotation de la Terre stable et la durée du jour à une constante de 19.5 heures. Sans cette pause d'un milliard d'années dans le ralentissement de la rotation de notre planète, notre journée actuelle de 24 heures durerait plus de 60 heures.

En s'appuyant sur des preuves géologiques comme le cycle des marées fossilisées dans le sable et en utilisant des outils de recherche atmosphérique, les auteurs ont montré que la stabilité de la durée des marées terrestres il y a 2 milliards d'années résulte du lien accidentel mais extrêmement important entre la température de l'atmosphère et le taux de rotation de la Terre.

Ces échantillons fossiles de marées d'un estuaire révèlent le cycle des marées de printemps et de morte-eau. Les bandes épaisses correspondent aux grandes marées et les bandes fines aux mortes-eaux. Document G.E. Williams (2023).

La Lune ralentit la rotation de la Terre en attirant la masse des océans, créant des renflements de marée sur les faces opposées de la planète qui se manifestent par les marées hautes (et basses sur les faces perpendiculaires). L'attraction gravitationnelle de la Lune sur ces renflements, ainsi que la friction entre les marées et le fond des océans, agissent comme un frein sur la rotation de la planète.

Selon Murray, "Le Soleil produit également une marée atmosphérique avec le même type de renflements. La gravité du Soleil génère ces renflements atmosphériques, produisant un couple sur la Terre. Mais au lieu de ralentir la rotation de la Terre comme la Lune, elle l'accélère."

Pendant la majeure partie de l'histoire géologique de la Terre, les marées lunaires ont dominé les marées solaires d'environ un facteur dix, d'où le ralentissement de la vitesse de rotation de la Terre et l'allongement des jours.

Mais il y a environ deux milliards d'années, les renflements atmosphériques étaient plus importants car l'atmosphère était plus chaude et parce que sa résonance naturelle - la fréquence à laquelle les ondes la traversent - correspondait à la durée du jour.

L'atmosphère résonne comme une cloche à une fréquence déterminée par divers facteurs, dont la température. En d'autres termes, les ondes - comme celles générées par l'énorme éruption du volcan Krakatoa en Indonésie en 1883 - la traversent à une vitesse déterminée par sa température. Le même principe explique pourquoi une cloche produit toujours la même note si sa température est constante.

Pendant la majeure partie de l'histoire de la Terre, cette résonance atmosphérique n'était pas synchronisée avec le taux de rotation de la Terre. Aujourd'hui, chacune des deux marées hautes atmosphériques met 22.8 heures pour faire le tour du monde. Du fait que cette résonance et la période de rotation de 24 heures de la Terre ne sont pas synchronisées, la marée atmosphérique est relativement faible.

Mais pendant la période d'un milliard d'années étudiée, l'atmosphère était plus chaude et résonnait avec une période d'environ 10 heures. Au paroxysme de cette époque, la rotation de la Terre, ralentie par la Lune, atteignait 20 heures.

Lorsque la résonance atmosphérique et la durée du jour ont atteint des facteurs pairs - 10 et 20 - la marée atmosphérique s'est renforcée, les renflements sont devenus plus grands et l'attraction de la marée du Soleil est devenue suffisamment forte pour contrer la marée lunaire.

Comme l'explique Murray, "C'est comme pousser un enfant sur une balançoire. Si votre poussée et la période du balancement ne sont pas synchronisées, cela n'ira pas très haut. Mais s'ils sont synchronisés et que vous poussez juste au moment où la balançoire s'arrête à une extrémité de sa course, la poussée s'ajoutera à l'élan de la balançoire et elle ira de plus en plus haut. C'est ce qui s'est passé avec la résonance atmosphérique et la marée."

Le réchauffement du climat

Parallèlement aux preuves géologiques, Murray et ses collègues ont obtenu leur résultat en utilisant des modèles de circulation atmosphérique globale (MCG) pour prédire la température de l'atmosphère pendant cette période. Les MCG sont les mêmes modèles utilisés par les climatologues pour étudier le réchauffement climatique. Ceci montre que ces modèles climatiques très complexes fonctionnent très bien et sont capables d'établir des prédictions à moyen et long termes (quelques années à quelques siècles) dont l'effet du réchauffement global du climat et dans chaque région du monde (cf. les prédictions du GIEC pour 2050 qui avait correctement prédit en 2019 les périodes canicules et les feux de forêts de 2023).

Malgré son éloignement dans l'histoire géologique, le résultat présenté par Murray et ses collègues ajoute une nouvelle perspective à la crise climatique acuelle. Du fait que la résonance atmosphérique change avec la température, les auteurs soulignent que le réchauffement actuel de notre atmosphère pourrait avoir des conséquences sur ce déséquilibre des marées : "Alors que nous augmentons la température de la Terre avec le réchauffement climatique, nous augmentons également la fréquence de résonance - nous éloignons notre atmosphère de la résonance. En conséquence, il y a moins de couple du Soleil et donc, la durée du jour va s'allonger plus tôt qu'elle ne le ferait autrement."

Effets de l'érosion et de la Lune

Sur le plan paléontologique, en raison de la longévité des roches continentales, quand les conditions géophysiques et climatiques le permettent, on peut y trouver les traces fossilisées des premières formes de vie, y compris parfois leurs parties molles comme en Australie, et même dans les montagnes en raison du soulèvement des plaques tectoniques. Ces fossiles ne sont toutefois pas très nombreux car l’activité géologique, l’érosion et le métamorphisme ont détruit la plupart des roches primitives. Peu de fragments ont survécu à cette machine géologique infernale.

Le cycle des roches terrestres. Document The Geological Society adapté par l'auteur.

Notons que pour un paléontologue comme pour un archéologue, outre l'activité géologique qui peut effacer toute trace de vie en quelques minutes, le climat, l'érosion des sols et la décomposition des organismes jouent un rôle très pénalisant. C'est encore plus vrai dans les régions humides où les restes des organismes morts pourrissent et disparaissent avant leur momification ou leur fossilisation. C'est l'une des raisons qui rend le travail de ces chercheurs difficile quand il faut retracer la distribution d'une population ou l'origine géographique d'une espèce sachant que le manque de fossiles dans une région ne signifie pas que l'espèce n'y a pas vécu.

Durant l'Hadéen, les vents devaient être très violents avec une houle très impressionnante, d'autant que les continents n'existaient pas encore et que la Lune était alors beaucoup plus proche de la Terre, à moins de 25000 km de distance, générant des effets de marée et des interactions gravitationnelles de plus fortes amplitudes. Il faudra attendre le début de l'Archéen pour que la Lune s'éloigne jusqu'à 100000 km de distance. Par endroit, l'amplitude des marées atteignit une centaine de mètres de hauteur ! Les rivages étaient donc soumis à une érosion intense, générant des débris et des dépôts importants de sédiments dans les dépressions.

Comme nous l'avons expliqué, sous l'effet des pluies acides le fer présent dans les roches s'est dissout dans les océans, donnant aux continents une couleur grise bordés par des eaux acides et vertes, un milieu qui est resté franchement invivable jusqu'à la fin de l'Hadéen. Parfois, on peut encore retrouver des roches Archéennes sous forme de sables ou de galets érodés d'uraninite (du minerai d'uranium) et de pyrite (sulfure de fer), notamment en Afrique du Sud, les rares témoins de cette époque primordiale.

L'émergence des premiers cratons rigides dans un milieu atmosphérique chargé de gaz acides et de vapeur d'eau entraîna leur altération et leur érosion, modifiant la composition de l'atmosphère et fournissant des nutriments à l'océan qui furent à l'origine du développement de la vie.

Prochain chapitre

L'apparition et le développement de la vie

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[1] L’âge de la Terre fut déterminé à partir d’horloges isotopiques. Cet âge est également confirmé dans les fragments météoritiques. Lire à ce sujet "Le Soleil, la Terre... la vie : La quête des origines," Robert Pascal et al., Belin/Pour la Science, 2009. Quant à l'âge du monde déduit de la Bible, rappelons que ce livre sacré n'est pas un oeuvre scentifique.


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