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Le tourisme spatial Hommage à ces "fous volants" (I) Selon un sondage, plus de la moitié des internautes interrogés aimeraient faire un voyage dans l'espace (même jusqu'à la Lune), mais cela dépend évidemment du prix. Aujourd'hui le "bording pass" pour ISS est fixé à 20 millions de dollars ! Ce montant a de quoi nous refroidir. Mais si cela peut vous rassurer, sécurité oblige, le tourisme spatial n'est pas pour autant accessible à toutes les grandes fortunes; un rhume ou un malaise et vous êtes cloué au sol parfois durant plusieurs années. On y reviendra. Le même sondage montrait que 25% des gens ne se sentent à l'aise que sur le plancher des vaches et laisseraient volontiers leur ticket pour l'espace aux heureux candidats astronautes et aux touristes de l'espace qui ne manquent pas. Comme le disait mon grand-père, à force de tenacité, si ces fous volants ne finissent pas comme Icare, ils accrocheront la première étoile. Le progrès est en train de lui donner raison. L'aviation est bien ancrée dans nos moeurs. Chacun de nous connaît au moins un pilote ou un passionné qui s'y investit plus que de coutume. La plupart d'entre nous avons également pris l'avion au moins une fois. Plus rares sont les pilotes passionnés d'astronautique ou d'astronomie. S'ils le sont, ils deviennent généralement militaires et les plus chanceux suivent une carrière de pilote de chasse, de pilote d'essai ou d'instructeur, avant d'incorporer la flotte des astronautes. En revanche, bons nombres d'amateurs trépignent d'impatience de faire un vol à bord de la navette spatiale ou de visiter ISS. Mais comme tout bon candidat, avant de recevoir vos ailes ou votre ticket pour l'espace, une révision générale s'impose car la conquête du ciel ne s'improvise pas. En effet, il n'est pas inutile de rappeler quelques notions de base de l'aéronautique et du vol en altitude pour comprendre comment vole un avion, pourquoi les ailes de la navette spatiale ou de SpaceShipOne ont cette forme particulière ou pourquoi ces vaisseaux sont équipés d'un réacteur aussi puissant. Ces notions nous permettront de mieux comprendre la prouesse technologique de ces inventeurs de génie et le courage de leurs pilotes qui furent souvent des pionniers en leur domaine. Les principes du vol Un avion pèse au minimum 400 kg dans le cas d'un planeur et pourtant il peut parcourir des milliers de kilomètres sans tomber (du moins le pense-t-on). Un F-18 tels ceux utilisés par la Navy pèse 23 tonnes à vide et peut monter en chandelle jusqu'à 45000' ou environ 15000 mètres d'altitude. Comment tiennent-ils en l'air et atteignent-ils de telles performances ? Pour le comprendre nous devons étudier l'aérodynamisme et appliquer quelques lois de mécanique élémentaires. Lorsqu'un avion, qu'il soit équipé ou non d'un moteur se déplace à une certaine vitesse par rapport à l'air environnant, ainsi que le montre les schéma présentés ci-dessous, l'écoulement de l'air le long du profil particulier des ailes entraîne une forte dépression sur l'extrados (partie supérieure de l'aile) qui a pour effet de créer une force verticale appelée la portance. Cette force vient compenser une grande partie du poids de l'avion ou du planeur. A voir : Airflow accross a wing A lire : Cambridge scientist debunks flying myth
Animé d'une vitesse de 800 km/h, un avion ne pèse apparemment plus qu'une dizaine de kilos quand il vole. Mais la portance n'est pas constante et varie en fonction de la densité de l'air (sa température et sa pression). Quelles que soient les circonstances, ce poids résiduel qui n'est pas compensé par la portance fait descendre l'avion très lentement et de manière imperceptible, jusqu'au sol. Ainsi, si vous laissez un planeur piquer du nez, il va subir une poussée vers l'avant qui le fera avancer et qui s'opposera à la force de frottement. Le planeur a donc besoin de descendre en permanence par rapport à l'air environnant pour maintenir sa vitesse, et garder sa portance, bref, pour voler. C'est la raison pour laquelle les pilotes de planeurs recherchent les courants ascendants pour gagner de l'altitude et se maintenir le plus longtemps possible en vol. L'avion propulsé par un moteur fonctionne de la même manière à l'exception qu'il n'a plus besoin des ascendances pour se maintenir en l'air. Quand on voit le volume de l'atmosphère et qu'on ressent le bonheur de voler, on aimerait bien monter, monter, et monter encore jusqu'aux étoiles. Mais soudainement, soit votre moteur va s'étouffer et le voyant que vous ne vouliez pas voir va s'allumer, soit vous ferez un "stall" et une belle chute incontrôlable qui risque de vous coûter la vie. Par bonheur vous avez repris les commandes et avez retrouvé le plancher des vaches sain et sauf mais non sans vous posez quelques questions. Un avion peut-il voler dans toute l'atmosphère ? De retour de ce vol mémorable, vient alors la question qui vaut de l'or et des cheveux blancs aux ingénieurs, un avion peut-il voler dans toute l'atmosphère ? La question peut sembler naïve, mais la réponse est loin d'être binaire. A l'image de l'alpiniste ou du pilote qui ressent les effets du manque d'oxygène au-delà d'environ 4000 mètres d'altitude, tout moteur atmosphérique a également besoin d'oxygène. La réponse dépend donc de considérations purement techniques.
Il faut distinguer les avions propulsés par un moteur à piston, avec ou sans turbo, les turboréacteurs classiques, les statoréacteurs et les avions-fusées, en mettant de côté des lanceurs comme les fusées ou la navette spatiale dont le but premier n'est pas celui de voler dans l'atmosphère mais de la traverser au plus vite... Les performances d'un avion dépendent de son poids, des caractéristiques de son moteur, de la portance des ailes et des propriétés physiques de la couche d'air traversée (densité, température, pression). Physiquement, tout avion peut voler et rester contrôlable tant que le libre parcours moyen des particules d'air est très petit devant la taille de l'engin. Cela nous porte à des niveaux de vol bien plus élevés que ceux accessibles aux avions actuels. Les seuls engins qui ont des trajectoires contrôlées au-delà de ces limites sont les navettes spatiales, les avions-fusées (les avions "X") et les corps de rentrée des engins balistiques (dont la conception est secrète). Cependant ces engins doivent disposer d'un moteur capable d'encore créer la poussée nécessaire à ces altitudes. Ils utilisent généralement un réacteur alimenté en fuel hybride. Dans le cas des avions légers, le moteur est le facteur limitatif, tandis que pour les gros porteurs (jets) ce sont les ailes car elles offrent moins de portance, surtout sur les longs-courriers. La limite d'altitude d'un avion à pistons (avion de tourisme de type Piper PA28) va dépendre essentiellement de sa masse. Ainsi en embarquant 2 passagers et volant en hiver (où l'air est plus dense et facilite la portance), ce type d'avion peut gagner au moins 2000 pieds comparé à un vol effectué en été avec 3 passagers. Un avion équipé d'un turbo, c'est-à-dire un turbopropulseur (hélice + turboréacteur tels ceux équipant les avions d'acrobatie Pilatus PC-7 ou les avions d'affaires de type Citation Mustang) peut monter jusqu'au niveau de vol des jets dans le cas du luxueux Falcon 50 de Dassault (plafond 16000 m) et atteindre une vitesse maximale d'environ 500 km/h pour les petits avions et près de 1000 km/h pour les plus rapides. Sans turbo, le moteur étoufferait par manque d'oxygène vers 3500 m d'altitude comme une voiture sans turbo s'étouffe à La Paz en Bolivie (3700 m). Dans un réacteur, l'air est compressé avant d'être mélangé au combustible (carburant à base d'essence, de kérozène, etc). On y trouve donc plus d'oxygène que dans le même volume de mélange alimentant le moteur à pistons d'un avion de tourisme.
Mais même en prenant le cas d'un turboréacteur (F-16, etc), malgré la compression assurée dans la turbine, il arrivera un moment où la densité de l'air ne permettra plus de fournir assez de comburant pour que la combustion fournisse la poussée nécessaire au vol. Pour un F-16, l'attitude maximale est de 15200 m pour une vitesse maximale de 2173 km/h soit Mach 1.75. Ce type de chasseur reste néanmoins très performant pour des missions de combat conventionnelles. Seul un turbo ou statoréacteur peut monter très haut et très rapidement dans l'atmosphère grâce à la compression. Cela concerne tous les avions supersoniques modernes : Concorde, A380, F-22 Raptor, bombardier B2, etc, et les avions hypersoniques comme les statoréacteurs, c'est-à dire des turboréacteurs sans partie mobile pour permettre l'écoulement d'un flux supersonique. Le X-43 Scramjet présenté à gauche compte parmi ceux-ci. Actuellement le record d'altitude atteint par un avion conventionnel est de 37649 mètres (123520') le 31 août 1977 par un prototype du MiG-25 (E-266M) piloté par le pilote d'essai Alexander Fedotov qui rejoint ainsi le club très fermé des stratonautes. L'avion à moteur atmosphérique le plus rapide est l'avion de reconnaissance SR-71 Blackbird qui peut atteindre 3532 km/h ou Mach 2.86. Il est capable de traverser les Etats-Unis en 1 heure. Malgré ses turbo-statoréacteurs, il plafonne à 26000 m. Par comparaison, le fameux bombardier B2 vole au maximum à 972 km/h ou Mach 0.79 et plafonne à 15200 m. Tous ces moteurs atmosphériques puisent l'oxygène nécessaire à leur propulsion directement dans l'atmosphère. Seul inconvénient, le statoréacteur ne peut pas décoller seul ou doit être équipé d'une propulsion mixte pour assurer son décollage. Il peut également être catapulté. Ce type de propulsion est essentiellement utilisée sur les missiles (ASMP sur Mirage2000, etc), les avions furtifs et probablement à l'avenir sur les avions hypersoniques capables d'évoluer dans différentes configurations de vol (turboréacteur à basse altitude, statoréacteur en haute altitude et fusée dans l'espace). La vitesse maximale du statoréacteur est actuellement de Mach 9.6 (11854 km/h) dans le cas du X-43A, soit cinq fois celle du Concorde et trois fois celle de SpaceShipOne, pour une altitude maximale de 29000 m. Mais il ne peut maintenir ses performances que quelques dizaines de secondes pour le moment. Rappelons que le X-43 est un avion sans pilote de 3.65 m de longueur qui est largué par un B-52. Il ne lui faudrait que 30 minutes pour traverser l'Atlantique entre Paris et New York ! La propulsion électrique (ionique) qui utilise un moteur à plasma est promue à un bel avenir. Les satellites d'observations de la Terre et les sondes spatiales des programmes New Millenium et Discovery utilisent déjà cette technologie en exploitant un plasma de xénon. Mais cette technologie ne permet pas de surmonter le problème de la friction dans l'atmosphère terrestre et ce type de moteur n'est pas assez puissant pour alimenter un avion de chasse et encore moins un avion long-courrier. En revanche, on peut produire un jet de plasma à partir de l'air et d'électricité (cf. Tang et Li, AIP, 2020). En théorie, un avion hypersonique à plasma de ce type (plasma jet) pourrait voler à Mach 5 ou 10 dans la stratosphère. Ces avions d'un poids de 100000 kg ou davantage pourraient transporter 100 passagers d'un continent à l'autre en une ou deux heures. Ils pourraient devenir les futurs longs-courriers. Seul bémol, les projets sont encore tellement timides qu'il n'existe pas encore de prototype, juste un propulseur de labo capable de développer 1000 W et de soulever une masse de 1 kg. On ne doit donc pas espérer voir voler ce genre d'hyperjet avant 2050. A lire : A quelle altitude commence l'espace ? Calculette : Vitesse du son et nombre de Mach A consulter : X-59 Low-Boom Flight Demonstration, NASA
Contrairement aux statoréacteurs, les avions-fusées (type X-15 ou SpaceShipOne) doivent également embarquer leur comburant. Il en est de même pour les fusées comme des navettes spatiales qui ont besoin de réserves d'oxygène (ergol cryogénique) pour alimenter leurs réacteurs en dehors de l'atmosphère. Les solutions hybrides turboréacteur/statoréacteur utilisant l'oxygène de la haute atmosphère comme carburant restent très avantageuses sur plusieurs point. Tout d'abord un avion hypersonique est beaucoup plus économique qu'une fusée; à dollars constants, SpaceShipOne a coûté 20 millions de dollars et est réutilisable au moyen six fois, alors que le Projet Mercury coûta environ 600 millions de dollars actualisés. Ensuite un avion hypersonique permet d'éviter les encombrants réservoirs externes qui ne sont utilisés que dans les basses couches de l'atmosphère. A partir de la stratosphère et de Mach 6, le statoréacteur prend le relai et produit la poussée nécessaire. Cette solution est d'autant plus intéressante que la réaction de l'oxygène et de l'hydrogène du statoréacteur produit de l'eau et est donc nettement plus écologique que le système de propulsion polluant et toxique des fusées et des anciennes navettes spatiales. Ceci dit, un X-43 ou SpaceShipOne n'est pas une navette spatiale ni même un lanceur offrant les performances d'une fusée quoique SpaceShipOne s'en rapproche sur le plan de la propulsion et de la résistance ainsi que nous le verrons en deuxième partie. Au cours de son ascension, à mesure que la vitesse de la navette spatiale ou d'une fusée approche de Mach 1, le profil de l’onde de choc qui se manifeste suite à la compression de l'air transforme l’écoulement subsonique en écoulement transsonique. L'onde de choc se déplace vers les bords de fuite et augmente d’intensité. Elle peut également apparaître sur l'intrados. Comme on peut le constater sur les image présentée ci-dessus, l'onde de choc sur l’extrados produit un négatif négatif car elle accroît considérablement la traînée et peut faire chuter la portance de l'aéronef. La compression de l’air sur l’aile a également tendance à la chauffer. A Mach 2, l'extrados de la navette spatiale atteignait 120°C mais s'élève déjà à 334°C à Mach 3. A voir : U-2 - SR-71 - B-2 - F/A-18 - F-35 - MiG-29 - MiG-25 - Mirage 2000 X-1 - X-15 - X-43 - Vulcan XH558 - Eurofighter
Dans un avion hypersonique, en plus du problème aérodynamique vient se greffer un problème de résistance des matériaux qui doivent garder leurs propriétés (résistance, élasticité, etc) jusqu'à des températures élevées. A l'époque du Concorde qui volait à Mach 2.02 soit 2494 km/h à 18000 m d'altitude, les ingénieurs pouvaient se permettre d'utiliser un fuselage et une voilure en alliage d'aluminium car la température maximale due à la friction dans l'air ne dépassait pas 127°C sur le nez de l'avion et la dilatation ~20 cm. Sur les avions hypersoniques de nouvelle génération atteignant Mach 4 ou 5, la température peut dépasser localement 1600°C. L'avantage est que jusque Mach 5, un avion hypersonique volant à 30000 m d'altitude comme le projet de Boeing peut utiliser un fuselage en titane plutôt qu'en céramique composite beaucoup plus chère. L'air dans la cabine de pilotage doit également être refroidi pour le confort de l'équipage ce qui engendre une dépense supplémentaire d’énergie. La situation est encore plus sévère lors de la rentrée atmosphérique. Tout ceci pour dire qu'on ne construit pas un avion hypersonique ou vaisseau spatial comme un avion subsonique. Précisons que tout pilote volant au-dessus de 15000 mètres d'altitude (50000') doit porter une combinée pressurisée. A ces altitudes raréfiées et peu denses, cette combinaison constitue le système de survie du pilote; elle lui apporte l'oxygène (pur) et maintient sa combinaison sous pression. Pour les vols hors de l'atmosphère (dans le vide), la combinaison spatiale est de rigueur. Ceci termine notre digression aéronautique. Passons à présent au coeur de notre sujet, le vol orbital (et non pas spatial). Deuxième partie Parlons business : SpaceShipTwo
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